L’exceptionnalisme américain, en tant que concept politique et idéologique, a longtemps été un outil puissant dans la rhétorique présidentielle. Pourtant, sous l'administration de Donald Trump, cette notion a pris une tournure nouvelle et radicale, marquée par une approche moins nuancée et davantage centrée sur la supériorité immédiate des États-Unis, plutôt que sur l'idée d'une destinée unique ou d'un modèle à suivre pour le monde.

Si l’on considère l’évolution des discours présidentiels, il est frappant de constater la manière dont chaque président a invoqué l'exceptionnalisme américain en fonction de son propre style et de ses priorités politiques. Bill Clinton, par exemple, a insisté sur le rôle de leadership des États-Unis dans le monde, affirmant que "l’Amérique doit continuer à diriger le monde que nous avons tant contribué à construire". George W. Bush, quant à lui, a vu les États-Unis comme un modèle à imiter, insistant sur le fait que "cet idéal d’Amérique est l’espoir de toute l’humanité". Ces présidents, tout en reconnaissant la singularité de l’Amérique, ont mis l’accent sur sa position de leader moral et politique dans le monde.

Ronald Reagan, tout en étant un fervent défenseur de l’exceptionnalisme américain, a su l’exprimer de manière synthétique, mélangeant les idées de leadership mondial, de modèle à suivre et de supériorité. Sa capacité à intégrer plusieurs facettes de cette idéologie dans une seule déclaration – "Nous sommes les premiers. Nous sommes les meilleurs. Et nous sommes ainsi parce que nous sommes libres" – a marqué une étape clé dans la manière dont les présidents précédents ont mis en avant l’exceptionnalisme. En revanche, Donald Trump a pris une direction bien différente, se concentrant principalement sur un seul aspect de cette notion : la supériorité américaine.

Dans les discours majeurs de Trump, l’accent a été mis de manière presque exclusive sur l’idée de la supériorité économique et militaire des États-Unis. Il a souvent affirmé que l’Amérique était "la plus grande et la plus puissante économie de l’histoire du monde" et que l’armée des États-Unis était "la plus forte au monde". Cette focalisation sur la puissance immédiate de la nation reflétait une vision de l'exceptionnalisme bien plus utilitaire, destinée à justifier les actions et les politiques de son administration.

Une dimension importante de la stratégie de Trump a été la manière dont il a utilisé l’exceptionnalisme pour se réapproprier une vision de grandeur nationale. En campagne, Trump a souvent souligné que l’Amérique avait perdu son statut exceptionnel et qu’il était le seul capable de la restaurer. Dès qu’il est arrivé à la Maison Blanche, il a modifié cette narration en faisant d'« American exceptionalism » un produit de ses propres réalisations. Cela se traduisait par des discours où il revendiquait la restauration de la grandeur de l’Amérique, non seulement en termes de puissance économique et militaire, mais aussi dans la redéfinition du rôle des États-Unis dans le monde. À travers des slogans comme "Keep America Great!", il a clairement cherché à lier son mandat à un retour de l’exceptionnalisme, un retour qu’il présentait comme étant en grande partie dû à sa vision et à ses politiques.

Avant Trump, l’idée que le président prenne un crédit direct pour l’exceptionnalisme américain était rare et souvent perçue avec une certaine modestie. Par exemple, Barack Obama parlait de l’engagement des États-Unis dans la promotion de la paix et de la prospérité mondiale, mais il reconnaissait également les contributions des administrations précédentes et la coopération internationale. Cependant, sous Trump, cette modestie a cédé la place à une affirmation claire de la part du président, qui a largement évité de reconnaître les succès d’autres leaders tout en se portant garant des succès sous son mandat.

Il est aussi essentiel de noter que Trump a souvent utilisé la notion d’exceptionnalisme pour souligner un projet de société qui lui était propre, mettant en avant une vision de l’Amérique isolée des influences extérieures, prête à dominer sur la scène mondiale, mais selon ses propres termes. Cette approche a engendré une vision de l’Amérique où la grandeur était vue comme une réalité à imposer, non comme une qualité fondamentalement liée à l’histoire, aux valeurs ou à la mission unique de la nation.

Au-delà de cette analyse des discours présidentiels, l’idée d’exceptionnalisme américain a également évolué au fil des années pour devenir un reflet de la politique intérieure. L’accent mis par Trump sur la supériorité économique et militaire ne s'est pas seulement inscrit dans un contexte global mais a aussi été utilisé pour justifier ses choix politiques internes, notamment en matière de défense, de fiscalité et de commerce international. Cette réorientation a transformé l’exceptionnalisme d’une idée complexe et multiforme en un outil plus simple, axé sur l’idée d’une Amérique victorieuse, capable de dominer les autres nations.

En fin de compte, la manière dont Trump a redéfini l’exceptionnalisme américain illustre non seulement ses priorités en matière de politique étrangère, mais aussi une tentative de forger une nouvelle identité nationale. Cette identité se base sur une vision de l'Amérique comme étant un modèle de pouvoir et de réussite dans un monde global de plus en plus polarisé et compétitif. La conception de Trump a également permis d’associer la grandeur de l’Amérique à ses propres actions et décisions, tout en effaçant les complexités historiques et les contributions des autres présidents.

Le rôle des médias et de la démocratie sous la présidence de Trump : une guerre contre la vérité

Dès son premier mois à la Maison Blanche, alors que les critiques à l’encontre de son administration commençaient à se multiplier dans les grands médias, Donald Trump a inventé un nouveau surnom pour la presse : "Les médias FAKE NEWS (l'échec du @nytimes, @CNN, @NBCNews et bien d'autres) ne sont pas mes ennemis, ce sont les ennemis du peuple américain. MALADES !". À ses yeux, cette critique ne venait pas seulement de lui ; selon Trump, l’opinion publique, du moins celle qui le soutenait, partageait son jugement. Lors de chaque rassemblement MAGA, ses partisans affichaient une adhésion inébranlable à l’idée que les médias ne se contentaient pas d'être injustes à son égard, mais qu’ils l’étaient également envers eux. À un rassemblement MAGA à Fort Myers, en Floride, en 2018, Trump déclarait : "Nous avons fermement condamné la haine, la bigoterie, le racisme et les préjugés sous toutes leurs formes, mais les médias ne veulent pas que vous entendiez votre histoire. Ce n’est pas mon histoire. C’est votre histoire." En énonçant ainsi sa vision, Trump ne faisait pas simplement une critique des médias ; il les désignait comme un obstacle à la démocratie elle-même, et les qualifiait d’"ennemis du peuple".

Dans son esprit, les médias critiques à son égard ne se contentaient pas d’exercer leur rôle démocratique. Au contraire, leurs critiques mettaient en péril la démocratie américaine et subvertissaient la volonté du peuple. Lors d’une interview ou dans ses tweets, Trump insistait fréquemment sur le fait que les médias n’avaient jamais été aussi malhonnêtes ou corrompus que sous son administration, comme s'il se sentait personnellement attaqué, et surtout, isolé dans cette position. Il disait : "Les Fake News sont l'ennemi absolu du peuple et de notre pays lui-même !" Pour lui, ces médias, loin d’être les garants d’un contre-pouvoir, devraient fonctionner comme des instruments de propagande au service de sa présidence. Toute voix divergente était réduite à un simple obstacle à son action.

Au début de sa présidence, Trump tenta de nuancer sa position en précisant qu’il ne visait pas l’ensemble des médias mais seulement ceux qu’il qualifiait de "Fake News", affirmant qu’une grande partie des informations qu’ils diffusaient étaient fausses et malveillantes. Il expliqua que les médias comme CNN ou d’autres dans la même lignée étaient responsables de désinformation, visant à détruire son image et sa politique. Toutefois, à mesure que son mandat progressait, Trump élargissait ce cercle d’ennemis. Ce n'était plus seulement la presse hostile qui était visée, mais l'ensemble des médias traditionnels, y compris les plus respectés du pays. Fox News et d’autres médias favorables à Trump échappaient à cette critique, devenant, par contraste, des bastions de la vérité.

Pour Trump, la presse ne devait pas exercer un rôle critique mais plutôt servir de caisse de résonance à ses actions. Dans cette vision tronquée, les médias perdaient leur fonction de "quatrième pouvoir" dans la démocratie américaine, et étaient perçus comme des agents subversifs, capables de déstabiliser l'équilibre politique. Le résultat de cette guerre de mots était une fracture de plus en plus profonde entre Trump et les grandes institutions médiatiques, où tout différend était systématiquement interprété comme une attaque contre lui-même et, par extension, contre le peuple américain.

L’opposition des médias à sa présidence allait de pair avec une attaque frontale contre les mécanismes de contrôle du pouvoir, tels que les enquêtes mises en place pour scruter ses actions. L’enquête de Mueller, lancée moins de quatre mois après son arrivée au pouvoir, marqua un tournant décisif. Trump s’empressa de la qualifier de "chasse aux sorcières", un terme qu’il brandirait à chaque occasion, qualifiant l’enquête de tentative de renverser les résultats de son élection et de nuire à sa présidence. Dans ses discours et tweets, Trump esquissait l’image d’un président persécuté, où chaque attaque contre lui était vue comme une attaque contre le peuple qu'il représentait.

Au fur et à mesure que l’enquête avançait, Trump tenta de remodeler la narrative, affirmant que l’attaque n’était pas contre lui, mais contre ses électeurs et la "plus grande campagne" de l’histoire des États-Unis. Dans son esprit, ceux qui contestaient ses actions cherchaient à effacer le choix du peuple. Selon lui, l’opposition démocrate, portée par la haine et la rage, avait pour objectif de détruire l’Amérique telle qu’elle était et de nier la volonté des citoyens. Trump s'imaginait ainsi être la voix de la nation, et toute forme de critique à son égard, que ce soit de la part des médias ou des démocrates, ne pouvait être interprétée que comme une forme de trahison envers le pays.

Le processus judiciaire et l’enquête sur la Russie ne furent donc pas simplement des tentatives d’objectivité : aux yeux de Trump, ils représentaient une ingérence sans précédent dans sa présidence, un affront que personne n’avait jamais osé faire à un autre président américain. Lors de la conclusion de l’enquête de Mueller, Trump se sentit légitimé, décrétant que "la chasse aux sorcières" était terminée, mais affirmant que le temps perdu ne pourrait jamais être récupéré. Pour lui, la presse et ses détracteurs avaient volé deux années de son mandat, qu’il n’aurait jamais la possibilité de récupérer.

Ce sentiment d’exceptionnalisme ne s’arrêta pas aux simples attaques contre les médias ou les enquêtes. Il s’étendait à la gestion même du pouvoir. Trump voyait les mécanismes de contrôle et de contre-pouvoir, tels que les enquêtes ou les oppositions politiques, comme des obstacles à sa vision d’un gouvernement élu directement par le peuple et incarné par lui. En ce sens, il se positionnait non seulement comme président, mais comme une figure messianique, chargée de restaurer l’ordre américain face à une opposition qui cherchait à le délégitimer.

La question que l’on peut se poser ici est de savoir si la position de Trump vis-à-vis des médias et de l’opposition n’a pas engendré une dangereuse polarisation de la société américaine. Si, en tant que président, il se voyait comme l’incarnation de la volonté populaire, les adversaires étaient perçus comme des ennemis à éliminer, au lieu de partenaires dans un débat démocratique nécessaire. Le principe de checks and balances, qui a toujours été l’un des fondements de la démocratie américaine, se trouvait ainsi mis à mal, voire réinterprété comme un obstacle à son pouvoir.

Quel est le rôle de la stratégie de "l'exceptionnel moi" dans l'évolution du Parti Républicain et ses contestations ?

La stratégie de l'"exceptionnel moi" a joué un rôle central dans la transformation du Parti Républicain sous la présidence de Donald Trump. Dès le début de son mandat, Trump n'a cessé de se placer au centre de son propre récit, cultivant une image de dirigeant incomparable, d'homme providentiel ayant redonné à l'Amérique une place de choix sur la scène mondiale. Ses discours étaient remplis de proclamations sur ses propres succès et sur la manière dont il avait restauré l'exceptionnalisme américain. Cela s'est traduit par une politique de communication systématique dans laquelle chaque avancée, chaque réforme, chaque décision importante était présentée comme une victoire personnelle du président, tout en soulignant son rôle déterminant dans la prospérité de la nation.

Les membres du Parti Républicain ont rapidement épousé cette vision, voyant dans l'adhésion à l'image de Trump un moyen de consolider leur propre pouvoir. Au fil des mois et des années, la loyauté à Trump est devenue la norme. Lors du discours sur l'état de l'Union de 2020, un moment particulièrement symbolique a illustré cette dynamique : après son discours, Trump a été accueilli par des acclamations bruyantes de la part des républicains, qui ont entonné des chants de soutien, donnant à cette séance solennelle l'atmosphère d'un rassemblement électoral. Cette scène a marqué l'apogée de la fusion entre le président et le Parti Républicain, dans laquelle l'idéologie trumpienne avait largement remplacé l'héritage républicain traditionnel, comme celui de Ronald Reagan.

Ce n'était plus simplement une question de politique conservatrice, mais d'adhésion à un récit où le président était présenté comme l'homme seul capable de restaurer la grandeur américaine. La stratégie du "moi exceptionnel" devenait une arme de persuasion massive, portée par des médias conservateurs et des loyalistes politiques. Les échanges après le discours de Trump en 2020, où des députés républicains lui exprimaient une adoration sans réserve, renforçaient encore l'idée que ce récit était devenu incontournable au sein du parti.

Cependant, cette ascension du récit trumpien n’a pas été sans résistance. Dès les premières heures de sa présidence, les démocrates ont commencé à développer une contre-narration qui cherchait à nuancer, voire à contester, l'idée même d'un "exceptionnalisme" personnifié par Trump. Ils ont utilisé toutes les tribunes possibles pour dénoncer ce qu'ils considéraient comme une menace pour les valeurs fondamentales américaines. Le chef de la minorité au Sénat, Chuck Schumer, a affirmé que Trump était "la personne qui avait fait le plus de tort à l'honneur et aux valeurs de l'Amérique", tandis que la présidente de la Chambre, Nancy Pelosi, a décrit Trump comme "la personne la plus dangereuse de l'histoire du pays". Pour les démocrates, Trump n'était pas exceptionnel dans le sens positif du terme, mais exceptionnel dans sa capacité à manipuler les institutions et à faire passer ses intérêts personnels avant ceux de la nation.

L'une des contestations les plus marquantes de la stratégie du "moi exceptionnel" s'est produite lors de l'impeachment de Trump à la fin de 2019. Les démocrates, ayant trouvé des preuves que Trump utilisait le pouvoir présidentiel pour servir ses propres intérêts politiques, ont vu là l'occasion de remettre en cause l'idée même d'un président "exceptionnel". Ce moment fut crucial dans la lutte entre deux visions de ce que signifie être "exceptionnel" dans le cadre de la présidence américaine. Le fait que Trump ait été mis en accusation par la Chambre des représentants a marqué un tournant, non seulement dans la politique intérieure américaine, mais aussi dans la manière dont les électeurs percevaient l'image de leur président.

Ce processus a permis aux démocrates de reformuler leur propre vision de l'exceptionnalisme américain. Leur argumentation s'est construite autour de l'idée que l'Amérique ne devait pas se définir par une glorification de l'individu, mais par ses principes démocratiques, ses valeurs d'égalité et de justice. Le contraste entre l'exceptionnalisme personnifié par Trump et l'exceptionnalisme des institutions américaines a ainsi cristallisé le débat politique, qui a culminé lors des élections de 2020.

En parallèle, les démocrates ont adopté un autre angle d'attaque lors de la campagne présidentielle de 2020, en opposant à la présidence de Trump un programme qui mettait l'accent sur la restauration des valeurs démocratiques et des institutions. Ce fut une tentative de renverser le récit de Trump en le présentant comme un danger pour la démocratie américaine, une démocratie qui, selon eux, ne pouvait être placée entre les mains d'un homme seul, aussi "exceptionnel" qu'il puisse paraître.

L'issue de cette lutte, qui s'est intensifiée durant l'année 2020, a non seulement redéfini les contours du Parti Républicain, mais a aussi mis en lumière des fractures profondes dans la société américaine. Les soutiens à Trump, fondés sur sa vision de l'Amérique comme une nation dirigée par un homme d'exception, s'opposaient frontalement à ceux qui cherchaient à préserver les idéaux fondateurs du pays, basés sur la séparation des pouvoirs et l'égalité devant la loi. L'histoire de cette période reste marquée par ce choc entre une vision personnalisée de la grandeur et une défense plus institutionnelle et égalitaire de l'exceptionnalisme américain.