Pourquoi, exactement, a-t-il insisté ? Je ne suis pas certain de la raison, si ce n’est que ce n’était ni par goût de l’aventure, ni par curiosité ou plaisir : ces qualités, s’il en avait un jour possédé, s’étaient dissipées dans son ascension à la présidence pro tempore de l'Autre-Monde. Un sens du devoir a peut-être joué un rôle. Peut-être agissait-il pour anticiper les autres, poussé par une étrange prémonition. Le devoir, et la prémonition : mais de quoi, au juste ? De quoi ?
« Ce sera bien différent de ce que nous imaginons », dit Davenant, qui, pour une raison quelconque, n’avait pas vigoureusement contesté la décision du Président. « L’avenir de tous les passés possibles. Je vous envie, je dois dire. J’aimerais beaucoup le voir moi-même. » Bien sûr, c’était différent de ce que l’on pouvait imaginer : fort bien. Le Président pro tempore s’était préparé à la étrangeté. Ce qu’il n’avait pas anticipé, c’était la familiarité. La familiarité — aussi confortable qu’un vieux soulier — était certainement différente de ce qu’il avait imaginé. Et pourtant, que connaissait-il précisément ? Il était sorti de son club à Londres et se retrouvait, non pas dans les couloirs déserts de la Society of the Orient qu’il connaissait bien, mais dans des quartiers privés qu’il n’avait jamais vus auparavant. Cela lui rappelait douloureusement un endroit qu’il connaissait, mais impossible de dire lequel : les chambres d’un don, riches mais moites, ou un logement de célibataire érudit et riche. Comment cela avait-il pu se produire ? Et comment ce lieu se retrouvait-il éclairé par du gaz ?
Un des effets secondaires agréables (aux yeux de la plupart des membres) des efforts incessants de l’Autre-Monde était un retardement général du progrès matériel : une grande partie de ce progrès avait été, d’une part, le produit des guerres désastreuses que l’Autre-Monde étudiait principalement pour les éviter, et d’autre part, un produit de l’Amérique. L’Empire britannique, plus lent, était une grande bête sans prédateurs, naturellement conservateur ; il s’accrochait aux techniques éprouvées et pouvait les imposer au reste du monde par son poids. Le téléphone, la voiture, l’hydravion, le sans-fil, tout cela mettait du temps à s’enraciner dans l’Empire façonné par l’Autre-Monde. Pourtant, le Président pro tempore savait que l’électricité était largement utilisée à Londres en 1893, bien avant que les membres n’aient pu altérer le cours des choses. Et ici, des lampes à gaz éclaireaient cet endroit. En réfléchissant à cela, il entra dans la sombre salle à manger, apparemment peu utilisée, et aperçut la silhouette du majordome, figée comme une statue, en silence, le tissu pour polir dans sa griffe et l’argenterie devant lui. Ses mâchoires lourdes étaient légèrement ouvertes, et son poids reposait sur le tronc épais de sa queue. Il portait un tablier de feutre et des serre-manches noirs pour protéger ses vêtements.
Différent de nos imaginations : et pourtant, aucun ajustement du vingtième siècle, tout juste au-delà de lequel le Président se trouvait théoriquement, n’aurait pu produire ce majordome, en col de chemise et tablier vert, la douce lumière des gaz brillant sur son crâne chauve. Quelqu’un avait donc enfreint les règles. Quelqu’un avait osé régresser avant 1893 et interférer avec un passé encore plus lointain. Ce n’était pas, en soi, impossible : Caspar Last l’avait fait lors de sa première et unique excursion. On avait toujours cru qu’il était impossible pour l’Autre-Monde de le faire, car cela les aurait conduits « avant » l’existence de l’Autre-Monde, et donc avant qu’ils n’aient pu arracher la maîtrise de ce voyage à la jalouse emprise de Last, un pouvoir qu’ils avaient acquis en l’ayant déjà. Le Président pro tempore y croyait fermement. Mais apparemment, ce n’était pas le cas.
Quelqu’un, à un moment donné, quelque part entre son entrée dans la cabine téléphonique du Club et sa sortie dans ce monde familier et impossible, avait remonté le temps : bien au-delà de la mort de Rhodes, suffisamment pour initier cette maison, cette ville, ces races qui n’étaient pas humaines. Un million d’années ? Cela ne semblait pas pouvoir être moins. Et qui, alors ? Deng Fa-shen, le Chinois délicat et brillant, qui avait des pensées et des intentions qu’il gardait pour lui ? Lui seul aurait pu franchir les limites théoriques ? Ou Platt, qui n’était jamais satisfait des possibilités dans ce qu’il appelait « les paramètres damnés » ? Ou Davenant ?
Davenant, toujours en train de citer Khayyam : « Ah, l’Amour, si toi et moi avec Lui conspirons Pour prendre ce triste schéma de choses dans son entier, Ne briserions-nous pas tout en morceaux, puis Le remodeler plus près du désir du cœur ? »
« Il y a », dit le Magus derrière lui, « un autre que tu n’as pas pensé. » Le Président pro tempore laissa tomber le rideau et se tourna vers la porte. Le Magus se tenait dans l’encadrement de la porte, un grand livre en bras. Ses yeux ne rencontrèrent pas ceux du Président, mais semblaient néanmoins le scruter, comme les yeux aveugles d’une statue. Un autre... Oui, en effet, le Président pro tempore comprit. Il y en avait un autre qui aurait pu faire cela. Un autre, peut-être pas aussi habile dans la tâche que d’autres, comme Davenant par exemple, mais qui, néanmoins, aurait été, ou serait venu à être, en position de prendre de telles mesures.
Le Président pro tempore n’aurait pas cru lui-même capable d’une telle audace, de cette puissance invincible. Mais comment expliquer alors la familiarité de ce monde qu’il n’avait jamais vu ? « Entre le moment où ton peuple a décidé d’explorer notre monde », dit le Magus, « et celui où tu te tiens ici, tu l’as toi-même créé. Je ne vois pas d’autre explication. »
Le Président pro tempore resta là, figé par l’étonnement devant les efforts qu’il semblait être capable de produire. Un million d’années, au moins. Comment avait-il su où commencer ? Où avait-il trouvé, trouvera-t-il, le temps ?
Deng Fa-shen l’avait toujours dit, et tout voyageur en ces terres le savait : les futurs et passés imaginaires de l’orthogonalité ne sont imaginaires que dans le même sens que les nombres imaginaires. Pour l’homme marchant dans l’un d’eux, celui-ci est le seul réel, peu importe combien il semble étrange. Ce sont tous les autres, perchés à des angles, qui n’existent que dans l’imagination.
La nuit entière, le Président pro tempore parcourut la ville, d’un pas mesuré et lent, mais avec un tremblement constant enroulé autour de ses côtes, attendant ce qu’il adviendrait de lui, observant le monde qu’il avait créé. Bien sûr, il ne pouvait pas continuer à exister. Il n’aurait jamais dû exister en premier lieu ; son propre péché (si c’en était un) l’avait fait surgir du non-être, et sa repentance devait l’effacer, comme une lumière qui s’éteint. Le Magus qui avait pris sa confession (que le Président pro tempore n’avait pas pu lui refuser) en était venu à cette conclusion : il devait être éteint. Et pourtant, combien le Président pro tempore désirait-il qu’il dure éternellement ; combien il croyait qu’il devrait durer pour toujours.
Comment l'irréalité et le désir humain façonnent le monde et le destin des races
Le monde n'était pas simplement peuplé de races intelligentes aux caractéristiques distinctes ; il se présentait comme un enchevêtrement complexe d'univers séparés, chacun formant une construction unique de la réalité. Imaginons plusieurs romans, écrits par des auteurs différents, aux styles variés et aux visions du monde incompatibles, qui se superposent et se fusionnent, créant une œuvre à la fois comique et tragique. Dans ce monde, des personnages issus d'univers différents coexistaient, mais leurs vies ne s'entremêlaient pas harmonieusement : chaque race, chaque groupe, vivait sa propre réalité, perçue différemment à travers le prisme de sa propre compréhension de l'existence. Cela donnait un paysage où les différences entre les diverses civilisations semblaient non seulement inévitables, mais aussi essentielles à la structure de ce monde.
Au lever du jour, le Président pro tempore observait, pensif, un car de tramway stationné sur une place. Ce qui semblait un simple fait quotidien l'intriguait profondément. Ces véhicules n'avaient pas existé la veille dans cette ville. Pourtant, aujourd'hui, ils étaient là depuis des décennies, et il se rendait compte qu'un tel phénomène n'était pas simplement un signe de progrès, mais un symptôme d'une faille dans la réalité elle-même, une déviation de l'ordre qu'il avait voulu instaurer. Le monde qu'il avait construit, ou qu'il pensait avoir construit, était corrompu par l'irréalité, un monde qui se déformait sous l'effet de changements subtils mais exponentiels, accumulés au fil du temps. Chaque petite modification, chaque variation aléatoire dans le tissu même de l'univers, créait un déséquilibre, rendant impossible de maintenir une perception stable de la réalité.
Dans une conversation intime avec un ange, il comprit que ces altérations n'étaient pas dues à une erreur ou une malfaçon de sa part, mais à un phénomène beaucoup plus vaste, une interconnexion des époques et des dimensions. Les changements qui avaient eu lieu étaient insidieux : de minuscules détails — un nom ici, la position d'une étoile là — avaient créé un enchevêtrement complexe de possibles, dont l'ampleur était désormais inimaginable. Les petites modifications du passé s'étaient amplifiées avec le temps, formant un enchevêtrement où chaque événement était lié à une chaîne d'effets dont il ne pouvait plus maîtriser le cours.
Au fur et à mesure que le Président pro tempore poursuivait ses réflexions, il prit conscience que ces changements, aussi subtils fussent-ils, avaient formé le monde tel qu'il l'observait. Ce n'était pas un monde qui avait évolué de manière naturelle ou organique, mais un monde façonné par des désirs et des erreurs, des erreurs dont l'accumulation avait fini par altérer la structure même de la réalité. Ce qu'il considérait comme la stabilité était en réalité un leurre, une illusion renforcée par le passage du temps.
L'ange, qui l'accompagnait, expliqua que les êtres de son époque — les plus anciens des Anciens Races — avaient ressenti la naissance de ce monde modifié, l'écho des décisions passées résonnant à travers le tissu du temps. Il s'agissait d'un processus qu'ils avaient observé avec une lucidité douloureuse, voyant en chaque changement non seulement un événement passé, mais aussi une préfiguration d'un avenir qu'ils n'avaient pas choisi. Ce monde, ce qu'il était devenu, n'était pas le fruit d'un projet divin ou même d'une volonté délibérée. C'était plutôt le résultat d'une série de désirs humains, de petites tentatives pour capturer l'immuable, pour imposer l'ordre et la stabilité dans un monde où ces qualités échappaient à tout contrôle.
Pourtant, le monde qu'ils avaient désiré, un monde sans changement, une société régie par des hiérarchies fixes et éternelles, ne pouvait exister que dans une stagnation totale. Le Président pro tempore réalisa que ce monde, une fois dépourvu de toute possibilité de changement, serait condamné à l'inefficacité, à la mort lente, noyé dans l'immobilité. Les désirs humains, motivés par une peur de l'incertitude et du chaos, avaient produit l'opposé de ce qu'ils espéraient : un monde figé, privé de toute dynamique, un monde de perpétuelle paix, mais d'une paix morbide.
La vérité se faisait plus claire avec chaque révélation : le monde qu'ils avaient construit était voué à l'échec, car il n'était pas conçu pour durer. Il était né du désir d'immobilité et d'immuabilité, mais la réalité ne pouvait se conformer à ces règles. Ce monde, figé et parfait dans sa hiérarchie, n'avait plus rien à offrir. La guerre, la croissance, l'évolution — tout cela avait été éliminé dans une tentative pour fixer l'ordre de manière éternelle. Mais un tel monde ne pouvait que mourir dans la stagnation, faute de changement, faute de vie.
Au fond, le Président pro tempore comprit que la seule solution résidait dans l'annulation de ce qui avait été créé, dans la dissolution du processus même qui avait permis cette construction. Mais cela signifiait la destruction de tout ce qu'il avait cherché à préserver. La véritable question n'était pas de savoir comment sauver ce monde, mais de savoir si un monde comme celui-ci pouvait véritablement être sauvé.
En fin de compte, le monde qu'ils avaient désiré était l'expression ultime de leur incapacité à accepter l'impermanence, à comprendre que la nature même de l'existence réside dans le changement constant. Il est essentiel de comprendre que l'immobilité absolue, loin d'être un refuge, est un poison. Pour que la vie soit pleinement vécue, il faut accepter la dynamique du changement, qu'elle soit externe ou interne, qu'elle soit à l'échelle d'une civilisation ou dans les microcosmes personnels.
Qui est Denys Winterset et quel mystère cache son histoire africaine?
Denys Winterset, un nom qui à première vue ne semble pas comporter une signification particulière, mais qui, une fois révélé, se transforme en l'épicentre d'une série de rencontres et de révélations aussi fascinantes que dérangeantes. Ce personnage, un Britannique à l'air étrange, entre dans la vie de l'auteur d'une manière qui frôle l'absurde, mais qui pourtant semble d'une nécessité imposée, comme une force irrésistible du destin. Son histoire commence dans un contexte colonial où l'Afrique se trouve à la croisée des chemins, un lieu où la survie et l'instinct de préservation prennent des formes inattendues.
Un après-midi sans vent et de chaleur accablante, un jeune garçon natif réveille l’auteur d’un sommeil interrompu, mais il n’y a pas de simple raison à cela. Lorsque l’auteur, confus, lui demande des explications, il ne reçoit que des regards vides, des paroles énigmatiques, comme si cet homme semblait lui-même être pris dans un tourbillon d'incertitudes. C’est un scénario étrange, où un simple voyage en voiture vers une plantation isolée se transforme en une rencontre qui échappe à la logique et aux attentes rationnelles. En découvrant un lieu déserté et presque abandonné, l'auteur entre dans l'intimité d’un personnage qui semble détenir la clé d'un mystère bien plus vaste que l’on aurait pu imaginer.
Au cœur de ce bungalow délavé, parmi les restes d’un passé lointain, l’atmosphère est pesante. Un homme, visiblement accablé, semble avoir attendu des années pour cette rencontre. Et tout à coup, l'énigme de sa présence, de son apparence, et de ses motivations commence à s’éclaircir peu à peu. Son nom est Denys Winterset, mais ce nom n’est que la première étape d’une longue série de révélations. D’un ton sec et presque désinvolte, il commence à raconter une histoire qui semble se dérouler entre plusieurs époques, comme si les lignes du temps se brouillaient dans une étrange fusion de souvenirs et de présages.
Winterset n’est pas seulement un homme perdu dans les confins de l’Afrique. Il est un fragment d’un passé colonial qui, dans la chaleur de l'Afrique, prend une tournure différente. Son récit le mène à des souvenirs de l’époque coloniale, de ses propres doutes et de ses choix de vie. Il parle de ses peurs, de ses questionnements, mais aussi de ses désillusions, et finalement de l’idée qu’il n’a jamais voulu revenir, que sa vie en Afrique était comme un piège dans lequel il ne pouvait s’empêcher de s’enfoncer un peu plus chaque jour. Pourtant, malgré la sensation de fuite, l’appel de ce continent reste plus fort que tout.
À travers ses paroles, l’auteur est transporté dans un monde parallèle, un univers où les événements se produisent comme une résonance, une sorte de répétition du passé, et où chaque détail semble avoir une signification cachée. L'un des passages les plus troublants de cette rencontre est la mention de l’âme de l’homme, qui semble avoir été complètement déracinée par les années passées en Afrique. Ce n’est pas simplement l’histoire d'un homme, mais celle de tout un système, d’une époque, d’un esprit colonial dévoyé. Winterset, sans vouloir se l’avouer à lui-même, est devenu l'incarnation d’une époque révolue, une époque où les hommes croyaient encore que leur présence en Afrique avait un sens, une raison, mais où cette croyance a été lentement dévorée par la réalité de la colonisation et de la perte de repères.
Il raconte aussi une rencontre qui, pour certains, incarne la quintessence de l’époque coloniale : sa rencontre avec Cecil Rhodes. Cet épisode, raconté presque avec nostalgie, laisse entrevoir une autre facette de l’histoire coloniale, celle d’un homme qui n’avait pas de prétentions, qui ne se préoccupait pas de ses apparences, mais dont les actions ont façonné l’Afrique de manière irréversible. Winterset, malgré la chaleur accablante de son corps et de son esprit, raconte cette époque comme un rêve lointain, un rêve que l’histoire a mis en lumière, mais qui a échappé à la compréhension de ceux qui n’ont pas vécu cette époque.
Le plus frappant dans cette rencontre est cette sensation de déjà-vu que l’auteur éprouve, un sentiment étrange et désagréable de vivre un moment qu’il a déjà vécu. Ce phénomène, qui échappe souvent à la raison, est peut-être le véritable cœur de l’histoire de Winterset : une vie, un voyage et une histoire qui ne peuvent pas être simplement expliqués par des faits, mais qui exigent une compréhension plus profonde, une exploration plus vaste du passé, du sens de l’existence et du destin.
Cet entrelacs de rencontres et de souvenirs semble avoir pour but de nous rappeler que l’histoire ne se limite pas aux événements que nous vivons. Il existe un enchevêtrement complexe d’événements, de choix et de rencontres qui, une fois réunis, forment le puzzle de ce que nous appelons la réalité. En réalité, ce qui se cache derrière les choix de Winterset, ses actions et ses dilemmes, est bien plus qu’une simple aventure coloniale. C’est un miroir de la psyché humaine, de ses angoisses et de ses désirs, de ses peurs et de ses espoirs, et peut-être, aussi, de ses erreurs irrémédiables.
La complexité de l’existence humaine dans ce cadre historique et géographique semble le point de départ de toute cette histoire. La compréhension de ces événements nécessite de saisir ce qui échappe à la simple logique : les relations entre les individus, les pays, les peuples et, surtout, l’impact du passé sur l’identité présente. Ce n’est pas un simple récit de l’Afrique coloniale, mais un examen plus profond des désirs humains, des erreurs répétées et de la constante recherche d’un sens dans un monde où tout semble parfois dénué de logique.
Qu'est-ce que l'effet du temps sur l'existence de l'individu et la mémoire historique ?
L'un des aspects les plus fascinants du passage du temps dans la fiction est la manière dont il se révèle à travers les petits objets du quotidien, ceux qui semblent insignifiants mais qui portent avec eux l'écho du passé. Caspar Last, dans un moment de réflexion intérieure, se trouve confronté à un dilemme sur le caractère temporel de ses expériences et l'impact de son action sur l’histoire telle qu’elle est perçue. Bien qu’il n’ait jamais vraiment su si le séjour de l'eidoïon dans la fiction du passé consommerait du « temps » dans celle du présent, il s'aperçoit que cela est bel et bien le cas. Cette prise de conscience s’opère au moment où il redécouvre une vieille lettre, pressée contre sa poitrine, alors que le soleil, dans sa couleur rouge gazeuse, se couche à l’horizon exactement comme il l’était en 1856. Le flot du temps, avec ses multiples contradictions et ses spirales inattendues, fait de ces petites expériences de réminiscence quelque chose de profondément troublant.
L’histoire que raconte Caspar n’est pas simplement celle d’un homme qui trouve un timbre rare parmi des papiers anciens, mais celle d’une quête plus vaste — celle de la préservation ou de la destruction du passé. Le timbre, émis par la Couronne de la Guyane britannique en 1856, est un objet d’une valeur inimaginable, un artefact qui semble offrir une rupture tangible dans le flux du temps. Caspar hésite alors à vendre ce timbre, ou à le détruire pour préserver la « singularité » de l'unique exemplaire détenu par des collectionneurs anonymes. Un tel geste, la destruction d’un bien précieux pour préserver son unicité, soulève la question de la signification de l’histoire elle-même. Si l’objet du passé peut être jeté, que reste-t-il de cette époque ? Une simple trace, une illusion de l’histoire qui disparaît dans le vent du présent.
C'est ici que l'on touche à l'une des vérités profondes du temps : ce qui existe dans le passé, dans l'idée qu'on en a, finit par se dissoudre dans le futur, souvent sous la forme de fragments égarés. Le concept même de l'histoire devient alors mouvant, une construction faite de morceaux de mémoire et de perception. La tentation de préserver ce passé, de le rendre « intact » à tout prix, est en soi une illusion. Car ce qui est authentiquement du passé ne peut exister que dans la mémoire collective, et cette mémoire, tout comme le temps, est intrinsèquement fragile et fluctuante. Caspar, en observant ce timbre, devient un symbole de cette tension entre ce que nous désirons préserver et ce que le temps emporte irrémédiablement.
Dans cette réflexion, la notion même de ce que signifie être vivant, d’exister dans le monde d’aujourd’hui, devient encore plus saisissante. Caspar, dans son désir de comprendre et de manipuler le temps, finit par réaliser que son propre destin est le seul qu’il puisse réellement maîtriser. Il décide alors que la seule chose qui lui reste à accomplir, au-delà des questions d’histoire et de collection, est de profiter pleinement du temps qui lui est imparti, ce moment fugitif qui, bien qu’éphémère, reste l’unique réalité sur laquelle il peut encore agir.
De l'autre côté du monde, l’histoire d'un autre personnage, Denys Winterset, offre une vision similaire du passage du temps et de l’exil. Dans les paysages immenses du désert africain, entre les trains qui relient des mondes opposés, Denys se trouve dans une position similaire à celle de Caspar. Après un an à servir l'Empire britannique, il ressent une aliénation profonde, comme si ses racines étaient désormais coupées à la fois de l’Afrique et de l’Angleterre. Lorsqu’il observe un jeune couple en voyage de noces, il se rend compte qu’il fait désormais partie de ce monde distant, un spectateur silencieux du flot du temps et de la transformation.
L'absurdité de ce décalage entre les différentes époques et les différentes réalités est visible dans l'influence du passé sur l’instant présent. Ce qui semble éternel, comme les chutes Victoria ou le majestueux pont de Bulawayo, n’est en réalité qu’une projection de désirs et d’idées du passé. Les visions de ce monde, à travers le regard de Denys ou celui des jeunes mariés, deviennent un espace de contemplation. Mais ce qu'ils ne perçoivent pas, ce que Caspar perçoit avec plus de clarté, c'est que tout cela n’est que le reflet d’un temps qui ne cesse de se transformer.
Ce genre de réflexion sur le temps et l’existence, sur la mémoire et son influence, ne fait pas que nous rappeler que l’histoire est un récit toujours en mouvement ; il nous montre également que l’individu, aussi puissant soit-il dans ses actions, reste toujours pris dans l’étreinte du temps. Le désir de maîtriser ce temps, de comprendre ses mécanismes et de se libérer de ses chaînes, est en réalité un désir de comprendre notre propre existence à travers l'infinité des possibles que ce temps ouvre et ferme sans cesse.
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