Les débats sur l'immigration aux États-Unis ont souvent été marqués par une tension entre différentes visions du pays et de son avenir. D'une part, des figures comme Ronald Reagan ont salué les immigrants pour leur éthique de travail, tandis que l'aile républicaine menée par George H.W. Bush et Jim Baker cherchait à attirer les hispaniques, les percevant comme réceptifs à une plateforme centrée sur les "valeurs familiales". D'autre part, une fraction plus conservatrice, partisans d'une politique d'anglophonie exclusive, d'opposition à l'action positive et fondamentalistes religieux, voyait les latinos comme des éléments menaçant l'identité "américaine". Cette fracture idéologique au sein du Parti républicain se manifesta particulièrement dans les années 1990, lorsque la question de l'immigration et du libre-échange divisa les conservateurs.

Le candidat républicain Pat Buchanan, lors de la présidentielle de 1992, s’opposa vigoureusement à une immigration qui, selon lui, "diluait" l’héritage européen des États-Unis. Il suggéra même de renforcer la frontière américano-mexicaine, une position qui révéla la méfiance croissante envers les hispaniques au sein du Parti républicain. En les qualifiant de "nation anti-américaine", Buchanan exprima son désaveu face à la tentation du Parti républicain d'attirer les latinos, les accusant de faire des concessions au nom du succès électoral au détriment des principes conservateurs.

Toutefois, cette division interne au sein des républicains fut partiellement maîtrisée pendant les mandats de George W. Bush. Après l'élection de Barack Obama en 2008, un événement qui vit Mitt Romney perdre malgré un soutien écrasant des électeurs blancs, la direction du Parti républicain choisit d'engager une campagne pour recruter les hispaniques conservateurs. Cependant, l'arrivée de Donald Trump bouleversa cette stratégie. Trump se distingua en s’adressant aux républicains qui ne souhaitaient pas voir leur parti se transformer, ceux qui préféraient entendre qu’un mur à la frontière mexicaine pouvait être construit pour ramener le pays "comme avant".

La combinaison du populisme économique et de la polarisation raciale que Trump incarna fut largement perçue comme une démarche vouée à l’échec démographique. Pourtant, elle lui permit de capter les voix des électeurs blancs du Midwest, longtemps négligés lors des élections précédentes. La vision de Trump d’un pays envahi par des criminels mexicains et des membres du gang MS-13 devint un ressort puissant pour sa démagogie. Dans ce contexte, l’utilisation de boucs émissaires raciaux n’était pas réservée à une minorité particulière, mais se propagea à travers les partis politiques, tout particulièrement si cette stratégie se révélait porteuse de succès électoral.

Un exemple marquant de cette dynamique se produisit en Californie au début des années 1990. Alors que le sentiment anti-mexicain se renforçait, notamment avec des initiatives comme la campagne "Light Up the Border" à San Diego en 1989, une crise économique menaçait l’État. Le chômage frôlait les 10 %, et des groupes citoyens s’élevaient contre les "embauches de rue" tout en pressant les autorités d'intensifier les raids de l'INS. Lors d'un sondage en 1992, trois Californiens sur quatre estimaient que l’État comptait trop d’immigrants et que ces derniers constituaient un fardeau financier. Le gouverneur sortant, Pete Wilson, en difficulté pour sa réélection en 1994, saisit cette question à son avantage. Ancien maire de San Diego et jusque-là perçu comme un républicain modéré, il exploitait désormais les préoccupations économiques pour accuser les immigrants d’être responsables des difficultés budgétaires et des problèmes dans les écoles, hôpitaux et services publics. L'initiative Proposition 187, visant à priver les immigrés illégaux de l’accès aux soins de santé et à l’éducation, facilita sa réélection.

Le climat de méfiance vis-à-vis des immigrants ne se limita pas à un seul camp politique. Dans cette même période, les démocrates, comme la sénatrice Barbara Boxer, appelaient à déployer la Garde nationale le long de la frontière, alors que des figures républicaines et démocrates se livraient à une compétition sur la fermeture des frontières. La question de l’immigration devint un enjeu central de la politique de 1994, et cette rhétorique alarmiste anti-immigrés s’ancrera profondément dans le discours politique américain.

Le parallélisme entre la Californie des années 1990 et la campagne de Trump est frappant. De la même manière que Pete Wilson avait exploité les inquiétudes concernant les immigrés, Trump, avec l’aide des médias de droite et l’essor de Fox News, intensifia la peur des menaces extérieures. Après les attentats du 11 septembre et la "guerre contre le terrorisme", le sentiment de vulnérabilité nationale se renforça, et Trump en profita pour se positionner comme un sauveur, élevant la construction du mur à un symbole de sécurité et de renouveau.

Le slogan de Trump, "Make America Great Again", reposait sur deux postulats fondamentaux : l’économie du pays était en déclin et les contrôles à la frontière étaient trop laxistes. Le message qu’il véhiculait — un pays en déclin, où l’immigration, en particulier en provenance du Mexique, représentait une menace — résonnait profondément avec une certaine partie de l’électorat. Le lien qu’il faisait entre déclin national et immigration, tout en dénigrant les politiques économiques précédentes, s’appuyait sur une vision du pays en crise, non seulement sur le plan économique, mais aussi culturel et racial. Bien que les idées de Trump ne fussent pas nouvelles, elles s’inscrivaient dans une longue tradition de "déclinisme", notamment défendu par des historiens comme Paul Kennedy, qui dans ses ouvrages analysait les effets de l’immigration et de la perte de l’identité culturelle américaine sur l’équilibre politique et économique du pays.

L’histoire de la montée en puissance des nationalismes et des politiques d’immigration restrictives aux États-Unis n'est donc pas seulement une question de politique économique, mais aussi un reflet des tensions culturelles, sociales et raciales qui traversent la nation. Les divisions observées au sein du Parti républicain et la manière dont des figures comme Trump ont su exploiter ces fractures rappellent qu’une politique migratoire se construit sur un équilibre délicat entre le nationalisme, l’économie et la question de l’identité nationale.

Comment l'identité raciale et l'immigration façonnent la réponse politique des Latinos face à la rhétorique de Trump

L'identité sociale est un facteur déterminant pour comprendre la réaction des Latinos à la rhétorique de Donald Trump pendant la campagne présidentielle de 2016. Les recherches menées par Garcia-Rios, Pedraza et Wilcox-Archuleta (2018) montrent que les identités sociales les plus saillantes sont plus facilement politisées par le biais d'une rhétorique hostile. Ces chercheurs expliquent que les Mexicains-Américains ayant une forte identification à leur groupe n'ont pas de lien particulier avec Trump, contrairement à ceux qui se reconnaissent davantage dans leur identité raciale. Ainsi, au lieu de réagir en tant que Mexicains-Américains ou Cubains-Américains, de nombreux Latinos ont perçu les attaques de Trump comme une agression raciale, se définissant comme des Latinos/Hispaniques au-delà de leurs origines nationales spécifiques.

Lors du lancement de sa candidature, Trump a commencé par une attaque xenophobe contre les immigrants mexicains et ceux franchissant la frontière sud des États-Unis, provoquant une réaction colossale au sein de toute la communauté latine du pays. Une telle attaque n'a pas seulement affecté les Mexicains-Américains, mais a rallié un plus large groupe de Latinos, qui, au-delà de leur nationalité, ont vu leur identité latine comme menacée par le discours du candidat républicain. Cette réaction peut être comprise à travers le concept d'identité panethnique racialisée, qui prend de l'ampleur lorsqu'une menace raciale commune émerge. Dans ce contexte, une identité racialisée, fondée sur la couleur de la peau, la langue et la culture, devient un moteur de réaction face aux attaques politiques.

Le rejet de Trump par une grande partie de la communauté latine, en particulier ceux qui ont développé une conscience de leur identité racialisée et de leur "destin lié à l'immigration", était prévisible. L'attaque contre les immigrants s'est en effet concentrée sur un aspect central de leur histoire et de leur vécu : l'immigration. Cette question est d'une importance cruciale pour les Latinos, car une proportion significative d'entre eux connaît directement des personnes sans papiers (67 % des électeurs latinos enregistrés connaissent personnellement quelqu'un en situation irrégulière). De plus, une proportion importante des Latinos nés à l'étranger, notamment ceux originaires d'autres pays d'Amérique latine, se sentent également concernés par les attaques anti-immigrés, même si leur groupe ethnique spécifique n'était pas directement visé. Cette solidarité à travers une identité panethnique racialisée se renforce lorsque les Latinos de toutes origines nationales se sentent unis dans une cause commune face à la politique anti-immigrants de Trump.

L'étude des sentiments de discrimination racialisée et du "destin lié à l'immigration" (concept introduit par les chercheurs pour décrire la perception que ce qui arrive aux immigrants affecte directement leur propre destin) révèle que ces facteurs ont renforcé l'opposition à Trump, notamment chez ceux qui ont vécu la politique anti-immigrants comme une menace existentielle. En outre, une telle opposition ne se limite pas à une simple désapprobation ; elle se manifeste également par un engagement politique plus marqué. La colère suscitée par cette rhétorique racialisée a joué un rôle déterminant dans la mobilisation électorale des Latinos, qui ont vu dans la campagne de Trump non seulement une attaque contre les immigrés, mais aussi un rejet de leur place dans la société américaine.

Les émotions liées à la colère et à la peur sont des moteurs de la participation politique. Des recherches antérieures ont montré que la colère, en particulier lorsqu'elle est dirigée contre une injustice perçue, tend à augmenter l'engagement politique, notamment à travers des formes de mobilisation telles que les manifestations, le vote et les campagnes de sensibilisation. Dans le cas des Latinos, cette colère a été exacerbée par les attaques de Trump contre l'immigration et les Latinos en général, incitant une partie significative de cette communauté à s'engager politiquement. Cette mobilisation ne s'est pas limitée à un groupe particulier de Latinos, mais a été ressentie à travers toutes les générations et les groupes d'origine nationale, du Mexique à d'autres pays d'Amérique latine.

Les recherches sur la rhétorique de Trump et la réaction des Latinos montrent que cette dynamique ne se réduit pas à un simple effet de groupe menacé. Au contraire, elle s'étend à la façon dont les Latinos s'identifient à une cause plus large, celle de la défense des droits des immigrants et de la reconnaissance de leur place dans le tissu social américain.

Il est important de comprendre que cette réponse à la rhétorique de Trump n'est pas isolée ; elle s'inscrit dans une longue histoire de lutte des Latinos contre les politiques anti-immigrants, qui remontent à des événements précédents, comme les propositions de loi anti-immigration en Californie dans les années 1990 ou la loi Sensenbrenner en 2005. Ces événements ont déjà mobilisé les Latinos dans des protestations de masse, mais l'impact de la campagne présidentielle de 2016 a été plus large, en partie parce que Trump a réussi à lier la question de l'immigration à une rhétorique raciale violente, amplifiant ainsi l'anxiété et la colère dans la communauté latine.

Enfin, cette analyse démontre que la politique d'immigration et la manière dont elle est perçue par les Latinos ne concernent pas uniquement les Mexicains-Américains ou les immigrés de première génération. Elle touche tous les Latinos, quel que soit leur pays d'origine, et fait appel à un sens de solidarité raciale et politique qui transcende les frontières nationales et générationnelles.

Quel rôle joue la migration dans la dynamique agricole et économique entre les États-Unis et le Mexique ?

La migration entre le Mexique et les États-Unis a été historiquement un facteur déterminant dans la dynamique agricole et économique des deux nations. L'une des principales raisons réside dans les structures économiques divergentes qui caractérisent ces deux pays, notamment dans le secteur agricole. Alors que les États-Unis sont des producteurs majeurs de denrées agricoles de haute qualité, le Mexique, avec une main-d'œuvre abondante et moins coûteuse, constitue un partenaire essentiel dans la chaîne de production alimentaire, notamment par l'exportation de fruits, légumes et autres produits agricoles.

Cependant, la migration ne concerne pas uniquement la fourniture de main-d'œuvre agricole. Elle reflète également des enjeux politiques et économiques plus larges. En effet, des accords comme l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), qui a été en vigueur de 1994 à 2020, ont joué un rôle majeur dans l'accélération des flux migratoires. Le libre-échange a facilité les échanges de produits agricoles, mais il a aussi rendu plus difficile la concurrence pour les agriculteurs mexicains face à la production massive américaine subventionnée. Ainsi, une partie de la population rurale mexicaine, privée de moyens de subsistance stables, a cherché à migrer vers les États-Unis, en quête de meilleures opportunités économiques.

Parallèlement, l’augmentation de la militarisation de la frontière entre les deux pays a modifié les conditions de migration. Le renforcement des contrôles frontaliers, en particulier après les attentats du 11 septembre 2001, a créé un contexte de plus grande répression, rendant les trajets des migrants plus dangereux et coûteux. Le recours à des « coyotes », ces passeurs de clandestins, a engendré des réseaux mafieux et augmenté le risque de mort lors des traversées. Ce phénomène a eu des répercussions profondes sur les communautés mexicaines, qui ont vu leurs membres migrer dans des conditions de plus en plus précaires, tout en alimentant des débats sociaux et politiques sur la question de l'immigration clandestine.

La migration agricole mexicaine, en particulier, a été marquée par des programmes comme le Bracero, qui, entre 1942 et 1964, permettait aux travailleurs mexicains de venir aux États-Unis sous des conditions contractuelles précaires. Ces travailleurs étaient principalement utilisés dans des secteurs agricoles, mais aussi dans les industries de la construction et d’autres secteurs où une main-d'œuvre bon marché était recherchée. Aujourd’hui encore, cette dynamique est visible à travers les travailleurs temporaires saisonniers dans les champs américains, qui continuent de constituer une grande partie de la main-d'œuvre agricole, malgré les tentatives de réduction de l’immigration.

Derrière cette réalité économique, les questions politiques jouent également un rôle central. L’évolution des politiques migratoires américaines, comme les réformes récentes liées à la Loi sur la santé abordable (ACA) ou les débats autour de la Proposition 209 en Californie, montrent que la migration est perçue non seulement comme une question de main-d'œuvre, mais aussi comme un enjeu identitaire et social. Les tensions entre les populations locales et les migrants, exacerbées par les discours populistes, ont amplifié la polarisation de la société américaine sur cette question.

Il est aussi important de noter l'impact de ces flux migratoires sur les secteurs économiques des deux côtés de la frontière. La migration ne se limite pas aux seuls travailleurs agricoles; elle touche également des secteurs comme l’automobile, l’industrie de la transformation alimentaire, et le secteur des services. Les chaînes de production et de valeur, telles que celles créées par des entreprises comme Automex, sont un exemple de l'interconnexion croissante entre les économies mexicaine et américaine, en particulier après l'ALENA. De nombreuses entreprises américaines ont externalisé une partie de leur production vers le Mexique, où les coûts de main-d'œuvre sont plus faibles, renforçant ainsi le rôle du pays en tant que fournisseur de composants et de produits agricoles.

La question de l’agriculture elle-même est également d'une importance capitale dans ce contexte. La production agricole aux États-Unis repose en grande partie sur les travailleurs migrants mexicains, et sans cette main-d'œuvre, il serait difficile de soutenir les rendements agricoles actuels. Dans le même temps, la dépendance des États-Unis vis-à-vis des importations agricoles mexicaines a rendu les relations économiques entre les deux pays encore plus cruciales. En cas de perturbations des flux migratoires ou des politiques commerciales restrictives, les économies des deux pays risquent de souffrir.

Le phénomène de la migration agricole entre les États-Unis et le Mexique, donc, est loin d’être une question uniquement sociale ou politique. Il est profondément lié à des dynamiques économiques complexes, où les changements dans l'un des secteurs – qu'il s'agisse de l’agriculture, du commerce ou de la migration – peuvent avoir des répercussions sur l’ensemble du système. La mondialisation, les accords commerciaux et les politiques migratoires sont autant de facteurs qui influencent cette interaction.

De plus, il est essentiel de comprendre que la migration agricole, bien qu'indissociable de la demande en main-d'œuvre et des conditions économiques, est aussi liée à un certain nombre de défis humains et sociaux. L’intégration des migrants dans la société américaine, les tensions autour de la légalité de leur statut et les discussions sur leurs droits et leur protection sociale sont des questions qui continuent de diviser les opinions. Les politiques d'immigration, les droits des travailleurs et les systèmes de soutien aux communautés migrantes, comme le Programme DACA ou les débats sur l’amnistie, font partie de cette conversation essentielle sur l'avenir de ces flux migratoires.