Les habitants du sous-continent indien, tout comme ceux des cultures voisines, ont longtemps perçu cette vaste région comme une unité culturelle et géographique. Pour ceux qui venaient d'autres parties du monde, le repère majeur du sous-continent était le fleuve Sindhu, que l’on connaît aujourd’hui sous le nom d’Indus. Les inscriptions perses mentionnent le pays des Hidu parmi les provinces de l’empire du roi Darius, tandis que les textes grecs évoquent l'Inde et les sources chinoises anciennes font référence à la terre de Shendu. Ces termes désignaient initialement la vallée de l'Indus, mais leur portée s'élargit rapidement.
Pour Mégasthène, l’émissaire grec qui visita la cour de Chandragupta Maurya au IVe siècle avant notre ère, l’Inde désignait déjà l’ensemble du sous-continent. Des siècles plus tard, les géographes arabes utilisaient le terme al-Hind pour désigner l'Inde du Nord, ou parfois l’ensemble du sous-continent, et certains l’étendaient même jusqu’au sud-est de l’Asie. Au Moyen Âge, les textes persans médiévaux faisaient mention de l’Hindustan, un terme dérivé du suffixe persan "-stan" qui désignait une terre ou une région. En Inde, les textes anciens faisaient également référence à cette idée d’unité géographique et culturelle, mais sans ignorer la diversité interne du sous-continent.
Ainsi, le Vishnu Purana décrit Bharatavarsha, la terre de l’Inde, comme un espace situé au sud des montagnes enneigées et au nord de l’océan, non seulement comme une région géographique mais aussi comme le seul lieu où les cycles des yugas, karma et dharma s’opèrent. Au sein de cette région, les Puranas énumèrent et détaillent différents territoires et peuples. Le Raghuvamsha, poème épique de Kalidasa, dépeint la digvijaya du roi légendaire Raghu comme une conquête qui faisait le tour du sous-continent, rendant compte des diverses unités politiques, paysages physiques et productions des régions qu’il traversait.
Il existait aussi d’autres manières de concevoir l’espace géographique. Les poèmes tamouls antiques parlent de Tamilakam, le pays des Tamouls, et le divisent en cinq zones écologiques, appelées tinai. Le Rajatarangini de Kalhana, écrit au XIIe siècle, célèbre la beauté et la singularité du Cachemire tout en reconnaissant ses liens avec d’autres régions.
L’utilisation du terme "Hindu" au cours de la période médiévale acquit progressivement des connotations religieuses. Cependant, Hind et Hindustan conservaient une portée géographique plus large. Par exemple, dans le Nuh Sipihr de l’intellectuel soufi Amir Khusraw, l’Hind est présenté comme le meilleur des pays, et l'Ain-i-Akbari d’Abul Fazl loue la grandeur de ses habitants. Bien que l'idée d’un sous-continent sud-asiatique en tant qu'unité géographique et culturelle, dans laquelle des diversités régionales coexistent, soit très ancienne, les nations modernes telles que l'Inde, le Pakistan, le Népal, le Bhoutan, le Bangladesh et le Sri Lanka, n’ont émergé qu'au XXe siècle.
En étudiant l’histoire ancienne du sous-continent, il est crucial d’ignorer les frontières politiques modernes et de traiter le sous-continent et ses nombreuses régions et sous-régions comme un complexe mosaïque en constante évolution. Cette histoire est avant tout l’histoire des trajectoires historiques et des interactions de multiples régions et sous-régions qui, à certains moments, ont atteint un certain degré d’unité politique. Le sous-continent n’a jamais été un territoire isolé, même dans les temps anciens. Au fil des siècles, il y a eu des interactions variées – politiques, économiques, sociales, religieuses et culturelles – avec d’autres régions d’Asie, d’Europe et d’Afrique.
Le sous-continent indien possède des frontières géographiques assez bien définies, mais une grande diversité écologique. Cette écologie a profondément changé au fil du temps. La Terre, vieille de 4,5 milliards d'années, a été témoin de phénomènes géologiques impressionnants avant même l'apparition des humains il y a environ 200 000 ans. Des mouvements tectoniques massifs, des éruptions volcaniques, des collisions et séparations continentales, ainsi que des changements dans les niveaux de la mer, ont façonné le paysage. Par exemple, la plaine alluviale du Gange était autrefois une mer, le plateau du Deccan résulte de multiples éruptions volcaniques, et les Aravallis, bien que très érodées aujourd’hui, sont les plus anciennes montagnes plissées du sous-continent, tandis que les Himalayas sont les plus jeunes.
Les mouvements tectoniques ont formé l’immense sous-continent au fil des millénaires. L'Inde, le Sri Lanka, l’Australie, Madagascar et l’Antarctique faisaient autrefois partie d’un seul supercontinent appelé Gondwanaland, qui se sépara suite à trois immenses éruptions volcaniques, il y a entre 180 et 80 millions d’années. Ce passé géologique est non seulement fascinant mais il explique aussi certains phénomènes naturels, comme la découverte du "grenouille pourpre indienne" dans les Nilgiris en 2000, dont le plus proche parent vit sur les îles Seychelles, il y a environ 1600 km au large de la côte du Kenya.
La dynamique géologique du sous-continent se manifeste aussi dans la formation des montagnes. Les Himalayas sont des montagnes jeunes, formées par trois grands soulèvements tectoniques successifs qui ont poussé la plaque eurasienne contre la plaque indienne. Le premier soulèvement s’est produit entre 41 et 32 millions d’années, le deuxième entre 13 et 9 millions d’années, et le troisième entre 4 millions d’années et 300 000 ans. Ces événements ont eu des impacts considérables sur le climat et les paysages, modifiant même les schémas climatiques dans des zones éloignées. Par exemple, une éruption volcanique massive, il y a environ 75 000 ans à Sumatra, a généré des dépôts de cendres dans les vallées fluviales de l’Inde péninsulaire.
La climatologie actuelle du sous-continent est largement influencée par les chaînes de montagnes. Les Himalayas bloquent les vents glacés du nord en hiver et les vents monsoonniers du sud-ouest en été. De même, les Ghâts occidentaux provoquent des pluies sur la bande côtière de l’Ouest. Le climat est donc modifié par ces montagnes, créant des diversités régionales marquées dans la distribution des précipitations, des températures et des cultures.
La conception du Dhamma d'Ashoka et son impact sur la gouvernance
Le roi Ashoka, après son acceptation formelle de la voie bouddhique, a mis en œuvre une transformation radicale dans ses principes de gouvernance, influencée par les enseignements du Bouddha. Au départ peu enthousiaste dans ses engagements religieux, il se rapprocha progressivement de la communauté monastique, cherchant à diffuser le Dhamma non seulement parmi les élites, mais aussi parmi les populations plus modestes et au-delà des frontières de son empire. Cette transformation ne se limita pas à une simple question de croyance personnelle, mais s’étendit à la sphère politique et sociale, avec des répercussions profondes sur la société et la conduite des individus.
Les inscriptions d'Ashoka, gravées sur des pierres et des piliers à travers son empire, portent le témoignage de cet engagement. L'idée centrale du Dhamma, telle qu’Ashoka la concevait, incluait non seulement des préceptes moraux et religieux, mais aussi un modèle de gouvernance juste et pacifique, fondé sur la non-violence et la responsabilité sociale. Ashoka proclamait que la pratique du Dhamma devait être suivie aussi bien par les pauvres que par les riches, et que toute personne, indépendamment de son statut social, pouvait espérer atteindre la pureté spirituelle et même le paradis si elle faisait preuve de zèle dans cette voie. Cette vision égalitaire du Dhamma se manifestait dans sa volonté de faire inscrire cette doctrine dans les pierres de son royaume, garantissant ainsi que ses principes seraient largement accessibles à tous, à la fois dans les villes et les campagnes.
La portée de ses édits n’était pas limitée à des prescriptions religieuses, mais se traduisait par des interdictions de pratiques cruelles, telles que les sacrifices d'animaux et les festivités impliquant la souffrance des créatures vivantes. Ces interdictions ne se limitaient pas à un simple geste symbolique, mais représentaient une tentative de changer la structure morale de la société, en prônant l’abstinence de toute forme de violence et en favorisant le respect mutuel entre les peuples de différentes croyances. Cette vision inclut un appel explicite à la tolérance religieuse, non pas dans un sens passif d’acceptation, mais comme une recherche active de compréhension et de respect des enseignements des autres traditions.
Les vertus qu'Ashoka prônait au sein de son empire étaient multiples : la maîtrise de soi, la pureté de pensée, la générosité, la gratitude, la vérité, et la pureté des actions. Chaque sujet, quelle que soit sa condition sociale, était invité à adopter ces principes pour favoriser la paix et l’harmonie au sein de la société. L’accent mis par Ashoka sur la non-violence, ou Ahimsa, est l'un des éléments les plus caractéristiques de ses édits, lesquels insistaient non seulement sur l’importance de l’abstention de tuer des êtres vivants, mais également sur la nécessité de vivre de manière compatissante et respectueuse envers toutes les formes de vie. Cela se traduisait concrètement par des lois interdisant la mise à mort d'animaux et interrogeant les pratiques alimentaires du palais royal, réduisant les sacrifices et la consommation d'animaux pour des raisons non essentielles.
Dans ses écrits, Ashoka ne se contente pas de dicter des règles de conduite. Il pose également la question de l’efficacité des rituels traditionnels et des cérémonies religieuses. En comparant ces rituels aux pratiques du Dhamma, il leur attribue des résultats incertains et limités. En revanche, la cérémonie du Dhamma, qui inclut le respect des autres, la bienveillance envers les servants et l’obéissance envers les parents, est vue comme une pratique plus profonde, générant des effets positifs tant dans cette vie que dans les vies futures. Il remet ainsi en question l’efficacité de certains rites et privilégie une pratique plus éthique et accessible.
Un autre aspect fondamental du Dhamma d'Ashoka réside dans son rejet de la guerre et sa redefinition de la conquête juste. Contrairement à d'autres dirigeants de son époque, Ashoka ne cherchait pas l'expansion territoriale par la force militaire, mais par la propagation du Dhamma. Selon lui, un roi juste conquiert non par l'épée, mais par la vertu. Ainsi, son empire devenait non seulement une grande unité territoriale, mais aussi un modèle de gouvernance basée sur des principes moraux. L’idée de roi vertueux, tel qu’illustré dans les traditions bouddhistes, incarne ce concept du "roi universel" ou chakkavatti dhammiko dhammaraja, un souverain qui établit son autorité non par la guerre, mais par l’adhésion collective à des valeurs communes.
Il est important de noter que, bien que ses efforts pour promouvoir le Dhamma soient décrits comme sincères et ambitieux, l'application de ces principes à l'échelle de son vaste empire n'a pas été sans difficultés. Les edicts d'Ashoka montrent la complexité de l'implémentation de politiques de non-violence dans un contexte où les traditions et les pratiques anciennes demeuraient ancrées dans la culture locale. Les prohibitions sur le sacrifice d'animaux, les restrictions alimentaires et la réduction de la violence étaient des mesures audacieuses, mais aussi difficiles à imposer partout et à tous. En effet, l'étendue de l'empire Maurya rendait l'application uniforme de ces idéaux problématique. L'éthique de non-violence et de bienveillance, bien que louable et profondément influente, se heurtait parfois aux réalités pratiques de la gouvernance impériale.
Le concept d'Ashoka du Dhamma est également un appel à la construction d'une société où les individus se gouvernent non seulement par la peur ou la loi, mais par une conviction profonde du bien fondé de leurs actions. À travers ses édits et ses proclamations, il cherchait à sensibiliser ses sujets à la moralité universelle, à les encourager à vivre de manière éthique, et à promouvoir une paix durable fondée sur la compréhension mutuelle.
Le rôle des femmes et des pratiques monastiques dans le bouddhisme ancien : Entre textes et inscriptions
Les textes bouddhistes anciens révèlent une vision ambivalente et complexe du rôle des femmes dans la voie monastique. Bien que le chemin de la renonciation ait été théoriquement ouvert aux femmes, la majorité des écrits se concentrent sur leur place au sein du foyer, affichant une inquiétude quant à l'impact de leur départ vers le monastère. Cette tension est particulièrement notable dans les Sutras Mahayana, qui, tout en admettant parfois que les catégories de genre sont illusoires et sans importance, proposent deux voies distinctes pour les femmes cherchant à atteindre l’état de bodhisattva. Certains textes insistent sur le fait qu’une femme ne pourrait devenir bodhisattva que si elle renaissait en homme, tandis que d’autres relatent des récits miraculeux de changement de sexe. Par exemple, le Saddharmapundarika Sutra raconte l’histoire d’une jeune fille bodhisattva de huit ans, fille d’un roi naga, dont le sexe change immédiatement après l’annonce de sa future Bouddhéité.
Il est essentiel de noter que les informations sur le sangha bouddhiste de ces siècles se limitent principalement à celui des moines. Les traces concernant les sanghas de bhikkhuni sont peu nombreuses et se réduisent souvent à des références à des dons faits par des nonnes dans des inscriptions. Ces dons étaient parfois faits individuellement, mais plus souvent collectivement. Les sites mentionnés dans ces inscriptions pointent sans doute les endroits où les sanghas féminines étaient installées. Toutefois, les grands centres monastiques connus à partir des textes et des inscriptions étaient principalement des centres masculins. Ainsi, bien que les nonnes (comme d’autres femmes) apparaissent fréquemment comme donatrices dans ces centres, il n’existe aucune inscription de cette période mentionnant une donation faite spécifiquement pour le sangha des bhikkhuni. Cela témoigne d’une disparité flagrante entre le patronage des ordres monastiques masculins et féminins, et cette inégalité a probablement contribué à l’affaiblissement du sangha des femmes.
Le développement et la diffusion des complexes monastiques bouddhistes entre 200 avant notre ère et 300 de notre ère ont conduit à la construction de stupas et de monastères dans tout le sous-continent indien. Bien que ces monuments soient souvent associés à des pratiques rituelles importantes, les découvertes archéologiques et épigraphiques révèlent aussi des détails sur les pratiques funéraires et de don qui ne sont que peu abordées dans les textes bouddhistes. Par exemple, les textes ne mentionnent guère les pratiques funéraires des communautés monastiques, mais les stupas, avec ou sans reliques, témoignent de la culture du stupa et des rites funéraires associés aux membres du sangha. Des vestiges, comme de petites stupas votives, marquent les lieux où reposent les restes funéraires de laïcs dévoués, rendant ces découvertes cruciales pour comprendre la piété bouddhiste de l’époque.
Les textes bouddhistes insistent sur l’idée que les moines doivent renoncer à tous leurs biens matériels lorsqu’ils rejoignent le sangha, mais les inscriptions archéologiques montrent que, en pratique, les moines et les nonnes conservent souvent des biens considérables et continuent à faire des dons à des complexes monastiques. Cela suggère une certaine flexibilité dans l’application des règles concernant la propriété et les dons dans les communautés monastiques. De même, alors que les textes affirment que les moines ne doivent pas manipuler de l’argent, des découvertes archéologiques, notamment à Sanchi et Nagarjunakonda, indiquent que des pièces de monnaie, ainsi que des outils pour les fabriquer, ont été trouvées dans les cellules monastiques. Ces éléments soulignent la dissonance entre les prescriptions textuelles et les pratiques réelles des moines.
Le don et le karma, thèmes essentiels dans la tradition bouddhiste, sont également au cœur des pratiques observées dans les inscriptions. Les centaines de documents épigraphiques issus de sites bouddhistes anciens révèlent une idée absente des textes : celle du transfert de mérite, où les résultats bénéfiques d’une action peuvent être transmis à autrui. Ces inscriptions confirment que la pratique du don ne se limitait pas aux laïcs, mais qu’elle était partagée activement par les moines et les nonnes. Cette observation remet en question l’idée d’une séparation nette entre les pratiques monastiques et laïques, et suggère que la distinction entre les deux n’était pas aussi rigide qu’on ne l’avait cru jusque-là.
En ce qui concerne l’implantation du bouddhisme à Sri Lanka, les chroniques pali du IVe/Ve siècle, telles que le Dipamvamsa et le Mahavamsa, attribuent l’introduction de la religion à l’époque de l’empereur Maurya Ashoka, lorsque Devanampiya Tissa régna sur l’île (c. 250–210 av. J.-C.). C’est à cette époque que Mahinda et Sanghamitta, envoyés par Ashoka, introduisirent le bouddhisme et des branches de l’arbre sacré de Bodhi. Les premières inscriptions de dons bouddhistes à Sri Lanka remontent au IIIe siècle avant notre ère, et certaines d’entre elles montrent une implication de l’élite locale et des familles royales dans le soutien des communautés monastiques. Cependant, il convient de noter que la rivalité entre les différentes factions du sangha, telles que les écoles Abhayagiri et Mahavihara, a aussi joué un rôle déterminant dans la dynamique politique et religieuse de l’île. Ces factions se disputaient non seulement le patronage royal, mais aussi une influence sur la vie religieuse et politique, parfois jusqu’à l’implication dans des disputes de succession royale. Cette interaction complexe entre religion, politique et rivalités internes du sangha fut une caractéristique marquante de cette période.

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