L’administration Trump, tout en mettant en œuvre une politique de « retraits » dans certaines régions du monde, a paradoxalement renforcé les engagements militaires des États-Unis, notamment en Europe et en Asie. Les incohérences de sa politique extérieure ne se résument pas simplement à une série de déclarations et de promesses non tenues, mais à un enchevêtrement de décisions prises sous la pression de ses équipes de sécurité nationale. Une des questions les plus pertinentes demeure : comment concilier une rhétorique isolationniste avec des actions militaires qui semblent renforcer la primauté américaine dans des régions stratégiques ?

Prenons l’exemple de l’Afghanistan. Malgré des promesses de campagne visant à mettre fin à une guerre qui s’éternisait depuis près de deux décennies, Trump a ordonné l’envoi de 4 000 soldats supplémentaires en 2017, accentuant ainsi l’escalade militaire dans la région. Ce renfort militaire, couplé à une intensification des frappes aériennes américaines, a abouti à une augmentation dramatique des pertes civiles. Le régime soutenu par les États-Unis à Kaboul, rongé par la corruption et l'incapacité à établir un contrôle territorial stable, s’effondrait lentement sous la pression des talibans, qui contrôlaient plus de territoire qu’à tout autre moment depuis 2001. Trump, bien qu’ambivalent quant à la nécessité de prolonger l’engagement américain, n’a pas su mettre fin à ce conflit, malgré ses déclarations publiques en ce sens. Une tentative de négociation avec les talibans a été amorcée, mais la persistance de l’idée d’un régime à Kaboul, jugé illégitime par les talibans, laisse planer de sérieuses incertitudes quant à son issue.

L’ambivalence de Trump vis-à-vis de l’Afghanistan ne s’est pas limitée à l’engagement militaire direct. Il a également suspendu 300 millions de dollars d’aide à un Pakistan qui, malgré avoir bénéficié de près de 14 milliards de dollars d’aide américaine entre 2002 et 2018, continuait de soutenir des groupes insurgés combattant les forces américaines. Cependant, cette suspension d’aide, bien qu’efficace pour exprimer le mécontentement des États-Unis, n’a pas été un levier suffisant pour faire changer la politique pakistanaise, qui continuait de soutenir ces militants.

L’Europe, de son côté, a été un terrain de tensions au sein de la politique étrangère de Trump. Bien qu’il ait renforcé les engagements militaires américains envers le continent, en augmentant les déploiements de troupes et les exercices militaires, sa gestion des relations avec les alliés européens a créé une atmosphère de méfiance. Les critiques acerbes de Trump à l’encontre des pays européens, qu’il accusait de ne pas assumer leur part de responsabilité en matière de défense nationale, ont mis à mal la relation transatlantique. Son impulsion protectionniste sur le commerce a exacerbé les frictions, notamment avec des décisions comme l’imposition de tarifs sur l’acier et l’aluminium européens, ou encore les sanctions contre les entreprises européennes ayant des liens commerciaux avec l’Iran, alors même que ces échanges étaient légaux selon les lois de l’Union européenne.

Pourtant, l’administration Trump n’a pas cherché à démanteler l’OTAN, comme certains de ses détracteurs l’affirmaient. Au contraire, il a soutenu l’élargissement de l’alliance en accueillant le Monténégro en 2017 et en encourageant d’autres pays comme la Macédoine et la Géorgie à rejoindre l’organisation. De même, l’invitation à intégrer le Brésil en tant qu’allié majeur non membre de l’OTAN illustre une volonté d’étendre l’influence militaire des États-Unis. Toutefois, cette expansion de l’OTAN, en particulier en Europe de l’Est, interroge sur la pertinence d’engagements militaires dans des régions dont les enjeux stratégiques sont relativement éloignés des intérêts vitaux américains.

En parallèle, la gestion du dossier ukrainien par Trump montre une approche complexe. Bien qu’il ait envoyé une aide militaire létale à l’Ukraine, soutenant son combat contre les séparatistes prorusses, cette politique risquait de prolonger le conflit sans résoudre les tensions sous-jacentes avec la Russie. Cette aide, couplée à l’intensification des activités militaires américaines en Europe de l'Est, a contribué à une détérioration des relations déjà tendues entre Washington et Moscou. De plus, le retrait des États-Unis du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (INF) en 2019 a relancé une dynamique de course aux armements avec la Russie, sans pour autant affaiblir la position stratégique de Moscou.

Ainsi, l’administration Trump s’est retrouvée à renforcer ses engagements militaires à travers le monde, tout en poursuivant une rhétorique isolationniste. Ces contradictions soulignent non seulement la difficulté de concilier des objectifs géopolitiques contradictoires, mais aussi les limites de l’influence américaine dans un monde multipolaire. L’approche de Trump a souvent été caractérisée par un pragmatisme cynique, où la poursuite des intérêts immédiats des États-Unis se faisait au détriment de la cohérence stratégique et des alliances traditionnelles.

L’équilibre entre engagement militaire et stratégie de désengagement est une question clé de la politique étrangère américaine, et les décisions de Trump montrent que, même dans un monde où l’Amérique cherche à réduire ses engagements extérieurs, ses actions militaires et diplomatiques restent largement influencées par des impératifs stratégiques complexes. L’avenir de la politique étrangère américaine, sous ou sans Trump, dépendra de la capacité à naviguer entre ces tensions internes et à redéfinir le rôle des États-Unis dans un ordre mondial de plus en plus contesté.

Pourquoi la politique étrangère de Trump est-elle si similaire à celle de ses prédécesseurs malgré ses déclarations ?

Malgré la personnalité extravagante de Donald Trump, qui semble transgresser les normes et conventions établies en matière de politique étrangère, son mandat a pourtant révélé une continuité frappante avec la politique extérieure des États-Unis des décennies précédentes. En effet, bien que Trump se soit présenté comme un défenseur d'une vision radicalement différente, dite "America First", il n'a pas réalisé les changements attendus dans la diplomatie américaine. L'une des raisons en est que plusieurs positions de Trump, même en tant que candidat, correspondaient en réalité aux consensus de primauté qui dominent la politique étrangère américaine depuis longtemps. Par exemple, sa décision de quitter l'accord nucléaire avec l'Iran ne fait qu'aligner la politique américaine sur une position traditionnelle républicaine, tout en s'inscrivant dans une logique plus personnelle, celle de renforcer le statut des États-Unis par des confrontations.

Ce phénomène de continuité n'est pas limité à des décisions ponctuelles. Sur des questions essentielles comme la sortie des guerres, la réévaluation des alliances internationales, ou encore la réduction des engagements militaires, Trump a maintenu une approche semblable à celle de ses prédécesseurs. Malgré ses critiques acerbes des "guerres inutiles" et des "projets de nation-building coûteux", peu de changements substantiels ont été opérés. Ses déclarations en matière de politique étrangère laissaient entendre qu'il souhaitait une réduction de l'implication des États-Unis à l'échelle mondiale, en particulier au Moyen-Orient, mais la réalité a été bien différente. La présence militaire américaine n'a pas diminué de manière significative, et les alliances en Europe et en Asie n'ont pas été modifiées de façon radicale.

L'un des aspects les plus intrigants réside dans le pouvoir exécutif dont dispose le président des États-Unis. Depuis les crises passées et l'accumulation de pouvoirs extraordinaires en période de guerre, la présidence américaine est devenue de plus en plus omnipotente dans le domaine de la politique étrangère. L'exemple le plus frappant est l'attaque terroriste du 11 septembre 2001, qui a conduit à une concentration accrue des pouvoirs entre les mains de l'exécutif, notamment par le biais de la loi USA PATRIOT. Cela a permis à la Maison Blanche de prendre des décisions sans l'intervention de l'Assemblée législative, renforçant ainsi le rôle prééminent du président en matière de politique étrangère.

En conséquence, même si les pouvoirs de l'exécutif se sont considérablement élargis, cela n'implique pas que le président puisse toujours mettre en œuvre des changements aussi radicaux qu'il le souhaite. La question qui se pose est pourquoi Trump, avec toute cette latitude, n’a pas été capable de déplacer la politique étrangère américaine dans la direction qu’il avait pourtant promise. L’une des raisons réside dans l'absence de soutien institutionnel pour ses idées les plus radicales. Bien que ses préférences sur le commerce et l'immigration aient été largement appliquées, ses projets concernant la réduction des engagements militaires et la modification des alliances ont rencontré une forte résistance, tant au sein de l'appareil gouvernemental que du Congrès.

De plus, la structure même de la politique étrangère américaine crée un contexte favorable à la continuité. Le président bénéficie d'un pouvoir considérable, notamment en raison de son contrôle sur l'exécutif et du rôle constitutionnel qu'il joue en tant que commandant en chef des armées. À cet égard, le Congrès, par sa composition et son manque d'expertise en matière de sécurité internationale, s'est montré trop enclin à céder une grande partie de son pouvoir au président. Ce phénomène est d’autant plus marqué dans des domaines comme les ventes d'armement et les interventions militaires, où le Congrès a abandonné depuis longtemps son rôle de régulation.

Cependant, l'un des exemples les plus frappants d'un renversement temporaire de cette tendance reste la confrontation entre Trump et le Congrès sur le rôle de l'Arabie saoudite dans la guerre du Yémen. La décision de Trump de continuer à soutenir le royaume, malgré la responsabilité imputée à son prince héritier dans le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi, a été un test de ses limites en matière de politique étrangère. La rébellion partielle du Sénat contre cette politique a marqué un tournant, mais cet épisode n’a pas suffi à inverser la dynamique de pouvoir entre le président et le Congrès.

En somme, bien que la personnalité et les promesses de Trump aient semblé suggérer un changement radical dans la politique étrangère des États-Unis, la réalité a été marquée par une grande continuité. La concentration du pouvoir dans les mains de l'exécutif et la résistance des institutions américaines à toute réforme fondamentale expliquent en grande partie cette absence de changement significatif. Il est important de souligner que les changements dans la politique étrangère des États-Unis ne dépendent pas seulement de la volonté d'un président, mais aussi des structures institutionnelles et des dynamiques de pouvoir qui ont façonné la politique américaine sur plusieurs décennies. L'un des défis majeurs pour toute administration reste donc de naviguer dans ce système complexe, où la volonté du président peut être limitée par des forces internes et externes souvent invisibles aux yeux du public.

La stratégie de retenue : Un nouveau paradigme pour la politique étrangère des États-Unis

Lorsque le président Obama a condamné l'annexion de la Crimée par la Russie au nom du droit international, en affirmant que "la redéfinition des frontières territoriales à la pointe du fusil" est contraire à la légalité internationale, une grande partie du reste du monde a réagi avec scepticisme. En effet, les États-Unis avaient eux-mêmes, en 1999 lors de la guerre du Kosovo, agi de la sorte, en dépit des principes qu'ils défendaient. De plus, en 1974, la Turquie avait envahi et annexé une grande partie de Chypre, pratiquant un nettoyage ethnique sur ses habitants, sans que Washington ne se permette de critiquer un allié de l'OTAN. Israël, quant à lui, a régulièrement annexé et occupé des territoires en violation des principes du droit international, tout en recevant un soutien constant des États-Unis. Le secrétaire d'État d'Obama, John Kerry, a reproché à la Russie d'agir comme au XIXe siècle en envahissant un pays sur des prétextes "fabricés", mais ce discours se heurtait à une contradiction évidente, car l'invasion illégale de l'Irak, menée sous George W. Bush, demeurait encore vivace dans la conscience collective. Cette hypocrisie pervertit l'idée d'un ordre international libéral et mine la légitimité de la puissance des États-Unis.

Les actions américaines, en tant que nation la plus puissante du monde, déterminent largement les bases des normes internationales. Un changement de stratégie vers une politique de retenue, fondée sur trois principes essentiels – la fixation d'objectifs modestes et atteignables, la primauté de la diplomatie et de la coopération mondiale, et l'exemplarité dans le comportement international – permettrait aux États-Unis de retrouver une cohérence avec la Constitution et la Charte des Nations Unies. Une politique étrangère moins interventionniste semble non seulement plus adaptée à l’environnement de sécurité actuel, mais elle offrirait aussi l’opportunité de restaurer l’image internationale des États-Unis, en les transformant en modèle à suivre plutôt qu’en un acteur à dominer.

Une politique étrangère de retenue réduirait d’abord les effets secondaires négatifs du nationalisme interventionniste. L'élite de la politique étrangère américaine a vivement protesté lorsque Donald Trump a qualifié leur œuvre de "désastre", mais il avait raison sur bien des aspects. Les coûts humains des deux dernières décennies d'interventions militaires ont été colossaux de part et d'autre, et le fardeau financier, notamment avec la Guerre contre le terrorisme, avoisine les 6 000 milliards de dollars. En outre, la confiance publique en la politique étrangère des États-Unis a diminué, et l'anti-américanisme s'est intensifié à travers le monde. Une stratégie moins interventionniste permettrait également aux États-Unis de retrouver une certaine flexibilité diplomatique, renforçant ainsi leur "capital moral" et la capacité de leur diplomatie à promouvoir la prospérité et la paix. Des nations comme la Suisse ou le Canada jouent un rôle diplomatique important car elles n'ont aucune intention d'user de la force militaire pour contraindre les autres. En revanche, les États-Unis rencontrent souvent une résistance, notamment à cause de leur image de puissance hégémonique.

Les États-Unis n'ont pas besoin de prendre une position de neutralité dans les affaires internationales. Ils peuvent et doivent s'opposer aux violations des droits de l'homme, aux guerres, et au terrorisme, tout en adaptant leur diplomatie pour être à la hauteur de ces engagements. Toutefois, la coercition militaire et économique a un bilan mitigé. Bien que les sanctions économiques multilatérales aient parfois porté leurs fruits, l'usage de la force militaire, en particulier lorsque des négociations touchent des enjeux majeurs pour le pays visé, a plutôt tendance à envenimer la situation.

Le principal argument contre une politique étrangère de retenue est que cela pourrait paralyser les efforts diplomatiques. L'idée que des menaces militaires sont nécessaires pour que des pays comme l'Iran ou la Corée du Nord acceptent de négocier leur programme nucléaire semble rationnelle en théorie. Cependant, il convient de se rappeler que la quête d'armement nucléaire de ces pays est en grande partie alimentée par la peur des États-Unis. Si ces pays avaient perçu un engagement plus fort de la part des États-Unis pour la diplomatie et la coopération, leur besoin d'un moyen de dissuasion nucléaire aurait été réduit.

Un des bénéfices les plus évidents d'une politique étrangère de retenue réside dans les économies qui pourraient être réalisées sur les dépenses militaires. En optimisant la structure de défense pour la seule autodéfense, et en réduisant l'implication dans des conflits extérieurs inutiles, les États-Unis pourraient économiser des centaines de milliards de dollars chaque année sans mettre en péril leur propre sécurité. Cela permettrait de réorienter ces fonds vers des projets internes essentiels, notamment pour restaurer la responsabilité fiscale du pays.

La transparence dans la politique étrangère doit également être améliorée. La démocratie repose sur la libre circulation des idées et la responsabilité des dirigeants envers le peuple. Pourtant, les présidents et le Pentagone préfèrent souvent l'opacité pour éviter de devoir rendre des comptes. Cette approche est incompatible avec les principes démocratiques, car le peuple américain doit savoir quelles sont les actions de son gouvernement à l’étranger, quels sont les objectifs poursuivis, et s'ils sont justifiés. La récente situation en Syrie, où les informations sur la présence militaire des États-Unis étaient floues, en est un exemple frappant de ce manque de transparence.

Enfin, une politique de retenue serait plus en adéquation avec les valeurs libérales classiques qui fondent la nation américaine et limiterait l'excès de pouvoir gouvernemental interne. Les fondateurs des États-Unis avaient bien compris le lien entre la politique étrangère et la santé de la démocratie intérieure. Une politique d’hégémonie mondiale et d’usage excessif de la force militaire pour défendre des "intérêts nationaux" à l’étranger affaiblit les normes libérales sur lesquelles se repose la démocratie. Cette quête de primauté a nourri une expansion excessive du pouvoir présidentiel, favorisant l'interventionnisme tout en menaçant les libertés civiles à l'intérieur du pays. Il est donc impératif que le Congrès réaffirme son autorité constitutionnelle pour limiter les pouvoirs unilatéraux de l'exécutif, surtout dans la conduite des guerres.