La montée du populisme, symbolisée par la figure de Donald Trump, a marqué un tournant dans la politique américaine contemporaine. À l'origine, Trump a réussi à s'affirmer en dehors des circuits traditionnels du système politique, échappant ainsi à l'élite politique établie. Cette rupture avec le système, couplée à la manipulation des processus démocratiques, a contribué à l'érosion des mécanismes de représentation politique et des valeurs qui sous-tendent la démocratie américaine. Trump a poussé cette dynamique à l'extrême, contestant publiquement la validité du système électoral et affirmant que celui-ci était manipulé, une accusation sans précédent dans l'histoire politique des États-Unis. Dans le passé, la tradition américaine voulait que le perdant accepte le résultat des élections, aussi controversé qu'il puisse être, comme cela avait été le cas en 2000 avec la défaite d'Al Gore face à George W. Bush. Le rejet de ce principe par Trump a mis en lumière un danger potentiel pour la stabilité démocratique.

Les discours politiques contemporains ont évolué de manière significative au cours des dernières décennies. Dan Rather, dans un de ses articles précédant l’élection de 2016, soulignait que ce qui différenciait fondamentalement cette élection était le ton et le niveau du discours politique. Selon Rather, la montée du cynisme politique représentait une menace sérieuse pour l’avenir de la nation. Il dénonçait les journalistes qui, par leur inaction, permettaient à Trump de diffuser ses mensonges, créant une fausse équivalence entre les deux candidats. Il accusait aussi les figures politiques qui ont nourri la xénophobie et la misogynie, alimentant un climat de division et de haine pour servir leurs propres intérêts électoraux.

L’élection de 2016 n’a pas seulement été marquée par le comportement de Trump, mais aussi par la transformation du paysage politique américain. Le système bipartite semblait à un tournant, avec l’apparition de nouveaux mouvements populistes qui rejetaient en grande partie l’idéologie traditionnelle, notamment celle du politiquement correct. Dans son ouvrage The Populist Explosion, John B. Judis offre une analyse approfondie de l’ascension du populisme en Amérique et en Europe, distinguant le populisme de gauche, incarné par des figures comme Bernie Sanders, et celui de droite, représenté par Trump et d’autres partis européens. Ces mouvements ont en commun leur rejet de l’élite politique et leur appel à une politique centrée sur le peuple. Cependant, le populisme de droite se distingue par son recours à des discours xénophobes et à une critique virulente des élites favorisant les immigrants, les afro-américains et même les terroristes.

Trump, en particulier, a su utiliser une rhétorique qui s’inscrit dans une tradition populiste de droite, accusant les élites politiques de ruiner le pays et de trahir les valeurs de la nation. Bien qu'il n’ait pas adopté un programme idéologique rigide, son discours s’appuyait souvent sur des préjugés personnels, en particulier ceux hérités de son père, un sympathisant du Ku Klux Klan. Cette héritage a sans doute contribué à façonner ses propres opinions et a alimenté une vague de préjugés et de haine qui a enflammé une partie de la population américaine. Contrairement à la plupart des leaders politiques, Trump ne revendiquait pas une vision cohérente ou une éthique politique, ce qui rendait son approche d’autant plus déstabilisante et imprévisible.

L’un des aspects les plus inquiétants de la montée de Trump, et du populisme en général, est l’abandon de toute forme de principe idéologique stable. Contrairement à ce que l’on pourrait attendre d’un leader politique, Trump ne se référait jamais à un programme politique solide ou à une éthique politique quelconque. Son approche était davantage centrée sur sa personnalité et ses préjugés personnels, exploitant la colère et les frustrations des électeurs pour les manipuler. Cette absence d’idéologie claire lui permettait de se positionner en dehors des conventions politiques traditionnelles, rendant son discours encore plus attractif pour ceux qui se sentaient délaissés par le système.

Si l’on peut écarter une comparaison entre le populisme de Trump et le fascisme classique, comme le fait Judis, il existe néanmoins des éléments dans la rhétorique de Trump qui rappellent certains aspects de la propagande fasciste. L’appel à un passé mythifié à restaurer, l’encouragement de la violence et l’utilisation de la rhétorique populiste pour fédérer une base autour de la défense de valeurs perçues comme menacées sont des traits caractéristiques du populisme trumpien. De plus, la capacité de Trump à manipuler l’opinion publique à travers les médias, tout comme les anciens régimes autoritaires, a contribué à créer une réalité parallèle, façonnée par ses discours et ses accusations.

L’élément clé de cette stratégie était la manière dont la propagande pouvait altérer la perception de la réalité. Comme l’a observé Gaetano Salvemini à propos du fascisme, la manipulation de l’opinion publique ne reposait pas uniquement sur la violence physique mais aussi sur la capacité de la propagande à déformer les consciences, à faire croire que les mots avaient plus de pouvoir que la réalité elle-même. Trump, à sa manière, a exploité ce mécanisme pour manipuler les émotions et les croyances de ses partisans, créant une version alternative des faits qui soutenait son ascension au pouvoir.

Le populisme, en particulier celui porté par Trump, repose donc sur des mécanismes de manipulation profonde, exploitant les failles d’un système démocratique affaibli et une population de plus en plus désillusionnée par les élites politiques traditionnelles. Si ce phénomène a révélé les fragilités du système américain, il soulève également des questions fondamentales sur l’avenir de la démocratie et sur les risques de manipulation idéologique à grande échelle. Dans ce contexte, il est impératif de comprendre que l’absence d’idéologie claire ne signifie pas nécessairement l’absence de principes politiques, mais qu’elle ouvre la voie à des interprétations personnelles et à des choix stratégiques qui peuvent avoir des conséquences dramatiques sur la société dans son ensemble.

Mussolini et l'Union Soviétique : Les illusions d'une alliance stratégique

Le 28 octobre 1941, un voyage à Moscou était prévu pour Mussolini, dans le but de signer des accords commerciaux et d'amitié, comme l'indique Carlo Lozzi dans Mussolini-Stalin : storia delle relazioni italo-sovietiche prima e durante il fascismo (Mussolini et Staline : une histoire des relations italo-soviétiques avant et pendant le régime fasciste). Ce projet, bien qu'inscrit dans une logique diplomatique classique, ne s'inscrivait pas dans une vision à long terme et omettait de percevoir l'immensité des enjeux stratégiques que représentait l'Union soviétique.

Mussolini, dont l’image du communisme était à la fois fascinée et distordue, avait des perceptions de l’URSS qui remontaient à ses jeunes années. Emilio Gentile, dans Il Sole 24 Ore du 4 mai 2017, fait état d'un essai que Benito Mussolini rédigea à l'âge de dix-huit ans, en 1901, dans le supplément littéraire du magazine I Diritti della Scuola. Il y exprimait une admiration paradoxale pour la littérature russe, y voyant une forme de rédemption du peuple russe opprimé par l’absolutisme tsariste, la censure et l’injustice sociale. Mussolini se voyait dans ce peuple luttant pour sa liberté, croyant en une force révolutionnaire à venir, bien avant l'Octobre 1917. C’est à travers la littérature qu’il comprenait la Russie, comme un miroir de ses propres idéaux de jeunesse, et peut-être ce prisme littéraire qui nourrissait son désir de s’approcher de l’URSS une fois qu'il devint dirigeant.

Malgré cette sympathie idéologique, Mussolini ne comprenait pas pleinement les avantages stratégiques d'une alliance avec l'Union soviétique, un pays dont l’immensité géographique, la richesse en ressources naturelles et l’indépendance militaire en faisaient un acteur incontournable sur la scène mondiale. La Russie était une terre invincible, comme l’avait appris Napoléon, un empire qui pouvait se défendre seul, sans avoir besoin d’alliances extérieures. De plus, l’URSS détenait toutes les ressources nécessaires pour favoriser le développement des nouvelles technologies, ce qui représentait un atout non négligeable.

Cependant, dans les années 1920, le régime fasciste de Mussolini, à la recherche de nouveaux marchés et de partenaires, signa un premier accord commercial en 1924 avec l’Union soviétique. Ce pacte s’avéra d’autant plus fructueux grâce à la relation amicale entre les ministres des Affaires étrangères des deux pays, Maxim Litvinov pour l’URSS et Dino Grandi pour l’Italie fasciste. Ce lien diplomatique se matérialisa, quelques mois plus tard, par un échange entre les deux ministres à Milan. Au cours de cette rencontre, Litvinov fit une remarque teintée d’humour noir : alors que Grandi plaisantait sur la dispersion d’un groupe de communistes par la police en Italie, Litvinov répliqua en souhaitant pouvoir faire de même avec des fascistes en Russie. Cet échange, bien que léger, en disait long sur l’ambiguïté de la relation entre les deux pays.

Peu après cet échange, la Russie commanda des moteurs à Isotta Fraschini S.P.A. et des hydravions à SIAI Marchetti, consolidant ainsi une coopération économique qui allait perdurer pendant quelques années. Cependant, derrière cette coopération commerciale, des tensions sous-jacentes demeuraient. Mussolini n'avait pas envisagé les implications de cette alliance au-delà des accords commerciaux, manquant de percevoir que la Russie ne se contentait pas de jouer le rôle d’un partenaire économique.

En effet, l’URSS, bien que portée par une idéologie communiste qui contrastait fortement avec le fascisme italien, avait une vision géopolitique qui n’était en aucun cas alignée sur celle de l’Italie. La Russie était un acteur global, qui ne cherchait pas simplement des relations amicales superficielles, mais des alliances stratégiques profondes, en particulier face à la montée en puissance d'autres puissances impérialistes européennes. Le fait que Mussolini ait été incapable de saisir cette dynamique a fragilisé la durabilité de toute relation diplomatique réelle avec l'URSS.

À travers l’échec de cette alliance et la lente prise de conscience de Mussolini, on peut mieux comprendre pourquoi les relations entre l'Italie fasciste et l'URSS n'ont pas évolué en une alliance véritablement stratégique. Si le fascisme italien poursuivait un idéal nationaliste, expansionniste et militariste, la révolution bolchevique, elle, visait une transformation mondiale et un alignement plus fort avec d’autres forces révolutionnaires globales. L’idéologie fasciste et le marxisme-léninisme étaient donc voués à une incompatibilité qui n'a jamais permis de véritable coopération militaire ou politique à long terme entre les deux nations.

Ainsi, la lecture de l’histoire des relations italo-soviétiques sous Mussolini souligne l’importance de comprendre la politique étrangère dans une perspective plus large, où les ambitions stratégiques des nations ne peuvent jamais être complètement réduites à des accords commerciaux ou à des affinités idéologiques superficielles. Les alliances internationales, même sur fond de coopération économique, sont souvent le produit de visions géopolitiques concurrentes et de stratégies complexes qui vont bien au-delà des simples intérêts commerciaux.