Dans le contexte actuel de l'économie mondialisée, les tensions entre la logique monétarisée de croissance continue et les impératifs de soin et de préservation de l'environnement se multiplient. La perspective de la décroissance, qui plaide pour un déclin volontaire de la production et de la consommation, propose de repenser cette opposition et d'explorer des solutions pour une réconciliation plus harmonieuse. Loin de se limiter à un simple rejet des dogmes de la croissance, la décroissance offre un cadre critique pour interroger les valeurs dominantes qui régissent nos sociétés.

Les auteurs qui adoptent une perspective de décroissance, comme ceux mentionnés par Dengler et Strunk (2018), soulignent que la manière dont nous concevons l'économie dans nos sociétés modernes repose sur une vision étroite et souvent déconnectée des réalités écologiques et sociales. L'économie dominante, centrée sur la maximisation des profits et la croissance continue, entre souvent en contradiction avec les besoins réels de la planète et des individus. Ce modèle ignore fréquemment les dimensions essentielles du bien-être humain, de la justice sociale et de la durabilité écologique.

Il devient donc nécessaire de redéfinir ce que l’on entend par “prospérité” et “bien-être”. Ces concepts, qui sont traditionnellement mesurés en termes de croissance économique et d'augmentation du revenu national, devraient être réévalués à travers une lentille plus large, prenant en compte les soins, l’éducation, la santé, ainsi que la préservation des écosystèmes. La décroissance propose une reconfiguration des priorités économiques où la valeur de la nature et des services écosystémiques est mise en avant, tout comme celle des activités de soins, souvent sous-évaluées dans le cadre monétariste classique.

À cette fin, il est crucial d'explorer les modalités d'une économie de la suffisance, où la production est orientée vers des besoins véritablement humains et écologiquement soutenables. La question de l'articulation entre économie monétarisée et environnement n'est pas simplement celle de la réduction de l'impact environnemental, mais aussi celle de la redéfinition des objectifs de l’économie elle-même. Comment s’assurer que les besoins sociaux et écologiques soient prioritaires face à une économie qui, par sa logique de marché, tend à les marginaliser ?

Un des défis majeurs qui se pose dans cette approche est de dépasser l’illusion d’une “découplage” entre croissance économique et dégradation de l’environnement, une idée souvent véhiculée par les partisans du développement durable et des politiques environnementales dominantes. Le concept de “découplage” postule qu’il est possible de continuer à croître tout en réduisant l’impact écologique. Cependant, les critiques de cette vision, notamment dans les travaux de chercheurs comme Fletcher et Rammelt (2017), soulignent qu'il est peu probable que cette séparation entre développement économique et dégradation écologique puisse être réalisée à grande échelle. Le décollage des courbes de croissance et de dégradation semble illusoire dans un monde où les structures de consommation et de production restent fondamentalement insoutenables.

La transition vers une économie de décroissance, cependant, n'implique pas un retour à une forme pré-industrielle de société, mais plutôt une transformation radicale des modes de vie et des systèmes de production. Les théories de la décroissance mettent en avant l'importance de la déconnexion entre bien-être et consommation matérielle. Elles soulignent que l'épanouissement humain ne réside pas dans l'accumulation de biens, mais dans l'accès à des relations sociales riches, à une vie de qualité, et à un environnement sain. Cela requiert une refonte des systèmes économiques, politiques et sociaux pour inclure des critères de durabilité, de justice sociale et de respect des écosystèmes dans les décisions économiques.

Dans cette perspective, des initiatives comme les circuits courts, les monnaies locales, les modèles d'économie circulaire, et la valorisation des activités liées aux soins et à l’attention à l’autre, jouent un rôle crucial. Ces approches vont au-delà des simples réformes de gestion des ressources pour interroger profondément le rôle de l’économie dans la vie humaine. L'objectif est de créer des sociétés où les inégalités sont réduites, les activités humaines respectent les limites écologiques de la planète, et où les ressources sont utilisées de manière à favoriser le bien-être collectif plutôt que la maximisation du profit individuel.

Enfin, il est essentiel de comprendre que la décroissance n'est pas seulement une critique de l’économie actuelle, mais aussi une invitation à repenser les valeurs qui sous-tendent nos choix de société. C’est un appel à une réorientation fondamentale de notre rapport au monde, où l’économie devient un outil au service de la vie, et non l’inverse.

Quel rôle l’économie écologique joue-t-elle dans la compréhension de la crise environnementale actuelle ?

L’économie écologique est devenue un domaine central dans le débat sur la crise environnementale, en offrant une perspective critique vis-à-vis des modèles économiques traditionnels qui sous-estiment les limites écologiques de la planète. La réflexion proposée par des chercheurs comme Spash et ses collaborateurs met en lumière l’importance de remettre en question les paradigmes économiques dominants, notamment ceux liés à la croissance illimitée, et de promouvoir une vision alternative, intégrant les enjeux écologiques au cœur de l’analyse économique.

Dans le cadre de l’économie écologique, l’approche conventionnelle, qui mesure la valeur de la nature à travers des indicateurs purement économiques comme le produit intérieur brut (PIB) ou la croissance économique, est rejetée. L’argument est simple mais puissant : ces indicateurs ne tiennent pas compte des coûts environnementaux, des dégradations des écosystèmes et des pertes irréversibles de biodiversité. Ainsi, une nouvelle manière d’envisager la valeur de la nature émerge, non pas comme une ressource à exploiter pour la maximisation du profit, mais comme un bien commun à protéger pour les générations futures.

Le modèle de l’économie écologique propose aussi une critique fondamentale du concept de "révolution passive" qui, selon Spash, caractérise les réformes environnementales contemporaines. Plutôt que de provoquer des changements radicaux dans les pratiques économiques et sociales, ces réformes sont souvent perçues comme des ajustements superficiels, qui ne remettent pas en question les fondements du système capitaliste. La croissance économique continue et l’exploitation des ressources naturelles restent les priorités, tandis que les initiatives pour un développement durable sont reléguées au second plan.

La critique de la "révolution passive" soulève aussi des questions sur l'efficacité des politiques environnementales actuelles. Par exemple, les stratégies de compensation pour les pertes écologiques, telles que la plantation d'arbres pour compenser la déforestation, ou les mécanismes de marché comme les crédits carbone, sont souvent perçues comme des solutions temporaires ou, dans certains cas, comme des distractions qui permettent de maintenir le statu quo plutôt que de conduire à des changements profonds dans nos modes de vie et nos modèles économiques.

Il convient également de souligner l’importance de la question de la justice sociale et de l'équité dans la réflexion économique écologique. Les inégalités dans l'accès aux ressources naturelles, la gestion des biens communs et la répartition des bénéfices issus de la conservation de la biodiversité doivent être prises en compte si l’on veut construire une véritable transition écologique. L’économie écologique plaide pour une prise en charge des "externalités sociales", c’est-à-dire des coûts et des bénéfices non pris en compte par les mécanismes économiques classiques, afin de promouvoir une société plus équitable et durable.

En outre, l’économie écologique questionne la notion même de "croissance" qui, dans le contexte d’une planète finie, semble incompatible avec la préservation de l’environnement. L’illusion de la croissance infinie sur une Terre aux ressources limitées est une idée clé dans les critiques formulées par des penseurs comme Spash et d’autres économistes écologiques. Ce paradigme met en lumière la nécessité de repenser non seulement notre manière de produire et de consommer, mais aussi la manière dont nous concevons le bien-être humain. Le véritable objectif devrait être d’atteindre un état de prospérité durable, dans lequel les sociétés ne sont pas condamnées à courir sans fin après des objectifs économiques illusoires.

Les travaux de Spash et de ses collègues révèlent aussi un point fondamental : l'écologie économique ne se contente pas de pointer les contradictions du système capitaliste. Elle cherche à proposer des alternatives concrètes et réalistes, qui incluent des changements dans la façon dont nous valorisons la nature, dans la conception des politiques environnementales, et dans la façon dont les sociétés modernes devraient fonctionner. Cela passe par des réformes structurelles profondes, qui remettent en cause le fondement même de l’économie de marché et de la finance, tout en ouvrant la voie à des formes nouvelles de gouvernance participative et de justice sociale.

Il est essentiel pour le lecteur de comprendre que l’économie écologique ne se limite pas à une simple critique des modèles économiques actuels, mais qu’elle propose aussi une vision positive et transformative du futur. Une telle approche implique une réconciliation entre l’économie et l’écologie, où la gestion des ressources naturelles est guidée par des principes de respect et de justice, et où les générations futures ont la possibilité de vivre dans un monde où la durabilité est la norme, et non l’exception. Il est crucial de prendre conscience que les changements nécessaires ne seront possibles que si nous redéfinissons ce que signifie "prospérité" dans un contexte de finitude planétaire, et si nous commençons à penser l'économie en termes de long terme et non de rentabilité immédiate.