La primauté des États-Unis, qui soutient que la puissance militaire américaine est la clé de la paix et de la prospérité mondiales, repose sur un postulat faussé : celui de l'influence d'une seule nation sur l'ensemble des dynamiques mondiales. Après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont établi un réseau mondial d'alliances militaires et ont maintenu une présence militaire à travers le monde, prétendant que leur rôle de « pacificateur » était la raison principale de l'absence de guerre majeure. Cependant, cette thèse ne tient pas à l'examen des facteurs multiples qui ont contribué à cette paix relative.

Les partisans de la primauté croient que la puissance militaire des États-Unis a non seulement dissuadé les conflits à grande échelle, mais aussi permis la stabilité internationale. Il est cependant difficile de prouver que cette puissance militaire soit la seule cause de la paix. D'autres facteurs comme la prolifération des armes nucléaires, l'expansion de la démocratie, l'interdépendance économique mondiale et la généralisation des normes contre la violence ont joué un rôle tout aussi important. En outre, il est loin d'être évident que la présence continue des États-Unis dans certaines régions soit perçue comme pacifiante. L'expansion de l'OTAN aux frontières de la Russie, par exemple, a alimenté les craintes de Moscou, tout comme la présence navale américaine en Asie de l'Est inquiète la Chine, qui redoute que les États-Unis ne bloquent des voies maritimes essentielles pour son économie.

Bien que certains partisans de la primauté affirment que l'influence militaire américaine rassure ses alliés et les empêche de développer leurs propres forces armées, cette situation crée un effet paradoxal : au lieu de contribuer à une plus grande stabilité, elle incite certains pays à ne pas investir suffisamment dans leur défense. En effet, la promesse de sécurité américaine a encouragé certains alliés à sous-financer leurs armées et à se concentrer sur le développement économique et social. Si cette stratégie permet d'éviter des courses aux armements déstabilisantes, elle laisse également certains pays vulnérables face à des défis sécuritaires mondiaux, comme le terrorisme ou la piraterie.

Les conséquences de cette situation sont multiples. Les États-Unis, en maintenant des garanties de sécurité pour des alliés riches, ont freiné certains types de guerres offensives, mais en même temps, ils ont rendu ces pays dépendants de la protection américaine, ce qui les rend moins capables de gérer les crises globales. À l'exemple de l'Europe de l'Est ou du Moyen-Orient, des pays peuvent être incapables de répondre aux menaces locales sans l'aide directe des États-Unis. Mais il existe aussi un revers à cette dépendance. Des nations comme l'Arabie Saoudite, qui bénéficient de l'appui militaire américain, ont parfois agi de manière irresponsable, comme en témoigne la guerre au Yémen, où l'Arabie Saoudite, soutenue par les États-Unis, a continué un conflit meurtrier malgré les appels internationaux à la paix.

L'influence américaine, dans ce cadre, ne peut pas être considérée comme une solution universelle à tous les conflits mondiaux. En fait, certaines nations, convaincues de la protection américaine, risquent de ne pas chercher des solutions diplomatiques viables à leurs conflits régionaux, sachant que les États-Unis les soutiendront en cas de besoin. Ce soutien peut conduire à une fausse sécurité qui empêche l'émergence de solutions locales adaptées aux réalités des conflits.

La prolifération nucléaire est un autre point clé de cette dynamique. L'absence de garanties de sécurité de la part des États-Unis pourrait encourager certains pays à développer leurs propres armes nucléaires, comme en témoigne l'exemple de la Corée du Nord, qui a appris de l'intervention américaine en Irak, en Serbie et en Libye. Le paradoxe de la stratégie de non-prolifération réside dans le fait qu'en cherchant à empêcher certains États d'acquérir des armes nucléaires, les États-Unis risquent d'accroître les tensions mondiales et de rendre inévitables des conflits militaires pour éliminer les capacités nucléaires naissantes.

L'argument selon lequel les États-Unis doivent continuer à mener une politique de primauté, de peur que les pays n'agissent seuls et ne prolifèrent, ne prend pas en compte les effets à long terme de l'instabilité qu'une telle stratégie engendre. En effet, la tentative de stopper la prolifération nucléaire peut aboutir à des coûts bien plus élevés, notamment par le recours à la guerre, ce qui augmente les souffrances humaines et les pertes de vies.

Les alliés des États-Unis, bien qu'ils bénéficient de la sécurité américaine, présentent souvent un manque de volonté ou de capacité à prendre en charge leur propre défense. Les États-Unis, en garantissant la sécurité, se retrouvent dans une position où leur influence sur les comportements de leurs alliés devient limitée. Les menaces de couper l'accès à la protection ne sont pas crédibles, car les États-Unis ont rarement, voire jamais, mis fin à des alliances pour des raisons de non-contribution. Cela aboutit à un système de « passagers clandestins », où certains pays profitent des avantages de l'alliance sans en assumer les responsabilités.

En somme, la primauté des États-Unis, loin de garantir une paix mondiale durable, crée une dynamique de dépendance qui fragilise les capacités d'autodéfense des nations et conduit à des situations de plus en plus instables et imprévisibles. L'idée qu'une puissance dominante puisse maintenir l'ordre mondial en sa faveur sans prendre en compte les forces locales et régionales est une illusion qui finit par engendrer plus de conflits que de solutions.

Trump et la montée des tendances autoritaires : une analyse de son impact sur la politique étrangère des États-Unis

Donald Trump a pris l'habitude de qualifier ses détracteurs de traîtres. Lorsque Gary Cohn, son principal conseiller économique, présenta sa démission, Trump aurait répondu par ces mots : « C’est de la trahison ». De même, il qualifia les fonctionnaires de la Maison Blanche qui divulguaient des informations à la presse de « traîtres et de lâches ». Ceux qui refusaient de se lever et d’applaudir pendant son discours sur l’état de l’Union étaient considérés comme « anti-américains » et « traîtres ». Après la publication par le New York Times d’un article d’opinion anonyme d’un haut responsable de l’administration critique à l’égard du président, Trump demanda que le journal le remette immédiatement au gouvernement pour « des raisons de sécurité nationale ». Dans un autre cas, son intolérance envers la dissidence le poussa à insinuer que la protestation devrait être illégale.

Le rapprochement de Trump avec les dictateurs étrangers est bien connu : il a exprimé son admiration pour des régimes autoritaires tels que ceux d'Abdel Fattah el-Sisi en Égypte, de Mohammad ben Salmane en Arabie Saoudite, de Vladimir Poutine en Russie et de Kim Jong Un en Corée du Nord. En mai 2019, en réponse à des enquêtes menées par le Congrès, Trump ordonna à l'exécutif de défier des citations à comparaître légales, même en cas de menace de mépris du Congrès. Cette attitude a conduit à ce que le président des États-Unis fasse face à une « crise constitutionnelle », selon Jerry Nadler, président de la commission judiciaire de la Chambre des représentants.

Steven Levitsky et Daniel Ziblatt, chercheurs à l’Université de Harvard, ont étudié pendant plus de vingt ans des cas où des démocraties en Europe et en Amérique latine ont été subverties en dictatures par l'élection d’un autocrate ou l’érosion progressive des normes démocratiques. Selon eux, il existe quatre indicateurs clés du comportement autoritaire chez les dirigeants élus : (1) le rejet ou l'engagement faible envers les règles démocratiques ; (2) le déni de légitimité des opposants politiques ; (3) la tolérance ou l'encouragement de la violence ; et (4) la volonté de restreindre les libertés civiles des opposants, y compris la presse. Donald Trump satisfait à ces quatre critères : le rejet des règles démocratiques par ses appels à l’action sans tenir compte des institutions ou des résultats électoraux ; le dénigrement de ses opposants et l'encouragement de la violence contre les manifestants opposés à lui ; ainsi que son traitement de la presse, qu’il qualifie régulièrement d’« ennemie du peuple », tout en cherchant à modifier les lois sur la diffamation pour poursuivre les journalistes.

Les tendances autoritaires de Trump peuvent éclairer sa vision du monde et sa gestion de la politique étrangère. Les traits autoritaires, bien que non déterminants à eux seuls, influencent fortement le processus de décision d’un dirigeant. En psychologie politique, on observe que les leaders autoritaires partagent certaines habitudes de pensée, comme une difficulté à faire preuve de pensée critique, une tendance à rechercher des boucs émissaires pour expliquer les problèmes sociaux, un goût prononcé pour la violence, et une valorisation de la puissance et de la rigueur dans le management. L’autoritarisme de Trump s’est manifesté dans ses politiques de défense et de diplomatie, notamment par son approche unilatérale et l’utilisation de la force sans consultation systématique du Congrès ou des alliés internationaux.

Cependant, malgré ces tendances, le système politique américain n’est pas autoritaire. Trump reste soumis au processus démocratique, limité constitutionnellement à deux mandats de quatre ans et soumis aux contrôles et équilibres des autres branches du gouvernement. L’administration américaine fait face à une pression constante de la part d’une presse libre, qui expose les débats internes et met en lumière les politiques de la Maison Blanche. Néanmoins, il existe une concentration de pouvoirs dans les mains du président des États-Unis qui est sans équivalent chez la plupart des dictateurs mondiaux. Le président dispose d’un pouvoir exécutif étendu, lui permettant de lancer des guerres de manière unilatérale, d’entreprendre des actions secrètes, ou d’utiliser des drones armés pour mener des frappes aériennes, parfois sans l'aval du Congrès. Ce pouvoir, bien que soumis à des contraintes institutionnelles, lui confère une influence considérable.

Cela dit, l’ampleur de ce pouvoir exécutif exacerbe la portée de ses tendances autoritaires. Les actions de Trump en matière de politique étrangère sont guidées par sa perception du pouvoir, sa volonté de se rendre plus autonome, et son désir de maintenir une posture de force. Son recours à la violence diplomatique et militaire peut être interprété comme une réponse à une vision du monde axée sur la domination et l’intimidation, caractéristiques des régimes autoritaires. Sa méfiance à l’égard des institutions multilatérales et son aversion pour les compromis en politique étrangère renforcent ce caractère autoritaire. De plus, sa tendance à considérer les opposants comme des ennemis légitimes, en déniant toute validité à leur point de vue, nourrit l'idée d'une politique mondiale fondée sur le principe du « je suis contre vous » plutôt que de l’interdépendance ou de la coopération.

Dans ce contexte, les impulsions autoritaires de Trump ne se limitent pas à des éléments psychologiques ou à des choix politiques personnels ; elles affectent la manière dont les États-Unis interagissent avec le reste du monde. Son influence sur la politique étrangère des États-Unis pourrait ainsi être vue à travers le prisme de son désir de renforcer la position des États-Unis sur la scène internationale, sans nécessairement tenir compte des normes diplomatiques traditionnelles ou des alliances historiques. Le système international, de plus en plus confronté à la montée de l’autoritarisme, est donc soumis à des dynamiques nouvelles et imprévisibles, dont les implications pour l'avenir de la diplomatie mondiale sont encore à définir.

Quelle est la véritable nature des négociations diplomatiques sous la présidence de Trump ?

L'approche diplomatique de Donald Trump a marqué un tournant radical dans la politique étrangère américaine, oscillant entre la promesse de dénouer des tensions anciennes et la mise en œuvre de stratégies parfois contradictoires. Son engagement avec la Corée du Nord en est un exemple frappant. Dès son entrée en fonction, Trump a mis en avant sa volonté de résoudre un conflit de longue date sur la péninsule coréenne, se rendant personnellement à Singapour pour une rencontre historique avec Kim Jong-un. À cette occasion, il a exprimé un optimisme démesuré, affirmant que les négociations se déroulaient de manière "flottante", renforcées par des relations personnelles de confiance qu'il avait cultivées avec le dirigeant nord-coréen. En d'autres termes, Trump parlait presque de « tomber amoureux » du processus de négociation, une déclaration qui, tout en étant suggestive, ne correspondait cependant pas à la réalité géopolitique plus complexe.

Au cœur de ces négociations résidait un écart majeur de compréhension entre les parties prenantes. L'administration Trump insistait sur une "dénucléarisation complète, vérifiable et irréversible" de la Corée du Nord avant d'envisager la levée des sanctions économiques. En revanche, Kim Jong-un, tout en acceptant de poser les premières pierres d'une confiance mutuelle – comme la restitution des restes de soldats américains tombés durant la guerre de Corée ou la suspension des essais nucléaires et de missiles à portée des États-Unis – prônait une approche graduée. Pour Pyongyang, la dénucléarisation complète incluait la suppression des troupes américaines et de leurs équipements militaires en Corée du Sud, un élément fondamental qui ne correspondait pas aux attentes de la Maison Blanche. Cette différence fondamentale dans la définition même de "dénucléarisation" a créé un climat de méfiance, nuisant à l'avancement réel des négociations. Loin d'être un gage de succès, cette divergence a contribué à l'incertitude, poussant chacune des parties à des gestes parfois drastiques lorsqu'elle estimait que l'autre ne respectait pas ses engagements.

Au même moment, les sanctions économiques contre la Corée du Nord sont restées en place, alors que Trump avait suspendu des exercices militaires conjoints avec la Corée du Sud, et certains responsables ont même évoqué la possibilité d’une révision de l’engagement de sécurité des États-Unis envers Séoul. Ces propositions – qui envisageaient de formaliser la fin de la guerre de Corée dans un grand compromis avec le Nord – constituaient un virage net par rapport à la politique traditionnelle américaine, bien que ces idées aient rencontré l'opposition des responsables de la sécurité nationale.

Dans un autre registre, la politique étrangère de Trump s'est également orientée vers l'Afrique, un continent qui, sous sa présidence, a été perçu comme un terrain de compétition entre grandes puissances. Trump a lancé une nouvelle stratégie en 2018, mise en avant par son conseiller à la sécurité nationale, John Bolton, pour contrer l'influence croissante de la Chine et de la Russie sur le continent. Cette stratégie se décline en trois axes principaux : le renforcement des relations commerciales avec les pays africains, une expansion de l’engagement militaire américain pour contrer les menaces terroristes, et un redéploiement de l’aide américaine afin de mieux correspondre aux intérêts stratégiques des États-Unis.

Les relations commerciales, selon Bolton, devaient non seulement favoriser les investissements américains, mais aussi garantir une "indépendance" des nations africaines vis-à-vis des influences extérieures, notamment de la Chine et de la Russie. Cependant, cet objectif semblait sous-tendu par la volonté de rendre les pays africains dépendants des États-Unis plutôt que de les émanciper véritablement. Un point particulièrement controversé était l'idée d'imposer des réformes légales et économiques dans certains pays africains pour les amener à adopter des systèmes plus alignés sur le modèle américain. Cette approche, bien qu’ambitieuse, risquait de renforcer les problèmes internes de ces pays plutôt que de favoriser leur développement. En réalité, de telles tentatives de réforme ont souvent échoué dans le passé, se traduisant par une exacerbation des problèmes de corruption et d'illibéralisme.

Parallèlement, la stratégie prévoyait une expansion de la présence militaire des États-Unis en Afrique pour contrer le terrorisme islamique et les conflits violents. Ce déploiement militaire, loin de répondre à des besoins ciblés, risquait d'engendrer de nouvelles interventions militaires et de nouvelles campagnes de contre-insurrection, créant un climat de déstabilisation à long terme. Il est difficile de ne pas voir dans cette approche une continuité avec les erreurs du passé, à l’image de l’engagement militaire prolongé des États-Unis au Moyen-Orient après les attentats du 11 septembre.

Enfin, la réorientation de l'aide américaine vers des priorités stratégiques, plutôt que humanitaires ou liées à la paix, marquait une rupture nette avec les approches traditionnelles de l’aide internationale. L'objectif de Trump était de s'assurer que l'aide américaine soit utilisée pour promouvoir les intérêts sécuritaires des États-Unis, notamment en facilitant l’accès aux ressources ou en établissant une présence militaire plus large. Cette politique risquait de renforcer des régimes autoritaires tout en marginalisant les efforts de paix ou de développement à long terme, au profit d'une vision stratégique et sécuritaire immédiate.

Les relations extérieures sous Trump sont ainsi marquées par une volonté d'affirmer la primauté des États-Unis sur la scène mondiale. Toutefois, là où des changements significatifs ont eu lieu, ils ont souvent été accompagnés de tensions internes et de contradictions qui ont compliqué la mise en œuvre de politiques ambitieuses. L'un des aspects les plus frappants de son approche a été son style de gestion : une communication informelle, sans filtre, qui, bien que susceptible d'attirer l'attention, a également contribué à la confusion et à la méfiance vis-à-vis des intentions américaines. Dans de nombreux domaines, Trump a maintenu une politique de primauté, mais la mise en œuvre de cette stratégie a souvent été chaotique et a ajouté de l'incertitude à la scène internationale.