L'argument de l’anxiété économique, souvent invoqué pour expliquer la montée du populisme autoritaire et l’élection de Donald Trump en 2016, présente une interprétation superficielle des causes de ce phénomène politique. Il s’agit de l’idée selon laquelle la peur de la récession économique, l’insécurité financière et la dégradation des conditions de vie auraient été les moteurs principaux du soutien de la classe ouvrière blanche à Trump. Ce discours met en avant un tableau de déclin économique, où les travailleurs blancs se sentent abandonnés et trahis par un système économique qui ne parvient plus à leur offrir les promesses de l’ascension sociale. Cependant, cette analyse évite délibérément d’aborder des questions plus profondes, telles que la manière dont le racisme, le sexisme et la xénophobie, en tant que composantes intégrales de l’ordre capitaliste, nourrissent et façonnent cette anxiété économique.

Le discours de l’anxiété économique présente donc un récit de mobilité descendante, illustrant la perte de ce qui était autrefois considéré comme le « rêve américain » : une maison, un emploi stable, des revenus suffisants pour subvenir aux besoins d'une famille et un avenir meilleur pour les générations suivantes. À partir des années 1970, cependant, cette image a commencé à se fissurer, d’abord sous l’effet de la crise du capitalisme mondial, qui a contraint de nombreuses industries américaines à délocaliser leur production vers des pays à bas coûts de main-d'œuvre, entraînant une érosion des emplois manufacturiers et une expansion du travail précaire et mal rémunéré. Cette dégradation des conditions de vie, couplée à l’automatisation et à la montée des grandes surfaces de distribution, a transformé de nombreuses petites villes américaines en zones de chômage chronique et de désespoir social.

Ce sentiment de déclin économique est un terreau fertile pour les discours populistes, qui cherchent à exploiter ces peurs en offrant des solutions simplistes. Le cas de Trump est emblématique : son ascension a été en grande partie alimentée par des électeurs blancs, souvent masculins, sans diplôme universitaire, qui percevaient leur situation financière comme une conséquence d’événements échappant à leur contrôle. Dans ce contexte, Trump a su articuler un fantasme de retour à une époque révolue, où la place des blancs dans la société était incontestée, et où la hiérarchie raciale et de genre semblait solide. Cette promesse de « rendre l'Amérique grande à nouveau » a trouvé un écho dans ceux qui se sentent marginalisés par les transformations économiques et démographiques du pays.

Cependant, l’anxiété économique telle qu’elle est formulée dans ce discours reste fondamentalement incomplète, car elle ne prend pas en compte la façon dont le racisme et le sexisme sont des éléments constitutifs du capitalisme américain. Au lieu de cela, cette explication préfère évoquer une nostalgie d’un passé idéalisé, sans jamais aborder les racines profondes des inégalités. En effet, l’analyse marxiste du capitalisme souligne que la domination raciale et de genre, loin d’être des épiphénomènes secondaires, joue un rôle central dans la perpétuation des structures économiques inégalitaires. En réduisant l’élection de Trump à une simple réaction contre le déclin économique, on néglige l’importance des enjeux raciaux et identitaires qui traversent le pays.

Il est essentiel de comprendre que cette approche économique évite délibérément toute critique du système capitaliste. Plutôt que de s’attaquer aux inégalités structurelles créées par le capitalisme lui-même, elle se concentre sur des explications qui réorientent la colère et la frustration des électeurs vers des boucs émissaires facilement identifiables, comme les immigrés, les minorités raciales ou les féministes. En évitant de remettre en question les fondements du système, cette analyse offre un exutoire aux frustrations sans jamais proposer de solutions réelles aux problèmes économiques profonds du pays.

Le discours sur l'anxiété économique est devenu un outil de manipulation politique, où les préoccupations légitimes des travailleurs sont détournées pour soutenir des politiques xénophobes, sexistes et nationalistes. Ce phénomène est d'autant plus dangereux qu’il empêche une réflexion véritablement critique sur les origines des inégalités sociales et économiques. Si l’on veut comprendre la montée du populisme autoritaire, il est crucial de ne pas se contenter de cette explication simpliste, mais de prendre en compte la complexité des dynamiques sociales, raciales et économiques qui façonnent la politique contemporaine.

Les transformations structurelles du travail, les changements démographiques et les tensions raciales ne peuvent être comprises indépendamment de l’évolution du capitalisme global. La mondialisation et la financiarisation de l’économie ont creusé un fossé grandissant entre les élites économiques et les masses populaires, exacerbant les frustrations économiques et sociales. Pourtant, l’analyse de ces phénomènes ne peut se limiter à une vision unidimensionnelle des « perdants » économiques blancs. Elle doit également inclure une critique de l’impérialisme économique, du racisme institutionnel et de l'exploitation systémique qui ont traversé l’histoire américaine.

Comprendre ces dynamiques est essentiel pour concevoir une réponse politique efficace face à la montée du populisme autoritaire. Il ne suffit pas de se concentrer sur les symptômes apparents de l’anxiété économique, mais il est nécessaire de confronter les racines de cette anxiété, qui sont intrinsèquement liées à l’histoire et aux structures du pouvoir économique, racial et sexuel aux États-Unis.

La fusion du christianisme et de la politique : Une réflexion sur le nationalisme chrétien blanc et la gouvernance de Trump

La conception de la gouvernance dans le nationalisme chrétien blanc a souvent été façonnée par une interprétation particulière de la Bible, où la politique et la religion s'entrelacent de manière étroite, parfois au détriment des principes démocratiques. L'une des idées récurrentes dans ce discours est l'idée de deux royaumes distincts : le royaume terrestre et le royaume céleste. Dans cette perspective, les responsabilités varient en fonction du royaume auquel on appartient. Le royaume céleste impose à chacun de traiter son prochain comme il souhaiterait être traité, une règle d'or souvent citée dans les enseignements chrétiens. En revanche, dans le royaume terrestre, l’objectif est de choisir des dirigeants capables de servir au mieux les intérêts du pays, une responsabilité fondée sur des critères plus pragmatiques et moins moraux.

Ce double royaume semble, dans cette vision, justifier une approche plus terre-à-terre de la politique, en particulier lorsqu'il s'agit de choisir un leader politique. Selon des défenseurs du nationalisme chrétien blanc, comme Jerry Falwell, un leader comme Donald Trump, soutenu par de nombreux évangélistes, est perçu comme un dirigeant providentiel, indiscutablement choisi par Dieu pour défendre les valeurs chrétiennes et les intérêts des États-Unis. L'expression de ce soutien inconditionnel trouve sa justification dans une interprétation de la Bible, notamment le passage de l'Épître aux Romains (chapitre 13), où il est dit que les gouvernements sont ordonnés par Dieu et que les autorités doivent être obéies en tout temps, même si cela implique des actions controversées comme des guerres ou des politiques de répression.

L'application de ce passage à la politique actuelle montre une attitude de soutien total envers Trump, sans prendre en compte les éventuelles contradictions éthiques ou morales dans ses actions. Par exemple, des figures comme Robert Jeffress, un autre leader évangélique influent, défendent vigoureusement l'idée que Trump, en tant que président, a non seulement le droit mais le devoir d'utiliser tous les moyens nécessaires pour contrer ce qu'ils perçoivent comme le mal, même si cela implique des conflits armés. Ce type de justification a été utilisé pour soutenir la politique étrangère de Trump, notamment sa position vis-à-vis de la Corée du Nord.

Cependant, ce mélange entre la foi chrétienne et la politique soulève plusieurs questions. D'une part, il semble que certains leaders religieux, en accord avec la vision du nationalisme chrétien blanc, cautionnent une forme de théocratie où les enseignements religieux dicteraient la politique publique. Or, cela va à l'encontre des principes démocratiques de séparation entre l'Église et l'État, qui constituent l'un des fondements des systèmes politiques modernes. Ce mélange de foi et de politique pourrait, en fin de compte, nuire à la diversité et à la liberté religieuse qui caractérisent les sociétés démocratiques.

L’idée que Trump incarne une figure quasi divine ne se limite pas aux discours des dirigeants religieux. Sur les réseaux sociaux, des groupes tels que "Make the Gospel Great Again" ont comparé Trump à Jésus-Christ, allant jusqu'à affirmer que Trump serait un messager de Dieu, un instrument pour la rédemption et la protection du pays. Ces comparaisons vont au-delà de la simple admiration pour un leader politique ; elles effacent les distinctions entre la figure divine de Jésus et celle d’un homme politique, ce qui peut induire une déification dangereuse du président et susciter un culte de la personnalité.

L'un des exemples les plus flagrants de cette déification est l’image de Trump qui a circulé sur les réseaux sociaux avec la citation biblique "Le Verbe s'est fait chair" (Jean 1:14), une référence claire à l’incarnation de Jésus-Christ. L'usage de ce verset pour justifier la loyauté envers Trump, plutôt que de le réserver à une relation personnelle avec Jésus, soulève des préoccupations profondes sur la manière dont certains mouvements politiques utilisent la religion pour justifier des politiques controversées. En se réclamant de la Bible, ces groupes cherchent à manipuler les croyances religieuses des électeurs pour les rallier à leur cause.

Ce phénomène n’est pas nouveau. Depuis plusieurs décennies, on assiste à la montée du "nationalisme de réveil", une fusion entre la religion et le nationalisme, où des pratiques religieuses sont utilisées pour promouvoir des politiques nationalistes. Par exemple, lors des rassemblements de Trump, on observe une forte présence de chants et de symboles religieux, contribuant à la légitimation de l’agenda politique à travers une lentille chrétienne. Ce phénomène de fusion entre religion et politique est une continuité de l’histoire américaine, qui remonte à l'époque de Ronald Reagan, dont le slogan "Make America Great Again" a également été utilisé pour galvaniser les sentiments nationalistes et religieux.

Un autre aspect important à considérer est l'utilisation de la Bible pour justifier des politiques d'immigration ou des décisions de guerre. Les références à des passages comme Romains 13, où il est dit que les autorités sont instituées par Dieu, sont souvent utilisées pour défendre des actions comme la construction du mur à la frontière mexicaine ou les interventions militaires. Par ces justifications, les leaders évangéliques et leurs partisans cherchent à légitimer des politiques qui, selon eux, protègent les valeurs chrétiennes et la sécurité nationale, tout en s'appuyant sur une lecture sélective et parfois partiale des Écritures.

Au fond, la relation entre religion, politique et pouvoir dans le contexte du nationalisme chrétien blanc est complexe. Elle invite à réfléchir sur la place de la foi dans les affaires publiques et sur les dangers d’une gouvernance qui, tout en se réclamant d’un idéal chrétien, peut sacrifier les principes de justice et de tolérance en faveur de la consolidation d'un pouvoir politique spécifique. Une telle approche pourrait également mener à l’exclusion de toute autre vision du monde, notamment celles qui ne partagent pas cette vision chrétienne fondamentaliste.

Comment la pensée dialectique peut-elle combattre l'ignorance délibérée dans la lutte pour la justice sociale ?

L’ignorance délibérée, bien qu'elle ne soit pas née avec l’ère Trump, a trouvé un terrain fertile sous sa présidence. Ce phénomène, défini comme un choix délibéré de ne pas chercher à comprendre des faits simples ou d'ignorer délibérément des connaissances accessibles, est particulièrement préoccupant dans le contexte politique actuel des États-Unis. Selon Wieland (2017), les personnes faisant preuve d’ignorance délibérée ne sont pas ignorantes parce que l’information est trop difficile à saisir, mais parce qu’elles choisissent de ne pas vouloir savoir mieux, même lorsque cela est relativement facile. Ce comportement est dangereux à la fois pour l'individu et pour la société dans son ensemble, car il alimente des croyances erronées et entrave la capacité de penser de manière critique.

Prenons l'exemple de l’administration Trump, qui, selon une analyse du Washington Post, a accumulé 3 001 déclarations fausses ou trompeuses en seulement 466 jours, soit plus de six mensonges par jour (Kessler, Rizzo, & Kelly, 2018). Ce phénomène est d'autant plus inquiétant que ces mensonges sont non seulement nombreux, mais répétés incessamment, ce qui permet à de nombreux citoyens de les considérer comme des vérités. Selon l’adage populaire, « un mensonge répété mille fois devient une vérité ». Ce processus de manipulation de l’opinion publique repose sur l’ignorance volontaire, où les individus ne cherchent même pas à remettre en question les informations qui leur sont données, car elles correspondent à des convictions idéologiques déjà établies. Dans ce contexte, la pensée dialectique offre une réponse puissante.

La pensée dialectique, telle que développée par le professeur Bertell Ollman, permet de comprendre les événements, les systèmes et les phénomènes sociaux en analysant les relations entre leurs différentes parties. Selon Ollman (1986), cette méthode de pensée consiste à examiner les contradictions qui existent à l’intérieur de chaque phénomène, à comprendre comment ces contradictions évoluent au fil du temps, et à intégrer ces éléments pour obtenir une vision globale plus claire et plus juste. Contrairement à une pensée linéaire ou dogmatique, la pensée dialectique ne cherche pas à imposer une vérité figée, mais au contraire, elle encourage un examen dynamique et critique des réalités sociales.

En pratique, la pensée dialectique permet de déconstruire des idées reçues et de relier des événements actuels à des processus historiques. Cette approche nécessite de « historiciser » les problèmes en identifiant les conditions du présent et leurs causes passées, avant de projeter ces dynamiques dans le futur pour envisager des résolutions possibles. Il s’agit d’un véritable « mouvement » intellectuel, qui invite à aller au-delà des apparences et des simplifications pour parvenir à une compréhension plus profonde et plus nuancée des phénomènes sociaux. La pensée dialectique, loin d’être un exercice abstrait, doit conduire à un « moment de praxis », c’est-à-dire à une action concrète fondée sur cette nouvelle compréhension. Ce processus est essentiel pour changer les structures sociales injustes et mener la société vers une plus grande équité.

L’ignorance délibérée trouve son terrain de développement dans des sociétés où la pensée critique est marginalisée, comme c'est souvent le cas dans les systèmes éducatifs axés sur la réussite à des tests standardisés. Les élèves, privés de l’occasion de débattre de questions sociopolitiques complexes, risquent de rester mal informés ou de se fier à des sources de désinformation. Dans ce contexte, enseigner la pensée dialectique en classe, même si cela peut sembler intimidant, est essentiel pour former des citoyens capables de naviguer dans un monde complexe, où la vérité n’est pas toujours évidente et où les intérêts politiques et économiques cherchent à masquer la réalité.

Il est donc crucial que les éducateurs encouragent leurs élèves à penser dialectiquement, à remettre en question les récits dominants et à voir les liens entre les injustices passées et présentes. Une telle démarche permettrait non seulement de développer un sens critique plus aiguisé, mais aussi de contribuer à la construction d’une société plus juste. Dans un environnement où les médias et les discours politiques servent souvent à manipuler l’opinion publique, l’éducation doit être un vecteur de réflexion et de remise en question des « vérités » imposées. Les étudiants doivent être formés non seulement à analyser les faits sous tous leurs aspects, mais aussi à comprendre les causes et les conséquences des phénomènes sociaux.

Enseigner la pensée dialectique, en intégrant les contradictions et les interactions sociales dans une analyse complète et nuancée, offre aux élèves des outils puissants pour déconstruire l’ignorance délibérée qui persiste dans la société. Cela leur permet de comprendre les dynamiques complexes de l’oppression et de la lutte pour la justice sociale, et, surtout, de se préparer à agir de manière éclairée pour changer le monde qui les entoure.