L’utilisation d'images non-probatives dans les articles, les actualités ou les informations virales a des conséquences profondes sur la manière dont les individus forment leurs croyances, leurs souvenirs et leurs jugements. Un exemple frappant de ce phénomène est l'incident de 2016, où une fausse information circulait, affirmant que des centaines de milliers de votes frauduleux pour Hillary Clinton avaient été découverts dans un entrepôt en Ohio. Accompagnée d'une photo d'un homme devant des piles de boîtes de scrutin, cette allégation mensongère a été largement partagée sur les réseaux sociaux, influençant potentiellement des millions de personnes. L'image, une simple photo de stock trouvée sur Google, ne fournissait aucune preuve réelle concernant la véracité de l'affirmation. Pourtant, son association avec le texte a suffi à donner l'illusion de vérité.

Ce type de manipulation visuelle est loin d'être unique. De nombreuses fausses informations sont renforcées par des photos qui, bien qu'elles soient en lien avec le sujet traité, n'apportent aucune preuve probative concernant l'exactitude des propos. Du point de vue de la communication, l'utilisation d'images non-probatives semble logique : les photos captent l'attention, facilitent la compréhension et augmentent les chances que le contenu associé soit mémorisé. Cependant, lorsque ces images sont utilisées pour décorer des titres ou des déclarations, elles peuvent induire un biais cognitif puissant, en influençant la manière dont les individus perçoivent la véracité des informations.

Des recherches récentes ont mis en évidence ce que l'on appelle l'effet de « vérité apparente » (truthiness). Cet effet décrit la tendance des individus à croire qu'une information est vraie simplement en raison de l'exposition à une image non-probative qui lui est associée. Même une exposition brève à une telle image peut suffire à modifier les jugements des individus, qu'il s'agisse de connaissances générales, de prévisions concernant des événements futurs, ou même de leurs propres souvenirs. Il ne s'agit pas uniquement de fausses informations liées à des images manipulées, mais aussi de simples images génériques ou de stock qui n'ont aucun lien direct avec la véracité de la déclaration, mais qui confèrent à celle-ci une crédibilité apparente.

L'effet de vérité apparente ne se limite pas à des événements récents ou des informations politiques. Il touche un éventail large de jugements cognitifs, notamment ceux concernant les faits historiques, les décisions futures ou même les perceptions subjectives d'un individu sur sa propre expérience. Les chercheurs ont démontré que ce phénomène se maintient sur plusieurs jours, impactant la manière dont les gens perçoivent et se rappellent des informations.

Les mécanismes sous-jacents de cet effet de vérité apparente reposent sur des processus cognitifs bien établis. L'un d'eux est l'activation fluide des informations : lorsque les gens sont exposés à une image qui semble pertinente, même si elle n'apporte pas de preuve substantielle, l'activation de cette image peut être perçue comme un signe de véracité. En d'autres termes, l'esprit humain tend à faire des inférences simplistes : plus une information (visuelle ou textuelle) semble fluide et facile à traiter, plus elle est considérée comme vraie, même en l'absence de preuves concrètes.

Ce phénomène pose un défi majeur dans le contexte de la désinformation moderne, notamment à une époque où les réseaux sociaux sont dominés par une surcharge d'informations visuelles. Les images jouent un rôle central dans la manière dont nous assimilons et interprétons les nouvelles. L'utilisation stratégique d'images non-probatives dans des récits mensongers ou manipulés peut ainsi altérer notre perception de la réalité, nous amenant à accepter des vérités apparentes sans remise en question critique.

Il est crucial de comprendre que l'impact des images sur nos jugements n'est pas uniquement une question de manipulation consciente ou malveillante. Bien que les images puissent être utilisées pour induire en erreur de manière délibérée, elles peuvent aussi altérer nos croyances de manière subtile, sans que nous en soyons pleinement conscients. Par exemple, une simple image d'une scène de nature ou d'une manifestation sociale peut influencer la manière dont nous jugeons une opinion ou une situation, même si cette image ne contient aucune information directe sur le sujet en question.

Les individus doivent être particulièrement vigilants face à l'effet de vérité apparente, car il exploite une des faiblesses naturelles de la cognition humaine : la tendance à associer des informations visuellement attrayantes ou familières à des vérités. Ce biais peut avoir des conséquences graves, en particulier lorsqu'il est utilisé pour promouvoir des idées fausses ou des théories du complot. Par conséquent, il est essentiel de développer une forme de scepticisme informé envers les sources d'information et les images qui les accompagnent, en apprenant à distinguer ce qui constitue une preuve solide et ce qui ne fait que renforcer une illusion de vérité.

Comment la psychologie des biais de confirmation et des processus cognitifs façonne notre perception de la vérité et de la désinformation

Les biais cognitifs, tels que les biais de confirmation, jouent un rôle majeur dans la manière dont nous acceptons, partageons et corrigeons l'information. L'une des idées centrales de la recherche contemporaine sur la désinformation est que la manière dont une information est présentée influence considérablement la façon dont nous en évaluons la véracité. Les processus cognitifs sous-jacents à ces décisions, qui sont souvent automatiques et invisibles pour les individus, influencent à la fois l'acceptation des fausses informations et la diffusion de ces dernières. En effet, une information est plus susceptible d'être acceptée lorsqu'elle est cohérente avec nos connaissances préexistantes, qu'elle semble provenir d'une source crédible, ou qu'elle est partagée par des personnes similaires à nous, comme le montrent les travaux de Schwarz et Jalbert (2020). Ces critères ne sont pas seulement fondés sur des informations substantielles, mais aussi sur l'expérience métacognitive de fluidité : l'impression que l'information est facile à traiter. Par exemple, une information qui s'écoule sans difficulté cognitive semble plus crédible, même lorsqu'elle est erronée.

Ce phénomène de fluidité cognitives est d'autant plus important dans le contexte de la désinformation. Des recherches expérimentales ont montré que la facilité avec laquelle nous pouvons traiter un message influe sur notre jugement de sa véracité. L'effet de fluidité peut rendre les fausses informations plus acceptables si elles sont présentées de manière claire, logique et facilement compréhensible. Par ailleurs, l'image, même sans informations supplémentaires probantes, peut avoir un pouvoir de persuasion étonnamment fort. Selon Newman et Zhang (2020), les images influencent nos croyances, et ce pouvoir peut même être exercé par des images qui ne véhiculent aucune information factuelle supplémentaire. Une photo peut ainsi donner une apparence de vérité, renforçant les croyances erronées même sans le soutien de preuves tangibles.

De plus, la manière dont l'information est formulée peut également affecter son impact. Selon Jaffé et Greifeneder (2020), l'utilisation de termes négatifs dans la structure d'une phrase peut augmenter la perception de vérité. La simple présentation d'une idée sous forme négative peut en effet rendre l'information plus crédible aux yeux de ceux qui la reçoivent. Ces résultats mettent en lumière le rôle de la présentation cognitive et de la structuration de l'information dans l'acceptation de fausses croyances.

Les processus de mémoire jouent également un rôle fondamental dans la construction des croyances. Marsh et Stanley (2020) soulignent que la mémoire est un processus dynamique : nos connaissances sont continuellement construites et mises à jour. Cependant, cette mise à jour n'est pas toujours fidèle à la réalité. Des croyances fausses peuvent se propager parce que notre système cognitif est souvent plus enclin à adapter les informations nouvelles pour les faire correspondre à nos schémas existants, plutôt que de les remettre en question. Ce phénomène, bien qu'adaptatif dans certaines situations, rend difficile la correction des croyances erronées.

Un concept intéressant dans la lutte contre la désinformation est celui de l'inoculation psychologique. Inspiré du concept médical de l'inoculation, il s'agit d'exposer les individus à de petites doses de désinformation de manière contrôlée, pour les préparer à mieux résister à de futures manipulations. Van der Linden et Roozenbeek (2020) ont montré que cette approche, par le biais de l'éducation aux médias, peut réduire la vulnérabilité des individus aux fausses informations en les sensibilisant à la manière dont celles-ci se propagent. En préparant les individus à reconnaître les stratégies utilisées par les fausses informations, on augmente leur capacité à résister aux manipulations à grande échelle.

Un autre aspect important de la psychologie de la désinformation concerne la motivation des individus. Oyserman et Dawson (2020) montrent que la manière dont nous percevons et partageons l'information est fortement influencée par notre identité et nos aspirations personnelles. Les croyances ne sont pas seulement le résultat d'une évaluation objective de l'environnement, mais aussi d'une construction subjective fortement marquée par notre vision de nous-mêmes. Les individus tendent à croire, partager et accepter les informations qui renforcent leur image de soi et leurs idéaux.

Les croyances en des théories du complot, par exemple, sont souvent alimentées par des motivations défensives de l'ego. Albarracín (2020) met en évidence que ces croyances peuvent fournir un sentiment de contrôle ou de cohérence dans un monde perçu comme chaotique, et sont parfois renforcées par des biais cognitifs. L'adhésion à des théories du complot peut offrir un refuge psychologique, donnant aux individus un moyen de rationaliser des événements qu'ils jugent autrement incompréhensibles ou menaçants.

Enfin, l'aspect propagandiste des fausses informations ne doit pas être négligé. Axt, Landau et Kay (2020) discutent de la manière dont des figures politiques peuvent exploiter le concept de "presse mensongère" pour discréditer les médias traditionnels. En présentant les médias comme délibérément trompeurs, certains individus avec un besoin élevé de structure peuvent se sentir plus rassurés, car cela crée un monde plus organisé et plus prévisible, même si ce monde est basé sur une illusion de contrôle.

Il est crucial de comprendre que la perception de la vérité n'est pas simplement une question de faits objectifs. Les croyances sont façonnées par des facteurs cognitifs, émotionnels et sociaux complexes. Cela signifie que la correction des fausses informations nécessite non seulement des preuves factuelles solides, mais aussi une approche qui prenne en compte les mécanismes psychologiques profonds qui régissent notre manière de penser et d'agir. L'éducation aux médias, la sensibilisation aux biais cognitifs et l'inoculation psychologique sont des éléments essentiels pour contrer efficacement la désinformation à grande échelle.

Comment l'incertitude nourrit les croyances en les théories du complot ?

L'incertitude résulte d'un écart entre le niveau réel de compréhension d'un événement ou d'un phénomène et le niveau de compréhension désiré (Park, 2010). Cette distinction entre la perception d'un événement comme étant incomplet et le besoin de le comprendre pleinement est cruciale pour appréhender l'impact de l'incertitude sur la formation de croyances, notamment en ce qui concerne les théories du complot. Les travaux de van Prooijen et Jostmann (2013) ont révélé que l'incertitude favorise l'adhésion à des théories complotistes, et ce, sans affecter d'autres types de croyances. Dans leur premier expérience, les participants ont été amenés à éprouver de l'incertitude en écrivant sur une expérience incertaine ou en parlant de la simple observation de la télévision. Par la suite, ils ont lu deux extraits d'articles : l'un décrivait les pratiques des entreprises pétrolières comme étant immorales, tandis que l'autre les qualifiait d'éthiques. Même si aucun élément spécifique de complot n’était présenté, un acteur perçu comme immoral est perçu comme un terreau fertile pour l’émergence d’une théorie du complot. Les résultats ont montré qu'après avoir lu les extraits, les participants étaient plus enclins à imaginer une conspiration, notamment concernant la guerre en Irak, quand ils étaient confrontés à l'idée d'entreprises pétrolières immorales.

Ainsi, dans ce premier test, les personnes ayant vécu un état d'incertitude étaient plus susceptibles d’élaborer des théories complotistes autour d'acteurs jugés immoraux que lorsque ces derniers étaient perçus comme éthiques. Toutefois, lorsque l'incertitude n'était pas induite, aucune différence notable n’était observée entre les conditions éthiques et immorales. Cette dynamique s’est retrouvée dans une seconde expérience, où l'incertitude était liée à la description d'un gouvernement africain, soit comme corrompu, soit comme respectueux de la loi. Après avoir pris connaissance de la situation, les participants ont appris la mort d’un candidat à la présidence dans un accident de voiture. Les résultats ont confirmé l’hypothèse selon laquelle un acteur perçu comme immoral conduit à une plus grande propension à interpréter les événements de manière complotiste.

Des éléments indirects, relatifs à l’ambivalence, viennent également renforcer l’idée selon laquelle l’incertitude stimule les croyances en les théories complotistes. Van Harreveld et ses collègues (2014) ont manipulé l’ambivalence chez des participants en leur demandant de décrire une situation qu’ils percevaient comme ambiguë ou contradictoire. Ils ont ensuite mesuré l’effet de cette ambivalence sur leurs opinions concernant des événements liés à des actions humaines. Les résultats ont montré que l’ambivalence augmentait les affects négatifs, et par conséquent, soutenait l'adhésion aux théories du complot.

L'incertitude, lorsqu'elle est expérimentée, pousse donc les individus à chercher des explications cohérentes et logiques. Les théories complotistes, qui fournissent des récits clairs et simples face à des phénomènes complexes et incertains, sont une réponse spontanée à cette quête de sens. Cependant, la capacité d'une personne à tolérer l'incertitude varie d'un individu à l'autre. Certains sont plus à même de supporter les zones d'ombre, tandis que d’autres, moins tolérants à l'incertitude, chercheront à les combler par des explications souvent conspiratoires. Cette propension à chercher à réduire l'incertitude a été mesurée à travers des échelles telles que l'Intolerance of Uncertainty Scale (Carleton et al., 2007), qui permet de quantifier l'importance que les individus accordent à la certitude. Les personnes ayant un besoin de certitude élevé sont ainsi plus susceptibles de nourrir des croyances complotistes, un phénomène qui a été observé dans les expériences de van Prooijen et Jostmann.

Cependant, malgré l’importance de ce besoin de certitude, les recherches n'ont pas toujours confirmé une relation directe et forte entre la simple tolérance à l'incertitude et les croyances complotistes. Les travaux de Leman et Cinnirella (2013) ont mis en évidence un lien plus complexe, montrant que les individus ayant un besoin de fermeture cognitive élevé étaient plus susceptibles de se tourner vers des explications complotistes lorsqu'ils étaient confrontés à des informations ambiguës. Le besoin de closure cognitive, qui désigne la propension à rechercher une conclusion définitive, interagit avec les prédispositions chroniques à soupçonner des complots. Cela montre qu'une combinaison de facteurs, comme un trait de caractère permanent et une situation d'incertitude, peut favoriser la croyance en une conspiration.

En résumé, l'incertitude crée un terreau fertile pour la formation de théories du complot, mais ce phénomène n'est pas homogène. Il dépend de l'individu et de ses dispositions personnelles à tolérer l'incertitude. Plus une personne a un besoin urgent de clarté, plus elle sera susceptible de se tourner vers des interprétations simplistes et complotistes des événements. Ce processus est d'autant plus marqué lorsque les acteurs en question sont perçus comme immoraux ou corrompus. Cette compréhension souligne l'importance d'adresser non seulement les contenus des théories du complot, mais aussi les mécanismes psychologiques sous-jacents qui poussent certaines personnes à y adhérer.