L’histoire de l’écriture en Inde offre une perspective fascinante sur la transition des sociétés tribales vers des états plus organisés. Les premières traces de l’écriture Tamil-Brahmi découvertes à Anuradhapura, au Sri Lanka, remontent au IVe siècle av. J.-C. selon la datation au radiocarbone (Coningham et al., 1996). Ces découvertes sont venues compléter les recherches archéologiques dans le Tamil Nadu, notamment à Porunthal, Kodumanal et Keezhadi, qui ont révélé des éléments suggérant une utilisation précoce de l’écriture Tamil-Brahmi en Inde du Sud (Rajan et al., 2021). Bien que les datations et les preuves provenant de ces sites soient encore sujettes à des débats, elles s’accordent généralement avec les dates d’Anuradhapura et suggèrent l’existence d’une forme d’écriture dans le sud de l’Inde avant la période Maurya. Ces découvertes remettent en question certaines de nos hypothèses sur la transition vers les périodes historiques en Inde.

Tandis que dans le nord de l’Inde, la transition vers l’histoire ancienne est généralement datée du VIe siècle av. J.-C., dans le sud de l’Inde, cette évolution semble s’être produite un peu plus tard. Cependant, à l’est du sous-continent, notamment dans le nord-est, cette transition a eu lieu bien plus tard, aux alentours du IVe siècle de notre ère (Sarma et Hazarika, 2014). Cela souligne la nécessité de concevoir l’histoire de l’Inde comme un patchwork complexe de cultures, chacune ayant sa propre chronologie et trajectoire.

Il est fréquent que les discussions sur l’histoire ancienne de l’Inde se fondent sur un schéma évolutionniste, envisageant un passage de la tribu à l’État territorial. Les termes « tribu » et « État » sont pourtant difficilement définissables sur le plan universel. Dans ce contexte, « tribu » fait référence, de manière simplifiée, à des formations politiques non monarchiques, ayant une hiérarchie sociale et politique plus souple. L’évolution des tribus vers des royaumes est un aspect de cette transition, mais il est tout aussi possible que cette relation se soit inscrite dans une dynamique de coexistence et de conflit. Certains chefs tribaux ont réussi à établir des royaumes en contrôlant suffisamment de ressources, tandis que d’autres ont résisté à la tentative d’appropriation par les rois des territoires forestiers, riches en ressources diverses, notamment en éléphants, qui jouaient un rôle clé dans les armées antiques de l’Inde.

L’émergence des états agraires, des villes et de l’écriture représente sans doute des progrès majeurs, mais il ne faut pas oublier ceux qui vivaient en marge de ces évolutions, souvent en dehors de l’influence directe de ces nouveaux pouvoirs. Les sociétés fondées sur la chasse, la cueillette et le pastoralisme n’ont pas disparu avec l’essor de l’agriculture. Les villes étaient constituées de multiples villages, et longtemps après la formation des premiers royaumes, les tribus forestières ont continué à jouer un rôle essentiel dans le paysage politique. L’absence de sources claires sur ces groupes a rendu difficile la compréhension de leur place dans l’histoire, mais leur présence ne doit pas être négligée dans les reconstitutions historiques.

Si des preuves plus solides ou un argument convaincant de datation plus récente pour des événements ou des personnages comme le Bouddha venaient à être apportées, il serait nécessaire de réajuster les chronologies des textes et des événements associés à cette époque. En attendant, c. 480 av. J.-C. peut rester une date valide pour la parinirvâna du Bouddha.

Les sources historiques pour la période entre 600 et 200 av. J.-C. sont particulièrement riches, offrant la possibilité de comparer des témoignages provenant de diverses sources textuelles. Cependant, ces dates font encore l’objet de débats et influencent directement les reconstitutions historiques qui en découlent. Le canon pali, souvent cité comme source majeure, est loin d’être homogène. Les quatre premiers livres du Sutta Pitaka et l’ensemble du Vinaya Pitaka sont généralement considérés comme ayant été rédigés entre le Ve et le IIIe siècle av. J.-C., mais leur contenu varie largement en fonction des contextes géographiques et sociaux de leur composition. Il convient également de noter que les Jatakas, inclus dans le Khuddaka Nikaya, sont souvent utilisés de manière indiscriminée pour dater des événements de la période Maurya et post-Maurya, alors qu’en réalité, ces textes ont été rédigés principalement entre le IIIe siècle av. J.-C. et le IIe siècle de notre ère.

Le canon pali, tel qu’il est parvenu jusqu’à nous, a été mis par écrit lors du règne de Vattagamini, au Ier siècle av. J.-C., après avoir été transmis oralement. L’histoire complexe de la composition du Tipitaka est un point essentiel à garder à l’esprit, car elle reflète les rivalités entre les différents monastères sri-lankais, notamment les écoles de Mahavihara et Abhayagiri. Cette compétition a conduit à la rédaction du canon comme un moyen de légitimer la position des moines du Mahavihara face à leurs rivaux.

En dehors des sources religieuses, l’œuvre de Panini, en particulier son Ashtadhyayi, reste l’une des plus remarquables réalisations intellectuelles de cette époque. Sa grammaire sanskrite, rédigée au Ve ou IVe siècle av. J.-C., résume les règles de la langue sanskrite en 3 996 aphorismes. L’importance de cette œuvre réside non seulement dans sa précision linguistique mais aussi dans sa capacité à marquer la transition du sanskrit védique au sanskrit classique, consolidant ainsi une norme linguistique qui allait influencer des générations de grammairiens et de poètes. Peu d’informations sont disponibles sur la vie de Panini, mais son influence intellectuelle a perduré, comme en témoignent ses successeurs tels que Katyayana et Patanjali, qui lui rendent hommage dans leurs propres écrits.

L’étude des sources religieuses et littéraires de l’Inde antique, tout en fournissant une riche perspective sur cette époque, nécessite une compréhension fine des contextes géographiques, sociaux et historiques dans lesquels ces textes ont été produits. La diversité des traditions, qu'elles soient brahmaniques, bouddhistes ou jaïnes, reflète les multiples facettes d'une Inde ancienne en pleine mutation.

Les Réunions et Activités Sociales dans l’Inde Ancienne : Un Aperçu des Pratiques Culturelles et Économiques

Les pratiques sociales et récréatives dans l’Inde ancienne, telles que décrites dans le Kamasutra, révèlent une riche variété d’interactions humaines qui s’articulaient autour du plaisir, de la culture et des rapports sociaux. Au cœur de ces activités se trouvent des rencontres comme les salons, ou "goshthi", qui réunissaient des individus de statut similaire, partageant des intérêts intellectuels, sociaux ou économiques communs. Ces rencontres se tenaient dans des lieux comme la maison d’une courtisane, un lieu public ou le domicile d’un particulier, et avaient pour but d’encourager des échanges intellectuels autour de la poésie, des arts et de la littérature.

Les participants aux goshthis se retrouvaient souvent pour discuter de divers sujets, y compris des œuvres littéraires et des performances artistiques. Au centre de ces discussions se trouvait une forme de socialisation où la courtoisie et la réciprocité étaient essentielles. Les femmes, en particulier les courtisanes, y jouaient un rôle crucial. Non seulement elles étaient les hôtes de ces réunions, mais elles animaient également les conversations, souvent en évoquant des femmes illustres ou en évoquant des thèmes liés aux relations amoureuses. En parallèle, des banquets et des festins étaient organisés, où les hommes et les femmes se livraient à la consommation de boissons alcoolisées – le vin, principalement fait de miel, de raisin, de sucre ou de fruits – accompagné de mets salés, amers et épicés, enrichissant ainsi l'expérience sociale de chaque participant.

Les pique-niques en étaient une autre forme d'événement social. À l’aube, des hommes vêtus avec soin, accompagnés de serviteurs et de courtisanes, se rendaient à ces rassemblements extérieurs. Là, ils s’adonnaient à des jeux de société, des combats de coqs, des spectacles théâtraux, et prenaient part à des paris. L’après-midi, ils retournaient chez eux en emportant des souvenirs de cette journée de loisirs. Ces événements étaient l’occasion de renforcer les liens sociaux tout en mettant en valeur la prospérité et la convivialité de la société de l’époque. En été, les gens se rassemblaient également autour de compétitions aquatiques, organisées dans des piscines spécialement construites pour éviter l’intrusion de crocodiles.

Les objets retrouvés dans les fouilles archéologiques, comme ceux de Purana Qila à Delhi, permettent d’imaginer un quotidien lié à ces pratiques sociales. Parmi les vestiges découverts, on trouve des structures de briques réutilisées, de la poterie décorée, des sceaux et des figurines en terre cuite qui témoignent des rituels et des usages de cette époque. Les sceaux, portant des inscriptions en brahmi et faisant référence à des divinités ou à des personnalités importantes, font allusion à l’administration et aux échanges commerciaux prospères.

Les découvertes archéologiques dans des sites comme Basarh, ancien Vaishali, apportent des informations cruciales sur la vie sociale et économique de l’époque Gupta. Des milliers de sceaux et de cachets ont été retrouvés, indiquant l’importance de ce centre commercial et administratif. Les inscriptions mentionnaient des guildes de marchands et d’artisans, renforçant l’idée d’une économie florissante et d’une société structurée autour de diverses catégories professionnelles. Les sceaux découverts dans ce contexte suggèrent une organisation sociale complexe, où les marchands, les banquiers et les artisans jouaient un rôle central dans la vie économique.

Les fouilles menées à Vaishali révèlent également des structures de briques et des terracotta de l’époque Gupta, témoignant d’un développement architectural et d’une urbanisation croissante. Les traces de ces bâtisses, bien que construites avec des matériaux réutilisés, indiquent un développement continu de la ville à travers différentes phases, depuis le Ve siècle jusqu’à l’époque post-gupta.

Il est important de noter que, bien que les sources archéologiques soient limitées, elles permettent d’esquisser un portrait d’une société où les échanges commerciaux, la culture et les loisirs étaient intimement liés. Ce lien entre les activités récréatives, les pratiques sociales et la prospérité économique montre une société sophistiquée, où l’interaction sociale et culturelle était essentielle pour maintenir un équilibre entre les différents groupes.

Les activités sociales comme les pique-niques, les salons et les festins n’étaient pas seulement des occasions de divertissement, mais aussi des moments cruciaux pour renforcer les liens sociaux et politiques. Les hommes influents de l’époque, ainsi que les marchands et les artisans, utilisaient ces moments pour discuter des affaires de la ville, renforcer leurs alliances et échanger des biens. Ces rencontres étaient également des occasions de montrer sa richesse et son statut au sein de la communauté.

Comment la monnaie indienne a évolué au fil des siècles : Une analyse des pièces anciennes

Les fouilles archéologiques sur certains sites historiques anciens montrent que les différentes formes de monnaie en Inde ont coexisté pendant des périodes significatives de l’histoire. Les premières pièces indiennes incluent les pièces frappées sans inscription, principalement en cuivre, mais parfois aussi en argent. Ces symboles, certains similaires à ceux des pièces à estampillage, étaient frappés sur des flans de monnaie à l’aide de matrices métalliques finement gravées. La frappe de telles pièces aurait débuté autour du IVe siècle avant notre ère, et ces monnaies ont été retrouvées en grand nombre dans des sites comme Taxila et Ujjain.

Une étape importante dans l’histoire de la numismatique indienne est marquée par les pièces frappées des Indo-Grecs, du IIe/Ier siècle avant notre ère. Ces pièces sont très bien exécutées, généralement rondes (quelques-unes étant carrées ou rectangulaires) et principalement en argent, bien que certaines soient en cuivre, alliage de cuivre et d’argent (billon), en nickel ou en plomb. Elles portent le nom et le portrait du souverain émetteur sur l’avers. Les pièces de Menandre et Strato Ier montrent des représentations évolutives des rois, allant de jeunes hommes à des figures plus âgées, ce qui témoigne de leurs longs règnes. Les pièces émises conjointement par les rois reflètent aussi la pratique du gouvernement conjoint. Le revers de ces monnaies comporte habituellement des symboles religieux.

Les Indo-Grecs ont émis des pièces bilingues et biconiques, l’inscription grecque figurant sur l’avers et la langue prakrit sur le revers, généralement écrite en écriture kharoshthi (rarement en brahmi). Ces pièces comportent aussi des symboles appelés monogrammes, dont la signification exacte demeure incertaine. Les pièces des Shakas, des Indo-Parthes et des Kshatrapas suivent les principales caractéristiques de la numismatique indo-grecque et comprennent des émissions bilingues et biconiques. Les Kushanas (Ier-IVe siècles après J.-C.) furent la première dynastie du sous-continent à frapper des pièces d’or en grande quantité, tandis que les pièces en argent demeuraient relativement rares. Les Kushanas ont aussi émis de nombreuses pièces en cuivre de faible valeur, signe de la diffusion croissante de l’économie monétaire.

Les pièces des Kushanas présentent le nom, le titre et la figure du roi sur l’avers, tandis que le revers représente des divinités appartenant à des panthéons grec, iranien, indien et autres. Les légendes sont généralement rédigées en grec, mais, à partir du règne de Kanishka, la langue bactrienne, écrite en alphabet grec, a été utilisée sur les pièces. Ce processus d’émission de pièces en divers métaux et avec des inscriptions multiples montre une ouverture culturelle et une interaction à travers les différentes régions du sous-continent et au-delà.

À partir du IIIe siècle avant J.-C., les monnaies dites indigènes, tribales ou locales sont devenues une source importante d’information historique sur les dynasties du nord et du centre de l’Inde. Ces pièces, principalement en cuivre ou en bronze, mais aussi parfois en argent ou en plomb, comprennent des émissions des chefs, des rois, et des états non monarchiques comme les Arjunayanas, les Uddehikas, les Malavas, et les Yaudheyas. Certaines pièces sont marquées du nom de villes telles que Tripuri, Ujjayini, Kaushambi, Vidisha, Airikina, Mahishmati, Madhyamika, Varanasi et Taxila, suggérant qu’elles ont été émises par les administrations de ces cités. D’autres pièces portant l’inscription « negama » semblent représenter des monnaies émises par des guildes de marchands.

Dans le Deccan, les pièces des Satavahanas ont succédé à celles des époques antérieures. Les rois de cette dynastie ont également frappé des pièces de faible valeur en plomb et en potin. La majorité des pièces Satavahana étaient frappées, bien qu’il existe également quelques pièces coulées, voire une combinaison des deux techniques. Les légendes étaient généralement en prakrit et en écriture brahmi, bien que certaines pièces de portrait, principalement en argent mais aussi en plomb, utilisent une langue dravidienne (identifiable comme le tamoul) et l’écriture brahmi.

À l’ouest du Deccan, il y eut une demande accrue de monnaie en argent, probablement en raison des raisons commerciales. Le roi Nahapana des Shakas Kshatarapas introduisit une monnaie d’argent dans la région de Nashik. Tout comme les Satavahanas, les Kshatrapas émirent des pièces bilingues. De grandes quantités de pièces d’or romaines affluèrent en Inde au début de notre ère, et il est probable qu’elles aient été utilisées comme moyen de transaction pour des échanges de grande ampleur ou comme réserves de capital. Des imitations locales de ces pièces d’or romaines ont également été retrouvées. Ainsi, au cours des premiers siècles de notre ère dans le Deccan occidental, on observe une cohabitation de pièces Satavahana, Kshatrapa, à estampillage et romaines.

En ce qui concerne le Sud de l'Inde, plusieurs pièces frappées ont été identifiées comme des émissions dynastiques sur la base de leurs symboles. Par exemple, des pièces retrouvées dans un trésor à Bodinaikkanur près de Madurai portaient le symbole du poisson en double, représentant les rois Pandya. Ces dernières années, il a été possible de confirmer l’émission de pièces des dynasties Chola, Chera et Pandya. Certaines pièces, portant l’inscription « Valuti », sont attribuées aux Pandya. Des pièces d’argent représentant un roi Chera et portant l’inscription « Makkotai » ont été retrouvées dans le lit de la rivière Krishna près de Karur.

Les rois Gupta, dans la période impériale, ont frappé des pièces d’or bien exécutées, appelées dinaras, avec des légendes métriques en sanskrit. L’avers montre le roi régnant dans diverses postures, souvent martiales, mais il existe aussi des pièces de Samudragupta et de Kumaragupta Ier le représentant jouant de la vina (instrument à cordes). Le revers des pièces Gupta comporte des symboles religieux, indiquant les affiliations religieuses des souverains. En revanche, la pureté métallique des pièces d’or a diminué vers la fin du règne de Skandagupta. Les Gupta ont aussi émis des pièces en argent, mais les pièces en cuivre sont rares.

La numismatique du début de la période médiévale a fait l’objet de nombreux débats. Certains historiens, qui considèrent cette période comme marquée par un ordre féodal, parlent d’un déclin des monnaies parallèlement à une baisse du commerce et des centres urbains, suivie d’une reprise au XIe siècle. Cette hypothèse mérite d’être interrogée. Si une diminution de la qualité esthétique des pièces, ainsi que de leur nombre et de leur message, semble évidente, il ne semble pas y avoir eu de réduction du volume des pièces en circulation. Ainsi, les premières dynasties médiévales ont frappé des pièces en alliages de métaux de base. Des séries de billon ont circulé dans le royaume des Gurjara-Pratihara, tandis que d’autres types de pièces ont été utilisées en Rajputana et au Gujarat. Dans le Cachemire, les pièces en cuivre ont été complétées par des billets d’échange (hundikas) évalués en fonction des pièces ou des céréales.