Les élections en Missouri en 2012 ont marqué un tournant dans la politique américaine, un moment où l’électorat a exprimé, à travers son choix, une position morale incontestable : la violence verbale à l’encontre des victimes de viol ne pouvait plus être tolérée. À cette époque, les propos de Todd Akin, un homme politique de droite, sur le viol et la prétendue capacité du corps féminin à "empêcher une grossesse" en cas de viol, ont créé un débat national. À l’époque, cette déclaration a choqué une grande partie du pays, provoquant une onde de choc dans le Missouri, où 64 % des électeurs ont affirmé que ces propos avaient influencé leur vote. McCaskill, la candidate démocrate, a remporté l'élection avec 54 % des voix contre 39 % pour Akin. Les électeurs ont exprimé, dans une clarté presque morale, leur désaveu de la brutalité de ses paroles et leur soutien à l'idée que les victimes de viol méritaient respect et dignité.

Cependant, cette époque de sensibilisation semble aujourd'hui lointaine. Ce qui était autrefois perçu comme une affirmation choquante de misogynie et de manque de respect envers les femmes est devenu, avec le temps, presque banal. Des personnalités comme Donald Trump ou Brett Kavanaugh ont réussi à surmonter des accusations de violences sexuelles, et le public, au lieu de réagir avec indignation, semble s’être habitué à ce genre de discours. Akin, Trump, et d'autres ont appris à manipuler les médias et à faire face à des allégations graves avec une relative indifférence. Ce qui semble aujourd'hui être un débat de quelques heures dans les nouvelles serait presque impensable à l'époque de McCaskill, où des débats publics sur la dignité humaine étaient encore capables de renverser une élection.

Le changement dans la société n'est pas qu'une question de politique. Il s'agit d'une mutation des normes sociales, d'une transformation des attentes du public en ce qui concerne le traitement des survivants de violences sexuelles. Si en 2012, l'élévation du discours moral semblait possible, aujourd'hui, il est difficile de savoir où ces normes se trouvent. La loi adoptée par le Missouri en mai 2019, interdisant l'avortement après huit semaines, même en cas de viol ou d'inceste, est un signe tangible de l'évolution des mentalités. La législation n'est plus qu'une réaction politique, elle devient le reflet d'une société qui semble se tourner de plus en plus vers un modèle patriarcal rigide, où la victime de viol perd non seulement son droit à l'avortement, mais également une voix dans le processus décisionnel sur son propre corps. Dans un tel contexte, il devient évident que la place de la femme dans la société se trouve désormais contestée à travers les lois elles-mêmes, et non seulement par la rhétorique politique.

Il y a aussi l’aspect du climat social, de la violence dans l’espace public, qui ne peut être négligé. En 2014, la ville de Ferguson, Missouri, est devenue un épicentre de la lutte contre le racisme systémique, après l'assassinat de Michael Brown par un policier. Cet événement a provoqué une vague de protestations qui a galvanisé la communauté noire, mais a également mis en lumière des fractures profondes dans le tissu social américain. L’affrontement entre les manifestants et les autorités a démontré l’incapacité de nombreux États américains à gérer les tensions raciales de manière constructive. Ce climat d’injustice sociale et d’insécurité a contribué à alimenter la montée en puissance de Donald Trump, dont la rhétorique de haine et de division a trouvé un terreau fertile parmi des électeurs blancs, frustrés et inquiets de l’évolution de leur statut social. Ces électeurs ont vu en Trump un défenseur de leurs intérêts, souvent sous couvert de valeurs traditionnelles ou d’une réaction contre l'« establishment ».

Pourtant, même parmi les partisans de Trump, il est important de ne pas voir une homogénéité de pensée. Ceux qui ont assisté aux rassemblements de Trump en 2016 à St. Louis, par exemple, ont montré une diversité dans leurs motivations. Certains étaient là par simple curiosité, d’autres dans l’espoir d’améliorer leur situation économique ou d’obtenir une protection contre ce qu'ils percevaient comme des menaces étrangères. Mais il y avait aussi ceux qui adhéraient à une idéologie raciste et nationaliste, séduits par l’idée d’un homme qui parlait sans filtre. Cette division parmi les électeurs, loin d’être un phénomène marginal, constitue la dynamique centrale de l’élection de Trump et de la montée de l'extrême droite aux États-Unis.

La confrontation directe avec les partisans de Trump lors des rassemblements a montré la profonde transformation de l’espace public. Ce qui avait commencé par une approche courtoise et respectueuse s’est rapidement métamorphosé en un climat de violence verbale et physique lorsque Trump, à la tribune, a attisé les passions de ses partisans. L’incitation à la haine et la manière dont elle a transformé un public calme en une foule prête à se battre montrent la capacité du populisme à manipuler les émotions humaines les plus primitives, comme la peur et la colère, pour orchestrer des scènes de chaos.

L’important dans cette dynamique est de comprendre comment une idée, une rhétorique, ou même une simple déclaration peut cristalliser des tensions sociales qui étaient jusque-là sous la surface. Ce n’est pas seulement la politique qui est en jeu, mais la manière dont cette politique façonne les identités sociales et les rapports de pouvoir entre les individus, entre les hommes et les femmes, entre les races, et entre les différentes classes sociales. La violence, qu’elle soit physique ou symbolique, ne disparaît pas avec les mots ou les lois, mais se transforme, se camoufle, et devient parfois encore plus insidieuse.

L'ascension du népotisme et les conséquences sur la politique américaine : Une analyse de la dynastie Kushner-Trump

La politique américaine a de plus en plus pris l’apparence d’Ivanka et Jared : riches, connectés, et dénués de qualifications réelles. Leur insertion dans la Maison Blanche s’inscrivait dans une Amérique de plus en plus népotiste. En novembre 2016, le journal Observer, propriété de Jared Kushner, publia un article diffamatoire à mon sujet, treize jours après l’élection. À ce moment-là, l’attention portée sur ma prédiction de la victoire de Trump et mes avertissements sur les catastrophes à venir attiraient les menaces de mort les plus graves de ma carrière. Ces menaces étaient suffisamment sérieuses pour que l’on me désigne un garde du corps sous couverture lorsque je pris la parole lors d’une conférence internationale trois semaines après l’élection. Certains des individus menaçant ma vie avouèrent s’être inspirés de l’article du Observer, qui m’accusait d’être une marionnette de George Soros, travaillant pour un site géré par le partisan du Parti Démocrate, David Brock, parmi d’autres faussetés. La principale tactique de l’entourage de Trump et de ses soutiens, que je découvrirai au fil des années, était de ne pas menacer directement les individus, mais de les diffamer à un point tel que des fanatiques puissent envisager le meurtre comme une option acceptable. Cette stratégie, nous l’avions vue pendant l’affaire "Pizzagate", où un vigilantiste convaincu que Hillary Clinton dirigeait un culte pédophile dans une pizzeria de Washington faillit tirer sur les lieux. L’article diffamatoire à mon sujet était une pratique courante sous la direction de Kushner. Pendant son mandat en tant que propriétaire de Observer (qu’il céda en 2017), il utilisa le journal comme un moyen de cibler ses ennemis. Ce journal fut l’un des deux aux États-Unis à soutenir officiellement Trump, le second étant le National Enquirer.

Mes menaces de mort se calmèrent quelque peu une fois Trump installé à la Maison Blanche en janvier 2017. Une enquête parlementaire sur l’ingérence russe avait émergé et l’entourage de Trump se retrouvait confronté à des problèmes bien plus graves que moi. En décembre 2016, au plus fort des menaces, je donnais une interview au magazine Cosmopolitan, pour une rubrique intitulée “Get That Life”. L’intervieweuse me demanda pourquoi je couvrais la politique nationale depuis Saint-Louis. Je répondis : "Trump prétend parler au nom des hommes et des femmes oubliés du cœur de l’Amérique. Je fais partie de ces femmes oubliées." Mon éloignement de la côte Est, à la fois géographique et idéologique, m’offrait une liberté qu’il manquait à certains de mes contemporains. Les journalistes dont le travail dépendait directement de grands médias nationaux se retrouvaient souvent contraints par la pression de leurs employeurs ou par des intérêts financiers. Mais moi, je ne dépendais de personne. Je n'avais pas à demander la permission pour m’exprimer, et je n’étais pas intéressante à blâmer ou à menacer, car il n’y avait rien dans leur monde rarefied qui m’attirait : ni prestige, ni richesse, ni récompenses. Ma véritable liberté résidait dans mon indépendance, dans la possibilité de parler sans contrainte.

Cependant, il faut comprendre que cette indépendance, cette possibilité de critiquer un gouvernement, n’était pas à la portée de tout le monde. De nombreux journalistes et experts en politique étaient, eux, enfermés dans un système où les contraintes financières et professionnelles dictaient leur ligne éditoriale. En ce sens, ceux qui étaient les plus proches du pouvoir - les Kushner, Ivanka et Trump - étaient souvent ceux qui avaient la capacité de contrôler, manipuler ou réduire au silence les voix dissidentes. Leur pouvoir ne provenait pas seulement de leur fortune personnelle, mais aussi du contrôle qu’ils exerçaient sur les structures de pouvoir politiques et économiques.

Le véritable danger pour l’Amérique, ce n’est pas seulement Trump. C’est le népotisme rampant incarné par Jared et Ivanka, qui non seulement bénéficient d’un héritage de corruption intergénérationnelle, mais dont la survie dans ce système de pouvoir est intrinsèquement liée à la préservation de leurs fortunes et à leur maintien en poste. Leur pouvoir est renforcé par leur capacité à manipuler les institutions et à faire taire leurs opposants. Leurs vies sont un produit de cette crise d’opportunités volées et d’un capitalisme dévoyé où les liens familiaux et les connexions personnelles prédominent sur la compétence et l’intégrité.

Tout comme les membres de cette famille, ma propre carrière a été façonnée par une série de réactions aux événements politiques et économiques. Ces dynamiques sont similaires à celles vécues par de nombreuses personnes à travers les États-Unis, notamment ceux qui se sentent ignorés par l’élite côtière, qui, à travers les Kushner et les Trump, tente de représenter des "Américains oubliés". Mais cette prétendue représentation masque un système qui continue d’exploiter et d’accroître les inégalités, plutôt que de chercher à les résoudre. Les crises dans lesquelles nous avons été plongés ne sont pas dues à des erreurs ou à des erreurs de parcours, mais bien à un système profondément corrompu qui profite des malheurs des autres.

Ce qui est essentiel de comprendre ici, c’est que l’Amérique ne se limite pas à une lutte entre Trump et ses opposants. C’est avant tout une lutte entre des intérêts privés qui ont investi dans la politique pour maintenir un pouvoir héréditaire, un pouvoir de classe, et ceux qui, comme moi, se battent pour une liberté véritable, loin des intérêts corporatistes et des dynasties politiques. Les individus qui occupent des positions de pouvoir, qu’ils soient républicains ou démocrates, partagent souvent cette même vision de l’avenir : un avenir où le système est conçu pour leur permettre de garder le contrôle à tout prix, et où les voix dissidentes sont réduites au silence.