La littérature tamoule, kanadaise et télougou au Moyen Âge est marquée par un échange complexe entre les langues et les traditions culturelles, sous l’influence de dynasties puissantes telles que les Pallava, Chola et Rashtrakuta. Tandis que le sanskrit occupait une place prédominante pour les écrits officiels et politiques, le tamoul s’affirma de plus en plus comme une langue de prestige dans de multiples domaines littéraires. Les inscriptions des Pallava et des Chola révèlent une séparation des rôles entre ces deux langues : le sanskrit était utilisé pour les prashasti, c'est-à-dire les éloges politiques, tandis que le tamoul était réservé à la documentation, plus terre à terre, et à des genres littéraires divers. Cependant, dès l’époque de Rajendra Chola, cette distinction s’estompe et le tamoul prend en charge à la fois les fonctions administratives et poétiques.

Les poèmes de type Ula, par exemple, célèbrent la procession d’un héros royal, où les femmes qui se trouvent sur son chemin sont prises de désir. De cette époque provient une véritable floraison des genres littéraires, qui ont contribué à la transformation du paysage culturel de l’Inde du Sud. Ces genres novateurs ne sont pas simplement le fruit du patronage royal, mais aussi d’un soutien provenant de l'élite religieuse et des temples. David Shulman considère la période Chola comme une sorte de « moment impérial » dans l’histoire du tamoul, où une nouvelle sensibilité esthétique se développe, accompagnée de nouveaux styles, genres et de mécènes élargis.

La diffusion du tamoul dépasse alors largement les frontières de l’Inde du Sud, avec une présence dans les communautés diasporiques s’étendant de Sri Lanka à la Chine du Sud. Ce phénomène d’expansion linguistique et culturelle est intimement lié aux événements historiques du règne Chola, notamment à l’essor économique et à l’extension de l'influence politique.

Un phénomène parallèle est l’émergence de la littérature kannada, dont les premiers écrits apparaissent au 5e siècle sous la forme d’inscriptions royales, mais dont l’utilisation pour l’expression littéraire ne se développe véritablement qu’au 9e siècle. Le Kavirajamarga, attribué à Shrivijaya, est considéré comme le premier ouvrage littéraire en kannada, un traité sur la poétique qui demeure fondamental pour la littérature de cette langue. De manière similaire, la littérature télougou fait son apparition dans les inscriptions au 6e siècle, mais c’est au début du 11e siècle qu’apparaissent les premières œuvres poétiques majeures de cette langue, principalement sous la cour des Chalukyas de l’Est.

L’interaction entre le sanskrit et les langues régionales a également façonné l’évolution de ces littératures. Par exemple, le Kavyadarsha de Dandin, rédigé en sanskrit, a circulé largement et a été traduit en plusieurs langues régionales, dont le tamoul et le kannada, renforçant l’influence de la tradition sanskrite sur ces langues. La figure d'Abhinavagupta, philosophe et poète du Cachemire, illustre à quel point le monde intellectuel de l’Inde médiévale était interdisciplinaire et multilingue, un croisement fertile de pensées où des personnalités exceptionnelles se distinguaient dans divers domaines, de la philosophie à la théorie littéraire.

Les sources textuelles de l’époque offrent des aperçus directs et indirects précieux sur les événements et les structures sociales de l’époque. Par exemple, des ouvrages comme le Lekhapaddhati, un texte sanskrit et prakrit composé au Gujarat au 13e siècle, fournissent des modèles de documents juridiques, tandis que le Krishi-Parashara, traité agricole du Bengale, éclaire les pratiques agricoles médiévales. De même, les contes populaires jains (dharma-kathas), qui relatent les aventures de marchands, sont une riche source d’informations sur le commerce et les marchands de l’Inde occidentale.

Une place prépondérante dans l'histoire littéraire du Tamil revient à l'ouvrage Iramavataram de Kamban, qui est une version tamoule de l’épopée de Rama. L’auteur, dont on connaît peu de détails biographiques, vivait dans le village de Tirutaluntur et fut un poète non brahmane, probablement proche des traditions locales de dévotion à la déesse Kali. Bien que l’Iramavataram suive globalement le récit du Ramayana de Valmiki, l’œuvre de Kamban se distingue par une richesse dramatique et émotionnelle qui souligne les tensions intérieures de ses personnages. Contrairement à l’approche plus formelle et divine du Ramayana de Valmiki, Kamban humanise son héros, Rama, en lui attribuant des moments de doute et de vulnérabilité. L'Iramavataram n'est pas seulement un chef-d'œuvre littéraire, mais aussi un texte profondément imprégné de la spiritualité du Bhakti, soulignant la divinité de Rama tout en restant ancré dans les réalités humaines.

L'impact de l’Iramavataram est immense, non seulement dans le Tamil Nadu, mais aussi au-delà des frontières de l’Inde du Sud, marquant profondément la littérature tamoule et s’étendant à diverses régions d’Asie du Sud-Est. Si les versions du Ramayana de Valmiki et de Tulsidas sont les plus connues dans le Nord de l’Inde, c’est l'Iramavataram qui reste l’adaptation la plus populaire et influente de ce mythe dans le Sud de l’Inde.

L’importance de ces œuvres ne réside pas uniquement dans leur valeur littéraire, mais aussi dans leur capacité à refléter l’évolution des sociétés et des mentalités de l’époque. Les littératures régionales se sont nourries des interactions entre cultures, dynasties et religions, et ont joué un rôle majeur dans l’unification culturelle tout en maintenant une diversité d’expressions régionales. Ce phénomène témoigne de la manière dont les identités linguistiques et culturelles peuvent s’affirmer tout en s’intégrant dans un réseau plus vaste de communication et d’échanges intellectuels.

Quelle a été l'évolution politique des dynasties médiévales du Rajasthan et de Delhi ?

Les premiers siècles du Moyen Âge indien sont marqués par des dynasties puissantes qui ont façonné le destin de régions entières. Parmi celles-ci, les Guhilas, les Tomaras et les Chahamanas (ou Chauhans) occupent une place centrale. Chacune de ces dynasties a joué un rôle crucial dans le développement politique et militaire de l'Inde septentrionale, notamment dans les régions du Rajasthan et de Delhi. Leur histoire est intimement liée à des guerres, des alliances et des changements dynastiques qui ont marqué l'Inde médiévale.

Les Guhilas, notamment ceux de la lignée de Nagda–Ahada, ont joué un rôle significatif dans l'histoire de Mewar. Dès le VIIe siècle, plusieurs branches des Guhilas régnaient sur des petites principautés dans cette région, mais c'est au Xe siècle que leur pouvoir a commencé à se consolider. Les inscriptions anciennes des Guhilas de Nagda–Ahada révèlent une ascendance complexe, oscillant entre des origines brahmaniques et kshatriyas, ce qui témoigne de la dynamique sociale et politique de l'époque. Un exemple notable est celui de Guhadatta, un roi de cette lignée, qui est décrit comme un brahmane originaire d'Anandapura. Ces inscriptions mentionnent également Bappa Rawal, qui est traditionnellement considéré comme le fondateur de la dynastie Guhila de Mewar. L'évolution des Guhilas de Nagda–Ahada, passant d'un état local à un pouvoir régional, illustre la transformation politique de la région, culminant avec l'ascension de Mewar au XIIIe siècle.

Les Tomaras, qui ont régné sur la région de Delhi, ont eux aussi marqué de leur empreinte l'histoire de la capitale. Un des symboles les plus connus de leur règne est le pilier de fer de Mehrauli, datant du XIe siècle, portant une inscription de leur roi Chandra. Ce pilier a donné naissance à une légende médiévale selon laquelle Anangapala Tomara, un de leurs rois, aurait fondé Delhi et que la ville porterait le nom de "Dhilli" en raison de la faiblesse du pilier, symbolisant l’instabilité de son règne. Bien que cette histoire soit mythique, elle illustre bien l'importance des Tomaras dans la fondation de la ville et dans l'histoire politique de Delhi.

L'archéologie et les inscriptions apportent également des preuves tangibles de leur influence. Des sites comme Anangpur, qui porte le nom du roi Anangapala, témoignent de la présence de structures fortifiées datant de cette époque. Ces éléments confirment que les Tomaras étaient des bâtisseurs d'infrastructures, y compris de réservoirs d'eau, comme celui de Suraj Kund, contribuant ainsi à la gestion des ressources dans la région de Delhi. Cette période, marquée par des conflits avec les Chauhans et d’autres dynasties, révèle la complexité des alliances et des affrontements politiques entre ces royaumes voisins.

Les Chahamanas, ou Chauhans, sont une autre dynastie clé de l’histoire médiévale de l'Inde, notamment dans la région du Rajasthan. Leur capitale, Shakambhari, est souvent citée comme le centre de leur pouvoir au VIIe siècle. Les Chahamanas ont été d'abord subordonnés aux Pratiharas, mais ont progressivement gagné en indépendance, notamment sous le règne de Simharaja. Leurs conflits avec les Tomaras de Delhi, au Xe siècle, illustrent les tensions politiques entre ces deux dynasties rivales. La défaite des Tomaras par les Chahamanas au XIIe siècle marque la fin de leur domination dans la région de Delhi, laissant la place à l'ascension des Chauhans, qui ont ensuite joué un rôle majeur dans l'histoire de l'Inde médiévale.

Prithviraja III, le plus célèbre des rois Chahamana, incarne cette période de bouleversements politiques. Connu sous le nom de Rai Pithora, il a combattu les forces musulmanes venues de l'ouest, en particulier celles de Muhammad de Ghor, lors des célèbres batailles de Tarain. Sa première victoire en 1191 fut un moment décisif, mais la deuxième bataille de Tarain en 1192, où il fut défait, marqua un tournant majeur dans l'histoire de l'Inde, annonçant l'arrivée des Sultans de Delhi et la fin de l'indépendance des royaumes hindous dans le nord de l'Inde.

Cette période de l'histoire médiévale indienne est caractérisée par un enchevêtrement complexe d'alliances et de conflits entre les différentes dynasties régionales. Les Guhilas, les Tomaras et les Chahamanas ne sont que quelques exemples d'une multitude de royaumes qui se sont affrontés et ont évolué à travers des siècles de guerres et de dynamiques politiques changeantes. Leurs histoires, souvent racontées dans des inscriptions et des légendes, révèlent une société où les rapports de pouvoir étaient en constante transformation, et où la gestion des ressources, notamment l'eau, et les batailles pour la suprématie régionale étaient des éléments essentiels de la politique locale.

Les royaumes médiévaux de l'Inde ont donc évolué à travers un enchevêtrement de luttes internes et externes, où la conquête, les alliances matrimoniales et la gestion des ressources ont joué un rôle fondamental dans la consolidation du pouvoir. Il est essentiel de comprendre que ces dynasties n'étaient pas isolées, mais faisaient partie d'un réseau d'interactions complexes avec d'autres royaumes et forces extérieures, notamment les invasions et les incursions arabes. Ces dynasties ont laissé un héritage important, tant dans les structures politiques et sociales que dans les contributions architecturales et culturelles qui continuent d’influencer la région jusqu’à nos jours.