La théologie de la libération ne peut se concevoir sans un lien direct avec la justice sociale et l’écologie humaine. Selon McFague, cette théologie doit être une théologie d’intérêt commun, et cela se manifeste dans la manière dont l’Église aborde la souffrance dans le monde, en particulier la douleur des opprimés. Là où la souffrance est la plus grande, les croyants doivent chercher à comprendre comment la réduire, au lieu de contribuer aveuglément à son augmentation. Ce n’est pas une utopie fondée sur des idées laïques, mais une vision du monde ancrée dans le rêve biblique de l'Alliance avec Dieu, tel qu’il est exprimé dans les événements du désert et dans la vie du Christ. Un évangile social, pour McFague, doit être contestataire, subversif, et même insurrectionnel face aux systèmes injustes qui règnent sur les sociétés modernes.
Un des grands défis, surtout dans le contexte américain, est la manière dont le capitalisme de marché libre est perçu comme une structure naturelle, quasiment éternelle, qui ne suscite pas de remise en question profonde. Dans les cercles chrétiens traditionnels, le marché libre bénéficie souvent d’une absence totale de critique morale. Bien que les chrétiens aient tendance à se confesser pour leurs péchés personnels, la participation à un système économique impitoyable reste rarement une source de culpabilité. Pourtant, la foi chrétienne devrait interroger les valeurs fondamentales qui sous-tendent ces structures économiques et leur impact sur la société, en particulier sur les plus vulnérables.
La question qui se pose alors est celle de l'économie divine. Si nous vivons pour rendre gloire à Dieu, il semble que cette gloire ne soit pas uniquement dans des actes de dévotion personnelle, mais dans une manière de vivre qui honore toute la création. En ce sens, la vision chrétienne ne se limite pas à une éthique de cœur, mais s'étend à une transformation de la manière dont les humains interagissent les uns avec les autres dans un cadre communautaire et économique.
Les racines de cette vision sociale trouvent un écho dans la Torah, avec des commandements comme celui du sabbat. Le sabbat, au-delà d’être un simple jour de repos, devient un acte sacré qui invite à interrompre l’exploitation et à réorienter l'économie de la consommation vers celle de la communauté. Ce jour devient une rupture avec la logique de la productivité incessante, et un appel à la réparation du monde, un espace où la justice sociale est incarnée de manière pratique. C’est à travers ces pauses dans l'activité économique que l'ordre social et spirituel de Dieu est réaffirmé. Ce temps devient une forme d'art sacré, un modèle de vie commune qui résiste à l’individualisme et au consumérisme.
De plus, le Deutéronome introduit l'idée d’une première sécurité sociale dans l'histoire, un système de justice économique fondé sur la solidarité, où la libération de l'esclavage économique est mise en œuvre à travers des pratiques comme l’annulation des dettes tous les sept ans et l'interdiction de l'intérêt sur les prêts faits aux pauvres. C’est un modèle radical de redistribution, où l'économie est constamment régulée par des principes éthiques, ne devant jamais devenir un système autonome en dehors de l'autorité divine. Dans cette vision, l'économie ne peut être comprise indépendamment de ses implications sociales et humaines.
Cela nous invite à réfléchir à ce que signifie véritablement une "économie divine". Ce n’est pas simplement un principe abstrait, mais un ensemble de pratiques qui redéfinissent la relation entre les êtres humains et leurs ressources. De cette manière, il devient évident que la justice sociale n’est pas une question périphérique dans la foi chrétienne, mais son fondement même. Les récits bibliques, notamment dans l’Ancien Testament, sont remplis d’enseignements sur la façon dont les ressources doivent être utilisées pour le bien-être de la communauté. La "trinité" des veuves, des orphelins et des étrangers est un point central de l’éthique sociale de la Bible, et elle doit être constamment rappelée dans les discussions sur la justice sociale.
Le débat contemporain autour du capitalisme et du marxisme se concentre souvent sur la lutte entre l’individualisme économique et l’idéalisme social. Mais où se trouve la véritable alternative chrétienne, celle d’un évangile social qui conteste les systèmes de domination tout en construisant une économie fondée sur la justice, la dignité humaine et la solidarité ? Les Églises, au lieu de rester indifférentes à ces débats, devraient revendiquer un rôle actif dans la reconfiguration de l’économie moderne, en en faisant un moyen de répondre aux besoins fondamentaux de tous, sans exploiter les plus vulnérables. Ce n’est pas une théocratie qu’il s’agit de construire, mais une société dans laquelle l’amour et la justice sociale sont au cœur de chaque système économique, là où les valeurs chrétiennes redéfinissent les priorités collectives.
Il devient ainsi de plus en plus nécessaire de réfléchir à l’implication directe de la théologie chrétienne dans la vie publique et économique. L’appel de la Bible à la justice sociale doit être réintégré dans les discussions politiques contemporaines, en particulier dans les contextes où l’économie de marché semble dicter la direction de la société sans véritable considération pour le bien-être commun. Le message chrétien, loin de se réduire à une question de pitié individuelle ou de dévotion privée, doit redevenir un modèle de transformation collective, capable de remettre en question les structures injustes et de promouvoir une économie qui sert le bien de tous.
Comment le capitalisme et la foi chrétienne peuvent-ils se confronter à la crise morale et sociale contemporaine ?
Le capitalisme contemporain s’est érigé en système quasi inébranlable, vanté pour son efficacité économique, sa capacité à produire à grande échelle, à mobiliser des capitaux massifs et à transcender les particularismes locaux. Pourtant, derrière cette façade de prospérité et de progrès se cache une réalité troublante où l’égalité et la fraternité sont reléguées au second plan, sacrifiées sur l’autel d’une liberté conçue de manière exclusive. La transformation cynique des droits « positifs » en droits « négatifs » illustre cette dérive : le droit à des services publics et à une vie digne devient un droit de ne pas être entravé par l’État. Ce renversement rhétorique dissimule l’érosion des bénéfices d’une démocratie sociale, assimilés désormais à des « privilèges » ou à des ingérences gouvernementales à combattre.
Cette dynamique engendre une oligarchie où le pouvoir politique, notamment aux États-Unis, est de plus en plus captif de l’argent privé et des intérêts corporatifs, phénomène exacerbé par des décisions judiciaires comme celle de la Cour suprême dans l’affaire « Citizens United ». En comparaison, certains pays comme la Norvège bannissent ces influences financières privées des campagnes électorales. L’interpénétration des élites politiques et économiques évoque une forme d’oligarchie verrouillée, où les régulateurs sont en réalité cooptés par ceux qu’ils sont censés contrôler. Ce constat rend d’autant plus difficile l’émergence d’un « évangile social » capable de rompre avec ces logiques, d’autant plus qu’il s’inscrit en rupture avec une culture capitaliste fondée sur un hédonisme consumériste, détaché des valeurs communautaires et solidaires.
Certaines analyses conservatrices refusent d’admettre les déficits structurels du capitalisme, imputant les difficultés des classes populaires à une prétendue défaillance des valeurs culturelles, en particulier chez les minorités et, plus récemment, au sein même de la classe moyenne blanche. Cette lecture évite de confronter la réalité économique et justifie le statu quo par la moralisation des victimes. Pourtant, une compréhension approfondie de la situation impose de dépasser ce réductionnisme moral pour examiner comment les structures économiques façonnent les individus et leurs modes de vie, souvent en opposition frontale avec les vocations morales liées au travail, à la communauté et à la sauvegarde de la planète.
Face à cette situation, la théologie chrétienne est appelée à redevenir une force critique et prophétique, rompant avec une complicité silencieuse ou active avec les normes du marché. Le rôle des éthiciens religieux est crucial pour ouvrir un espace public où un discours alternatif sur la justice sociale puisse s’exprimer. La foi chrétienne, ainsi que le judaïsme, peuvent proposer une vision radicalement différente de l’économie, fondée sur la justice, le partage et la dignité humaine. L’imitation de la vie chrétienne, marquée par la renonciation aux valeurs dominantes du capitalisme et par l’engagement en faveur du bien commun, pourrait former une contre-culture vivante, une résistance spirituelle et sociale.
Les liturgies, les rituels, et l’éducation chrétienne pourraient devenir des instruments de transformation profonde, en mobilisant les croyants autour d’une éthique de résistance, incarnée dans des actes communautaires et des engagements concrets. Cette reconquête du spirituel doit s’accompagner d’une repentance des institutions ecclésiales elles-mêmes, lorsqu’elles ont collaboré à des logiques économiques injustes ou exclusives, comme lors des expulsions liées au mouvement Occupy. Le pape Benoît XVI a insisté sur le lien indissociable entre économie et justice politique, rappelant que l’économie ne doit jamais être une simple machine à accumuler la richesse, détachée de toute responsabilité sociale.
La contestation morale du capitalisme rencontre souvent des objections prétendant que le système économique est un fait objectif, une « science » neutre, insusceptible d’être jugée moralement. Pourtant, ce prétendu scientisme masque une idéologie qui valorise la cupidité comme moteur de répartition « juste » des ressources, nie les protections collectives telles que les syndicats, et cherche à s’affranchir de toute régulation environnementale ou sociale. Le capitalisme, dans sa forme néolibérale, prétend confiner la religion à la sphère privée, tandis qu’il s’arroge la domination totale sur la sphère publique et économique.
Cette dualité entre Dieu et le marché, acceptée par une part significative des chrétiens américains, dessine une frontière dangereuse où la foi est réduite à une affaire individuelle, détachée de la justice sociale et du combat contre les « puissances » d’injustice. Or, les textes du Nouveau Testament, et particulièrement les travaux du théologien Walter Wink, rappellent la réalité ontologique de ces forces dominatrices, identifiées comme opposées à la volonté divine pour le monde. La théologie chrétienne, en nommant, démasquant et engageant la résistance contre ces « puissances », se donne les moyens d’une critique radicale du système capitaliste.
Enfin, il est essentiel de reconnaître que le capitalisme n’est pas un monstre tout-puissant : ses faiblesses, souvent masquées par un vernis trompeur, apparaissent clairement à ceux qui vivent quotidiennement ses effets destructeurs — que ce soit par l’appauvrissement des classes populaires, la destruction environnementale, ou la fragmentation sociale. Une critique éthique et théologique rigoureuse doit donc pointer ces réalités et impulser un changement qui ne soit pas seulement économique, mais aussi spirituel et communautaire.
Qu'est-ce que signifie vivre selon le Dieu de l'Exode dans un monde individualiste ?
L'idée d'un Dieu libérateur, tel qu'exposée dans les Écritures, repose sur un principe fondamental : l'iniquité sociale ne doit pas être tolérée, et l'oppression économique doit être renversée. Dans cette vision divine, les valeurs humaines sont directement opposées à l'ordre établi des puissants et des riches. Le Dieu de l'Exode n'est pas un simple observateur de la condition humaine, mais un acteur impliqué, intervenant directement dans la libération des opprimés. Il est le libérateur par excellence, cherchant à rétablir l'ordre sur Terre en s'attaquant aux injustices systémiques.
Cette perspective détonne profondément avec la conception individualiste qui domine dans certaines sociétés modernes. Dans un monde où la réussite économique et sociale est souvent interprétée comme une preuve de l'approbation divine, la solidarité collective est reléguée au second plan. Il est fréquent de voir l'État, ou les programmes gouvernementaux, présentés comme une source de soutien, voire comme la solution aux maux de la société. Pourtant, dans la vision chrétienne, ce soutien ne peut provenir que de Dieu. Interférer dans ce plan divin, en attribuant au gouvernement un rôle central dans la redistribution des richesses, revient à dénaturer le message de l'Évangile. Le libéralisme économique, tel qu’il est défendu par certains, est en réalité une distorsion de l’approche divine, car il place l'individu face à Dieu sans aucune médiation extérieure.
Le message de l'Exode est clair : Dieu est présent pour briser les chaînes de l'esclavage, tant physique que spirituel. Les Écritures évoquent non seulement une libération matérielle mais aussi une transformation des valeurs fondamentales de la société. L’idée du Jubilé, par exemple, symbolise cette rupture avec l’ordre économique injuste en permettant la libération des dettes et la restitution des terres perdues. C’est là une manière de ramener l’équilibre, d’appliquer une économie de grâce dans une société marquée par l’accumulation et l’exploitation des ressources.
Le Christ, dans le Nouveau Testament, reprend ce message de libération en incarnant pleinement ce Dieu du salut. Il n’est pas un simple prophète ou un enseignant moral ; il est l’acteur d’un changement radical, celui d’un monde où les distinctions sociales, économiques et politiques sont abolies. Le regard porté sur les pauvres, les étrangers, les pécheurs et les marginaux n’est pas simplement une question de compassion ; il s’agit de montrer un chemin vers une réconciliation profonde avec le monde, de redéfinir la hiérarchie sociale en y insérant un principe d’amour et de justice universelle. Jésus incarne un modèle d’inclusion totale, et son message est radicalement politique dans son refus des structures d’oppression.
Paul, l’un des principaux architectes de la pensée chrétienne, propage cette vision à une échelle mondiale. Il voit l’Église comme un mouvement global qui se doit de renverser les divisions humaines : riches et pauvres, Juifs et Grecs, esclaves et libres, hommes et femmes. L’extension de cette grâce divine à toute l’humanité n’est pas une option, mais une nécessité pour rétablir l’ordre divin sur Terre. Paul parle d’une justification par la grâce, sans distinction, sans condition préalable. Cette idée dépasse la simple question de la rédemption personnelle : elle incarne une vision d’une humanité nouvelle, réconciliée, vivante par la grâce de Dieu.
Cependant, cette vision radicale est souvent mise à mal par la réalité des institutions religieuses. L’Église, de plus en plus souvent, s’est éloignée de cet idéal de libération universelle pour se concentrer sur un système de salut individualisé, où l’accès à la grâce se fait par le biais d’une adhésion à des règles religieuses strictes. Ce glissement du libéralisme chrétien vers une institution centrée sur le salut personnel et l’appartenance à une communauté fermée reflète une inversion des priorités : là où la libération devait être l’essence de la foi chrétienne, on en est venu à y substituer une vision de Dieu qui bénit avant tout l’ordre établi, en particulier les structures économiques en place.
La tentation est grande de réduire cette dimension sociale de la foi chrétienne en une simple question de spiritualité privée, loin des préoccupations politiques ou économiques. Pourtant, cette réduction contredit l’essence même du message évangélique. La véritable liberté, selon les Écritures, n’est pas seulement une question de rédemption personnelle mais de transformation collective, de redéfinition des rapports humains dans un cadre où l’amour et la justice sont les principes directeurs. Ce message, incarné par Jésus, est bien plus qu’une théologie abstraite : il se concrétise dans des actions sociales et politiques qui réorientent les priorités de la société. Il n’est pas possible de suivre le Christ sans remettre en question les structures d’injustice qui régissent ce monde.
L’histoire des révolutions, des mouvements sociaux, et des luttes pour la justice sociale trouve ainsi ses racines dans cette conception du Dieu de l’Exode, un Dieu qui se dresse contre l’oppression et qui invite l’humanité à repenser ses relations de pouvoir. Les chrétiens sont appelés non seulement à se tourner vers Dieu dans la prière, mais aussi à incarner ce Dieu libérateur dans leurs actions concrètes. C’est là l’appel à la transformation radicale, à un renversement des valeurs, pour que l’humanité, libérée de ses chaînes, vive pleinement en accord avec la volonté divine.
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