L'idée selon laquelle l'humanité aurait atteint un sommet évolutif repose sur une vision linéaire et téléologique de l'histoire, comme si notre civilisation contemporaine constituait l’aboutissement naturel d’un processus d’amélioration continue. Cette croyance, profondément enracinée dans le discours populaire et parfois dans certaines narrations historiques, ne résiste pourtant ni à l’analyse génétique ni à l’examen anthropologique. Penser que nous ne sommes plus en train d’évoluer, c’est ignorer à la fois les dynamiques de la biologie et celles de la culture.

L'évolution génétique de l'espèce humaine se poursuit. Des recherches récentes ont montré que certains traits ont été sélectionnés au cours des derniers millénaires seulement, bien après l’invention de l’agriculture ou la sédentarisation. La capacité à digérer le lactose à l’âge adulte en est un exemple parlant : apparue dans les populations qui ont domestiqué les animaux producteurs de lait, cette adaptation génétique s’est diffusée là où le lait est devenu un élément culturel et alimentaire central. Ce n’est pas une relique ancienne, mais une transformation évolutive récente, observable et documentée.

Mais c’est sur le plan culturel que l’humanité évolue le plus rapidement. La culture n’est pas figée ; elle est un système adaptatif, plastique, capable de transformations radicales sur des échelles de temps extrêmement courtes. Grâce à la technologie, à l’hyperconnectivité et à la transmission instantanée de l’information, les idées, les pratiques et les valeurs peuvent traverser les frontières et s’implanter dans des contextes radicalement différents en quelques jours, voire quelques heures. L'évolution culturelle ne connaît pas les contraintes biologiques ; elle est exponentielle, mouvante, réactive. Elle reconfigure les sociétés avant même que l’individu ait le temps d’y réfléchir.

Penser que l’évolution s’est arrêtée, c’est aussi faire abstraction du fait que les conditions d’existence de l’humanité continuent de changer. Le changement climatique, l’urbanisation, les migrations, l’exploration spatiale, les pandémies, les révolutions technologiques sont autant de forces sélectives nouvelles ou amplifiées. Si certains traits physiques ou comportementaux sont moins soumis à la sélection naturelle grâce aux avancées médicales ou à la technologie, cela ne signifie pas que la sélection a disparu : elle s’est déplacée, elle s’est reconfigurée. Et elle agit sur des plans plus subtils, moins visibles à l’échelle d’une vie humaine.

Il est donc essentiel de dépasser cette fausse dichotomie entre évolution biologique et culturelle. L'une ne remplace pas l'autre ; elles coexistent, s'entrelacent et se répondent. Le langage, par exemple, est à la fois un produit de notre biologie et de notre culture. Les gènes peuvent influencer la capacité à acquérir un langage, mais la langue elle-même, sa structure, son usage, sont entièrement transmis par la culture. Ainsi, un enfant déplacé dans une autre culture adoptera la langue et les codes de celle-ci, indépendamment de son origine biologique.

Cette capacité d’adaptation est l’un des traits les

Pourquoi les humains ont-ils domestiqué les chiens, et que nous révèle cette relation sur l'origine des sociétés humaines ?

Les preuves archéologiques suggèrent que les chiens furent les premiers animaux domestiqués, possiblement dès la fin de la dernière période glaciaire, il y a plus de 10 000 ans. Des découvertes faites dans l’Illinois et ailleurs montrent que certains de ces premiers chiens portaient des traces de blessures osseuses liées à des activités de chasse. Leur enterrement cérémonial dans certains cas témoigne de leur valeur fonctionnelle et symbolique. Il est probable que la domestication du chien ait eu lieu indépendamment dans plusieurs régions, à des époques différentes, ce qui reflète non pas un événement isolé, mais un processus convergent inscrit dans les logiques adaptatives humaines.

La difficulté à identifier les premiers animaux domestiqués vient du fait que les premières formes domestiques ressemblent étroitement à leurs ancêtres sauvages. La distinction entre le loup et le chien primitif est d’autant plus ténue qu’au début, les différences étaient comportementales plutôt qu’anatomiques. Pourtant, les humains ont progressivement sélectionné certains traits particuliers. Les préférences portaient sur des caractéristiques comportementales favorisant la coopération avec l’homme — sociabilité, curiosité, absence de peur — ainsi que sur des traits physiques rendant l’animal moins agressif ou impressionnant : mâchoires plus petites, museau moins massif, oreilles tombantes.

Dans les groupes de chasseurs-cueilleurs, notamment ceux vivant en forêts denses, les chiens étaient utilisés comme auxiliaires de chasse. Un scénario récurrent : un animal était blessé à l’arc, puis les chiens, en meute, le suivaient et le maintenaient au sol jusqu’à l’arrivée du chasseur. Cette collaboration homme-chien, dans une logique de subsistance, ne repose pas sur une domination unilatérale, mais sur une convergence d’intérêts entre deux espèces sociales, territoriales, hiérarchisées et néophiles. Les loups et les premiers Homo sapiens partageaient des traits d’organisation semblables : soins apportés aux jeunes, vie en groupes mobiles, exploitation flexible de l’environnement — tantôt chasseurs, tantôt charognards.

C’est autour de feux de camp, sans doute, que cette cohabitation a commencé. Le loup apprivoisé a trouvé dans le campement humain un avantage stratégique : nourriture plus accessible, protection contre d’autres prédateurs, stabilité relative. L’humain, lui, y a gagné un compagnon vigilant, un allié dans la chasse, et peut-être un médiateur symbolique entre le monde naturel et les sphères spirituelles. Peu à peu, ce lien a évolué : d’assistant de chasse, le chien est devenu gardien de troupeaux, protecteur des foyers, puis compagnon intime, jusqu’à devenir un élément