Le concept de localisation des anneaux joue un rôle central dans la compréhension des propriétés locales des idéaux. L'un des résultats fondamentaux concernant la localisation est que la structure des idéaux d’un anneau peut être simplifiée lorsqu’on localise cet anneau en un sous-ensemble multiplicatif. En particulier, la localisation des idéaux permet de mieux saisir les comportements locaux des modules et de faciliter l’étude des propriétés des anneaux et de leurs idéaux.

Lorsqu’on considère un anneau RR et un sous-ensemble multiplicatif UU, la localisation de RR par rapport à UU est l’anneau R[U1]R[U^{ -1}], où chaque élément de RR est transformé en un élément sous forme de fraction r/sr/s, avec rRr \in R et sUs \in U. Cela permet de "diviser" par les éléments de UU, et donc de modifier les relations d’idéal et de module au niveau local. Cette transformation a des conséquences profondes sur la théorie des idéaux et des modules, qui sont simplifiées dans le cadre localisé.

Un des résultats les plus remarquables de la localisation est que les idéaux primaires se comportent de manière assez prévisible sous cette opération. Par exemple, si bb est un idéal primaire dans un anneau RR, alors son idéal contracté bcbc dans une localisation R[U1]R[U^{ -1}] est également primaire. Cette prévisibilité est cruciale pour l'étude des décompositions primaires des idéaux. En revanche, l’extension des idéaux sous localisation peut être plus complexe, en particulier lorsque les idéaux sont des idéaux premiers. Un exemple frappant en est la décomposition des idéaux dans les anneaux d'entiers, où des résultats classiques comme le théorème de Fermat sont utilisés pour prédire la structure des idéaux dans des extensions de corps.

La décomposition primaire des idéaux est également importante dans le cadre de la localisation. Si un idéal II d'un anneau RR peut être décomposé en une intersection d'idéaux primaires q1qrq_1 \cap \dots \cap q_r, cette décomposition reste valide sous la localisation de RR par rapport à un sous-ensemble multiplicatif UU, avec des ajustements nécessaires pour les idéaux qui interagissent avec UU. L’un des résultats les plus intéressants qui en découle est que les idéaux primaires qui n'intersectent pas UU se comportent de manière régulière lors de la contraction, tandis que ceux qui intersectent UU peuvent être "éliminés" de l’intersection lors de l'extension.

Un aspect important de cette théorie est la notion d'idéaux minimaux associés dans une décomposition primaire minimale. Si pip_i est un primaire associé minimal d'une décomposition primaire minimale d’un idéal II, alors cet idéal est déterminé de manière unique par II. Cela permet de simplifier l’étude de la structure des idéaux en réduisant les cas possibles d’interaction entre ces idéaux dans les différentes localisations.

Il est également essentiel de comprendre comment la localisation influence les relations entre les anneaux de polynômes et leurs idéaux. Par exemple, dans l'anneau des entiers Z\mathbb{Z}, chaque idéal est principal, et la décomposition primaire des idéaux peut être interprétée directement à partir de la factorisation en nombres premiers. De manière similaire, dans un anneau de polynômes sur un corps, la décomposition primaire d’un idéal principal est directement liée à la factorisation du polynôme correspondant.

Dans des anneaux comme Q[x1,,xn]\mathbb{Q}[x_1, \dots, x_n] ou Fq[x1,,xn]\mathbb{F}_q[x_1, \dots, x_n], il est possible de factoriser des idéaux et des polynômes de manière algorithmique. Des outils comme Macaulay2 ou OSCAR permettent de réaliser ces factorizations et décompositions primaires, facilitant ainsi l'étude pratique des idéaux dans ces anneaux. Cependant, il est crucial de noter que la décomposition primaire ne se comporte pas toujours bien sous les extensions de corps : un idéal qui est primaire dans un anneau peut devenir un idéal premier dans une extension, comme le montre l'exemple de l'idéal (x12+x22)(x_1^2 + x_2^2) dans Q[x1,x2]\mathbb{Q}[x_1, x_2], qui est premier dans Q[x1,x2]\mathbb{Q}[x_1, x_2] mais ne l'est plus dans C[x1,x2]\mathbb{C}[x_1, x_2], où il se factorise.

Le passage à des extensions algébriques est un sujet qui mérite une attention particulière. Lorsqu'un idéal primaire est transféré dans une extension algébrique de corps, la décomposition primaire peut changer, et il est donc nécessaire de prendre en compte les extensions du corps sous-jacent pour une compréhension complète des propriétés locales.

Il est aussi essentiel de comprendre que la théorie des localisations, bien qu’elle simplifie de nombreux aspects de la théorie des anneaux et des idéaux, ne résout pas toujours les problèmes complexes liés aux interactions entre les idéaux dans différents contextes algébriques. La localisation permet de mieux comprendre les comportements locaux des modules et des idéaux, mais elle n’élimine pas la nécessité d'analyser les propriétés globales des anneaux et de leurs idéaux.

Comment déterminer la multiplicité d'intersection et les bases de Gröbner dans le cadre des séries formelles et des idéaux locaux

L'automorphisme φ:L[[x1,,xn]]L[[x1,,xn]]\varphi : L[[x_1, \dots, x_n]] \rightarrow L[[x_1, \dots, x_n]], défini par x1x1x_1 \mapsto x_1 et xixi+aix1x_i \mapsto x_i + a_i x_1 pour i2i \geq 2, joue un rôle central dans l'étude des séries formelles et des idéaux locaux. Ce type de transformation est essentiel dans la compréhension de la structure des séries formelles et des quotients d'idéaux associés à des séries. Il est souvent utile dans les théorèmes où l'on examine la dimension des anneaux locaux quotientés par des idéaux générés par des polynômes comme ff ou φ(f)\varphi(f). À partir de résultats comme le théorème 6.4.6 et son application par induction, il est démontré que la dimension de l'anneau quotient k[[x1,,xn]]/(f)k[[x_1, \dots, x_n]]/(f) est égale à nn, une propriété qui se maintient également pour des séries formelles dans des extensions de corps locaux. Ces résultats font partie intégrante des techniques utilisées pour calculer les dimensions des espaces de séries formelles et comprendre les propriétés géométriques des singularités dans le contexte des courbes et des surfaces algébriques.

L'étude de la multiplicité d'intersection et des bases de Gröbner dans un cadre local est cruciale pour aborder les singularités des variétés algébriques. Par exemple, le théorème 9.3.4 établit un lien entre la multiplicité d'intersection de deux polynômes ff et gg et la multiplicité des racines de ces polynômes en un point d’intersection oA2o \in \mathbb{A}^2. Ce théorème fournit une borne inférieure sur la multiplicité d'intersection i(f,g;o)i(f, g; o), qui est liée au produit des multiplicités locales de ff et gg en oo, sous réserve que les courbes V(f)V(f) et V(g)V(g) n'aient pas de ligne tangente commune en oo. En effet, la multiplicité d'intersection est un indicateur clé du comportement local de ces courbes autour du point oo, et son calcul repose sur des outils comme l’ordre lexicographique inverse local, qui est fréquemment utilisé dans les calculs de bases de Gröbner.

L’ordre lexicographique inverse local, tel que défini dans la section 10.3.1, constitue un choix souvent optimal pour organiser les termes des polynômes dans les séries formelles. Cet ordre est utilisé pour définir des relations de divisibilité entre les termes de ces polynômes et pour construire des bases de Gröbner adaptées aux idéaux locaux. La technique de division de Mora, introduite dans la section 10.4, est particulièrement utile pour le calcul des restes dans la division de polynômes dans k[[x1,,xn]]k[[x_1, \dots, x_n]] par un ensemble d’éléments de k[x1,,xn]k[x_1, \dots, x_n]. Ce processus, qui repose sur la division d’un élément gg par les générateurs d’un idéal f1,,frf_1, \dots, f_r, permet de produire un reste hh qui satisfait certaines conditions sur les termes principaux. En outre, l'algorithme de division de Mora peut être adapté pour traiter des ordres de monomes locaux et des ordres de poids, permettant ainsi de réaliser des calculs efficaces de bases de Gröbner dans des localisations au voisinage de points singuliers.

Un aspect important de ces méthodes réside dans l'analyse de la dimension des espaces quotients et des multiplicités d'intersection. En effet, les calculs de ces dimensions passent souvent par des techniques d'induction et des propriétés géométriques liées aux courbes et surfaces algébriques. La maîtrise de la division de Mora et des bases de Gröbner dans ce cadre est un outil essentiel pour l’étude des singularités et des idéaux associés, notamment lorsqu'il s'agit de modéliser et de résoudre des systèmes d'équations dans des contextes géométriques complexes. Les résultats de cet algorithme et les théorèmes qui en découlent montrent comment les propriétés locales des idéaux peuvent être traduites en informations géométriques sur les variétés.

Un autre point crucial est la compréhension des transformations géométriques qui surviennent dans l’algorithme de Mora, notamment lors de l’itération des étapes du calcul. Ces transformations permettent de visualiser géométriquement l’évolution des monômes et des termes principaux au fur et à mesure de l'exécution de l'algorithme. L’algorithme de Mora permet ainsi de réduire progressivement la dimension des idéaux tout en conservant la structure nécessaire pour effectuer des calculs de manière plus simplifiée. Cette approche algébrique a des implications directes sur la compréhension de la structure des idéaux locaux, et en particulier sur les courbes de multiplicité.

Il est essentiel de comprendre que les bases de Gröbner ne sont pas seulement des outils algébriques ; elles ont aussi une interprétation géométrique profonde. Par exemple, la division de Mora et les bases de Gröbner peuvent être utilisées pour étudier la géométrie des variétés singulières en permettant de décomposer des idéaux en leurs composants essentiels. Cela permet non seulement de calculer les dimensions des espaces quotients, mais aussi de mieux comprendre les propriétés géométriques des points singuliers, notamment leurs multiplicités d'intersection et leurs tangentes communes.

Quelle est la nature du produit de Segre et des morphismes entre variétés projectives ?

Soit x=x0,,xnx = x_0, \dots, x_n, y=y0,,ymy = y_0, \dots, y_m et z=z00,,z0m,z10,,znmz = z_{00}, \dots, z_{0m}, z_{10}, \dots, z_{nm} pour les coordonnées homogènes des anneaux Pn\mathbb{P}^n, Pm\mathbb{P}^m et PN\mathbb{P}^N, respectivement. On définit un polynôme bihomogène f=fα,βxαyβK[x,y]f = f_{\alpha, \beta} x^\alpha y^\beta \in K[x, y]α=d|\alpha| = d et β=e|\beta| = e, de bidegré (d,e)(d, e).

Proposition 11.1.1. Soit Σn,mPN\Sigma_{n,m} \subset \mathbb{P}^N l'ensemble algébrique projectif défini par les mineurs 2×22 \times 2 de la matrice (zij)(z_{ij}) de taille (n+1)×(m+1)(n+1) \times (m+1). Alors σn,m:Pn×PmΣn,m\sigma_{n,m} : \mathbb{P}^n \times \mathbb{P}^m \to \Sigma_{n,m} est une bijection qui induit des isomorphismes Ui×UjΣn,mUijU_i \times U_j \simeq \Sigma_{n,m} \cap U_{ij} sur les chartes standards. De plus, Σn,mPN\Sigma_{n,m} \subset \mathbb{P}^N est irréductible, et l'idéal des mineurs 2×22 \times 2 coïncide avec l'idéal homogène de Σn,m\Sigma_{n,m}.

La démonstration de cette proposition montre que les mineurs 2×22 \times 2 d'une matrice définissent des relations de vanishings, et en utilisant une projection et une série de transformations, on prouve que le produit de Segre est effectivement un sous-ensemble algébrique irréductible. L'idéal des mineurs forme une base de Gröbner de ce noyau, ce qui implique qu'il définit un idéal premier. De plus, cette projection fournit un cadre général pour la compréhension des variétés algébriques dans les produits projectifs.

Définition 11.1.2. On donne à Pn×Pm\mathbb{P}^n \times \mathbb{P}^m la structure d'une variété projective en identifiant Pn×Pm\mathbb{P}^n \times \mathbb{P}^m à Σn,m\Sigma_{n,m} via σn,m\sigma_{n,m}. Par exemple, on identifie P1×P1\mathbb{P}^1 \times \mathbb{P}^1 à la quadratique Σ1,1=V(z00z11z10z01)P3\Sigma_{1,1} = V(z_{00}z_{11} - z_{10}z_{01}) \subset \mathbb{P}^3.

La topologie de Zariski sur Pn×Pm\mathbb{P}^n \times \mathbb{P}^m est plus fine que le produit des topologies de Zariski sur les facteurs. Ainsi, si f=fα,βxαyβK[x,y]f = f_{\alpha, \beta} x^\alpha y^\beta \in K[x, y] est un polynôme bihomogène de bidegré (d,e)(d, e), alors V(f)={(a,b)Pn×Pmf(a,b)=0}V(f) = \{(a, b) \in \mathbb{P}^n \times \mathbb{P}^m \mid f(a, b) = 0\} est un sous-ensemble fermé de Zariski qui, pour ff générique, n'est pas fermé dans la topologie produit. Cependant, ce sous-ensemble est toujours une hypersurface bihomogène de bidegré (d,e)(d, e) dans Pn×Pm\mathbb{P}^n \times \mathbb{P}^m.

Définition 11.1.3. Soit APn×PmA \subset \mathbb{P}^n \times \mathbb{P}^m un sous-ensemble. L'idéal de vanishings bihomogène de AA est I(A)={fK[x,y]f est bihomogeˋne et f(a,b)=0 pour tous (a,b)A}I(A) = \{ f \in K[x, y] \mid f \text{ est bihomogène et } f(a, b) = 0 \text{ pour tous } (a, b) \in A \}, et V(I(A))=AV(I(A)) = A est sa clôture de Zariski. Pour un sous-ensemble algébrique APn×PmA \subset \mathbb{P}^n \times \mathbb{P}^m, l'anneau coordonné bihomogène K[x,y]/I(A)K[x, y]/I(A) de AA est appelé l'anneau coordonné bihomogène de AA.

Il est essentiel de comprendre que les variétés algébriques définies par des idéaux bihomogènes sont un outil central pour l'étude des produits de variétés projectives. Ce produit, connu sous le nom de produit de Segre, est une construction fondamentale dans la géométrie algébrique. L'importance de cette construction est qu'elle permet d'explorer des relations entre variétés projectives à travers leurs idéaux et leurs intersections. En fait, la géométrie des produits de Segre est très utile pour comprendre les propriétés des projections et des morphismes entre variétés projectives, des notions essentielles en géométrie algébrique.

Les idéaux bihomogènes jouent un rôle crucial dans la description de la géométrie des produits de variétés. Par exemple, l'idéal des mineurs 2×22 \times 2 d'une matrice représente un cas particulier de cette structure algébrique et permet de définir des sous-variétés de Pn×Pm\mathbb{P}^n \times \mathbb{P}^m. En termes d'applications morphiques, ces idéaux permettent également d'exprimer les projections et les relations entre les variétés à travers des morphismes bihomogènes.

Exercice 11.1.4. Montrez que le produit de Segre Pn×PmPN\mathbb{P}^n \times \mathbb{P}^m \subset \mathbb{P}^N avec N=(n+1)(m+1)1N = (n+1)(m+1) - 1 a dimension dim(Pn×Pm)=n+m\dim(\mathbb{P}^n \times \mathbb{P}^m) = n + m et degré deg(Pn×Pm)=(n+m)n\deg(\mathbb{P}^n \times \mathbb{P}^m) = (n + m) \cdot n.

Exercice 11.1.5. Calculez le polynôme de Hilbert d'une courbe CP1×P1P3C \subset \mathbb{P}^1 \times \mathbb{P}^1 \subset \mathbb{P}^3 de bidegré (a,b)(a, b).

Définition 11.2.1. Un ensemble algébrique quasi-affine est un sous-ensemble ouvert de Zariski d'un ensemble affine. De manière similaire, on définit la notion d'ensemble algébrique quasi-projectif. Tout ensemble algébrique quasi-affine est aussi quasi-projectif, car An=PnV(x0)\mathbb{A}^n = \mathbb{P}^n \setminus V(x_0). Le produit de deux ensembles algébriques quasi-affines (ou quasi-projectifs) A=A1A2A = A_1 \setminus A_2 et B=B1B2B = B_1 \setminus B_2 est encore quasi-affine (ou quasi-projectif) puisque A×B=A1×B1(A2×B1A1×B2)A \times B = A_1 \times B_1 \setminus (A_2 \times B_1 \cup A_1 \times B_2).

Définition 11.2.2. Soit APnA \subset \mathbb{P}^n un ensemble algébrique quasi-projectif. L'anneau des fonctions régulières O(A)O(A) est l'anneau des fonctions f:AKf : A \to K telles que pour chaque point pAp \in A, il existe un voisinage ouvert UAU \subset A et des polynômes homogènes g,hK[x0,,xn]g, h \in K[x_0, \dots, x_n] du même degré avec h(q)0h(q) \neq 0 pour tout qUq \in U, tels que g(q)f(q)=qUg(q) f(q) = \forall q \in U.

Les morphismes entre variétés projectives sont bien définis en termes de fonctions régulières. Ces fonctions peuvent être utilisées pour établir des relations entre des sous-variétés de projectifs de dimensions différentes et pour décrire les transformations entre ces variétés.