L’étude des déterminants du comportement électoral est devenue une question centrale dans la science politique contemporaine. Si l’on cherche à comprendre l’impact des fausses informations sur les décisions de vote, il est essentiel de placer ce phénomène dans un cadre théorique plus large des facteurs traditionnels qui influencent les comportements électoraux. Cela implique la nécessité de cartographier de manière précise ces déterminants pour mieux évaluer le poids que peuvent avoir les fausses informations dans le cadre des élections modernes.

Les théories classiques sur le comportement électoral, développées au fil du temps, peuvent être regroupées en trois approches principales. La première, dite sociologique, repose sur l’idée que le comportement électoral est profondément ancré dans l’appartenance des individus à des groupes sociaux. Selon cette perspective, des caractéristiques sociographiques telles que la religion, l’origine ethnique, le genre, ou la classe sociale, jouent un rôle majeur dans la formation des préférences électorales. La seconde approche, psychologique, met en avant l’influence des expériences personnelles et des processus de socialisation qui façonnent l’identification partisane des individus, une sorte de carte cognitive qui guide leur vote. Enfin, l’approche de la "rationalité économique", ou "Rational Choice Approach", adopte une perspective plus individualiste et économique : les électeurs, considérés comme des agents rationnels, choisissent le parti dont les politiques correspondent le mieux à leurs préférences, tout comme un consommateur choisit un produit en fonction de ses attentes.

En dépit de cette diversité d’approches, il semble évident que les déterminants du comportement électoral ne peuvent être réduits à une seule dimension. Pour analyser cette complexité, une approche bi-dimensionnelle proposée par Rokkan (1970) et affinée par Bellucci et Whiteley (2005) permet de mieux comprendre les facteurs qui influencent les décisions électorales. Cette approche distingue deux grandes dimensions : une dimension "macro" et une dimension "micro", qui concernent respectivement les caractéristiques du système politique et celles des électeurs eux-mêmes. De plus, une dimension temporelle permet de différencier les facteurs distants (à long terme) et contextuels (plus immédiats) qui influencent le vote.

Dans cette analyse, les déterminants dits "macro-distant", qui relèvent des caractéristiques structurelles du système politique, incluent des éléments comme les clivages socio-politiques, les règles du jeu électoral, ou encore la mécanique du système partisan. Ces facteurs sont exogènes et représentent les contraintes et les opportunités systémiques qui influencent les choix des électeurs. À l’opposé, les facteurs "micro-distant" se rapportent aux caractéristiques sociales et économiques des individus, telles que leur position dans la société, leur niveau d’éducation, ou leurs valeurs politiques. Ce sont ces éléments qui, historiquement, ont joué un rôle crucial dans la formation des attitudes politiques des électeurs.

Les quadrants "contextuels", en revanche, sont ceux qui se rapportent à des facteurs plus immédiats et spécifiques à chaque campagne électorale. Dans la dimension "macro-contextuelle", on retrouve des éléments comme la situation économique, les stratégies des partis politiques, les grands thèmes de débat politique, ainsi que l’orientation de la campagne. Ces facteurs influencent directement la perception des électeurs sur la qualité de la classe politique, la représentativité des partis, ou encore la performance du gouvernement sortant. Dans le quadrant "micro-contextuel", les comportements individuels tels que l’exposition aux campagnes médiatiques et les interactions sociales jouent un rôle essentiel. La manière dont les électeurs filtrent l’information politique, en particulier à travers les médias et les discussions informelles, est déterminante dans la façon dont ils interprètent et réagissent aux messages politiques, qu’ils soient véridiques ou faux.

La récente discussion sur l’impact des fausses informations sur le comportement électoral met l’accent sur la dimension contextuelle, en particulier sur l'influence des informations circulant durant la campagne. Cette idée repose sur l’hypothèse selon laquelle, dans un monde où les anciennes structures sociales et partisanes se sont effondrées, les électeurs deviennent de plus en plus "individualisés" dans leurs choix. Selon cette vision, chaque électeur choisit l’information qui correspond le mieux à ses préférences personnelles et, par conséquent, est plus susceptible de changer son vote en fonction des informations reçues pendant la campagne électorale.

Ce modèle individualisé du comportement électoral pose cependant des limites. Bien que les changements dans les clivages socio-économiques et la transformation du paysage médiatique aient effectivement contribué à l’individualisation du vote, cela ne signifie pas que les électeurs soient entièrement déconnectés de leur identité sociale et politique. En réalité, même si les identifications partisanes traditionnelles ont perdu de leur force, il demeure des facteurs structurels qui influencent les choix électoraux. Les électeurs ne sont pas des entités totalement autonomes et détachées de tout contexte social ; leurs décisions restent partiellement déterminées par leur appartenance à des groupes sociaux et par des facteurs culturels qui perdurent malgré les transformations contemporaines.

Dans ce contexte, il est crucial de comprendre que les fausses informations, bien qu’elles puissent avoir un impact significatif sur les comportements électoraux, n’agissent pas dans un vide. Elles viennent interagir avec un ensemble de facteurs sociaux, économiques, et politiques qui façonnent la manière dont les électeurs perçoivent la réalité. La propagation de fausses informations ne se fait pas dans une société sans repères ; elle s’inscrit dans un cadre plus large où les électeurs, même "individualisés", filtrent ces informations à travers le prisme de leurs propres expériences et identités.

Enfin, il est important de souligner que l’impact des fausses informations n’est pas homogène : il peut varier en fonction de la prédisposition cognitive des électeurs, de leur niveau d’éducation, de leur engagement politique et de leur exposition à des sources d’information variées. En ce sens, les fausses informations ne sont pas simplement une perturbation externe qui altère une décision rationnelle, mais un facteur qui interagit avec un ensemble complexe de dynamiques sociales, psychologiques et contextuelles.

Comment les symboles et la mythologie préchrétienne influencent les mouvements d'extrême droite en Europe de l'Est et de l'Ouest

Dans de nombreuses régions d'Europe, les mouvements d'extrême droite se sont réappropriés des symboles et des mythologies anciennes, parfois en réponse à un rejet de l'ordre établi ou de la domination de l'Église chrétienne. Dans les sociétés occidentales, des groupes identitaires utilisent fréquemment les symboles de la mythologie celtique ou font appel à une forme de spiritualité nouvelle, défiant directement l'influence de la religion chrétienne. Ce phénomène est souvent désigné sous le terme « Odinisme », un terme introduit par Pollard (2016) pour décrire l'utilisation des mythes et symboles germaniques anciens, en particulier la figure du dieu Odin, comme idéologie motrice dans certains courants néonazis.

Dans le cadre de cette réappropriation culturelle et spirituelle, on remarque que plusieurs groupes nationalistes, en particulier en Europe centrale et orientale, se tournent vers les anciennes religions slaves ou même les mythes préchrétiens pour cimenter leur identité. Par exemple, en Hongrie, les symboles païens sont fréquemment utilisés par des groupes d'extrême droite, allant des représentations mythologiques aux pratiques inspirées de l'archerie, de la course à cheval et des vêtements traditionnels, éléments qui rappellent un passé ancien et glorieux, avant l'introduction du christianisme dans la région. Ce retour aux sources anciennes joue un rôle crucial dans la formation de nouvelles identités politiques radicales, souvent en opposition à l'influence perçue de l'Occident chrétien.

L'un des principaux aspects de cette dynamique est que ces groupes cherchent à se différencier de la culture dominante chrétienne tout en faisant appel à un esprit de rébellion. Ce phénomène peut être vu comme une forme de sectarisme politique, où, comme le soulignent Veugelers et Menard (2018), l'important n'est pas tant le nombre de membres que la cohésion idéologique au sein de ces groupes. La morale et l'intégrité sont des thèmes récurrents, comme le souligne l'exemple du groupe tchèque Pro-Vlast, qui s'oppose aux valeurs libérales de la société occidentale. Ce type de groupe, tout en se réclamant de la tradition et de la pureté culturelle, se considère souvent comme un bastion de résistance face à une mondialisation perçue comme décadente.

Les groupes nationalistes radicaux, qu'ils soient militants ou propagandistes, tentent de convaincre non seulement leurs membres mais aussi un public plus large, à travers des campagnes de propagande très structurées. La distinction entre la propagande destinée aux « initiés » (les membres ou sympathisants) et celle destinée à un public plus large (les « extérieurs ») est essentielle. Les groupes utilisent des plateformes numériques pour diffuser leurs idéologies, un moyen particulièrement efficace pour toucher les jeunes générations. Par exemple, le site Web du groupe néonazi polonais « Droga Legionisty » ou les vidéos virales des « Soldiers of Odin » montrent l'importance croissante des médias numériques dans la mobilisation et la diffusion des idéologies radicales.

Un autre aspect crucial est l'utilisation de symboles de haine dans le sport, en particulier dans les stades de football, où des symboles extrémistes sont souvent utilisés pour inciter à la violence et à la haine raciale. Ces symboles, catalogués par des organismes comme la FIFA et l'UEFA, sont fréquemment interdits dans les stades, mais leur utilisation reste courante dans les cercles extrémistes. Il est essentiel de comprendre comment ces symboles fonctionnent à la fois comme des signes de ralliement pour les partisans et comme des outils de provocation envers ceux qui s'y opposent.

Enfin, il est important de noter la montée en puissance de certains groupes d'extrême droite dans les sociétés post-communistes d'Europe centrale et orientale, où la crise de la mémoire historique et de l'identité nationale a joué un rôle moteur. Le succès de ces mouvements dans des pays comme la Pologne, la Hongrie ou la Slovaquie peut également être attribué à des facteurs socio-économiques, tels que le mécontentement généralisé face aux inégalités croissantes et la perception d'une perte d'identité face à l'Union européenne et aux valeurs libérales qu'elle défend.

Il est également nécessaire de prendre en compte le rôle des contre-initiatives qui tentent de contrer l'extrémisme. De nombreuses organisations anti-fascistes et de défense des droits de l'homme, telles que la Liga lidských práv en République tchèque ou HejtStop en Pologne, se battent activement contre la propagation de la haine en ligne et dans l'espace public. Ces groupes jouent un rôle crucial dans la lutte pour maintenir une société démocratique et pluraliste face à la montée de l'extrémisme, en offrant une réponse à la désinformation et en promouvant les droits humains.

En fin de compte, l'un des enjeux majeurs de l'étude de ces mouvements d'extrême droite réside dans leur capacité à se réinventer sans cesse, à l'aide de nouveaux moyens de communication et de symboles réinterprétés. Les groupes d'extrême droite en Europe exploitent des narratifs historiques et des références culturelles pour créer un imaginaire collectif qui justifie leur rejet des valeurs modernes et de l'ordre établi. Comprendre ce processus de réappropriation symbolique est essentiel pour saisir la dynamique actuelle de ces mouvements et pour pouvoir y répondre de manière efficace.

L'impact de la privatisation de la censure sur la liberté d'expression et la pluralité de l'information en ligne

Malgré les affirmations de la Commission européenne, il est manifeste que l'équilibre est défini par les plateformes Internet, qui détiennent le pouvoir de décider de la manière d'agir et peuvent procéder à la censure de contenus (Zhen Gan 2017 : 118 ; Article 19 2016 : 16). De manière similaire, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a légitimé, après l'arrêt Google Spain, la possibilité pour les plateformes Internet d'établir un équilibre autonome entre le droit des utilisateurs d’être informés et le droit à l'oubli (Pollicino et Romeo 2016 : 249). Par conséquent, dans le cadre européen, tant au niveau de l'UE qu’au niveau des États membres, une tendance semble se dessiner, favorisant la privatisation de la censure. En effet, la majorité des politiques des États membres et de l'Union européenne semblent s'éloigner de la garantie de la liberté d’expression et d’information sur les plateformes Internet, en ne soumettant pas les actions entreprises par des acteurs privés contre des contenus en ligne à des vérifications judiciaires ou par des autorités indépendantes (et en n’accordant pas de véritable droit de recours contre les décisions des plateformes Internet).

Dans ce contexte, le Code de Pratique sur la Désinformation s’aligne partiellement sur cette tendance en déléguant aux plateformes Internet l’obligation de supprimer les faux comptes, tout en favorisant les « nouvelles authentiques ». En prenant en compte les pratiques développées par Google et Facebook, deux acteurs majeurs des marchés des moteurs de recherche et des réseaux sociaux respectivement, il convient de souligner que le Code a transféré d'importantes décisions basées sur le contenu aux plateformes Internet. En effet, Google et Facebook retirent des « profils » impliqués dans la diffusion de fausses informations : le premier en attribuant un classement négatif aux sites non fiables, le second en supprimant des pages et des comptes personnels des réseaux sociaux lorsque ces derniers participent à des campagnes qualifiées de « Comportement Inauthentique Coordiné » (CIB) ou simulent des identités différentes (Lyons 2018). Ces actions ont un impact sur le contenu, car attribuer un classement négatif à un site rend plus difficile pour les utilisateurs d’y accéder, et supprimer une page ou un compte personnel de Facebook affecte tout le contenu diffusé sur cette page ou ce compte.

Il existe un risque réel de suppression de discours politiques ou de contenus médiatiques qui ne sont pas approuvés par la plateforme Internet ou les acteurs privés qui la soutiennent, ou simplement de la suppression de contenus pour des raisons économiques ou en raison de la pression des utilisateurs. Il est facile d’imaginer ce que pourrait générer une campagne de signalements coordonnée par des acteurs politiques contre certaines informations et pages ou sites web. De plus, la perspective d'une suppression générale de tout contenu signalé afin d’éviter des amendes ou des « réactions » de l'UE représente un danger tout aussi préoccupant.

D’un autre côté, privilégier certains contenus par rapport à d’autres sous prétexte qu’ils constituent les « nouvelles les plus authentiques » a un impact majeur sur le pluralisme. Aux États-Unis, par exemple, les plateformes Internet ont été accusées de favoriser les nouvelles progressistes par rapport aux nouvelles conservatrices (Tay 2019 : 196). Le système européen est particulièrement sensible à cette question, et les autorités indépendantes surveillent généralement le pluralisme dans l’écosystème médiatique. Il est donc important de souligner que le Code de Pratique, bien qu’il ne favorise pas explicitement la suppression de contenus, finit par accroître la censure privée dans l’écosystème Internet.

Concernant l’UE, la privatisation de la censure semble être absente du cadre juridique, tandis que dans le système de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), la Déclaration des Ministres du Comité des droits de l'homme et la règle de droit dans la société de l’information, ainsi que la Recommandation CM/Rec(2011)7, ont mis l'accent sur la nécessité d’assurer la régulation par les États membres des activités des intermédiaires. En ce sens, il est possible d’observer deux approches différentes à travers la jurisprudence de la CJUE et la CEDH. L'arrêt récent de la CJUE dans l'affaire Glawischnig-Piesczek contre Facebook a adopté une position ambiguë. D’une part, la Cour n’a pas pris en compte, contrairement à la proposition de l'Avocat général, la nécessité d'un contrôle sur la suppression de contenus par les plateformes Internet (un droit de recours contre leurs décisions) pour garantir la liberté d’expression des utilisateurs de Facebook. D'autre part, il semble exclure la possibilité de suppression sans un processus automatisé. Toutefois, ce qui est clair, c’est que la Cour n’a pas défendu fermement le droit à la liberté d’expression en ligne.

En revanche, la CEDH a commencé à explorer la question de la privatisation de la censure en ligne, excluant sa présence dans les activités des portails d’information, en raison des « multiples opportunités permettant à chacun d’exprimer sa voix sur Internet ». Il semble que la Cour pourrait envisager la présence d’une censure privée si aucune alternative n’existait, ce qui est d’autant plus pertinent si l'on considère les pratiques de censure de Facebook ou Google, étant donné leur quasi-monopole de fait sur le marché européen et leur rôle crucial dans le discours public. Cette position rejoindrait celle de certains chercheurs américains (Klonick 2018 ; contre : Peters 2017), qui proposent d’étendre la doctrine de l’action de l'État aux plateformes Internet pour les contraindre à respecter les droits des utilisateurs à la liberté d'expression, tout comme les gouvernements doivent le faire.

Le Code de Pratique sur la responsabilité en matière de désinformation est une tentative louable de lutter contre la propagation des fausses informations et de reconstruire le rôle du journalisme sur Internet, tout en préservant les démocraties européennes. Cependant, la tâche essentielle de lutter contre la désinformation en ligne ne peut être entièrement déléguée aux plateformes Internet comme le prévoit ce Code. Les risques inhérents à la privatisation de la censure — qu'il s’agisse de la suppression de contenus politiquement orientés sous prétexte de désinformation, de la priorité donnée à des nouvelles conservatrices ou progressistes, ou encore de la suppression massive de contenus pour éviter des sanctions — sont trop importants pour être ignorés. Les plateformes Internet étant devenues trop centrales en tant que forums publics, elles ne peuvent pas être laissées hors du champ de toute régulation légale. Dans le domaine spécifique de la désinformation et du Code, accorder un droit de recours aux autorités indépendantes contre les décisions des plateformes et établir un système général de surveillance des opérations des plateformes Internet en matière de pluralisme, avec des tâches confiées, par exemple, à l’Organe des Régulateurs Européens des Communications Electroniques, en coordination avec les autorités nationales indépendantes, pourrait permettre de garantir que ces mesures ne nuisent pas à la démocratie.