Les anciens textes védiques racontent une histoire fascinante de la création et de la répartition des rôles sociaux qui est à la base de l’organisation de la société indienne. Selon les écrits, l’Homme primitif, en tant que purusha (l’être primordial), a été divisé en différentes parties, et de ces parties sont nées les diverses classes sociales, ou varnas, qui forment la structure sociale fondamentale. Le Brahmane, la classe sacerdotale, est né de la bouche de l'Homme ; le Rajanya, c'est-à-dire le Kshatriya, la classe des guerriers et des rois, est né de ses bras. Les Vaishyas, ceux chargés de la production et du commerce, ont émergé de ses cuisses. Enfin, les Shudras, la classe des serviteurs, sont nés de ses pieds. Ce schéma de division représente l’ordre social mythique et divin qui s’imbrique dans la conception sacrée de l'univers.

En parallèle à cette division, les textes védiques relatent des pratiques sacrificielles qui jouent un rôle essentiel dans la répartition de la société et des groupes sociaux. Le sacrifice purushamedha, dans lequel l'Homme primitif devient un sacrifice pour les dieux, représente non seulement un rituel de régénération mais aussi un acte symbolique consolidant l'ordre social. Ainsi, les divisions en varnas sont renforcées par des rites qui rappellent leur origine divine et leur importance pour le maintien de l'harmonie cosmique. La légitimité des rois, des sages et des prêtres repose sur leur relation avec ce rituel sacré. Il n'est donc pas surprenant que les classes inférieures, comme les Chandalas, soient traitées avec mépris par les élites, bien qu'il n'existe pas de preuve explicite de la pratique de l'intouchabilité dans les textes védiques plus tardifs. Cependant, le traitement réservé aux Chandalas dans les textes, notamment en tant que victimes dans le sacrifice humain, souligne leur marginalisation au sein de la société.

Les différences de statut, décrites par des métaphores comme la naissance des différents groupes sociaux à partir des parties du corps de l'Homme, s'accompagnent d'un ensemble de croyances sur la réincarnation et le karma. Ceux qui accomplissent de mauvaises actions dans cette vie naissent dans des conditions sociales basses : comme des chiens, des sangliers ou des Chandalas. Ce cycle de réincarnation dans des conditions sociales déterminées par les actions passées traduit une vision de la société fondée sur la rétribution morale, où les naissances dans des castes supérieures ou inférieures sont perçues comme le résultat de l’accumulation de mérites ou de fautes dans les vies antérieures.

Dans ces récits, le thème de la mobilité sociale est également présent, bien qu’elle soit limitée. Les Brahmanas, tout en restant au sommet de la hiérarchie, tentent d'intégrer certains groupes non-aryens dans le système des varnas. Les groupes comme les Andhras, Pundras, Shabaras et autres tribus ont été considérés comme des « extérieurs » au système brahmanique, mais leur incorporation partielle montre un processus complexe d'absorption et de reconnaissance, quoique de manière marginale. La référence à des populations comme les Kiratas et Nishadas dans les textes védiques ultérieurs témoigne de l’existence de populations qui étaient reconnues mais qui restaient en dehors du système des varnas.

Cette évolution des rapports sociaux dans la vallée du Gange supérieure révèle l’augmentation de la stratification sociale, mais il semble aussi y avoir encore une certaine fluidité dans les occupations. Un vers du Rig Veda, par exemple, décrit un homme dont le père est médecin et la mère meule du grain ; cette diversité d’activités laisse entendre qu’il existait encore une mobilité professionnelle et sociale, bien que la hiérarchie des varnas fût déjà bien établie.

L'une des institutions centrales dans la société védique était la maison, ou griha. Le grihapati, chef de la maison, avait autorité non seulement sur les biens matériels, mais aussi sur les ressources reproductives de sa famille. Le mariage et la relation entre mari et femme étaient au cœur de l’organisation domestique. L’épouse, appelée stri, yosha, ou jaya, n'était pas seulement une partenaire de vie, mais aussi une clé de la continuité de la lignée patrilinéaire. Les rituels comme l’agnyadheya, qui établissent les liens avec les ancêtres, renforcent l'importance du mariage pour la transmission des biens et du statut social. En effet, la femme, en tant que mère et épouse, jouait un rôle crucial dans l'organisation sociale, bien que ses propres droits et libertés fussent souvent limités.

Les femmes étaient essentiellement définies par leur relation avec les hommes. Dans certaines pratiques, la femme était vue comme un "bien précieux" et ses rituels d’intégration dans la famille étaient particulièrement importants. Les mariages arrangés, souvent par capture ou par choix de la femme, étaient des pratiques courantes. Cependant, une certaine fluidité des relations matrimoniales existe aussi, comme le montre la possibilité pour une veuve d’épouser son beau-frère. La polygynie, où les hommes pouvaient avoir plusieurs femmes, était plus fréquente que la polyandrie. Les rois, en particulier, pouvaient multiplier leurs épouses et concubines.

Cependant, cette place de la femme était complexe et contradictoire. Bien qu’elle fût valorisée dans certaines situations — comme dans le Shatapatha Brahmana où il est dit que l'épouse est "la moitié de son mari" et le complète — elle était exclue de nombreuses sphères d'activité. Par exemple, les femmes ne pouvaient pas étudier les Vedas ni effectuer des sacrifices religieux indépendamment. Lors des sacrifices, la présence de la femme était requise, mais il arrivait que des effigies soient utilisées à sa place. De plus, certaines idées védiques présentaient le sang menstruel féminin comme polluant, ce qui créait des tabous sévères : une femme menstruée ne pouvait ni participer aux sacrifices, ni être en contact avec la nourriture sacrée.

La société védique se caractérisait donc par une hiérarchie rigide, une sacralité de l'ordre social et une place marquée pour les rituels et sacrifices. Cependant, ces systèmes d'organisation étaient aussi soumis à une dynamique de changement, avec des tensions et des adaptations aux groupes extérieurs et aux évolutions des relations de genre.

L'architecture et la sculpture de l'Inde ancienne pendant la période des Vakatakas : Une époque d'essor artistique et religieux

L'ère du règne de Harishena, roi des Vakatakas (c. 460-477 de notre ère), marque un âge d'or dans le développement artistique et architectural en Inde. Cependant, la mort de ce souverain semble signaler la fin de cette période d’intense production et de prospérité culturelle. L’analyse de cette époque, notamment dans les domaines de l’architecture et de la sculpture, doit prendre en compte non seulement le patronage des dynasties Gupta et Vakataka, mais aussi l’implication d’autres élites dans ces réseaux de mécénat. Les évolutions artistiques de cette période témoignent d’une forte influence des cultes théistes, notamment hindous et bouddhistes, qui se reflètent dans la conception des temples et des sculptures de l'époque.

Les temples et l'architecture

La période entre 300 et 600 de notre ère représente un tournant crucial dans l'histoire de l'architecture des temples en Inde. Les temples qui nous sont parvenus sont principalement situés dans les régions montagneuses de Madhya Pradesh, bien que beaucoup soient en ruines. Ces structures en pierre comprennent des temples dédiés à Vishnu à Tigawa, à Shiva à Bhumara et Khoh, ainsi que des temples bouddhistes à Sanchi. L’extérieur des temples les plus anciens était plutôt modeste, mais les portes, souvent richement sculptées, étaient des points focaux de l’ornementation. Le sanctuaire, appelé garbha-griha, mesurait environ 10 x 10 pieds, juste assez pour abriter une image divine.

À partir du Ve siècle, l'architecture des temples subit plusieurs transformations. Les temples sont désormais construits sur des bases surélevées, avec un shikhara (spire) qui devient une caractéristique distinctive. Le temple Dashavatara à Deogarh et celui de Bhitargaon en sont des exemples frappants. Le temple de Deogarh, par exemple, comporte quatre porches et un shikhara qui atteint près de 40 pieds de hauteur. Le temple de Bhitargaon, en terracotta et en briques, présente des panneaux décoratifs représentant des scènes mythologiques et est l’un des premiers exemples de l’arc véritable en Inde.

Les sculptures et les décorations

Les sculptures de cette période, comme celles trouvées à Deogarh, présentent une grande variété de motifs. Des figures humaines, des oiseaux, des couples, des svastikas, ainsi que des éléments végétaux, ornent souvent les portes des temples. Ces motifs sont aussi retrouvés dans d’autres temples, tels que ceux de Bhumara et de Nachna-Kuthara. L’une des caractéristiques notables de cette époque est la représentation de la conque et du lotus sur les montants des portes, un symbole récurrent de pureté et de divinité dans l'iconographie indienne.

Les stupa bouddhistes, les chaityas et les vihara construits au cours de cette période, comme ceux de Jaulian, Charsada et Taxila dans le Gandhara, témoignent également de la richesse artistique de l’époque. À Sarnath, le stupa Dhamekh, d’une hauteur de 128 pieds, est un exemple remarquable de l'architecture bouddhiste. Ce stupa est orné de sculptures géométriques et de motifs enroulés.

Les grottes d'Ajanta et de Bagh constituent les exemples les plus impressionnants de l’architecture rupestre de cette période. Les 28 grottes d’Ajanta, creusées dans les collines Sahyadri et surplombant la rivière Waghora, abritaient une communauté monastique florissante soutenue par les élites du royaume Vakataka. Deux des grottes d'Ajanta, les grottes 19 et 26, sont des chaityas (cavernes de prière), célèbres pour leur riche décoration sculpturale, avec des figures du panthéon mahayana. La cave 19, par exemple, présente une salle rectangulaire divisée par des piliers sculptés et une stupa centrale, représentant un Bouddha en relief. Cette période voit également l’introduction d’un nouveau type de cellule monastique, avec une salle centrale entourée de chambres pour les moines.

Les sculptures d’Ajanta ne se limitent pas aux représentations religieuses. Les peintures murales qui décorent ces grottes, et qui se trouvent encore dans certaines d’entre elles, sont un témoignage de la complexité et de la sophistication des artistes de l’époque. Ces peintures, réalisées selon la technique du fresco secco, sont l’un des moyens par lesquels la culture bouddhiste s’est exprimée visuellement.

L’héritage des Vakatakas

La période Vakataka a marqué une étape déterminante dans l’histoire de l’art indien, non seulement par ses réalisations architecturales, mais aussi par son influence sur la sculpture religieuse. Les élites de l’époque, dont Harishena lui-même, ont contribué à la construction de temples, de sculptures et de monastères qui sont des témoins permanents de la richesse culturelle et religieuse de l'Inde ancienne. Les structures de cette époque, tant en pierre qu'en brique, montrent une évolution progressive vers une plus grande complexité et sophistication, qui a ouvert la voie aux réalisations architecturales et artistiques des siècles suivants.

Il est essentiel de noter que l’art de cette époque n’était pas seulement une question de forme ou de beauté esthétique. Chaque sculpture, chaque temple, chaque motif portait une signification religieuse et philosophique profonde, en lien avec les croyances populaires de l’époque, qu'elles soient bouddhistes ou hindouistes. L'architecture et la sculpture indiennes de cette époque sont ainsi bien plus qu'une simple démonstration technique ; elles sont les manifestations matérielles de la spiritualité qui animait la société.

Comment les routes commerciales de la civilisation Harappéenne ont façonné son développement et ses échanges

L'étude des artefacts et des matériaux retrouvés sur les sites de la civilisation harappéenne a considérablement enrichi notre compréhension des réseaux commerciaux et des échanges interrégionaux de cette culture. En effet, l'examen des matières premières utilisées pour fabriquer les objets retrouvés dans des sites tels que Harappa, Mohenjo-Daro et Lothal révèle une organisation complexe des échanges à longue distance, qui ne se limitait pas à des transactions locales, mais impliquait également des interactions avec des régions éloignées. Les matériaux étaient obtenus non seulement dans les environs immédiats des sites, mais également dans des zones géographiques distantes, en particulier les régions voisines situées au-delà du bassin de l'Indus.

Les méthodes utilisées pour identifier la provenance des matériaux comprennent des techniques avancées telles que l'inspection visuelle, l'analyse par diffraction des rayons X (XRD), l'analyse par microsonde électronique (EMPA), ainsi que des tests minéralogiques et des analyses spectrométriques. Ces techniques permettent de distinguer les sources naturelles des matériaux et d'établir des liens entre les objets retrouvés et leurs origines géologiques. Le principe de la "provenance postulate", tel qu'appliqué par Law dans son étude, stipule que l'on peut déterminer la source d'un objet en fonction des différences chimiques et minéralogiques, à condition que ces différences soient plus marquées entre les sources naturelles que dans les variations internes de chaque source.

L'analyse des objets en pierre et en métal retrouvés à Harappa, et d'autres sites voisins, a permis de corroborer certaines hypothèses avancées par les chercheurs précédents, tout en en modifiant d'autres. Les résultats montrent que, bien que les échanges commerciaux avec des régions lointaines comme la Mésopotamie ou l'Arabie n'aient pas joué un rôle aussi important que ce que l'on pensait, un réseau de commerce régional très actif existait déjà. Une intensification de ces échanges interrégionaux est particulièrement évidente au cours de la phase mature de la civilisation harappéenne, avec un accent marqué sur l'acquisition de matériaux comme le chert et les pierres abrasives via des réseaux commerciaux de longue distance.

Les résultats montrent également que certaines ressources métalliques étaient obtenues dans des régions situées au nord du bassin de l'Indus, remettant en question l'idée selon laquelle ces matières premières étaient moins importantes que prévu. L'usage du plomb dans les artefacts métalliques, par exemple, indique que les habitants de Harappa se procuraient des minerais de plomb dans les zones montagneuses du Jammu et Cachemire, du Baloutchistan et d'autres sources non identifiées. Quant aux objets en cuivre, leur provenance semble se situer à l'ouest du bassin de l'Indus, voire jusqu'à Oman.

La présence de lapis-lazuli en particulier, extrait des mines de Sar-i-Sang dans la région de Badakhshan en Afghanistan, offre une autre clé de compréhension du commerce à grande échelle entre la vallée de l'Indus et d'autres cultures. Bien que le lapis-lazuli soit un bien prisé dans les échanges commerciaux, les données montrent que les autres matières premières nécessaires à la production des artefacts harappéens étaient disponibles localement ou dans des régions voisines, ce qui réduit la nécessité d'un commerce à longue distance avec des zones comme la Mésopotamie ou l'Iran.

En revanche, la découverte de sites comme Shortughai en Afghanistan, point de convergence stratégique situé près des mines de lapis-lazuli, met en lumière l’importance de certains postes commerciaux éloignés. Ce site, qui appartenait à la civilisation harappéenne, est particulièrement significatif en raison des artefacts retrouvés, qui sont typiques de ceux produits dans la vallée de l'Indus. Ces découvertes suggèrent que Shortughai jouait un rôle central non seulement dans l'extraction de lapis-lazuli, mais aussi potentiellement dans la circulation d'autres produits précieux tels que l'étain et peut-être même dans le commerce du chameau, reliant ainsi l'Indus à des réseaux commerciaux plus vastes à travers l'Asie centrale.

Les objets harappéens retrouvés en Mésopotamie, notamment des sceaux et des perles en lapis-lazuli, attestent de la continuité des échanges entre la civilisation de l'Indus et le monde mésopotamien, même si ces contacts semblent avoir diminué au fil du temps. Les scellés, des objets emblématiques du commerce mésopotamien, retrouvés dans des contextes aussi éloignés que Nippur, suggèrent que les relations commerciales entre les deux régions ont perduré au moins jusqu'à la fin de la phase mature de la civilisation harappéenne.

L'importance des routes commerciales terrestres reliant la vallée de l'Indus à l'Asie centrale et à la Mésopotamie devient évidente grâce à la découverte de sites comme Pathani Damb, Nausharo, Dabarkot et d'autres, situés près des principaux cols reliant le sous-continent indien à l'Afghanistan et à l'Iran. Ces routes semblaient former un réseau de transit essentiel pour les produits harappéens, dont le mouvement était crucial pour la diffusion des matériaux et des objets précieux sur de vastes distances. À côté de ces routes terrestres, des itinéraires maritimes étaient également utilisés pour relier la vallée de l'Indus aux régions du Golfe Persique et à la Mésopotamie, à travers des ports comme Lothal et Dholavira.

L'idée selon laquelle les échanges commerciaux à longue distance de la civilisation harappéenne étaient moins importants que ceux de Mésopotamie doit être nuancée. La vallée de l'Indus, riche en ressources naturelles variées, répondait à une grande partie des besoins alimentaires et artisanaux de ses habitants. Cependant, le commerce avec des régions voisines a permis d’enrichir les répertoires des matériaux disponibles et a favorisé l’émergence de réseaux d’échanges complexes. Ces réseaux ont joué un rôle essentiel dans le développement des structures sociales et économiques de la civilisation harappéenne.