Lors de l’élection de 2012, Barack Obama a pris une position stratégique vis-à-vis de l’immigration qui contrastait avec celle de ses adversaires. Cette position était particulièrement influencée par la nécessité d’attirer un large électorat latino. À l’époque, l’immigration était devenue un sujet brûlant suite à la controverse entre le gouverneur de l’Arizona, Jan Brewer, et le président Obama concernant la loi "Support Our Law Enforcement and Safe Neighborhoods Act" (Arizona SB 1070). Cette loi, qui obligeait les immigrés à porter des documents d'enregistrement et permettait aux forces de l'ordre de vérifier leur statut migratoire lors d'arrêts légaux, avait provoqué une large mobilisation contre elle, notamment au sein des communautés latinos.

Obama, quant à lui, avait soutenu le "Development, Relief, and Education for Alien Minors" (DREAM Act), un projet de loi qui visait à créer un chemin vers la citoyenneté pour les mineurs sans-papiers. Bien que le DREAM Act n’ait pas été adopté, il bénéficiait en 2012 d’un large soutien au sein de l’électorat latino. Ce soutien pouvait bien sûr avoir joué un rôle dans l’élection de certains états clés comme le Nevada, où l’immigration était l’un des enjeux majeurs pour cette communauté. Cependant, Obama se retrouvait face à un dilemme : il devait plaire à un électorat latino qui rejetait la loi SB 1070 tout en conservant l’appui d’une majorité d'Américains blancs, qui soutenaient de telles mesures restrictives.

Ainsi, la rhétorique d’Obama autour de l’immigration, tout en étant clairement dirigée vers la mobilisation de sa base électorale latino, ne devait pas se montrer trop extrême pour ne pas aliéner l’électorat plus large. Cette approche pragmatique se retrouvait dans sa manière de présenter le sujet de l’immigration comme une question de sécurité nationale. Lors des débats, notamment à Hempstead, New York, il soulignait l'augmentation des effectifs de la "Border Patrol", et rappelait que l’on avait réduit "le flux de travailleurs sans papiers" à son plus bas niveau depuis quarante ans. De plus, Obama faisait clairement une distinction entre les immigrés sans papiers qu'il voulait laisser entrer – ceux qui sont "moraux et travailleurs" – et ceux qu’il souhaitait exclure, à savoir les criminels et les membres de gangs.

Dans ses échanges avec Mitt Romney, Obama soulignait le danger de lois comme celle de l’Arizona qui autorisaient les forces de l’ordre à interroger toute personne jugée "suspecte" sur son statut migratoire, ce qui risquait d'affecter aussi bien des citoyens que des immigrés légaux. Cette distinction était essentielle pour désamorcer les tensions et rappeler que l’immigration, pour lui, était avant tout une question de valeurs et de contribution à la société américaine, plus que d’une simple affaire de contrôle des frontières.

Au fil de sa campagne, Obama ajusta son discours en fonction de son public. Lors de certains rassemblements plus conservateurs ou moins progressistes, il évitait de mentionner directement la loi SB 1070, en insistant plutôt sur le besoin de réformer un système d'immigration "cassé". Il évoquait aussi des immigrants "extraordinaires", dont la contribution à l’économie des États-Unis serait cruciale pour maintenir le pays compétitif sur le plan mondial. Dans d'autres discours, adressés à des foules plus progressistes, Obama présentait l’immigration sous un angle de justice sociale et de promotion des talents, se démarquant ainsi de la rhétorique de répression prônée par certains de ses opposants.

Cependant, ce qui est souvent négligé dans ce discours, c’est la manière dont il reproduit certaines narratives raciales. En évoquant des immigrants "dévoués au travail" ou des "criminels", Obama se trouvait, malgré lui, à renforcer une division implicite entre les "bons" et les "mauvais" immigrés, une distinction qui a toujours nourri le discours politique autour de l’immigration. Ce type de rhétorique s’inscrit dans une longue tradition américaine où l’immigration est perçue à travers une lentille racialiste, où certains groupes d'immigrés, notamment les Latinos, sont vus à travers des stéréotypes socio-économiques ou criminels.

Le discours d’Obama sur l’immigration, bien qu’en apparence progressiste, n’échappait pas à ces pièges. En rappelant sans cesse que l’Amérique est une "nation de lois et une nation d’immigrants", Obama se référait à un idéal d’intégration et d’opportunités pour tous, mais dans un cadre où l’immigration était toujours perçue comme un enjeu sécuritaire. À plusieurs reprises, Obama réitérait que les États-Unis devaient "sécuriser leurs frontières" tout en offrant des opportunités à ceux qui "travaillent dur". Cette dualité dans son discours reflétait à la fois un appel aux valeurs de l’Amérique, mais aussi une continuation des lignes de fracture idéologiques et raciales.

L’une des idées fortes qu’Obama défendait était celle du "bargain", cet accord implicite selon lequel ceux qui travaillent dur peuvent réussir, peu importe leur origine ou leur statut. Cette idée d’un retour à un passé idéalisé, où tout le monde pouvait réussir grâce à son travail, servait à apaiser les tensions autour des questions raciales et économiques, tout en réaffirmant une certaine vision du rêve américain. Cependant, cette vision pouvait aussi effacer les réalités historiques de discrimination et d’inégalités raciales dans le pays.

Les discours d’Obama rappelaient donc un idéal, mais un idéal qui n’avait jamais été pleinement réalisé pour tous, en particulier pour les communautés afro-américaines et latinas. En tentant de concilier un message progressiste avec un appel au respect des "lois" et à la sécurité nationale, Obama naviguait dans un terrain complexe où chaque mot, chaque position risquait d’être interprété de manière différente selon l’audience à laquelle il s’adressait.

L'Amérique Unifiée: L'impact du discours présidentiel sur les identités raciales et les inégalités

Peut-on envisager une Amérique unifiée si le langage utilisé pour soutenir cette idée repose sur le ressentiment d’un groupe envers un autre ? Cette question résume l'essence des dynamiques raciales qui traversent les discours présidentiels américains depuis plusieurs décennies. Cette réflexion s'ancre dans l’évolution du langage politique autour de la race, depuis la campagne présidentielle de Lyndon B. Johnson en 1964 jusqu'aux années plus récentes. Au fil du temps, des tendances récurrentes se dessinent : l'exploitation des ressentiments raciaux blancs, la définition fluctuante de l'identité américaine, l'hésitation à aborder les questions raciales, et enfin, les ajustements nécessaires face à un pays de plus en plus diversifié.

Les années 1970 et 1980 marquent une période clé où les présidents républicains, notamment, ont su utiliser des techniques de rhétorique pour séduire un électorat blanc, notamment dans les banlieues et le Midwest. Cette rhétorique, qui fait appel aux peurs et aux préjugés raciaux, a contribué à forger un récit de l'identité américaine qui associait la valeur du travail acharné à des images de la famille idéale, tout en excluant implicitement les communautés racisées. L’idée que certains citoyens étaient plus « méritants » que d'autres, souvent en raison de leur appartenance ethnique ou de leur origine sociale, se nourrissait des stéréotypes raciaux qui persistaient dans la société. Ce discours a été particulièrement apparent dans les politiques liées à la pauvreté et à l'éducation, où des termes comme « ville intérieure » ou « urbanisation » ont été utilisés pour désigner des populations majoritairement noires et latinos. À travers cette rhétorique, les inégalités raciales étaient, de manière implicite, perpétuées.

De nos jours, bien que l'approche présidentielle ait évolué, il persiste une difficulté à aborder frontalement les inégalités raciales, particulièrement lors des campagnes électorales. Les présidents, qu'ils soient républicains ou démocrates, hésitent souvent à aborder des sujets aussi sensibles, craignant de polariser davantage le pays. Pourtant, cette hésitation ne signifie pas qu'ils se détournent des questions raciales. Au contraire, leurs discours restent empreints de notions de l’identité américaine qui, bien que subtiles, continuent de renforcer des idéologies raciales implicites. Par exemple, les discours de George W. Bush et de Barack Obama, malgré leurs différences politiques, ont tous deux utilisé des représentations racialisées de l'immigration, renforçant l'idée que l’Amérique est une nation blanche, tout en reconnaissant la diversité sans véritablement l'intégrer dans un projet politique inclusif.

L'une des questions qui émerge des discours présidentiels, notamment ceux de la fin du XXe et du début du XXIe siècle, est celle de la manière dont ces récits sur l'identité américaine interagissent avec les valeurs fondamentales de la nation. Les républicains ont longtemps exploité l'idée de l'Amérique comme une nation de travailleur, de famille et de mérite, des valeurs qui, à leur tour, ont été instrumentalisées pour justifier des politiques d'exclusion. Mais qu’en est-il de la manière dont les démocrates abordent ces questions ? Les partis politiques, en particulier les démocrates, ont parfois été accusés de ne pas avoir su créer un discours cohérent basé sur des principes solides, contrairement à leurs adversaires républicains. En revanche, certains comme Bill Clinton ont intégré cette rhétorique pour rapprocher les démocrates de la majorité blanche, en particulier en adaptant leur discours sur la criminalité, l'éducation et les réformes du bien-être social. Le prix de cette stratégie a été la dilution de certains idéaux progressistes au profit d'une politique de compromis qui n’a pas toujours servi les intérêts des groupes raciaux historiquement marginalisés.

Ce processus de réappropriation du discours républicain par les démocrates a eu deux conséquences principales. D'abord, il a permis au Parti démocrate de retrouver le pouvoir exécutif en plaçant un démocrate à la Maison Blanche. Ensuite, il a permis de maintenir des constructions discursives sur l’identité américaine qui, malgré tout, restaient marquées par les schémas raciaux hérités du passé. Le choix d'embrasser cette rhétorique, même partiellement, a entraîné des compromis sur la question des inégalités raciales, qui restent structurellement ancrées dans la société américaine.

Il devient donc évident que, bien que les présidents utilisent leurs discours pour gagner des élections, l’impact de ces discours sur la société et sur les politiques raciales ne peut être réduit à une simple stratégie électorale. Ces discours façonnent l’opinion publique et contribuent à la définition de ce que l’on entend par « identité américaine ». Ils influencent non seulement la perception que les Américains ont de leur pays, mais aussi la manière dont ils voient les autres groupes raciaux et ethniques. Il est ainsi crucial de comprendre que la rhétorique présidentielle n’est pas seulement un outil de manipulation électorale, mais qu’elle participe activement à la construction d’une vision collective qui continue d’influencer les relations raciales aux États-Unis.

La tension entre l’aspiration à une Amérique unifiée et l’utilisation persistante de récits racialisés dans les discours politiques met en lumière un dilemme majeur : comment dépasser ces constructions identitaires qui reposent sur la division et le ressentiment pour créer un véritable projet inclusif et juste ? La clé de cette transition réside peut-être dans la réappropriation des valeurs fondamentales de l’Amérique, non plus comme une justification d’exclusion, mais comme un socle pour des politiques plus équitables qui confrontent directement les inégalités raciales.

Quel rôle un président peut-il jouer dans la promotion de l'égalité raciale aux États-Unis ?

Nous restons confrontés à une énigme. Une grande partie de la rhétorique utilisée par les présidents pour s’adresser à une large coalition d’électeurs repose sur des concepts qui étaient autrefois associés à des campagnes exploitant les ressentiments des électeurs blancs. Le soutien de ces électeurs reste indispensable, ce qui rend les présidents réticents à changer radicalement leur approche. En d'autres termes, si les présidents ne veulent pas modifier leur position sur des sujets qui risqueraient d'aliéner ce soutien blanc, quel rôle peuvent-ils alors jouer dans la promotion de l’égalité raciale, compte tenu des contraintes inhérentes à la présidence ?

Malheureusement, il ne semble pas y avoir de réponse claire à cette question. Les alignements politiques actuels suggèrent que les évolutions du discours racial devront venir de la gauche. Les questions à se poser sont donc les suivantes : Les démocrates vont-ils mettre à jour leur style rhétorique pour s’adresser à une coalition d’électeurs plus diversifiée ? Les républicains continueront-ils à orienter leurs discours uniquement vers les blancs ? Essayeront-ils d'élargir leur appel aux Latinos, comme l’a fait George W. Bush en 2004 ? Ou poursuivront-ils sur la voie tracée par Donald Trump lors de l’élection de 2016 ? Nombre de ces réponses dépendront de l’évolution des catégories raciales et ethniques.

La rhétorique que j’ai analysée dans cet ouvrage montre un schéma constant. Les présidents utilisent une structure rhétorique pour s’adresser aux électeurs blancs et ethniques. Bien que les notions de « blancheur » changent au fil du temps, et que les administrations récentes utilisent cette même rhétorique pour toucher des groupes de plus en plus diversifiés, il reste un danger à façonner cette rhétorique de manière à nourrir des politiques de ressentiment, ce qui va au-delà de l’ignorance des inégalités raciales. Les présidents ne peuvent pas simplement offrir à leurs auditoires une version de l’identité américaine qui se dissocie de la rhétorique racialement codée attachée à cette identité par les présidents du passé. Bien que nous ne puissions peut-être jamais répondre entièrement à la question de savoir si le choix des mots d’un président détermine le résultat d’une élection, il est évident que les concepts fondamentaux des discours présidentiels ont été façonnés par ces stratégies, influençant ainsi la manière dont les présidents définissent la race au niveau le plus fondamental.

Tant que la race continuera à être au cœur de la discussion nationale à travers des problématiques telles que la réforme de la justice pénale, les inégalités structurelles et les relations entre les communautés et la police, il demeure une question sur la manière, ou si même ces problèmes seront véritablement abordés. Les futurs présidents devront trouver une manière de présenter ces concepts pour séduire une large coalition d’électeurs. Ils devront soit intégrer ces narratifs dans la rhétorique préexistante sur les valeurs américaines, qui trouve ses racines dans les messages racialement codés du passé, soit reconfigurer les notions d’identité américaine pour les rendre cohérentes avec leurs objectifs.

Même les orateurs les plus talentueux semblent confinés par l’histoire et le développement de la rhétorique présidentielle. Mais ce sont précisément des rhétoriciens capables qui sont nécessaires pour reconfigurer ces structures discursives et continuer à déloger les concepts racialement codés de l’identité américaine. Ce n’est qu’alors que la conceptualisation de l’identité américaine par les présidents sera véritablement en phase avec la phrase utilisée par Nixon et Clinton : Une Amérique unie.

Les discours des présidents des États-Unis, en particulier lors des années de réélection, ont toujours cherché à mobiliser un soutien électoral large, en particulier auprès de l'électorat blanc. Cette dynamique, alimentée par la nécessité de maintenir un soutien d’un groupe démographique clé, limite souvent les possibilités d’évolution dans les discours politiques. La stratégie de Clinton et de Nixon, en particulier, a construit une identité américaine où les questions raciales étaient souvent minimisées ou intégrées dans des discours rhétoriques qui ne bousculaient guère les codes hérités du passé. Cependant, un changement démographique, comme celui observé avec l'élection de Barack Obama en 2008, pourrait voir un réajustement nécessaire de ces stratégies pour inclure une plus grande diversité ethnique et raciale dans les préoccupations politiques nationales.

Ce que nous devons comprendre, c’est que la rhétorique raciale des présidents ne se limite pas à des gestes symboliques ou à des déclarations de principe. Elle s’infiltre profondément dans les structures de pouvoir, influençant la manière dont les citoyens perçoivent

Comment les trolls et les symboles numériques ont façonné la rhétorique de Trump : Une stratégie de déni plausible

La rhétorique raciste de Trump, qu’il s’agisse de ses déclarations ou de son usage stratégique des médias, a sans doute renforcé la méfiance envers les institutions traditionnelles et exacerbé l’incapacité de ces dernières à comprendre les subtilités de ses propos. Bien que ce genre de tactiques ne soit pas complètement inédit—Nixon ayant déjà recouru à une approche similaire en rejetant le busing de déségrégation—Trump a ajouté une dimension nouvelle à cette stratégie, celle du “trolling”. Ce phénomène, comme l’explique Nate Silver, consiste à semer la discorde de manière délibérée dans le but de provoquer des réponses émotionnelles. En se livrant à ce type de manipulation, Trump a activé un processus où ses partisans, loin de percevoir ses propos comme des appels racistes, les comprenaient comme des plaisanteries, ou mieux encore, comme des provocations destinées à déranger un système politique qu’ils jugeaient corrompu.

Les adeptes de Trump n’étaient pas simplement réceptifs à ses propos ; ils étaient, en quelque sorte, complices d’un jeu de rôles dans lequel les accusations portées par les médias et les institutions n’avaient plus aucun poids. En effet, ces accusations, souvent jugées injustes ou exagérées, se heurtaient à une réalité plus complexe : les cibles de Trump se retrouvaient, sans s’en rendre compte, dans le rôle des victimes d’un “troll”, ce qui servait à renforcer son image de héros contestataire. Ce phénomène rappelle un autre aspect fondamental de la stratégie de Trump : la déconstruction des normes politiques traditionnelles, y compris la perception de la “political correctness” ou de la manière dont certains symboles sont interprétés dans la sphère publique.

L’un des symboles les plus emblématiques qui est devenu un point de friction durant la campagne de 2016 fut l’image de Pepe la grenouille. Bien qu’à l’origine, cette image ne portait aucune signification politique, elle a été détournée par des groupes d’internautes, principalement sur des plateformes comme 4chan, pour devenir un symbole associé à l’alt-right, ce groupe d’extrême droite qui a largement soutenu Trump. Les utilisateurs de ces forums ont exploité l’image de Pepe pour véhiculer un message politiquement incorrect, mais également pour tester les réactions des médias et des électeurs. Cette utilisation du mème a, en quelque sorte, permis à Trump et à ses soutiens de provoquer une réaction disproportionnée de la part de ses détracteurs, ce qui ne faisait que renforcer l’image d’une gauche excessivement sensible et politiquement correcte.

Derrière ce phénomène de “trolling” se cache une communauté de soutien organisée et très présente sur Internet, composée de personnes qui, souvent de manière anonyme, utilisent des symboles et des signaux de langage incompréhensibles pour le grand public. Cette communauté n’est pas homogène, et bien qu’elle soit en grande partie associée à l’alt-right, il convient de noter que certains de ses membres n’adoptent pas des positions racistes strictes mais préfèrent se divertir de la confusion qu’ils génèrent. Le cas de Pepe la grenouille en est un exemple frappant : tandis que certains voyaient dans ce symbole un signe évident de suprématie blanche, d’autres se limitaient à l’utiliser comme une simple blague.

Les commentaires des partisans de Trump, comme ceux de son fils Donald Trump Jr., qui a partagé une image de bonbons Skittles en suggérant qu’un petit nombre de réfugiés syriens pourraient être dangereux, ont aussi alimenté cette dynamique de trolling. Ces déclarations, tout en étant particulièrement controversées, ont créé une distraction bénéfique pour Trump, détournant l’attention des questions politiques substantielles et alimentant le cycle médiatique. Plus important encore, elles ont renforcé la posture de Trump vis-à-vis des médias, qu’il accusait de biais et de fake news.

Dans cette logique, Trump se permettait de flouter la frontière entre ses propos sincères et ses provocations. Cela lui offrait la possibilité d’exercer un déni plausible : une déclaration raciste pouvait toujours être rejetée comme une simple blague, un malentendu ou un jeu de mots mal interprété. L’un des objectifs principaux de cette stratégie consistait à désarmer toute critique en minimisant la portée de ses propos et en exploitant l’inefficacité de la presse à saisir l’humour ou la satire derrière les attaques. En ce sens, il est évident que cette tactique ne se contentait pas de choquer, mais visait surtout à inverser les rôles dans le débat public.

Ce phénomène de “trolling” ne se limite cependant pas à Trump et ses partisans. Il s’inscrit dans une dynamique plus large de contestation et de remise en cause des normes sociales et politiques traditionnelles. Dans un monde où les frontières entre le sérieux et le satirique sont de plus en plus floues, il devient difficile de distinguer ce qui relève de la conviction réelle et ce qui relève du simple jeu de pouvoir ou de manipulation. Les partisans de Trump, qui avaient largement adopté cette stratégie de provocation, ont ainsi alimenté une forme de contre-culture qui s’est nourrie des défaillances du système médiatique, se construisant en opposition à la bien-pensance et à ce qu’ils percevaient comme une élite déconnectée de la réalité.

Ainsi, au-delà des apparentes provocations de Trump, cette stratégie s’appuie sur un jeu d’opposition constante aux règles établies, où chaque écart par rapport aux conventions sociales devient un moyen d'affirmer une forme de rébellion. Le fait que ces positions extrêmes puissent être interprétées comme des trolls ou des blagues dissimule en réalité un changement profond dans la manière dont la politique moderne est conduite et perçue par certains segments de la population.