Le néolibéralisme, avec ses principes de réduction de l'État, de lutte contre l'aide sociale et de désengagement des programmes gouvernementaux, n'a pas émergé soudainement à partir des idées d'économistes obscurs dans les années 1970. Bien avant cela, des figures politiques comme Herbert Hoover, l'un des prédécesseurs de Franklin D. Roosevelt, avaient déjà adopté une philosophie de laissez-faire économique, s'opposant vigoureusement aux politiques interventionnistes du New Deal. Hoover lui-même défendait l'idée selon laquelle le gouvernement devrait s'abstenir de toute ingérence dans l'économie, une position que ses successeurs, comme Ronald Reagan et Margaret Thatcher, allaient reprendre et populariser, en particulier dans le contexte de la crise économique des années 1970.
Ce qu’il faut comprendre, c’est que le néolibéralisme ne s'est pas imposé de manière simple ou universellement populaire. En effet, les conservateurs ont souvent évité de dévoiler leurs intentions austéritaires de manière claire, surtout avant de parvenir au pouvoir. Une fois en place, ils ont pris soin de dissimuler leurs objectifs réels, notamment la réduction drastique des dépenses publiques, ce qui, en soi, est une idée impopulaire parmi une grande partie de la population. En dépit de la tendance générale à éviter les vérités dérangeantes, ces idées ont été intégrées de manière plus subtile au sein du mouvement conservateur.
La stratégie pour imposer le néolibéralisme au sein du conservatisme s’est construite autour de ce que l'on pourrait appeler le "capital de cohésion". Un terme qui désigne les idées, les thèmes et les stratégies qui servent à renforcer l’unité interne d’un mouvement politique. William F. Buckley, un des leaders intellectuels du conservatisme américain dans les années 1950, a été l'un des premiers à insister sur l'importance d'une telle cohésion. Alors que les conservateurs étaient divisés et politiquement faibles face à la montée des idées progressistes, Buckley a appelé à une coalition de différentes factions sous un même toit idéologique. Ce n'était pas un projet facile, car les divergences étaient profondes au sein même du mouvement conservateur. Par exemple, les libertariens et les évangéliques avaient des raisons différentes de défendre des politiques comme la réduction de l'aide sociale : pour les libertariens, il s'agissait d'une question de réduction de l'État, tandis que pour les évangéliques, il s'agissait souvent d’une question morale, sur la base de la foi et de la charité.
L’une des méthodes les plus efficaces utilisées pour solidifier cette cohésion a été la construction d'ennemis communs. Dans les années 1940-50, alors que le conservatisme était marginalisé, les ennemis étaient principalement le communisme, l'Union soviétique, et les programmes du New Deal. Cette stratégie a permis de masquer les désaccords internes en concentrant les énergies du mouvement contre des adversaires idéologiques clairs. Cependant, cette stratégie a connu des limites lorsque les adversaires idéologiques au sein du mouvement ont évolué. Aujourd’hui, la question de la race, par exemple, représente un point de fracture majeur au sein du mouvement conservateur.
Le recours à la politique du "dog-whistle", un langage codé destiné à mobiliser des factions tout en évitant de choquer ou d'aliéner d'autres groupes au sein du même mouvement, a permis d’amener des divisions complexes dans l'électorat. Cela a particulièrement bien fonctionné sur des questions de race, en particulier dans les régions industrielles en déclin, connues sous le nom de "Rust Belt". Les images de la "ville intérieure pathologique" ont été soigneusement construites et diffusées pour évoquer des sentiments raciaux chez certains électeurs, tout en permettant à d'autres de nier toute connotation raciale.
La construction de cette image de déclin urbain a eu pour effet de réactiver des peurs raciales tout en permettant à différents groupes au sein du conservatisme de s'unir sur des objectifs communs, malgré leurs divergences profondes sur des questions de politique intérieure ou extérieure. La pauvreté et le déclin des villes américaines ont ainsi été utilisés comme des instruments idéologiques puissants pour renforcer l'unité du mouvement conservateur autour de thèmes de réduction de l'État et de refus des politiques progressistes.
Il est également crucial de noter que la radicalisation de la pensée conservatrice dans ces domaines n'a pas uniquement concerné les questions économiques. Le néolibéralisme et ses implications en matière de justice sociale et de bien-être sont intrinsèquement liés à des préoccupations plus profondes sur la place de l'État dans la vie des citoyens et la manière dont les sociétés devraient se réorganiser. Le modèle de réduction des dépenses et de désengagement des services publics a eu des effets durables sur les communautés les plus vulnérables, en particulier dans les zones urbaines.
En somme, ce processus d’unification du conservatisme autour de principes néolibéraux n’a pas seulement été une victoire idéologique. Il a également transformé le paysage politique américain de manière significative, contribuant à une reconfiguration des partis politiques et des alignements raciaux, tout en orientant profondément les politiques locales et nationales en matière de pauvreté et d'inégalités sociales.
Comment la rétrécissement urbain façonne l'avenir des villes en déclin : L'exemple de Flint, Rochester et Saginaw
Les stratégies de rétrécissement urbain ont émergé dans plusieurs villes industrielles américaines en réponse à la dépopulation et à l'effondrement économique. Ces plans cherchent à adapter les villes à une réalité démographique changeante tout en conservant la viabilité de l'espace urbain. L'examen de plans spécifiques dans des villes comme Flint, Rochester et Saginaw permet de comprendre comment ces approches peuvent redéfinir le paysage urbain.
Dans le cas de Flint, bien que le rapport de planification de la ville se concentre sur la stabilisation de la population, il ne met pas explicitement en avant les opportunités de logement abordable dans les zones urbaines densifiées du centre-ville. Pourtant, le plan propose d’ajouter 15 000 unités de logement dans le quartier du centre-ville et du quartier de l'innovation, et d’envisager des ajouts dans les quartiers traditionnels et résidentiels mixtes. Toutefois, l’incertitude demeure quant à la question de savoir si ces logements seraient subventionnés ou non. L'accent est mis sur la restriction du développement débridé et sur la création d’infrastructures vertes, une tendance commune dans d’autres rapports de ce genre. Le rapport de Flint se distingue par ses références à la création d’espaces ouverts publics, mais il reste flou sur la manière dont ces espaces seraient financés ou localisés. L’idée d’un développement sous conditions, évoquée par le document, semble offrir une approche plus flexible, où chaque projet est vu comme unique, se développant dans des cadres bien définis, mais ouverts aux ajustements.
À Rochester, la stratégie de rétrécissement, incarnée par le projet « Project Green », adopte une approche plus pragmatique. Ce plan vise à transformer la ville en intégrant des solutions écologiques tout en gérant les réalités fiscales de l’infrastructure urbaine. Le rapport met en lumière la nécessité d'abandonner la pratique des démolitions aléatoires pour se concentrer sur des zones spécifiques nécessitant une stabilisation. Des quartiers, notamment ceux à majorité afro-américaine au nord du centre-ville, sont identifiés comme des cibles potentielles pour ces interventions. Le rapport prend soin de ne pas ignorer l’héritage de la réhabilitation urbaine des années 1960 et 1970, un passé où les démolitions massives ont entraîné des ruptures sociales et économiques. En réponse, les auteurs du plan cherchent à intégrer les communautés locales dans le processus décisionnel, offrant ainsi une forme de participation citoyenne pour surmonter les héritages négatifs de ces politiques antérieures.
Le projet « Project Green » propose également une série d'« opportunités » écologiques, telles que la revalorisation des maisons abandonnées pour en extraire des matériaux pouvant être revendus. Toutefois, si des fonds sont alloués à la démolition, les moyens de financement pour les parcs ou autres infrastructures vertes restent vagues. La ville semble privilégier la gestion des terrains vides par des baux à long terme, afin de conserver un contrôle sur ces espaces, au cas où les conditions du marché évolueraient favorablement à l'avenir.
À Saginaw, une petite ville du Michigan, les principes du rétrécissement urbain sont également mis en avant dans le Plan directeur de la ville de Saginaw de 2011. Ce plan met en évidence les pressions liées à la désindustrialisation et à la perte démographique, proposant une réorientation de l’aménagement du territoire pour répondre aux nouvelles réalités économiques. Ce type de planification met l'accent sur la réduction de l’envergure de la ville tout en visant à maintenir un minimum d’infrastructures et de services essentiels.
Ce phénomène de « rétrécissement urbain » soulève des questions cruciales sur la manière dont les villes peuvent se redéfinir et se réinventer face à des défis majeurs. Les décisions prises dans ce cadre sont souvent liées à un équilibre délicat entre les besoins en logement, la gestion des espaces vacants et la revitalisation des quartiers. Le défi consiste à ne pas tomber dans les mêmes pièges que ceux des renouvellements urbains des décennies passées, où la destruction de logements abordables a souvent conduit à un appauvrissement social et à un déplacement massif des populations locales.
En fin de compte, ces plans de rétrécissement urbanistique, tout en cherchant à stabiliser et réorganiser les villes en déclin, montrent aussi les limites d’un tel modèle. Ils révèlent une réalité complexe où la réduction de la taille des villes n’implique pas seulement la suppression d’infrastructures, mais aussi la gestion de l’équilibre entre développement économique, équité sociale et durabilité environnementale.
L'impact de la démolition sur les quartiers urbains : une analyse des politiques de renouvellement et d'abandon
La démolition des habitations urbaines, en particulier dans les villes du "Rust Belt" américain comme Detroit, a été un élément central des politiques de renouvellement urbain et de résorption des logements vacants. Cependant, les chiffres relatifs à ces démolitions révèlent des disparités et des nuances qui méritent une analyse approfondie. Selon les études récentes, bien que des milliers d'unités résidentielles aient été démolies depuis les années 1970, une partie importante de ces logements était déjà abandonnée ou en délabrement avant d'être détruite. Les données provenant de la police de planification urbaine de Detroit (DRPS) ont été utilisées pour examiner les impacts de ces démolitions, et les résultats montrent que les unités inhabitables représentaient entre 0 et 7,8 % du stock immobilier en 2010, avec une moyenne de 1,8 % et une médiane de 0,9 %.
Les autorités de la ville ont recommandé la démolition de ces unités inoccupées pour diverses raisons, y compris la vacance, qui affectait plusieurs quartiers. Cependant, ces unités étaient souvent déjà comptabilisées dans le recensement, ce qui diminue leur impact réel sur les chiffres totaux de la destruction de logements. Au total, entre 1970 et 2010, la perte de logements à Detroit était largement due à des démolitions effectives, plutôt qu’à des erreurs de comptabilisation. Il est donc essentiel de comprendre que, même si une partie des logements n’était plus habitée avant leur destruction, ces unités ont été en grande majorité ciblées par les politiques de démolition, notamment dans le cadre des programmes de revitalisation urbaine.
Les programmes de rénovation comme le programme HOPE VI ont également joué un rôle dans cette dynamique. Entre 1994 et 2015, environ 260 000 unités de logements publics ont été démolies aux États-Unis. À Detroit, 117 000 unités avaient été détruites d’ici 2010, bien que 56 800 d'entre elles aient été reconstruites dans le cadre de projets de rénovation. Cependant, cela a conduit à une perte nette d'environ 28 400 unités dans l'ensemble de la zone étudiée, avec un impact particulièrement marqué sur les logements publics, qui ont subi une perte nette de 37 500 unités. Cette dynamique de démolition a eu pour effet secondaire une redistribution des habitants, souvent vers des quartiers plus périphériques ou de plus en plus marginalisés.
Cette destruction, bien que présentée comme une réponse nécessaire à l’effondrement du marché immobilier dans des quartiers en déclin, soulève plusieurs interrogations sur son efficacité et ses conséquences sociales. Les défenseurs de la démolition affirment que, en éliminant les structures dégradées, on permettrait à des quartiers plus fonctionnels d’émerger, ce qui favoriserait un redressement économique. Toutefois, les résultats de nombreuses études montrent que cet argument ne tient pas lorsque l’on examine les zones où la démolition a été la politique dominante. Les territoires concernés n'ont pas observé de bénéfices clairs, ni en termes de revenus, ni en termes de réduction de la vacance. En fait, dans de nombreux cas, l’abandon et la désindustrialisation qui ont accompagné la démolition ont exacerbé la marginalisation des communautés, en particulier celles des populations racialisées.
Le problème fondamental de ces politiques n'est pas tant la quantité de démolitions, mais l'impact qu’elles ont eu sur la structure sociale des quartiers affectés. Les démolitions étaient souvent concentrées dans les quartiers à majorité noire et dans ceux où les populations étaient déjà vulnérables économiquement. Ainsi, la question n'est pas seulement celle de la destruction physique des bâtiments, mais aussi celle de la destruction sociale et communautaire. La concentration de ces politiques dans des zones spécifiques et leur caractère arbitraire soulignent une forme de "renouvellement" qui, en fait, aboutit à une destruction systématique de certaines communautés au profit d’un capitalisme urbain qui privilégie les intérêts économiques au détriment du bien-être social.
Il convient également de noter que, contrairement aux politiques de renouvellement urbain des années 1950-1970, où des projets de grande envergure ont visé des quartiers entiers proches des centres-villes, les démolitions contemporaines se concentrent principalement sur les premières couronnes de maisons unifamiliales. Cette différence a des implications importantes : alors que le renouvellement urbain transformait les quartiers de manière radicale, les démolitions actuelles tendent à éliminer des logements moins denses, mais souvent plus caractéristiques du tissu social traditionnel des villes. Le déclin de ces zones va de pair avec une réorganisation urbaine plus large qui cherche à redéfinir le rôle des villes post-industrielles dans le cadre d’une économie de plus en plus globalisée et numérisée.
L'ampleur des démolitions et la manière dont elles sont justifiées par les autorités publiques soulignent l'incompatibilité entre la gestion urbaine et les besoins des communautés locales. Il est essentiel de remettre en question les logiques de "renaissance" qui reposent sur la destruction plutôt que sur la reconstruction. Les politiques de démolition, bien qu’elles aient parfois été présentées comme une solution aux problèmes de vacance et de dégradation, n'ont pas toujours permis de résoudre les problèmes sous-jacents liés à la désindustrialisation et à la répartition inégale des ressources. Au contraire, elles ont souvent exacerbé les inégalités sociales et raciales, tout en accélérant l’exode des populations les plus vulnérables vers des zones encore plus marginalisées.

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