L'intervention dans les arrangements économiques existants et l'opposition à la politique environnementale, notamment par des économistes influencés par la pensée néolibérale, suscitent des débats constants. Ces derniers, comme Mishan (1971) et Bird (1982), critiquent l'usage des droits individuels pour la gestion de la pollution, affirmant que bien qu'un propriétaire puisse négocier ses droits d'accès à un air pur avec un voisin, ce mécanisme ne peut s'appliquer à une ville ou à une industrie polluante majeure. Une critique importante de ce raisonnement est celle de Coase, défenseur d’une approche basée sur la propriété privée et la réduction des coûts de régulation via des échanges privés. Pourtant, une lecture plus attentive de ses travaux révèle qu’il n’a jamais rejeté complètement l’action gouvernementale en matière de régulation de la pollution, contrairement aux interprétations qui ont fait de lui le père d’une théorie anti-interventionniste.

Le point crucial ici est que, contrairement à l’interprétation orthodoxe, Coase admettait que les interventions publiques pouvaient parfois réduire les coûts de la régulation écologique. Son travail, bien qu’interprété par ses disciples comme une opposition aux régulations gouvernementales, défendait en réalité un équilibre entre marché et intervention publique. Cette tension fondamentale entre l’économisme néoclassique et les critiques institutionnelles permet de comprendre la profondeur de la crise des politiques environnementales.

Les courants de pensée institutionnelle critique, tels que ceux développés par Kapp (1978), remettent en question les théories traditionnelles de l’externalité en matière de pollution. Kapp s'oppose à l'idée que la pollution puisse simplement être perçue comme une externalité économique, soulignant plutôt que des mécanismes de "transfert des coûts" existent, où les pollueurs transfèrent en réalité leurs coûts sociaux aux communautés ou aux écosystèmes environnants. C'est une remise en cause de l’idée que la pollution peut être simplement régulée par des taxes ou des droits de polluer, comme le préconisent certains économistes classiques.

Une analyse approfondie des structures économiques permet également de mieux comprendre la complexité des systèmes de gouvernance des ressources naturelles. Elinor Ostrom, par exemple, a montré que les ressources communes peuvent être efficacement gérées par des communautés locales, contre la théorie de Garrett Hardin, qui postulait que l'exploitation des biens communs conduirait inévitablement à leur destruction. Ostrom a ainsi mis en évidence l'importance des arrangements institutionnels locaux pour la gestion durable des ressources. Elle a également souligné que les préférences des individus sont souvent influencées socialement et non uniquement par un calcul rationnel basé sur des choix individuels et atomisés, ce qui contrastait avec les hypothèses néolibérales classiques.

En fin de compte, la critique institutionnelle des approches dominantes repose sur une vision plus nuancée des préférences humaines et de la rationalité, où ces dernières ne sont pas seulement le produit d’un calcul individuel, mais sont façonnées par les structures sociales et économiques dans lesquelles elles s’inscrivent. Cela mène à une meilleure compréhension des crises écologiques actuelles et des échecs des politiques environnementales, car ces dernières négligent souvent l'influence des institutions sociales dans la formation des comportements et des préférences collectives.

Il est donc essentiel de comprendre que, contrairement à la vision néoclassique où les marchés et les acteurs économiques agissent de manière isolée, les approches institutionnelles critiques insistent sur le rôle central des relations sociales et des arrangements institutionnels dans la détermination des choix économiques et écologiques. Les crises écologiques, loin d’être des accidents du système, sont en réalité le résultat de logiques économiques profondément ancrées dans des structures institutionnelles qui ne tiennent pas compte des externalités sociales et environnementales.

L'Impact de l'Association avec l'Économie Mainstream sur l'Économie Écologique : Une Remise en Question

Dans le domaine de l'économie écologique, la critique des modèles économiques dominants, tels que ceux de l'économie néoclassique, s'avère essentielle pour développer une alternative crédible. Pourtant, une réticence persistante à se distancier des modèles économiques mainstream constitue un frein à l'évolution de l'économie écologique. Il semble que la reconnaissance de cette association comme nuisible à l'objectif de construire un paradigme alternatif n'ait pas encore été pleinement intégrée. De nombreux chercheurs, tout en rejetant l'impérialisme économique, continuent de défendre une ouverture à certains aspects des modèles néoclassiques, qu'ils considèrent comme utiles pour "éclairer certains aspects de la réalité". Cependant, cette position présente des limites évidentes.

Une critique, formulée par Goddard et al. (2019), soutient que les différentes façons de voir parmi les chercheurs sont trop complexes et nuancées pour être enfermées dans des catégories strictes, d'où la nécessité de ne pas rejeter totalement l'économie néoclassique. Ils suggèrent que certains travaux des économistes écologiques qui utilisent des conventions néoclassiques ne devraient pas être exclus de l'économie écologique, citant des auteurs comme Jackson, Victor et même Piketty. Toutefois, une telle ouverture à l’économie dominante semble ignorer les arguments ontologiques fondamentaux qui sous-tendent l'économie écologique et la nécessité de préserver des concepts originaux qui questionnent la logique capitaliste et les marchés.

L’économie néoclassique, par sa nature même, repose sur des hypothèses et des modèles qui sont en opposition directe avec les principes fondamentaux de l’économie écologique. Son intégration dans ce champ d’étude mène à une dilution des idées et à une confusion conceptuelle. L’un des problèmes majeurs réside dans la transposition de concepts écologiques dans des cadres économiques traditionnels, comme la notion de "services écologiques" ou de "capital naturel". En faisant cela, on supprime la signification originelle des critiques écologiques du capitalisme de marché, réduisant ainsi la portée de la réflexion critique.

L'association avec l'économie dominante entraîne aussi une incohérence doctrinale. Par exemple, l'économie écologique a insisté sur l'importance de l'incommensurabilité des valeurs, une position radicalement opposée à l'idée néoclassique de la comparabilité des valeurs, et sur la reconnaissance de valeurs multiples dans la société. En tentant de combiner ces idées, on finit par défendre des positions contradictoires. Cela entraîne une confusion dans les débats sur des sujets essentiels comme la gestion des ressources naturelles, le bien-être intergénérationnel, et les priorités environnementales.

Un autre aspect crucial est l'impérialisme économique, où l'économie écologique est traitée comme un sous-champ de l'économie environnementale dominante. Cela entraîne une marginalisation de l'économie écologique, réduite à une simple "variété" de l'économie néoclassique. En conséquence, cette assimilation affaiblit les concepts de l'économie écologique et les rend moins efficaces pour critiquer le système économique actuel. Cette forme d'impérialisme est également visible dans la classification des disciplines économiques, où l’économie écologique se trouve reléguée en marge, et les tentatives d'intégration avec l'économie dominante entraînent la dilution de ses objectifs fondamentaux.

Enfin, l'impact de cette association sur la direction et le sens des recherches en économie écologique est problématique. Lorsque des institutions et des revues scientifiques, telles que Ecological Economics, continuent d'accepter l'usage des concepts néoclassiques sous prétexte de pluralisme, elles risquent de compromettre la cohérence du champ. L’ambition d’élargir l’horizon de l’économie écologique en intégrant des éléments de l’économie dominante peut apparaître comme une stratégie de marketing ou de différenciation superficielle, mais elle n'offre pas de réelle contribution à l’analyse des problèmes sociaux et écologiques.

L'une des conséquences les plus graves de cette intégration des modèles dominants est le risque de dévalorisation du réalisme social dans l'économie écologique. L'économie néoclassique, par son approche déductive et sa séparation du monde réel, ignore les dynamiques sociales, politiques et éthiques fondamentales qui doivent faire partie de l’analyse des systèmes économiques. Si l’économie écologique souhaite véritablement progresser et éclairer les problèmes sociaux et écologiques actuels, elle doit refuser de s'associer à un cadre théorique qui réduit la société à l'individu, exclut la prise en compte des conflits de valeurs, et rejette toute forme de pouvoir ou de jugement éthique. Ces aspects de la réalité sociale doivent être explicitement intégrés dans l'analyse pour saisir la complexité des systèmes sociaux et écologiques.

L'intégration de modèles néoclassiques dans l'économie écologique n'est donc pas simplement une question de méthodologie ou de diversité d'approches. C'est une question de pertinence ontologique et épistémologique. Le fondement même de l'économie néoclassique repose sur des hypothèses et des modèles qui ne sont tout simplement pas compatibles avec la réalité sociale et écologique. En ce sens, les tentatives de réconciliation entre l'économie écologique et l’économie dominante risquent de nuire aux ambitions de la première en termes de compréhension des véritables enjeux socio-économiques et environnementaux.

L’efficience économique est-elle un objectif légitime ?

L’efficience, dans sa définition néoclassique, vise la maximisation de la production de biens et services à partir d’un volume donné de ressources, tout en évitant le gaspillage. Daly et Farley (2011) l’ont définie comme la quantité physique maximale de production obtenue à partir d’une quantité donnée d’inputs. Cette perspective repose sur un imaginaire d’optimisation technique, dérivé de modèles mathématiques abstraits et d’une ingénierie appliquée à l’économie, détachée de toute réalité sociale ou écologique.

L’efficience allocative, souvent soutenue comme moteur de croissance, repose sur le critère de Pareto : rendre certains individus matériellement meilleurs sans en rendre d’autres pires. Cette proposition, en apparence neutre, justifie en pratique une allocation accrue de ressources vers les déjà riches, au détriment des pauvres, dont les besoins ne sont pas intégrés au calcul. Ce biais n’est pas anodin : Pareto, penseur influent du modèle, fut un sympathisant du fascisme italien, et sa conception de l’efficience sert, même dans sa neutralité revendiquée, des finalités idéologiques profondément inégalitaires.

Pourtant, dans l’économie néoclassique, cette efficience est présentée comme critère objectif et « sans valeur ». Daly et Farley remettent en cause cette centralité. Ils proposent de remplacer la quête de croissance économique par celle d’une « échelle optimale » : un point d’équilibre où les bénéfices marginaux de la croissance égalent ses coûts marginaux en termes de dégradation des fonctions écologiques. Cette approche mène à une économie stationnaire, dans laquelle la croissance du capital est nulle, et où les objectifs premiers deviennent la juste distribution des ressources et une allocation efficiente, dans cet ordre.

Cependant, même cette reformulation retombe dans les pièges de l’approche capitaliste traditionnelle. En cherchant à mesurer l’efficience de production des services (satisfaction, bien-être, qualité de vie) à partir du capital naturel et manufacturé, ils réintroduisent la logique de commensurabilité – c’est-à-dire l’idée que la nature peut être convertie en capital mesurable, échangeable, remplaçable. Or, la nature ne fonctionne pas selon ces principes : les écosystèmes ne sont ni efficients ni optimisateurs. Ils fonctionnent selon des cycles d’abondance et de pénurie, de résilience et de redondance. La nature produit du surplus – des millions de graines, de fruits, de spermatozoïdes – non pas par inefficience, mais comme condition de reproduction et de survie. Elle n’opère pas dans les termes rationalisés de l’économie, mais dans ceux de la complexité et de la contingence.

L’idéal d’un marché efficient est tout aussi illusoire. L’économie capitaliste moderne produit un gaspillage massif : nourriture jetée pour maintenir les prix, obsolescence programmée, modes passagères, technologies toujours allumées. Même lorsqu’elle atteint une certaine efficience technique, la question fondamentale demeure : pour quoi faire ? Une efficience maximale dans la production d’armes ? De voitures pour tourner en rond à grande vitesse ? De moteurs d’avion pour le tourisme de masse ? De lumière allumée jour et nuit sans utilité ? De gadgets électroniques jamais éteints ?

Les contradictions sont nombreuses et révélatrices. L’économie écologique insiste sur les limites physiques des flux de matière et d’énergie, sur l’impossibilité d’une croissance infinie dans un monde fini. L’obsession pour l’augmentation de la consommation – conçue comme une fin en soi – ignore les lois de la thermodynamique, la conservation de la masse, et la dégradation irréversible des écosystèmes. Le tapis roulant psychologique du consumérisme n’offre pas même le bonheur promis. Easterlin a démontré que, si les plus riches sont, à un instant donné, plus heureux que les pauvres, l’augmentation continue des revenus ne génère pas une augmentation durable du bien-être. Les attentes évoluent, la comparaison sociale s’intensifie, et les gains matériels perdent leur valeur émotionnelle.

Dans ce contexte, la consommation cesse d’être un acte neutre. Elle devient un moyen de contrôle social, une réponse aux manipulations des entreprises, et une composante identitaire dans une économie marchande. L’investissement psychologique dans le mode de vie matérialiste, soutenu par la technologie, conduit à une négation de la nature. La technologie ne sert plus les fins humaines, elle devient fin en soi. Elle façonne les désirs, les normes, les structures cognitives. Elle marginalise ce qui échappe à son emprise, éradiquant les entités indépendantes de l’homme.

Ce discours dominant, technocratique, lie la croissance à l’accumulation du capital, qu’il confond avec le développement et, par extension, avec le progrès. Après la Seconde Guerre mondiale, le développement est devenu stratégie globale : une trajectoire unique imposée à tous les pays, souvent par la force. Escobar souligne l’importance de construire des ponts entre les discours de décroissance dans le Nord et les alternatives au développement dans le Sud, tout en respectant leurs spécificités géopolitiques et épistémiques. Malheureusement, nombre d’acteurs tombent dans le piège d’opposer les deux – comme si le Nord devait décroître, tandis que le Sud devait « se développer ».

L’illusion d’une croissance efficiente, universelle et désirable est donc à déconstruire. Non seulement elle masque les inégalités, mais elle ignore les réalités écologiques et psychologiques. Elle perpétue un modèle dépassé, fondé sur la domination technologique, l’abstraction économique et le déni du vivant. Pour penser l’après-croissance, il faut dépasser les cadres orthodoxes, abandonner l’obsession pour l’efficience, et redéfinir les finalités économiques dans le respect des limites naturelles, des équilibres sociaux, et des véritables sources du bien-être humain.

Le rôle de l'État et des technologies dans la société capitaliste contemporaine : Une analyse critique

L’État, au cœur des transformations sociales et économiques modernes, joue un rôle fondamental dans la structure du capitalisme contemporain. Si les crises du capitalisme ont souvent vu des adaptations renforçant la structure même du système économique, le néolibéralisme, tel qu’il est actuellement mis en œuvre, a transformé l’État en un soutien privilégié aux intérêts des entreprises, plutôt qu’aux besoins publics. Cette réorientation s’accompagne d’une rhétorique néolibérale qui minimise l'importance de l’infrastructure planifiée et subventionnée, essentielle à la croissance du capitalisme corporatif.

L'un des aspects les plus marquants de ce phénomène est la manière dont l'État soutient activement les avancées technologiques. Dans des domaines tels que le transport, l’aérospatiale et les télécommunications, l’État a été un moteur central du progrès. L’infrastructure militaire, par exemple, a permis des avancées majeures comme la technologie des fusées, l’infrastructure des satellites militaires et les systèmes de ciblage par GPS, aujourd'hui omniprésents dans les véhicules et les téléphones mobiles, facilitant une surveillance et un contrôle globaux. La militarisation et la sécurisation de la société semblent dès lors être intégrées dans son tissu même.

Ces technologies, loin d’être neutres, ont des impacts sociaux profonds et modifient de manière imprévisible les attentes et comportements humains. L’État, avec le soutien des grandes entreprises, a un intérêt manifeste à promouvoir ces technologies comme étant intrinsèquement bénéfiques, tout en minimisant ou en supprimant la recherche sur leurs conséquences négatives. Des domaines comme la biotechnologie, la nanotechnologie, ou encore les champs électromagnétiques sont souvent sous-financés, voire occultés, malgré leurs effets potentiellement dévastateurs sur la santé et l’environnement.

La crise du COVID-19 a illustré de manière frappante ce phénomène : les grandes entreprises technologiques ont saisi l’opportunité de promouvoir des solutions telles que la surveillance accrue, l’enseignement à distance, la télémédecine, les villes intelligentes, le commerce sans argent, les véhicules autonomes et la connectivité 5G. Ces innovations sont en réalité perçues comme des remèdes à la stagnation économique et écologique, prétendant offrir des solutions miracles aux crises énergétiques et environnementales. Cependant, elles occultent souvent les réalités sociales et écologiques complexes, tout en continuant de promouvoir une vision utopique d’un avenir guidé par la technologie.

Il est intéressant de noter la manière dont ces technologies, malgré leurs conséquences profondes sur les relations sociales, sont acceptées sans grande résistance. En contraste frappant avec l’intervention directe des États dans la planification sociale, l'influence des entreprises, à travers la publicité et le marketing, est généralement perçue comme légitime. La manipulation des comportements par les entreprises, en particulier via les réseaux sociaux, transforme les interactions humaines. Des normes de consommation sont imposées, la langue est modifiée par le biais de la « marque », et les jeunes générations sont dès leur plus jeune âge conditionnées à défendre le consumérisme. Ce processus s’étend même à la définition de l’amitié et de la position sociale, réinventées par les technologies de l’Internet et des téléphones mobiles.

Le rôle de l’État, dans ce contexte, est de maintenir une croissance économique continue, promouvant l’idée que l’innovation technologique est la clé pour résoudre la crise environnementale et sociale. Dans ce cadre, l'argument du « développement » par la création de nouveaux emplois reste central. Cependant, une interrogation essentielle demeure : quel type de travail l’État promeut-il et dans quel but ? Le travail, désormais réduit à une activité dont la seule finalité est la production de richesse, devient une marchandise en soi. Selon la théorie néoclassique, le travail est perçu comme une activité pénible, réalisée uniquement pour obtenir des revenus nécessaires à la consommation.

Le travail, selon des économistes comme Polanyi, devient une « marchandise fictive » qui se transforme en un moyen au service du système économique. Avant l’avènement du capitalisme industriel, les sociétés étaient organisées de manière à unifier les activités de production et de reproduction. La séparation entre le travail productif (rémunéré) et reproductif (non rémunéré), bien que perçue comme naturelle aujourd'hui, est en réalité un produit de la révolution industrielle. Cette dichotomie, qui relègue souvent les femmes à des rôles domestiques non rémunérés, a été institutionnalisée dans la structure capitaliste, et une analyse féministe de cette évolution révèle l’impact profond du capitalisme sur les rôles de genre et les inégalités sociales.

Dans cette dynamique, il est crucial de comprendre que la définition du travail et de son rôle dans la société n’est pas uniquement une question d’économie, mais aussi de structure sociale et politique. Le travail, devenu une marchandise, est désormais un instrument d’assujettissement et de contrôle social. Pourtant, malgré la promesse d’un progrès économique, le modèle capitaliste continue de s’auto-renouveler sans remettre en question les fondements qui le rendent destructeur tant sur le plan social qu’environnemental. Le véritable défi réside dans la manière de redéfinir ce que l’on entend par « progrès » et comment réorienter les priorités vers une économie durable et réellement bénéfique pour les populations.

La Soutenabilité Intergénérationnelle et la Transformation Sociale-Ecologique

Les systèmes économiques, dans leur structure actuelle, ont des répercussions notables sur les générations futures, tant en ce qui concerne la disponibilité des ressources que les dégâts environnementaux et la satisfaction de leurs besoins fondamentaux. Les économistes, lorsqu'ils abordent les questions intergénérationnelles, se limitent souvent à une analyse de l'équité, réduisant les problèmes à une simple distribution des revenus entre générations. Cela présuppose une vision des générations comme des individus distincts et séparés, chacun avec sa propre fonction d'utilité. Cependant, une telle approche masque la complexité des enjeux éthiques intergénérationnels et néglige l’importance d’une perspective plus large sur la durabilité.

Le débat sur la soutenabilité intergénérationnelle s’articule autour de la question de savoir dans quelle mesure les ressources essentielles peuvent être remplacées par des avancées technologiques, et si les dégâts environnementaux peuvent être compensés par la croissance économique. Il a été ainsi avancé que maintenir un niveau de revenu de base, mesuré par le PIB, pourrait justifier des dommages causés à l'environnement. Cette approche, cependant, omet une distinction cruciale : la compensation des dommages ne relève pas simplement de la croissance économique, mais d’un problème éthique autonome. Dans cette vision dominante, les enjeux intergénérationnels sont réduits aux paradigmes économiques de croissance et de détermination des prix de marché, où la consommation accrue (croissance) est perçue comme une compensation pour les générations futures.

Les défis écologiques, comme ceux liés au changement climatique, sont souvent abordés dans cette optique, où la question de l’éthique est reléguée au second plan. Une telle approche, dominée par les paradigmes économiques traditionnels, exclut une réflexion plus profonde sur les valeurs humaines, éthiques et écologiques. Pour véritablement transformer les relations sociales et écologiques, il est essentiel de s’affranchir de ces modèles dominants et d’examiner les systèmes méta-éthiques alternatifs, comme ceux basés sur les droits, la déontologie ou l’éthique des vertus.

Un autre aspect clé dans l’analyse des sociétés humaines est le flux matériel et énergétique à travers l'économie, un domaine central dans le cadre de la notion de « métabolisme social ». Ce concept, profondément lié aux fondements de l’économie écologique et aux limites biophysiques, doit interroger la société sur ce qu’elle produit, pour qui et dans quel but. Aujourd’hui, la production est marquée par des inégalités profondes, qu’il s’agisse de la distribution des ressources, de la richesse ou du pouvoir. Il devient impératif de remettre en question la promesse utopique de la croissance infinie, qui suppose que tous les humains peuvent vivre à un niveau matériel comparable à celui de l’Américain moyen, sans tenir compte des limites écologiques.

La réalité biophysique des systèmes écologiques exige également une prise en compte des changements temporels dans les écosystèmes. La position dominante de l'économie mainstream, qui ignore l’importance de ces écosystèmes ou prétend que les changements peuvent être mesurés uniquement en termes de bien-être humain (monétarisé), relève de l’ignorance stratégique. Il est impossible de capturer la complexité et les nuances des écosystèmes par des valeurs monétaires simplifiées. Cela devient encore plus évident dans le cas des compensations pour la biodiversité, où l’on suppose que la destruction d’un écosystème à un endroit et à un moment donnés peut être compensée par sa recréation ailleurs, une hypothèse qui néglige le contexte, les valeurs esthétiques et la signification locale.

Un autre facteur essentiel à prendre en compte est la croissance démographique. Bien qu’elle soit souvent vue comme une cause principale de dégradation environnementale, l’approche doit être nuancée : ce n’est pas seulement le nombre de personnes qui est problématique, mais le mode de consommation des ressources. Un Américain, consommant dix fois plus qu’un Bangladais, représente une pression beaucoup plus forte sur les ressources mondiales. La solution ne réside pas dans le contrôle démographique imposé, souvent critiqué pour ses connotations racistes et patriarcales, mais dans une réflexion sur la consommation des ressources et les mécanismes sociaux et économiques qui permettent d’atteindre un équilibre écologique.

Il est donc crucial de repenser la reproduction et les rapports sociaux à travers une perspective plus large. Selon l’écoféminisme, la reproduction ne doit pas être traitée isolément, mais dans le cadre d’une division du travail genrée et de relations sociales profondément influencées par des idéologies patriarcales et capitalistes. Cette perspective appelle à une révision complète des relations sociales et économiques, afin d’assurer un rapport équilibré entre la population humaine et l’environnement, sans recourir à des interventions coercitives.

À l’avenir, une transformation sociale-écologique nécessitera de repenser le travail. L’idée de « post-travail » propose de retirer le travail de son rôle central dans la vie des sociétés industrialisées. Cependant, cette approche ne doit pas simplement viser à réduire le temps de travail ou à partager les emplois, mais à repenser complètement la signification du travail dans un contexte non capitaliste. L’idée de repenser le travail doit se faire dans le cadre de nouvelles relations sociales, écologiques et économiques, au-delà d’un capitalisme réformé, pour véritablement transformer les sociétés.