Le tournant des années 1960 et 1970 a marqué un point de non-retour dans l'histoire politique des États-Unis. Ce fut une époque de transformations profondes, non seulement dans les mentalités et les structures sociales, mais aussi dans le système partisan américain, particulièrement autour des questions raciales. L'un des événements les plus marquants de cette période a été l'ascension du Parti républicain, qui a su exploiter un mécontentement croissant parmi certains groupes de la population blanche, tout en provoquant une fracture de plus en plus grande avec la communauté noire, devenue un bastion du Parti démocrate.

L'une des premières expressions de ce changement s'est manifestée lors des primaires républicaines de 1964, où George Wallace, un ancien démocrate, a remporté un soutien surprenant, non seulement dans le Sud, mais également dans les zones urbaines et suburbaines à forte concentration d'immigrants blancs dans la ceinture industrielle. Les républicains, hésitant sur la manière de capter cette vague de mécontentement, ont finalement désigné Barry Goldwater, un radical conservateur qui s'était opposé au Civil Rights Act de cette même année. Goldwater a porté la campagne sur une plateforme d'états droits, réussissant à remporter cinq États du Sud, mais s'est incliné face à Lyndon Johnson. Toutefois, cette défaite a semé les graines d'un réalignement racial majeur dans la politique américaine. Les électeurs noirs, révoltés par la nomination de Goldwater, ont progressivement adopté le vote démocrate, tandis que le mécontentement des Blancs à l'égard du Parti démocrate s'est intensifié au cours des années 1960. Les émeutes à travers le pays et la législation continue sur les droits civils ont poussé un nombre croissant de Blancs vers le Parti républicain.

Dans les années suivantes, la fracture raciale dans le paysage politique américain est devenue encore plus évidente. En 1968, George Wallace a couru comme candidat indépendant et a récolté 13,5 % des voix, remportant cinq États du Sud et des résultats surprenants dans les zones blanches autour des grandes villes industrielles du Nord. Richard Nixon, quant à lui, a choisi de mener une campagne plus subtile en invoquant le thème de l'ordre public. Cependant, sa capacité à capter les voix du Sud nécessitait des gestes plus directs liés aux ressentiments raciaux. C'est ainsi qu'en 1972, l'équipe de Nixon a mis en place la "Southern Strategy", une stratégie visant à capter les électeurs racistes de Wallace en utilisant des thèmes et des expressions qui agissaient comme des signaux codés, ou "dog whistles", afin de faire appel aux préjugés raciaux sans en parler ouvertement.

Le fameux entretien de 1981 avec l'un des conseillers de Nixon, Lee Atwater, a mis en lumière la mécanique de cette stratégie. Selon lui, il n'était plus possible de tenir des discours racistes explicites comme dans les années 1950. À la place, on parlait de "droit des États", de "transports scolaires forcés", ou encore de politiques économiques abstraites qui, selon lui, auraient un effet secondaire qui défavorisait plus gravement les Noirs que les Blancs. Cette approche plus abstraite permettait de contourner les accusations de racisme direct tout en poursuivant une politique de division raciale qui, au fond, visait à maintenir un statu quo favorable à une certaine classe sociale blanche.

Si Nixon a été crédité de cette stratégie, c'est Ronald Reagan qui, en 1980, a perfectionné cette méthode. Dans un contexte où les États du Sud étaient encore divisés entre démocrates et républicains, Reagan a fait le choix stratégique de commencer sa campagne par un discours à la foire du comté de Neshoba, en Mississippi. Ce comté avait été tristement célèbre pour les meurtres en 1964 de trois militants des droits civiques, assassinés alors qu'ils tentaient de faire inscrire des électeurs noirs. En se rendant à cette foire et en prononçant un discours sur les droits des États, Reagan a adressé un message aux réactionnaires blancs tout en utilisant un langage suffisamment ambigu pour que des modérés blancs puissent y voir un simple plaidoyer pour un retour aux principes constitutionnels.

La force de cette stratégie résidait dans sa capacité à reconquérir les électeurs du Sud, anciens démocrates soutenant Wallace, sans recourir à des discours explicitement racistes. Reagan a ainsi pu réconcilier ces électeurs racistes avec une vision plus modérée du Parti républicain, tout en s'assurant que les tensions raciales ne se manifestent pas de manière trop flagrante dans le discours public. Cette tactique fut essentielle pour transformer le Parti républicain en une force dominante dans le Sud des États-Unis pendant les décennies suivantes.

Le 6 août 1980, Reagan a également effectué une visite très médiatisée dans le South Bronx, un quartier dévasté de New York, dans le cadre de sa campagne. Là, il n'a fait aucune promesse de fonds pour la reconstruction du quartier. Il a critiqué l'intervention du gouvernement et prôné des réductions fiscales pour les promoteurs et la possibilité pour les habitants de s'en sortir par leurs propres moyens, sans aide publique. Ce discours faisait écho à une idéologie conservatrice largement répandue, selon laquelle l'intervention de l'État dans les quartiers pauvres ne faisait qu'aggraver la situation. Cependant, cette analyse ignorait largement le rôle dévastateur des forces privées dans la décadence urbaine, telles que les migrations massives des Blancs vers les banlieues, la spéculation immobilière destructrice et la discrimination bancaire systémique.

La manière dont Reagan a exploité le déclin urbain pour faire passer son message anti-gouvernemental est un exemple frappant de la façon dont les politiciens ont manipulé la perception des problèmes sociaux et raciaux pour renforcer leur base électorale. L'échec de l'État à améliorer la situation de ces quartiers a été utilisé non pas comme un argument pour plus d'intervention, mais comme un levier pour justifier une approche encore plus libérale en matière d'impôts et de minimalisme gouvernemental.

Ainsi, les stratégies raciales, qu'elles soient explicites ou voilées, ont profondément remodelé la politique américaine dans les années 1960 et 1980. Elles ont permis à des figures comme Nixon et Reagan d'aligner les intérêts des classes sociales blanches avec des politiques de division raciale et de réduction de l'intervention de l'État, en faisant des enjeux raciaux un terrain de bataille sur lequel se jouait une grande partie du destin politique du pays.

Pourquoi l’abandon des terres urbaines persiste-t-il malgré les politiques publiques?

Le modèle du marché foncier, basé sur des principes économiques strictement libéraux, semble de plus en plus inadapté aux défis complexes de l’abandon des terres dans les zones urbaines délaissées. L’essor des politiques d’aménagement et d’intervention du marché a produit des effets décevants, loin des promesses d’une revitalisation rapide des quartiers dégradés. Bien que ces politiques aient souvent été vues comme la solution idéale, elles n’ont pas suffi à inverser la tendance de l’abandon des terres. Au contraire, dans certains cas, elles ont même exacerbé le problème. Il apparaît désormais que la capacité à adopter une approche managériale ou non-marchande, susceptible de réguler les processus d'abandon, a diminué au fil du temps.

L’un des principaux obstacles réside dans le manque d'intégration de facteurs cruciaux dans les discussions publiques sur l’abandon des terres. Des éléments comme la ségrégation raciale, la construction d’autoroutes, ou encore les politiques de réforme des clauses d’expropriation, qui pourraient limiter l’accès des investisseurs prédateurs, sont souvent laissés de côté. Les politiques publiques, dans ce cadre, ne parviennent pas à restreindre de manière significative toutes les causes de l’abandon des terres. Certaines forces, comme celles dictées par des gouvernements extérieurs sans intérêt à promouvoir des politiques bénéfiques pour une ville concurrente, résistent à toute forme d’intervention. Dans d’autres cas, les décisions politiques sont largement influencées par des idéologies de marché issues de couches supérieures de gouvernance, qui imposent des solutions sans tenir compte des réalités locales.

Les gouvernements locaux, limités par des politiques étatiques centralisées, sont souvent réduits à des partenaires commerciaux pour des promoteurs immobiliers, possédant uniquement la capacité d'exproprier les terrains nécessaires à des projets rentables. Toutefois, ces mêmes autorités n’ont pas les moyens d’instaurer des régulations sur les marchés fonciers ou de mettre en place des stratégies d’aménagement plus inclusives. Une telle situation engendre un cercle vicieux où la gestion urbaine est déterminée non pas par des besoins sociaux ou environnementaux, mais par des dynamiques économiques qui profitent avant tout aux investisseurs privés. Les initiatives de transformation des terres abandonnées en espaces communautaires, comme les parcs ou les jardins urbains, bien que louables, restent marginales et tributaires de financements externes. Elles ne peuvent, à elles seules, répondre à l'ampleur du problème. Par exemple, les quartiers de Detroit, malgré des efforts pour convertir des terrains vacants en jardins communautaires, comptent toujours des centaines de terrains inexploités, laissés à la merci d’investisseurs peu scrupuleux.

Les efforts locaux pour redynamiser ces zones se font en dépit, et non grâce, aux politiques imposées par les autorités supérieures. La dépendance à des dons privés et à l'engagement bénévole rend ces initiatives vulnérables et difficilement reproductibles à grande échelle. Les solutions semblent souvent se heurter à des obstacles d’ordre économique et institutionnel plus vastes, imposés par des forces externes qui ne prennent pas en compte les spécificités des territoires touchés par l’abandon.

Un autre aspect fondamental souvent négligé dans les discussions sur les politiques foncières est la question raciale. Depuis des décennies, les quartiers à majorité noire subissent des discriminations institutionnalisées, notamment à travers la pratique du "redlining" par les banques, qui refuse de financer des projets immobiliers dans ces zones. L’impact de ces discriminations se reflète dans l'abandon des terres et dans la stigmatisation des quartiers concernés. L’absence de cette dimension raciale dans les réformes des marchés fonciers actuelles témoigne d’un racisme implicite, qui ignore les disparités structurelles et entretient les inégalités. Les politiques économiques libérales, qui rejettent la régulation au profit de la libre concurrence, ne remettent jamais en question la concentration des populations noires dans ces espaces abandonnés. Les conditions de vie dans ces quartiers ne peuvent être comprises sans prendre en compte les répercussions du racisme systémique sur les marchés fonciers.

Enfin, bien que certains politiciens et experts en urbanisme continuent de vanter l’approche du marché libre comme solution à l’abandon des terres, les données montrent que cette stratégie ne mène qu’à la marginalisation des populations les plus vulnérables. La politique de démolition sans plan de reconstruction, adoptée récemment dans des villes comme Detroit, est un exemple frappant de cette logique. À première vue, ces efforts peuvent sembler être une réponse pragmatique à l’érosion du tissu urbain. Cependant, en l'absence d'un plan cohérent de réhabilitation ou de remplacement des structures démolies, ces politiques ne font que vider les quartiers de leur potentiel, exacerbant encore le problème de l’abandon. Célébrer la démolition de maisons sans s’attaquer à la question de la régénération de ces espaces ne fait qu’aggraver la situation.

Il est donc essentiel de reconnaître que les solutions au problème de l’abandon des terres ne peuvent se limiter à des mesures isolées ou à des approches fondées uniquement sur le marché. Les politiques publiques doivent intégrer des perspectives plus larges, prenant en compte les inégalités raciales et sociales, tout en cherchant à réinventer une gouvernance urbaine qui privilégie les besoins des habitants sur ceux des investisseurs.