L'anxiété, sous toutes ses formes, représente aujourd'hui l'un des défis de santé mentale les plus courants. Paradoxalement, plus l'on tente d'éviter ou de contrôler cette anxiété, plus elle semble s'intensifier. L'inquiétude engendre l'anxiété, et l'anxiété engendre davantage d'inquiétudes. Les individus souffrant d'anxiété développent un cercle vicieux où ils évitent des activités ou des lieux dans le but de fuir les sentiments anxieux, ce qui, au contraire, restreint progressivement leur vie, renforçant ainsi leur anxiété. Ce cercle peut persister pendant toute une vie.

Certains thérapeutes, bien qu'animés de bonnes intentions, peuvent involontairement aggraver la situation en tentant de faire éviter à leurs patients leurs pensées et sentiments désagréables. Si cette approche peut apporter un soulagement temporaire, notamment dans les cas légers, elle peut être contre-productive pour les cas plus graves, et exacerber un combat à long terme. Ainsi, à la fois le patient et le thérapeute peuvent se retrouver piégés dans un même cycle d'évitement et de frustration.

Les anciennes formes de psychothérapie enseignaient aux patients souffrant d'anxiété à remettre en question la validité et la rationalité de leurs pensées anxieuses, mais les recherches récentes montrent que cette stratégie tend souvent à intensifier le conflit, surtout si elle est pratiquée de manière trop directe, ce qui finit par renforcer l'anxiété. Remettre en question les pensées peut, en réalité, leur conférer plus de pouvoir. Une compréhension plus approfondie de la manière dont les pensées sont conditionnées par l'expérience et les émotions a permis des avancées significatives dans le traitement des troubles anxieux les plus complexes.

En effet, l'anxiété, par définition, est désagréable, et il faut du courage et de la motivation pour y faire face. Pour de nombreuses personnes, l'anxiété devient si intense et accablante qu'elles se retrouvent bloquées dans un mode de survie, où la vie devient une corvée. Leur identité peut alors devenir étroitement liée à leurs luttes intérieures, et elles se perdent dans un tourbillon de pensées et de sentiments pénibles.

Dans ce contexte, la Thérapie d'Acceptation et d'Engagement (ACT), développée par Steven C. Hayes et ses collègues, propose une approche novatrice. L’ACT repose sur l'idée que l’acceptation des émotions, plutôt que leur évitement, est cruciale pour changer la relation que l’on entretient avec les pensées et sentiments anxieux. En outre, cette thérapie utilise des processus de pleine conscience et d’acceptation pour aider les individus à mieux vivre avec leurs pensées et émotions désagréables. Elle met également l’accent sur l’engagement et l’action, afin d’aider les individus à se diriger vers une vie plus riche et plus épanouissante, malgré la présence d'anxiété.

L’ACT ne se limite pas à un cadre rigide de psychothérapie, mais s'intègre de manière souple à diverses techniques fondées sur des preuves empiriques. Elle se base sur des principes issus de la conditionnement classique, du renforcement négatif et de la thérapie d’exposition, et se nourrit des découvertes issues de nombreuses années de recherches contrôlées. Ce n’est donc pas une approche qui cherche à imposer une nouvelle école thérapeutique, mais qui intègre les meilleures pratiques cliniques existantes.

Une particularité importante de l'ACT réside dans la manière dont elle invite les thérapeutes à gérer leur propre anxiété. Ceux-ci doivent apprendre à accepter leurs propres sentiments d'anxiété pour éviter de transmettre, même inconsciemment, à leurs patients l'idée que l'anxiété doit être évitée à tout prix. Ce travail d'acceptation est essentiel, car, dans de nombreuses situations, il s’avère contre-productif d’essayer de "faire disparaître" l’anxiété du patient de manière trop pressante. Au lieu de cela, l'ACT enseigne à vivre avec l'anxiété, en se concentrant sur des actions concrètes qui permettent de s’épanouir malgré elle.

Il est aussi primordial de comprendre que l'ACT repose sur un principe fondamental : celui de l'action. Ce n’est pas une thérapie qui se limite à des réflexions introspectives ou à une gestion passive de la souffrance, mais qui cherche à ancrer les individus dans des actions qui les mènent à un sens et à une vie plus satisfaisante. Par exemple, une personne qui, en raison de l'anxiété, évite des situations sociales, pourrait progressivement, à son rythme, commencer à s’exposer à ces situations de manière contrôlée, en se concentrant non pas sur l'absence d’anxiété, mais sur le sens de l’engagement.

Un aspect fondamental à prendre en compte est la notion de "flexibilité psychologique", c’est-à-dire la capacité à vivre pleinement l’expérience présente, sans se laisser paralyser par les émotions négatives ou l’angoisse, mais en choisissant d’agir malgré elles. La véritable transformation ne réside pas dans l’évitement de l’anxiété, mais dans la capacité à s’engager vers une vie pleine de sens, en dépit de cette anxiété.

Le travail de l'ACT est également ancré dans des données probantes. Il existe aujourd'hui des milliers d’études contrôlées qui démontrent l’efficacité de cette méthode pour traiter une large gamme de troubles, y compris les troubles anxieux. Ces recherches ont montré que l'ACT peut offrir des résultats durables, contrairement à d’autres approches qui, même si elles sont utiles sur le court terme, peuvent laisser place à des rechutes.

Les cliniciens doivent garder à l’esprit que l’anxiété, bien qu’inconfortable, fait partie de la condition humaine. Ce n’est pas quelque chose à fuir, mais quelque chose à comprendre et à apprivoiser. L’ACT offre ainsi un cadre thérapeutique qui permet de briser le cycle vicieux de l’évitement et de l’intensification de l’anxiété, en privilégiant l’acceptation, l’engagement, et des actions qui favorisent la flexibilité psychologique et l’épanouissement personnel.

Comment mieux comprendre l’anxiété et s’engager dans l’action malgré elle ?

Si vous luttez contre l’anxiété, il est fort probable que vous ayez passé des années à la repousser, à l’ignorer ou à vous en éloigner. Mais cette approche, même si elle semble offrir un soulagement temporaire, ne fait souvent qu'aggraver les choses à long terme. Pour initier un véritable changement dans votre vie, il est essentiel de comprendre l'anxiété, non pas de la manière dont vous l'avez toujours perçue, mais d'une façon nouvelle. Après tout, comment espérer un changement si l'on ne prend pas le temps de connaître exactement ce que l'on affronte ? L’anxiété a probablement engendré de nombreux problèmes dans votre existence, c’est pourquoi il est tout à fait compréhensible que vous ayez cherché à l’éviter. Pourtant, cette attitude finit par renforcer le combat et aggraver la souffrance. Pour changer cela, il faut s’y confronter, non pas comme un ennemi à combattre, mais avec la curiosité d’un scientifique.

La première étape consiste à observer l’anxiété sous ses différentes formes et intensités. Considérez-la comme un niveau d'eau : lorsque ce "niveau d'eau" atteint vos narines, chaque petite vague de la vie semble risquer de vous submerger. Mais lorsque le niveau est à vos chevilles, seule une vague beaucoup plus grande peut vous faire vaciller. Cette métaphore illustre bien les différentes intensités de l’anxiété et comment elles influencent votre perception des événements.

L’anxiété de faible intensité
Commençons par les signes précurseurs de l’anxiété, lorsque celle-ci se situe à un niveau relativement bas, au niveau de vos chevilles. Parfois, vous vous êtes tellement habitué à ignorer ses premiers signes qu'il devient difficile de savoir quand elle commence à se manifester. Cependant, si vous apprenez à prêter attention à votre corps et à vos pensées, vous pouvez déceler les premiers symptômes. Quelles situations, pensées, émotions ou sensations corporelles déclenchent cette forme d’anxiété modérée chez vous ? Identifiez les pensées qui surgissent quand vous ressentez cette tension légère. Quels types de sentiments vous envahissent ? Il est important de noter les sensations corporelles avec précision : peut-être une légère tension musculaire, une chaleur, des picotements ou un léger accéléré du rythme cardiaque. À chaque fois que vous ressentez cette anxiété de faible intensité, demandez-vous si ces sensations évoluent avec le temps.

L’anxiété de niveau moyen

Lorsque l’anxiété grimpe et atteint un niveau plus intense, au niveau de la taille, il est utile de prendre une nouvelle fois conscience des déclencheurs. Quels événements, pensées ou émotions ravivent cette anxiété accrue ? Les pensées négatives sont-elles plus présentes et, si oui, comment affectent-elles votre comportement et votre humeur ? Observez également les sensations corporelles : la tension dans vos muscles, la respiration qui se fait plus courte ou la sensation de poids sur la poitrine. Soyez précis dans vos observations. Les détails peuvent vous aider à comprendre plus profondément ce phénomène, en particulier lorsqu’il devient plus difficile à gérer.

L’anxiété de haut niveau
Enfin, lorsqu’il n’y a plus de doute et que l’anxiété atteint son paroxysme, l’essentiel est de comprendre qu’il s’agit d’une crise, un moment où l’émotion et le corps sont au bord du basculement. Quels événements déclenchent cette montée en puissance ? Est-ce un certain type de pensée ou d’expérience qui vous submerge à ce point ? Dans ces moments-là, les émotions peuvent être multiples, de la panique à la colère, et les sensations corporelles souvent intenses, parfois même paralysantes. Vous devez vous rappeler que, même dans ces moments extrêmes, prendre le temps d’observer ces sensations sans jugement, et d’enregistrer chaque détail, peut paradoxalement apaiser la situation.

S’engager dans l’action malgré l’anxiété

Une fois que vous avez appris à observer votre anxiété, il devient crucial de passer à l’action, même quand cette émotion reste présente. Beaucoup de personnes angoissées se retrouvent paralysées par leurs pensées et émotions, et attendent des circonstances parfaites pour agir, croyant que tant que l’anxiété persiste, elles ne peuvent pas avancer. Elles pensent que dès que l’anxiété s’estompera, elles pourront enfin vivre pleinement. Mais, en réalité, si vous attendez que tout soit "parfait", vous risquez de passer à côté de votre vie. L’action est essentielle. Elle peut paraître insignifiante au début, mais elle est la clé pour faire avancer les choses. Ne vous laissez pas figer par l’angoisse, mais agissez dans la direction de vos valeurs, même si cela ne fait qu’une petite étape. Par exemple, si vos objectifs de vie vous semblent trop lointains ou intimidants, commencez par de petites actions quotidiennes. Un petit geste vers ce qui vous importe sera toujours plus efficace que l'attente de conditions idéales.

C’est ce qu’on appelle l’"action engagée". Il ne s'agit pas d'attendre que l'anxiété disparaisse, mais de prendre des mesures vers ce qui a du sens pour vous. Il est bien plus important de poser un premier pas, aussi petit soit-il, que de rester figé en attendant un moment parfait qui, de toute façon, ne viendra jamais. Il est primordial de comprendre que l’anxiété fait partie de cette expérience humaine et que l'on peut vivre pleinement avec elle. Agir malgré elle, c’est cette victoire sur soi-même qui permet de se réapproprier sa vie et d’en faire un parcours significatif, même au milieu du chaos intérieur.