Le relativisme radical soutient que la vérité n’a pas de statut indépendant : elle est toujours relative à une théorie, voire à l’individu. Ainsi, chaque personne pourrait créer sa propre réalité, ce qui impliquerait autant de vérités qu’il y a d’individus. Une version modérée de cette position suggère que les vérités sont socialement construites par des groupes partageant des croyances similaires. On entre ici dans une forme de conventionnalisme, où les affirmations de connaissance sont ramenées à des croyances subjectives collectives. Dans cette optique, la vérité n’est plus une correspondance avec un monde réel, mais une construction d’un groupe social, souvent un groupe dominant.

Ce rejet du réalisme est une caractéristique du postmodernisme, qui nie souvent l’existence d’une réalité indépendante de l’esprit, ou du moins son accessibilité. Pourtant, il est possible de tirer des enseignements du postmodernisme sans nécessairement renoncer au réalisme. Accepter que les concepts sont socialement construits ne signifie pas que la réalité n’existe pas en dehors de notre pensée. Il est tout à fait concevable d’admettre un relativisme épistémique – le fait que nos connaissances sont dépendantes de contextes sociaux spécifiques – tout en conservant une capacité rationnelle à juger entre différentes théories ou explications causales.

Le réalisme propose alors une théorie de la vérité dite de correspondance : une proposition est vraie si elle correspond à la réalité. Les débats du Cercle de Vienne illustraient déjà cette tension : Schlick pensait qu’on pouvait relier les énoncés théoriques aux observations, alors que Neurath défendait une cohérence interne du discours, remplaçant la vérité par la justification phénoménale.

À côté des théories de correspondance et de cohérence, les pragmatistes américains ont proposé d’autres approches. Pour Dewey et James, la vérité d’un énoncé repose sur son efficacité : une théorie est « vraie » si elle fonctionne bien dans un contexte donné, si elle permet d’atteindre des objectifs utiles. Pour Peirce, un énoncé est vrai s’il est susceptible d’être accepté à l’unanimité par des experts compétents. Ces conceptions, cependant, restent relativistes : elles définissent la vérité comme l’accord intersubjectif ou l’utilité pratique, non comme un lien avec une réalité indépendante.

Ce relativisme pose problème. Selon Mackie, les théories pragmatistes et de cohérence ne définissent pas la vérité, elles la supposent. La cohérence implique déjà une compréhension des concepts de contradiction et de consistance, qui ne peuvent être définis qu’à travers une notion préalable de vérité. Les théories pragmatistes, quant à elles, fonctionnent comme si l’énoncé pragmatiquement vérifié était vrai dans un sens de correspondance implicite. En ce sens, ces théories ne sont pas des définitions alternatives de la vérité, mais des critères permettant d’évaluer son atteinte.

Ainsi, on peut reformuler ces critères comme suit : la vérité est approchée dans la mesure où un ensemble d’énoncés est cohérent ; ou bien dans la mesure où une pratique permet d’atteindre des résultats bénéfiques ou suscite l’accord des experts. Mais la raison pour laquelle on accepte ces théories, ces conventions et ces pratiques prédictives est qu’elles semblent correspondre à la réalité. Selon Mackie, la théorie de la correspondance est au réalisme représentatif ce que le réalisme direct est à la perception : elle permet aux énoncés d’être confrontés à ce qui leur est extérieur, c’est-à-dire à la réalité elle-même. Dire qu’un énoncé est vrai revient simplement à dire que les choses sont telles que l’énoncé le dit.

Collier soutient que cette approche modeste est correcte, à condition de ne pas comprendre la correspondance comme une ressemblance stricte. Ce qu’il s’agit de comparer, ce sont les significations, non des ressemblances sensibles. C’est en cela que la correspondance est un concept opératoire : nos mots ne ressemblent pas à leurs objets, mais ils peuvent leur correspondre par le sens.

Dans la perspective du réalisme critique, cette distinction devient essentielle : les concepts sont des abstractions issues du réel, mais ils doivent être validés par leur capacité à l’expliquer. Une théorie est meilleure si elle permet une pratique efficace et adaptée. La capacité d’un discours à produire des attentes sur le monde, attentes ensuite réalisées, constitue ce que Sayer appelle l’« adéquation pratique ». Ce critère ne remplace pas la vérité, mais en indique le degré d’approche : plus une théorie permet d’agir efficacement sur le monde, plus elle semble correspondre à la réalité.

Pourtant, la vérité ne peut être réduite à un simple outil. Ce concept ancien demeure essentiel à la compréhension humaine du réel, même si sa définition reste problématique. Ce n’est pas parce qu’on ne peut l’atteindre de façon définitive qu’il faut cesser d’en rechercher les conditions. La connaissance n’est pas un simple reflet de l’empirique : elle suppose une ontologie en profondeur. Une observation empirique n’est qu’une fraction de l’actualité, elle-même une fraction du réel. Le monde contient des potentialités non réalisées, des mécanismes non activés, des structures réelles qui ne se manifestent pas nécessairement dans l’expérience observable. Réduire la réalité à ce qui est mesurable ou mesuré, c’est commettre la « fallacy épistémique », une erreur de catégorie : confondre le connaissable avec l’être.

La vérité, alors, ne peut être définie ni par l’accord social, ni par l’utilité, ni par la cohérence interne des discours. Elle demeure liée à notre capacité à faire correspondre nos énoncés à un monde qui nous résiste, qui ne dépend pas de nos croyances, mais que nos théories peuvent progressivement mieux approcher à travers la critique, la révision, et l’épreuve de la pratique.

Comment une vision socio-écologique pourrait redéfinir notre compréhension de la nature et des droits qui lui sont associés ?

Les différences institutionnelles surgissent dans la définition de la Nature qui détient des droits, les droits reconnus, qui peut parler au nom de la Nature, et s'il existe une responsabilité de protéger ces droits, et si oui, comment. Cette question soulève une réflexion fondamentale sur la nature même de notre relation à l’environnement et aux entités non humaines qui composent notre monde. Au cœur de ces débats se trouvent des visions écologiques et économiques sociales qui tentent d'intégrer des éléments critiques issus des sciences sociales et de la philosophie réaliste.

Une approche critique, guidée par une philosophie réaliste des sciences, propose d’embrasser une vision pré-analytique du monde social-écologique, un cadre qui lie les dimensions ontologiques, épistémologiques, méthodologiques et axiologiques dans une même perspective. Ce cadre, bien que non exhaustif, permet d’établir les bases d'un paradigme émergent dont l’objectif est de mieux comprendre les systèmes sociaux et écologiques dans leurs interrelations complexes et leurs impacts sur les sociétés humaines et non humaines.

L’ontologie, en tant que raisonnement sur l’existence, cherche à répondre à la question « Qu’est-ce qui existe ? ». Elle pose l’idée que la réalité objective existe indépendamment de la cognition humaine et des opérations de l’esprit. Cette réalité est composée de trois domaines distincts : l'empirique, qui relève des expériences sensibles; l'actuel, qui correspond aux événements et aux expériences vécues; et le réel, qui se rapporte aux structures et mécanismes sous-jacents aux événements. Ce dernier domaine, souvent invisibile à l’œil nu, est celui des causes profondes des phénomènes. Cette division de la réalité en plusieurs strates, hiérarchiquement ordonnées, permet de comprendre les relations entre les différents niveaux de la réalité, de l’organisation physique à l’organisation sociale et économique, sans pour autant réduire l’un à l’autre. Le lien entre l’activité humaine et la nature est un aspect fondamental de cette structure, où les systèmes économiques sont vus comme des mécanismes de provisioning social, indissociables de la structure sociale dans laquelle ils évoluent.

Du point de vue épistémologique, le questionnement concerne la manière dont nous savons ce que nous savons. L’une des prémisses essentielles de cette vision est que la connaissance scientifique est toujours sujette à une forte incertitude, un état de « partialité de l’ignorance » ou d'indétermination sociale. Cette épistémologie reconnaît également que toutes les formes de savoir ne sont pas équivalentes et que la connaissance informelle – comme celle des peuples autochtones – peut non seulement contester, mais aussi compléter celle des experts. Il est ainsi impératif de maintenir un esprit critique envers toute forme de savoir, afin de prévenir la dogmatisation, et de favoriser une approche où les théories sont jugées sur leur capacité à fournir des explications réalistes des mécanismes et structures sous-jacents aux événements.

Sur le plan méthodologique, il est essentiel de comprendre que l'économie écologique ne peut être réduite à une seule discipline. L’interdisciplinarité doit se fonder sur une compréhension partagée des bases ontologiques et épistémologiques, afin de créer des concepts intégratifs qui permettent de naviguer entre les différents champs de connaissance. La pluralité des méthodes est indispensable, mais elle doit être structurée, et non chaotique. Une telle approche, qui prend en compte la complexité des objets d’étude, exige des méthodologies adaptées et une flexibilité dans l’application des outils scientifiques.

L’axiologie, quant à elle, soulève la question de la valeur. Elle postule que les êtres humains et non humains possèdent une valeur morale intrinsèque. Cette approche dépasse les considérations utilitaires et pose que l’éthique doit reconnaître une pluralité de valeurs sociales et écologiques. Ce qui constitue le « bien » pour un être ou une entité ne se réduit pas à sa simple réalisation; cela implique un jugement éthique distinct. Une telle perspective ouvre la voie à une redéfinition de ce que pourrait être une existence véritablement éthique, une existence qui dépasse l’hédonisme et s'inscrit dans des traditions philosophiques diverses, comme la quête du « bien vivre » (buen vivir) en Amérique du Sud ou le concept d’Ubuntu en Afrique.

Le cadre idéologique qui découle de cette vision pré-analytique insiste sur la nécessité d’agir pour résoudre les inégalités structurelles et les relations de pouvoir au sein des sociétés humaines et entre elles. Cela implique de reconnaître que les modes de consommation dans les sociétés industrialisées sont excessifs, et que leurs conséquences sociales et environnementales sont inacceptables. Il est nécessaire de penser des alternatives aux économies de croissance fondées sur l’accumulation de capital et de remettre en question les systèmes de marché qui dominent nos économies actuelles. La justice sociale, l'inclusivité et la tolérance doivent être au cœur des politiques publiques, conformément aux principes des droits humains internationaux et de la protection des innocents contre les méfaits.

Dans cette optique, les économistes écologiques doivent non seulement réfléchir à ces problématiques de manière théorique, mais aussi agir concrètement. Vivre en cohérence avec les valeurs environnementales et sociales, c’est une part importante de l'engagement personnel qu'un tel paradigme réclame.

Les perspectives que cette vision pré-analytique ouvre sont vastes. Elles nécessitent de réexaminer notre rapport à la nature et de repenser notre place au sein de l'écosystème global. Si la question des droits de la nature, des entités non humaines et de la responsabilité humaine envers elles demeure complexe, ces approches permettent de poser les bases d’un dialogue fécond entre les différentes sphères de la pensée humaine et de l’action sociale et environnementale. La vision pré-analytique proposée ici offre une réflexion riche, qui est non seulement un défi intellectuel mais aussi un impératif moral et éthique face aux défis écologiques et sociaux du XXIe siècle.

Comment les théories économiques pluralistes peuvent-elles répondre aux défis environnementaux ?

Les défis environnementaux mondiaux exigent des réponses économiques innovantes qui prennent en compte à la fois la complexité des systèmes écologiques et les limites inhérentes aux modèles économiques dominants. Les approches pluralistes en économie, particulièrement celles qui intègrent les concepts d'économie écologique et de post-keynésianisme, se révèlent cruciales pour imaginer des alternatives viables à la croissance économique infinie. Ces théories mettent en lumière la nécessité d’une refonte profonde de nos systèmes économiques pour les rendre compatibles avec la durabilité écologique et sociale.

L'économie institutionnelle, par exemple, s'efforce de comprendre la manière dont les institutions – qu'elles soient économiques, sociales ou politiques – façonnent notre relation avec l'environnement. Cette approche souligne l'importance de dépasser les modèles réducteurs qui limitent les interactions humaines à des simples transactions de marché. Les institutions jouent un rôle clé dans l’encadrement des comportements économiques et dans la création des incitations à adopter des pratiques plus respectueuses de l’environnement.

Dans ce cadre, des économistes comme Geoffrey Hodgson ont démontré que la question du réductionnisme biologique a des implications profondes pour l’économie, car elle ignore souvent les interactions complexes qui existent entre les individus et leur environnement. Selon Hodgson, une approche pluraliste permet de mieux comprendre ces interactions et de proposer des solutions plus adaptées à la diversité des problèmes écologiques rencontrés. Par exemple, l’approche de l’économie institutionnelle permet de remettre en question la logique du profit immédiat, qui néglige souvent les coûts écologiques à long terme.

L’un des grands défis contemporains reste la manière dont les économies peuvent s'adapter à un monde où la croissance infinie est impossible. Des économistes comme Tim Jackson et Peter Victor ont exploré cette question en développant des modèles économiques qui intègrent les limites écologiques tout en cherchant à préserver le bien-être humain. Dans leurs travaux, ils défendent l'idée que la prospérité ne réside pas nécessairement dans la croissance, mais dans l'amélioration du bien-être collectif, par exemple en réduisant l'empreinte écologique tout en garantissant un niveau de vie digne à tous.

Les critiques de la croissance, particulièrement dans le contexte des théories de la décroissance, soulignent les dangers d’une poursuite incessante de l’expansion économique. Cette idée, défendue par des économistes comme Giorgos Kallis, met en avant l’importance de repenser nos modes de consommation et de production. La décroissance n'est pas simplement une critique des mécanismes de croissance économique, mais une invitation à une transformation profonde de nos valeurs sociétales, en faveur d’un développement soutenable qui ne sacrifie pas la planète pour les besoins matériels immédiats.

En parallèle, les théories de l’échange inégal, notamment développées par Arturo Hornborg, apportent une analyse précieuse sur la manière dont les inégalités mondiales et les dynamiques de pouvoir économique contribuent à la dégradation environnementale. Selon Hornborg, l'inefficacité des systèmes économiques dominants ne réside pas seulement dans leur incapacité à gérer les ressources naturelles de manière durable, mais aussi dans leur tendance à renforcer les inégalités globales, exacerbant ainsi les impacts écologiques. Cette approche invite à repenser les structures de pouvoir économique à l'échelle mondiale et à intégrer des perspectives plus équitables pour parvenir à une société véritablement durable.

Enfin, l’économie écologique propose une analyse des systèmes économiques qui s'étend au-delà des simples flux de biens et de services pour inclure les flux d'énergie et de matières, considérant les impacts écologiques comme des éléments essentiels dans la modélisation économique. Cette approche est particulièrement pertinente dans un monde confronté à des crises environnementales telles que le changement climatique, la perte de biodiversité et la pollution, des problèmes qui nécessitent des solutions transdisciplinaires. Elle met en évidence l’interdépendance entre les systèmes économiques, écologiques et sociaux, et plaide pour une économie où les relations entre l’homme et la nature ne sont pas seulement analysées en termes de coût et de bénéfice, mais aussi dans une optique de responsabilité et de durabilité intergénérationnelle.

Il est essentiel pour le lecteur de comprendre que ces approches économiques pluralistes ne se contentent pas de proposer des modèles alternatifs pour la gestion des ressources naturelles, mais cherchent à transformer en profondeur les paradigmes économiques en vigueur. Le changement vers une économie durable implique non seulement une révision des politiques économiques, mais aussi une transformation des valeurs et des pratiques sociétales. Cela nécessite une prise de conscience collective des limites écologiques et sociales et une volonté de réorganiser nos priorités économiques en conséquence. Les théories économiques pluralistes ne sont pas seulement des alternatives théoriques ; elles offrent des bases concrètes pour repenser notre avenir commun.

Comment l'économie féministe et écologique redéfinissent-elles les valeurs et le développement durable ?

L'économie féministe et l'écologie partagent un point commun essentiel : la critique des paradigmes dominants dans la pensée économique et sociale, qui ignorent souvent les inégalités de genre et les relations complexes entre l'humanité et la nature. Elles soulignent la nécessité d'une révision profonde des valeurs qui sous-tendent les modèles économiques traditionnels. L'économie écologique, qui cherche à intégrer les limites physiques de la planète dans la réflexion économique, et l'économie féministe, qui interroge les rapports de pouvoir et de division du travail, offrent des perspectives complémentaires pour construire une économie plus juste et durable.

Le débat sur la coexistence entre ces deux courants met en lumière la manière dont les approches traditionnelles, souvent centrées sur la croissance économique et l'accumulation, échouent à prendre en compte des aspects cruciaux tels que les coûts environnementaux et sociaux des activités humaines. Dans ce cadre, l'idée de « dé-couplage » de la croissance économique et de la dégradation de l'environnement, souvent avancée par les économistes dominants, se trouve remise en question. De plus, l’économie féministe critique la vision classique de l’économie, qui se focalise sur le concept de « choix rationnel » en ignorant les tâches de reproduction et les rôles sociaux invisibles, traditionnellement assumés par les femmes, mais indispensables à la société.

Cette critique est également visible dans l'orientation des travaux de nombreuses économistes féministes qui, comme Julie A. Nelson, abordent les enjeux de la durabilité en cherchant à établir une relation plus équilibrée entre l'économie et la nature. Elles soulignent que les notions de valeur économique et de bien-être ne peuvent être dissociées des questions de genre, de pouvoir et de justice sociale. En effet, la structure économique contemporaine repose largement sur une hiérarchisation des ressources naturelles et humaines, où les femmes et les écosystèmes sont souvent considérés comme des ressources subalternes ou secondaires.

L’économiste et philosophe des sciences Otto Neurath a, de son côté, proposé une approche empirique qui met l’accent sur les faits et les données réelles plutôt que sur les abstractions théoriques, ce qui permet une compréhension plus concrète des systèmes économiques et écologiques. L’idée d’une science unifiée, qui relie les différentes branches du savoir tout en préservant les spécificités des disciplines, trouve ainsi un écho dans l’économie écologique et féministe. Il ne s'agit pas seulement de trouver des modèles de croissance durable, mais aussi de redéfinir ce que l'on entend par "progrès" et "bien-être" dans un monde aux ressources limitées.

Les débats autour de la durabilité et des valeurs écologiques invitent également à reconsidérer la notion de « prospérité » en dehors des seuls critères financiers. Loin d'être uniquement une question de chiffres, la prospérité devrait également intégrer des dimensions sociales et écologiques, là où la satisfaction des besoins fondamentaux, la justice sociale, et le respect des limites écologiques deviennent des priorités. Cela implique une remise en question radicale des mécanismes de marché qui privilégient l’augmentation continue de la consommation et la rentabilité à court terme.

Un autre élément central de cette réflexion réside dans la question de la prise de décision collective. Des économistes comme Elinor Ostrom ont démontré l’importance de structures de gouvernance partagée dans la gestion des biens communs, là où les institutions démocratiques peuvent jouer un rôle crucial dans la préservation des ressources naturelles et dans la répartition équitable des richesses. L’idée de gestion durable n’est pas seulement une question de politiques environnementales, mais aussi de reconfiguration des systèmes de pouvoir à l’échelle locale, nationale et globale. Ces approches soulignent l’importance de donner une voix aux populations les plus marginalisées, souvent les plus affectées par les crises écologiques et économiques, notamment les femmes et les communautés autochtones.

Enfin, il est essentiel de comprendre que les économies féministes et écologiques ne proposent pas une solution uniforme, mais insistent sur la pluralité des approches et des perspectives. Elles s’opposent à l’idée d’une seule voie vers la durabilité et l’équité, reconnaissant la diversité des contextes sociaux, culturels et environnementaux dans lesquels les décisions économiques sont prises. C’est dans cette pluralité que réside une partie de la force de ces mouvements, qui cherchent à offrir des alternatives flexibles et adaptables aux défis globaux.

Il est également crucial de comprendre que la transition vers une économie plus juste et écologique n'est pas seulement une question de révision des théories économiques, mais de transformation des pratiques quotidiennes et des systèmes institutionnels. Les choix que nous faisons au quotidien — en tant que consommateurs, producteurs, ou citoyens — ont un impact direct sur les dynamiques économiques et écologiques. Ce n’est qu’à travers une action collective, fondée sur une conscience accrue des interrelations entre l’humain et la nature, que de véritables changements pourront émerger. Les économistes féministes et écologiques appellent ainsi à une révision radicale de nos priorités économiques et sociales, afin de créer une société plus respectueuse de la vie sous toutes ses formes.

Comment les approches économiques classiques et écologiques façonnent notre compréhension des enjeux environnementaux contemporains

L'un des débats les plus saisissants dans l'économie contemporaine concerne l'interaction entre les modèles économiques traditionnels et les préoccupations écologiques. D'un côté, les théories économiques classiques, souvent incarnées par des figures comme Karl Popper et les membres du Cercle de Vienne, poursuivent l'idée d'une rationalité formelle et universelle qui, selon eux, devrait permettre d'expliquer et de prédire le comportement humain et l'organisation sociale. De l'autre, une approche plus contemporaine, influencée par des penseurs comme Georgescu-Roegen, prône une économie plus en phase avec les réalités biologiques et écologiques de notre monde. Cette confrontation entre la rationalité économique abstraite et la réalité écologique incite à une remise en question de la manière dont nous concevons les limites de la croissance, de l'utilisation des ressources naturelles et de l'impact de nos activités humaines sur la planète.

L'une des premières questions à aborder est celle de la nature de la valeur dans les sociétés modernes. Les économistes classiques, dont les théories ont dominé pendant des siècles, se sont souvent concentrés sur des modèles de production et de consommation de biens matériels, en valorisant la maximisation de l'utilité individuelle et collective. Cependant, cette vision ne prend pas en compte les limites physiques de la planète ni les effets de l'épuisement des ressources naturelles. Selon des chercheurs comme Timmerman et Schiappa, la dialectique qui sous-tend les théories économiques classiques et les perspectives écologiques met en lumière un décalage croissant entre les valeurs économiques conventionnelles et les besoins réels des écosystèmes.

Les approches écologiques de l'économie, en revanche, intègrent de manière explicite les principes de durabilité et de résilience des systèmes écologiques. L'écologie économique, portée par des auteurs comme van den Bergh et Vatn, cherche à redéfinir la notion même de richesse en prenant en compte non seulement les biens matériels mais aussi les services écosystémiques, tels que la purification de l'air, la régulation climatique et la préservation de la biodiversité. À travers cette lentille, l'évaluation économique des ressources naturelles devient un exercice complexe qui dépasse la simple notion de prix de marché. La valeur est désormais comprise dans une optique holistique, reliant l'économie à la préservation de l'environnement et au bien-être humain dans son ensemble.

Cependant, cette vision élargie de l'économie rencontre plusieurs obstacles. La première difficulté réside dans la tendance des systèmes économiques à privilégier la croissance à court terme au détriment de la stabilité écologique à long terme. Cette dynamique est alimentée par les institutions économiques et politiques actuelles, qui continuent de privilégier des modèles fondés sur la croissance infinie dans un monde fini. Les critiques de ces modèles, comme celles formulées par des économistes post-keynésiens ou les partisans du concept de "décroissance", soulignent que cette quête incessante de la croissance économique conduit à un épuisement des ressources naturelles et à des inégalités sociales croissantes.

Dans ce contexte, le débat sur les "droits de la nature", illustré par des exemples comme celui de l'Équateur, soulève des questions cruciales sur la manière dont les sociétés humaines devraient coexister avec la nature. L'idée que la nature elle-même possède des droits a pris de l'ampleur dans certains cercles écologiques et philosophiques, incitant à une révision des modèles économiques classiques pour prendre en compte les besoins et les droits des écosystèmes. Ce changement de paradigme implique une réévaluation des politiques publiques et une transformation profonde des pratiques économiques, en plaçant la durabilité au cœur des décisions économiques.

Dans cette optique, il est crucial de comprendre que l'économie traditionnelle, fondée sur l'optimisation de l'efficacité et de la productivité, doit être complétée par des approches qui intègrent la résilience écologique et le respect des limites planétaires. Les économistes et les politiciens doivent reconnaître que l'équilibre entre l'homme et la nature n'est pas un luxe, mais une nécessité pour garantir la pérennité des sociétés humaines à long terme. La pensée écologique en économie ne se contente pas de critiquer le modèle de croissance; elle propose également des alternatives, comme l'idée de "bien-être durable", qui prône une économie au service des besoins fondamentaux humains, tout en respectant les capacités de régénération des écosystèmes.

Ainsi, une transition vers une économie durable ne peut se faire sans une révision radicale de nos priorités économiques. Il ne s'agit pas seulement de modifier nos comportements individuels ou de mettre en place des politiques publiques ponctuelles. Il est nécessaire de repenser profondément les structures économiques, sociales et politiques qui régissent nos sociétés, en mettant l'accent sur la résilience écologique, l'équité sociale et la justice intergénérationnelle. Cela nécessite des efforts collectifs soutenus, ainsi qu'une vision claire des défis écologiques auxquels nous sommes confrontés.