Les penseurs grecs anciens ont trouvé dans l’histoire de Cyrus un symbole ambigu qui illustre les dangers inhérents à la tyrannie, même lorsqu’elle se présente sous les traits d’une bienveillance apparente. Pour eux, Cyrus, ce "roi juste" qui a donné à son peuple la liberté, y compris la liberté religieuse, était tout à la fois un héros et une mise en garde. La vision de Platon dans ses Lois expose cette tension : même une tyrannie bienveillante est fragile et porte en elle les germes du désastre. La chute de Cyrus, marquée par la succession de tyrans cruels issus de sa propre lignée, illustre cette fragilité, celle d’un pouvoir qui, dépourvu de fondements moraux solides et d’une éducation vertueuse, mène à la décadence.
Platon va jusqu’à affirmer que l’échec de Cyrus réside dans une focalisation excessive sur la richesse et le pouvoir au détriment de ce qui fait la véritable grandeur : la vertu. Selon lui, la stabilité des systèmes politiques repose sur la présence de dirigeants vertueux, sur une constitution stable et sur une éducation morale de la population. Dans cette optique, la politique se trouve inévitablement exposée à la dégénérescence, un phénomène qu’il lie à l’absence de fondations éthiques.
Un autre philosophe contemporain de Platon, Xénophon, approfondit cette réflexion dans son ouvrage L’Éducation de Cyrus (Cyropaedia). Pour lui, Cyrus doit non seulement apprendre à gouverner, mais à le faire de manière juste et bienveillante, loin des dérives tyranniques. Xénophon fait écho à la théorie platonicienne selon laquelle les démocraties, sans une éducation morale adéquate, se transforment en oligarchies ou monarchies, et ces régimes eux-mêmes mènent souvent à la tyrannie. Selon Xénophon, le tyran, fondamentalement sceptique ou nihiliste en matière morale, devient une figure contre laquelle l’homme sage, ou le "sycophante", lutte pour un monde meilleur, mais souvent sans réussir à renverser le système. Cette dynamique montre comment la moralité et l’éthique sont les clefs pour éviter l’apparition d’un pouvoir absolu et déshumanisé.
Les Pères Fondateurs des États-Unis ont, dans une certaine mesure, compris cette problématique, même si leurs idéaux étaient entachés par l’institution de l’esclavage. Thomas Jefferson, George Washington et Abraham Lincoln ont chacun abordé, à leur manière, la question de la morale en politique. Jefferson, notamment, influencé par les penseurs européens des Lumières comme John Locke, a toujours insisté sur l’importance d’une éthique fondée sur le respect des droits individuels et sur l’amour altruiste du prochain. Il considérait que la moralité ne réside pas dans l’égoïsme ou dans l’intérêt personnel, mais dans un devoir envers autrui. Cette vision a trouvé une résonance particulière dans la Déclaration d'indépendance et dans son appel à une égalité fondamentale entre les êtres humains.
Washington, quant à lui, soulignait l’importance de l’honnêteté et de la justice dans la vie publique, rejetant toute forme de pouvoir politique non limité par des principes éthiques. Il comprenait que la liberté, lorsqu’elle se transforme en licence, conduit à la confusion et, en fin de compte, à la tyrannie. Lincoln, malgré sa position sur l’égalité raciale, a su comprendre les dangers du pouvoir non régulé et a fait appel à la réconciliation nationale pour restaurer l’ordre moral après la guerre civile. Sa vision de la tyrannie était marquée par une vigilance constante contre la "mobocratie", cette forme de despotisme populaire qui renverse les lois établies pour satisfaire la colère ou l’impulsion d'une foule.
Dans ce contexte, l'un des principaux défis pour éviter la tyrannie reste l'éducation morale et la formation de dirigeants éclairés. L'éthique n’est pas seulement un principe abstrait, mais un guide pratique pour éviter les dérives du pouvoir. Les tyrans et leurs sycophantes, pris dans leurs jeux d’intérêt personnel et d’opportunisme, se perdent souvent dans une vision du monde où la moralité devient un outil pour renforcer leur propre position plutôt qu’un moyen de justice collective. Les masses, de leur côté, restent souvent indifférentes à la question morale, cherchant principalement à satisfaire leurs désirs immédiats et à se divertir plutôt qu’à réfléchir aux implications éthiques de leurs choix politiques.
En réfléchissant à la manière dont les grandes figures historiques ont abordé la tyrannie, il est possible de tirer des enseignements importants pour le présent. L’un des points essentiels réside dans l'idée que la politique ne doit jamais être dissociée de la morale. La morale offre la clef pour prévenir les excès de pouvoir et l’ascension des régimes tyranniques. Une éducation qui cultive cette sensibilité morale est essentielle pour forger des citoyens éclairés et des dirigeants vertueux, capables de faire face à la tentation de l’absolutisme et de garantir que le pouvoir politique soit toujours au service du bien commun.
Comment éviter la tyrannie : L’éducation morale et politique dans un monde fragmenté
Le monde dans lequel nous vivons est empreint de tragédies, souvent invisibles à ceux qui ne prennent pas le temps de comprendre les structures de pouvoir et les dynamiques humaines qui les sous-tendent. Parfois, il est plus facile de suivre le courant, de remettre notre liberté entre les mains d’une idéologie dominante ou d'une personnalité tyrannique. Cependant, cette démarche est le signe d'une ignorance dangereuse et d'un manque d'éducation morale. La tyrannie de l'esprit est une maladie que seule une éducation morale approfondie peut guérir, élevant ainsi l'individu à un citoyen autonome, capable de résister aux forces de soumission.
La politique, dans son expression la plus tragique, se manifeste par un trio malheureux mais toujours présent : le tyran, le sycophante et le simple d'esprit. Ce trio n'est pas simplement une caractéristique d'une époque ou d'un groupe particulier ; il est intemporel et universel. Il existe dans tous les systèmes politiques, qu'il s'agisse de républiques, de monarchies ou même de régimes totalitaires. Par exemple, bien que Donald Trump puisse être perçu comme un exemple moderne, il est avant tout un symptôme d’un mal beaucoup plus vaste. La tyrannie ne se limite pas à une figure, mais réside dans la possibilité que chacun de nous, dans certaines circonstances, puisse céder aux tentations du pouvoir et de l’auto-glorification. C'est là que l'éducation morale, enracinée dans la vertu et le respect des principes de la justice, joue un rôle fondamental.
L’éducation, en tant que processus libérateur, doit chercher à cultiver des citoyens éclairés, capables de résister à la corruption et aux dérives tyranniques. Ce n’est pas simplement une question de structures politiques ou de mécanismes juridiques pour limiter le pouvoir, bien que ceux-ci soient nécessaires. Une démocratie qui échoue à élever ses citoyens à un niveau de réflexion moral et politique solide est une démocratie vouée à se fragiliser. Il est possible de construire des systèmes politiques qui empêchent un tyran de prendre le contrôle, mais ces systèmes ne peuvent être efficaces que si les citoyens sont eux-mêmes éduqués dans la vertu et la sagesse.
Le problème n’est pas seulement politique, il est aussi psychologique et moral. La tyrannie, qu'elle soit exercée par un individu ou un groupe, n’est pas seulement une conséquence de l'orgueil, mais également de la complicité des idiots et des courtisans. La tyrannie ne peut exister que si elle est soutenue par une multitude de voix insignifiantes et conformistes, prêtes à plier devant le pouvoir. Sans eux, le tyran serait impuissant. Le rôle de l'éducation morale devient alors central dans la lutte contre ce phénomène. Il est nécessaire de cultiver la sagesse, la vertu et l'amour de la vérité à tous les niveaux de la hiérarchie politique, sociale et personnelle.
Platon, dans ses écrits, mettait en lumière l’analogie entre la cité et l'âme. Les structures extérieures, qu’elles soient politiques ou sociales, sont souvent le reflet de notre propre monde intérieur. Les mauvaises habitudes, la soumission aveugle aux idéologies ou aux autorités tyranniques se forment lorsque nous laissons les mauvaises influences pénétrer notre esprit et nos valeurs. De même, la politique, dans ses travers, reflète les luttes intérieures de chacun. La démocratie, si elle fonctionne correctement, devrait être le reflet des aspirations vertueuses de ses citoyens. Cela signifie que la résolution des problèmes politiques passe d'abord par une transformation intérieure. L'éducation morale et politique est un outil fondamental pour éradiquer l'ignorance et la soumission dans nos sociétés modernes.
L'un des éléments essentiels pour résoudre ce problème est d’adopter une approche philosophique de l’éducation. Nous ne devons pas attendre d’un seul homme, même un philosophe, qu’il détienne la vérité absolue ou la sagesse parfaite. À l'image de Socrate, qui se voyait comme une sage "matrone" plutôt qu'un détenteur de vérités universelles, nous devons viser à aider chacun à éveiller en lui-même la beauté, la vérité et la sagesse. Cette éducation ne se limite pas à des leçons académiques ou à des connaissances politiques, mais elle touche profondément aux dimensions éthiques et psychologiques de l’être humain.
La solution réside dans une éducation démocratique qui n’est pas réservée à un petit groupe de privilégiés mais qui s'adresse à "nous, le peuple". Cette éducation doit former des citoyens capables non seulement de comprendre les institutions et le fonctionnement de la politique, mais aussi de développer une véritable sagesse pratique et morale, afin de créer des politiques bienveillantes et de choisir des dirigeants vertueux.
En fin de compte, le mal qui se cache derrière la tyrannie et la soumission n’est pas uniquement une question de structures politiques. C’est une question d’éducation et de formation de l'esprit. Une démocratie ne peut être solide que si ses citoyens sont éclairés et vertueux. Ainsi, plutôt que de chercher des "philosophes-rois", nous devons viser à former des citoyens philosophiques, des individus autonomes et éclairés qui soient capables d’affronter les défis du pouvoir et de la politique avec sagesse et justice.
La Tyrannie et la Souveraineté : Le Pouvoir Exceptionnel et l'Autonomie
La question de la légitimité du passage du pouvoir dans une démocratie, notamment à travers les notions de souveraineté et de transition démocratique, conduit inévitablement à des interrogations sur la source ou les fondements de la loi, ainsi que sur le consentement des gouvernés. Dans la tradition politique chrétienne, le souverain était une personne qui existait en dehors de la loi, en tant que source et administrateur de cette dernière. Toutefois, avec la tradition du contrat social, la notion de souveraineté se déplace vers des revendications portant sur les constitutions, les structures politiques majoritaires, ainsi que sur des principes légaux ou moraux qui sont soit indépendants de la loi (comme les droits naturels), soit le résultat d'un accord originel.
Dans la théorie libérale-démocratique, la question du statut du pouvoir exécutif demeure. Un pouvoir non tyrannique est limité et fonctionnel. En revanche, dans la vie politique moderne, le pouvoir ordinaire est déterminé par les rôles et fonctions au sein du système constitutionnel. Le pouvoir tyrannique, quant à lui, dépasse les limites de la loi et de son pouvoir fonctionnel pour atteindre un pouvoir exceptionnel qui réside dans la personne et non dans le rôle. Cela renvoie à la question de la souveraineté au-delà de la loi, telle que formulée par Carl Schmitt, qui affirmait : « Le souverain est celui qui décide de l’exception ». Le pouvoir souverain est, en ce sens, en dehors du système constitutionnel, car, selon Schmitt, le souverain est habilité à faire des exceptions à la loi (théoriquement pour défendre le système légal lui-même). Dans cette analyse, cela se produit en période de crise ou d’urgence. De plus, l’acte ou la décision exceptionnelle est, dans un sens profond, une véritable décision : il n’est guidé ni par la loi, ni par la norme ; il repose sur la volonté du souverain. Cependant, lorsque la volonté du souverain devient la seule force, la tyrannie s’installe.
Nous pourrions espérer que l'exception souveraine soit bienveillante, mais cette concentration du pouvoir peut amener le souverain à penser qu’il est lui-même exceptionnel. Les questions soulevées par Schmitt, Thrasymachus et Strauss ont pris de l'ampleur à l’époque de Trump, où l’on a dû s’interroger sur la question de savoir si le président pouvait être inculpé pour des actes illégaux, notamment des menaces envers le système électoral et, ainsi, envers la démocratie elle-même. La question de savoir si un président en fonction peut être inculpé touche à la nature même du pouvoir souverain. Un aspect pratique se pose alors : un président peut-il accomplir ses fonctions pendant qu’il est sous enquête et, pour le bon fonctionnement du gouvernement, une enquête ou une inculpation serait-elle réellement utile ? Mais la question plus profonde concerne le statut de la loi elle-même. La personne qui est présidente est-elle soumise à la loi pendant qu’elle exerce ses fonctions ? Peut-elle se pardonner elle-même, comme Trump l’a suggéré ? Ces interrogations nous conduisent vers les profondeurs de la philosophie politique et vers des questions sur la source et le statut de la loi.
Un autre aspect intéressant de cette question est psychologique, en lien avec ce qui a été suggéré précédemment à propos de Schmitt. Ce dernier soutient que la véritable souveraineté est une puissance décisionnelle : le souverain est celui qui décide d’appliquer la loi et de la suspendre en période de crise ou d’urgence. L’idée de décision se connecte ici à celle de l’autonomie et à la souveraineté de l’individu. L’homme est autonome dans la mesure où il a la capacité de décider ; et cette capacité s’étend jusqu’au point où l’individu se donne à lui-même les normes auxquelles il se soumet. Le mot autonomie peut être traduit littéralement par « règle de soi » ou « se donner des normes » (le mot « nomos » étant celui de la loi ou de la norme). Dans la tradition morale occidentale, notamment dans celle associée à Immanuel Kant, l’autonomie doit être soumise à la loi morale. Nous sommes autonomes, selon Kant, lorsque nous nous donnons une règle qui est en conformité avec la loi morale. Les décisions morales, ainsi, ne sont pas capricieuses, égoïstes ou anarchiques ; elles sont autonomes, bien que, lors de leur prise, nous nous soumettions volontairement à la loi morale.
Il convient donc de dire que la tyrannie survient lorsque l’autonomie devient capricieuse, arbitraire et anarchique. Une personne tyrannique refuse de se soumettre à la loi morale. Elle substitue sa propre volonté à la loi. Ses choix sont capricieux : ils manquent d’ordre, de cohérence et de continuité. En revenant à l’analyse de Thrasymachus sur le tyran, nous pourrions dire que les personnes tyranniques ne s’intéressent qu’à une version de la « morale » totalement égocentrique. Elles déclarent leur volonté comme étant la loi. Elles veulent ce qu’elles veulent et déclarent cela comme étant bon. Elles refusent ainsi d’accepter la légitimité de la loi morale. Comme Satan dans l’œuvre de Milton, elles mènent une guerre contre la moralité et la souveraineté de la loi morale. Le tyran est narcissique et égocentrique. Il ou elle se moque des revendications morales des autres, indifférent(e) aux demandes de cohérence et de vérité. Le tyran poursuit ses désirs égoïstes, sans aucune culpabilité ni remords. Bien qu’il ou elle comprenne ce que les systèmes légaux et moraux exigent, il ou elle considère ces normes comme des contraintes illégitimes. Cela explique pourquoi le tyran peut fonctionner au sein de cette structure normative sans en accepter la légitimité. En somme, le tyran peut se conformer aux normes par opportunisme, mais en aucun cas il n’accepte leur autorité morale ou légale.
Le tyran, tout comme un animal, peut être contraint à obéir par des menaces ou des récompenses, tout en refusant d’accepter les normes comme légitimes. Mais contrairement à un animal qui est formé pour se conformer sans consentement autonome, le tyran se considère comme un dieu, supérieur à la loi. Son sentiment de grandeur lui donne le pouvoir de briser la loi et d’établir de nouvelles règles selon sa volonté. Le tyran peut jouer le jeu des normes établies, mais au final, il cherche à imposer sa propre volonté. Et lorsqu’il ou elle se trouve en position de saisir le pouvoir, il ou elle établira un nouvel ensemble de normes, le tout au nom de l’autosatisfaction.
Le concept de "hubris", développé dans la tragédie d'Œdipe, est aussi central ici. Le chœur dans la pièce d’Œdipe déclare que l’hubris engendre la tyrannie. Certains chercheurs affirment même que cette phrase peut être interprétée dans un sens inverse, suggérant que la tyrannie engendre l’hubris. Ce cycle se nourrit mutuellement : ceux qui ont une confiance en eux exagérée cherchent à obtenir le pouvoir, et une fois qu’ils l’ont, leur orgueil devient encore plus excessif. Ils se convainquent qu’ils méritent ce pouvoir et qu’ils sont supérieurs à ceux qu’ils gouvernent. Un cycle d’autosatisfaction se crée ainsi, où l’orgueil pousse à la quête du pouvoir, et le pouvoir renforce l’orgueil.
La Constitution américaine : Une défense du républicanisme ou un échec face à la tyrannie ?
L'histoire récente offre une évaluation nuancée de la force et de l'efficacité de la Constitution américaine. Cette évaluation dépend largement de ce que l’on attend de cette Constitution. Si l’on suppose qu’elle doit répondre immédiatement à la volonté populaire, ou à ce que certains pourraient appeler les caprices du peuple, alors on pourrait dire qu’elle est loin d'être totalement efficace. C'est peut-être pour cette raison qu'il serait réducteur de qualifier la Constitution des États-Unis de constitution "démocratique". En réalité, elle s’inscrit davantage dans la tradition républicaine.
Une constitution républicaine n’est pas celle qui cherche à représenter les désirs fluctuants du peuple, mais celle qui se concentre sur la stabilité politique, en cherchant avant tout à assurer le bien-être à long terme des citoyens et à défendre leurs libertés fondamentales. L'idéal républicain possède une lignée ancienne, remontant à Platon et Aristote. Platon concevait l'État comme un organisme où la justice ne se préoccupait pas du bien-être privé des citoyens, mais plutôt du bien collectif. Aristote, bien qu’il nuançait cette vision, acceptait néanmoins l'idée qu'une structure politique devait répondre aux besoins qui ne pouvaient être satisfaits que dans le cadre de la communauté politique.
Cicéron, pour sa part, soutenait une idée républicaine similaire dans son adage "salus populi suprema lex esto", signifiant que le bien-être du peuple est la loi suprême. Ce dernier mettait en garde contre l'esprit débridé de la foule, qu'il comparait aux vagues et aux vents changeants. Loin de se soumettre aux caprices de la masse, un gouvernement républicain doit être capable de guider les citoyens avec modération, de renouer les liens avec ceux qui se sentent aliénés et de ramener le calme quand la société est agitée.
Un gouvernement républicain, selon cette conception, n’est pas celui des foules. Il doit viser à la stabilité, à la tranquillité, à l’instauration d’un ordre durable. Rousseau, dans Le Contrat Social, voyait la république comme un gouvernement des lois, agissant pour le bien commun, conforme à la volonté générale et obéissant à la règle de droit. Alexander Hamilton, dans Le Fédéraliste, reprend cette idée, soulignant que le gouvernement républicain ne devait pas céder à chaque impulsion de la foule, à chaque vent de passion populaire. Il est évident que cette perspective a façonné la Constitution des États-Unis de manière à résister aux impulsions passagères du peuple, permettant ainsi aux structures politiques de fonctionner indépendamment des modes et des humeurs du moment.
Cela explique pourquoi le système prévoit un mandat présidentiel de quatre ans, pourquoi le président n'est pas élu directement par le peuple et pourquoi il est si difficile de révoquer un président en place. La difficulté d’impeachment de Donald Trump n'est pas une anomalie du système, mais une conséquence directe de l'idéal républicain inscrit dans la Constitution. En effet, si l’on attend de la Constitution qu'elle empêche la tyrannie, qu'elle limite les manœuvres des courtisans et qu'elle résiste à la volonté de la foule, force est de constater qu'elle a, jusqu'à un certain point, accompli sa tâche.
Certes, les années Trump ont révélé des signes inquiétants. Un homme politique aux tendances tyranniques a provoqué une insurrection. Bien que celle-ci ait échoué, la difficulté d’éliminer ce personnage du pouvoir par des moyens institutionnels a bien illustré les faiblesses du système. Toutefois, malgré ces difficultés, un transfert pacifique du pouvoir a eu lieu en 2020, un signe que la Constitution a encore réussi à maintenir l'ordre politique, même dans des circonstances extrêmes.
Les critiques, à la fois à droite et à gauche, ont vu dans cette période des signes de dysfonctionnement. À droite, on a dénoncé la prétendue fraude électorale de 2020, en accusant le système de bloquer le retour triomphal de Trump à la tête du pays. À gauche, c’est la manière dont le Collège électoral permet à des présidents impopulaires d’accéder au pouvoir qui est critiquée, tout comme l’influence disproportionnée du Sénat, qui peut freiner la volonté de la majorité. La vérité, cependant, est que la Constitution a permis tout ce qui s’est passé durant les années Trump : l’élection d’un homme politique autoritaire, ses deux mises en accusation, la nomination de juges conservateurs, la construction d’un mur à la frontière mexicaine et bien d’autres décisions controversées.
En même temps, la Constitution n’a pas permis à Trump de consolider son pouvoir de manière autoritaire. Elle n’a pas permis la création d’un État à parti unique, ni la domination d’un pouvoir tyrannique. Le système a pu limiter certains excès, même si beaucoup de ses promesses, comme l’abolition de l’Obamacare ou la mise en prison de Hillary Clinton, n’ont pas été réalisées. Le mur frontalier, bien qu’il ait été partiellement construit, est le symbole d’un projet avorté par la résistance institutionnelle et judiciaire.
Les leçons à tirer de cette période sont multiples. Tout d’abord, la Constitution américaine, bien qu’imparfaite, a réussi à garantir des mécanismes de contrôle face aux tentations tyranniques. Mais elle n’est pas infaillible et ses limitations se révèlent dans des moments de crise. De plus, la Constitution reflète une vision républicaine du gouvernement qui met l’accent sur la modération et la stabilité, tout en étant vulnérable aux manipulations politiques qui exploitent ses faiblesses.
Le véritable défi, pour les citoyens et les institutions, consiste donc à préserver cet équilibre précaire entre pouvoir populaire et contrôle institutionnel. La vigilance et l'engagement civique sont essentiels pour garantir que ce système ne devienne pas le terrain de jeux des démagogues et des populistes. Les périodes de crise, comme celle vécue sous Trump, doivent servir d'avertissement et de base pour renforcer les garde-fous institutionnels, sans toutefois sombrer dans la désillusion ou la colère. Le républicanisme, dans sa conception américaine, n’est pas une utopie figée, mais un processus constamment en mouvement, qui nécessite une attention et une réforme continues pour répondre aux défis de chaque époque.
Trump, un tyran moderne : La fascination des masses pour l’autorité brutale
Donald Trump, dès le début de sa carrière politique, a fait preuve de traits tyranniques bien visibles. Des déclarations audacieuses, comme celle où il affirmait pouvoir tuer quelqu’un en plein milieu de la Cinquième Avenue sans perdre aucun de ses électeurs, révèlent l'ampleur de son assurance démesurée. Ces propos, prononcés lors d'une visite dans un collège chrétien en Iowa en janvier 2016, s’inscrivent dans une série de remarques qui, à première vue, semblaient de nature à disqualifier toute prétention à la présidence dans un pays du XXIe siècle. Trump, pourtant, est parvenu à s’imposer, une figure emblématique de la cupidité et du désir sans borne, des qualités qu'il célébrait sans détour dans son livre The Art of the Deal, où il affirmait : « On ne peut jamais être trop avide ». Selon une sagesse ancienne, l'avidité est l'une des plus grandes marques de tyrannie. Pourtant, Trump a été élu à la même fonction que Jefferson ou Lincoln, deux présidents célèbres de l’histoire des États-Unis.
Tout au long de sa présidence, Trump a offert des déclarations provocantes et des attaques verbales incessantes. Il a intimidé ses opposants, accusé les médias d’être « l’ennemi du peuple », et a suggéré que l’armée, la police, voire ses partisans, recourent à la violence extralégale. Ces comportements, d'une extrême brutalité, montrent que son esprit penchait vers la tyrannie. L'un des aspects les plus frappants de sa gouvernance a été l'attitude des individus autour de lui, ces « hommes de main » qui ont, malgré leurs insultes et désaccords passés, plié leur volonté pour obtenir son soutien et sa protection. Le sénateur Ted Cruz en est un exemple, lui qui avait été sévèrement insulté pendant la campagne, mais qui, une fois Trump au pouvoir, a cherché à se rapprocher de lui et l'a soutenu dans sa contestation des résultats de l'élection de 2020.
Dans cette logique, de nombreux républicains qui s'étaient opposés à Trump en 2016 se sont trouvés à soutenir ses actions, et ce, malgré leurs déclarations antérieures sur son caractère. Des figures comme le sénateur Lindsey Graham et la sénatrice Susan Collins, qui avaient exprimé des doutes sur Trump et ses méthodes, se sont finalement alignées avec lui, se ralliant à ses positions lors des deux procédures de destitution. Leur changement de position illustre le phénomène de l’opportunisme politique qui a marqué l’ère Trump. Bien que Trump se soit inscrit en tant que démocrate de 2001 à 2009, il a réussi à séduire une large frange du parti républicain en jouant sur des thèmes de nationalisme agressif, sur sa promesse d’être « un homme du peuple » et sur sa capacité à bousculer l’establishment.
Mais au-delà des calculs partisans et des jeux de pouvoir, ce qui est fascinant, c’est l’attitude des masses, de ses partisans. L’une des raisons pour lesquelles Trump a pu maintenir une base fidèle, même au milieu de scandales incessants et de controverses, réside dans le caractère brut de son langage et de son comportement. Pour ses partisans, Trump n’était pas un homme politique conventionnel, et c’était précisément cela qui les attirait. Leurs commentaires, comme celui d’un supporteur en 2018 qui disait : « J’aime Trump parce qu’il est dur… il parle comme moi », montrent une identification avec une forme de leadership direct, sans filtre. Ce langage cru, délibérément provocateur, n’était pas vu comme un défaut, mais comme une authenticité dans un monde politique perçu comme trop poli et hypocrite.
Ces attitudes, loin d'être le fruit de l’ignorance, révèlent une forme de cécité morale. L’adhésion à Trump ne reposait pas tant sur une réflexion politique profonde que sur une adhésion à un spectacle de pouvoir brut. En effet, la politique pour ces électeurs devenait un divertissement, un show où l’émotion primait sur la substance. Cette fascination pour le leader autoritaire ne se limite pas aux États-Unis : elle trouve des échos dans de nombreuses démocraties modernes, où une large portion de la population est attirée par un style de leadership qui lui promet simplicité et réponses claires, en dépit de son caractère destructeur et antidémocratique.
Au cœur de ce phénomène se trouve la tension entre pouvoir et responsabilité. Les masses, souvent déconnectées des vrais enjeux de la politique, préfèrent la spectacle de la force brute à la complexité des politiques publiques. En cela, elles s’éloignent de la vertu et de la réflexion approfondie sur la justice et la légalité. Ce n’est pas tant le programme politique de Trump qui capturait son public, mais bien l’incarnation de la violence symbolique qui bousculait l'ordre établi et répondait à des frustrations profondes et mal comprises au sein de la société.
Ainsi, même si Trump semble une anomalie dans le paysage politique des États-Unis, son ascension met en lumière des mécanismes plus larges de la politique moderne. Ce phénomène n’est pas isolé, mais fait écho à une tendance mondiale où l’attrait pour l'autorité brutale semble parfois surpasser celui pour la réflexion, la vertu et la justice. Pour les masses, Trump n’était pas seulement un président, il était une forme de catharsis collective. Il leur permettait d’exprimer des ressentiments refoulés sous forme d’un soutien aveugle à un leader qui leur ressemblait, tout en leur promettant un monde où les règles de la politique traditionnelle étaient renversées, au profit d’une logique de pouvoir pur, sans contraintes.
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