Les origines du système des castes en Inde peuvent être retracées au VIe siècle avant notre ère, une époque où la structure sociale et les règles de commensalité commençaient à se cristalliser. Si les termes varna, jati et kula sont parfois utilisés de manière interchangeable dans les textes anciens, ils prennent parfois des significations plus spécifiques. L'ordre varna demeurait un point de référence essentiel et les termes Brahmana et Kshatriya avaient une signification particulière. Cependant, bien que de nombreux individus dans le canon pâli soient désignés comme Brahmanas ou Kshatriyas, peu sont identifiés comme Vaishyas ou Shudras. Ceux qui auraient théoriquement appartenu à ces deux dernières catégories sont souvent désignés par référence à leur occupation spécifique, celle-ci étant en rapport avec kula et jati. Cela suggère que le système varna était davantage une construction théorique, liée aux catégories supérieures, et que l'identité sociale de l'époque était plus déterminée par l'occupation, la lignée (kula) et la caste (jati).

L'un des défis pour les historiens est d'identifier comment les jatis sont apparus. Cela pourrait résulter d'une combinaison de facteurs : l'hérédité des métiers et des occupations, l'assimilation des groupes tribaux au système brahmanique, et un système social qui privilégiait la naissance et régulait la hiérarchie à travers les règles du mariage et de l'endogamie. Les différences territoriales et professionnelles ont également joué un rôle important dans l'émergence des identités segmentées. La théorie du varna-samkara, présente dans les Dharmasutras, était nécessaire pour inclure et organiser les différents groupes au sein de ce cadre social plus large.

Les textes pâlis font référence à des jatis élevés (ukkatta jati) et bas (hina jati). Alors que les Brahmanas et les Kshatriyas sont inclus parmi les premiers, les derniers comprennent des groupes comme les Chandalas, les fabricants de paniers (vena jati), les chasseurs (nesada jati), les conducteurs de chars (rathakara jati) et les balayeurs (pukkusa jati). Ces textes relient clairement les jatis à des occupations spécifiques et transmettent l'idée que le statut social des divers jatis varie considérablement. Malgré tout, une partie de l’histoire des castes reste à comprendre.

L'apparition du terme asprishya, signifiant un groupe social que l'on considère comme « impurs » et donc « intouchables », apparaît pour la première fois dans un texte plus tardif, le Vishnu Smriti. Pourtant, la pratique de l'intouchabilité, cette forme extrême de subordination sociale et de marginalisation, existait probablement bien avant et se renforça avec le temps. Dans les premiers textes du Dharmashastra, les Chandalas sont parfois classés comme Shudras, mais une distinction entre les deux catégories fut rapidement établie. En effet, certains textes comme l'Apastamba Dharmasutra expliquent que la naissance d'un Chandala découle des mauvaises actions commises dans une vie antérieure. D'autres Dharmasutras, tels que ceux de Gautama et Baudhayana, considèrent les Chandalas comme les enfants d'un homme Shudra et d'une femme Brahmana, un des types d'union les plus dégradés dans la société. Tous ces éléments soulignent l'origine inférieure des Chandalas.

Le rejet et le dégoût envers les Chandalas sont aussi évidents dans les Dharmasutras, qui les comparent à des chiens ou des corbeaux. Ces textes évoquent l'idée que tout contact, même accidentel, avec un Chandala rendait impurs. Selon l'Apastamba Dharmasutra, toucher un Chandala nécessitait une purification immédiate en plongeant dans l'eau. De même, parler à un Chandala exigeait de s'adresser ensuite à un Brahmana. Cette vision se retrouve également dans d'autres groupes dits antyajas, considérés comme inférieurs, mais pour lesquels les rituels de purification étaient moins drastiques.

Il existe aussi dans ces textes des références à l'existence de l'esclavage. Le Digha Nikaya décrit que le dasa (esclave) n'a aucun pouvoir sur sa vie et dépend d'un maître. Les esclaves étaient classés selon différentes catégories : ceux nés dans l'esclavage, ceux achetés, ou ceux capturés. Les textes bouddhistes précisent qu'un esclave ne pouvait rejoindre la communauté monastique que s'il était libéré par son maître. Il est difficile de reconstruire la manière dont des groupes comme les Chandalas et les esclaves pouvaient réagir à leur subordination, car l'exclusion de la production de savoir et des textes écrits les marginalisait encore davantage.

Cela dit, quelques instances de résistance apparaissent dans le canon bouddhiste, comme les attaques des dasa-kammakaras (esclaves des Sakyas) contre les femmes de leurs maîtres. Le texte du Majjhima Nikaya raconte aussi l'histoire de Kali, une servante qui, en testant la patience de sa maîtresse, parvint à montrer les limites de la soumission imposée par la hiérarchie sociale. Ces réflexions sur la tension sociale et le conflit dans les textes indiens anciens montrent bien que la lutte pour la reconnaissance des groupes subordonnés ne faisait pas exception dans une société où la domination des élites était omniprésente.

Les transformations politiques, économiques et sociales qui marquèrent cette époque ont également eu des répercussions profondes sur la famille et le ménage. L'accent mis sur le contrôle de la sexualité et de la procréation des femmes est une réponse directe à la nécessité de préserver la transmission patrilinéaire des biens et de maintenir la structure endogamique des castes. Cette attention accrue à la chasteté des femmes et à la réglementation stricte des mariages visait à assurer la continuité de l'ordre social. Les textes bouddhistes et jaïns prescrivaient un code de conduite pour les moines ainsi que pour les laïcs, mais c'est dans les Dharmasutras brahmaniques que l'on trouve une systématisation de ces normes, qui ont façonné les comportements au sein des foyers.

Les Voyages de Faxian, Xuanzang et Yijing : Une Vision de l'Inde Ancienne et des Dynasties Gupta

Les voyages de Faxian, Xuanzang et Yijing en Inde ont constitué des moments clés dans l'histoire de l'interaction culturelle entre l'Inde et la Chine, révélant non seulement des détails fascinants sur les sociétés de l’époque, mais aussi des perspectives uniques sur les dynasties indiennes, notamment celle des Gupta. Ces récits, bien qu'incomplets ou parfois erronés, servent de précieux témoignages des réalités du monde indien aux époques respectives des 5e et 7e siècles.

Le voyage de Faxian, qui dura environ dix ans (vers 337-422 de notre ère), l’emmena de l'Inde du Nord, dans la vallée du Gange, jusqu’au port de Tamralipti sur la côte orientale du golfe du Bengale. De là, il prit la route maritime vers Simhala (Sri Lanka) avant de se diriger vers le Sud-Est asiatique, pour enfin retourner en Chine. Pendant le reste de sa vie, Faxian consacra son énergie à la traduction des innombrables textes qu'il avait collectés. Il rédigea également un compte rendu de ses voyages, le Fuguo ji (Les Royaumes bouddhistes), qui offre un aperçu intéressant de la vie des peuples qu'il rencontra. Bien que son ouvrage ne mentionne pas directement le roi régnant à cette époque, qui fut probablement Chandragupta II, il présente plusieurs observations sur la vie quotidienne, certaines erronées mais néanmoins significatives.

Les récits de Faxian et de Xuanzang ne doivent pas être simplement perçus comme une série d’affirmations historiques à prendre au pied de la lettre, mais doivent être mis en perspective en fonction de leur point de vue, de leurs objectifs et de leurs publics. Leur rôle, au-delà de l’exploration géographique, était aussi culturel, religieux et diplomatique. D’autres sources, comme celles de Cosmas Indicopleustes, un marchand devenu moine chrétien, ou encore les écrits de Procope de Césarée sur les relations commerciales entre l'Inde et l'Empire byzantin, viennent enrichir ce tableau de l’Inde ancienne. Ces documents, bien que parcellaires, jettent un éclairage supplémentaire sur la place de l'Inde dans le monde ancien et ses échanges avec l’Empire romain et au-delà.

Les vestiges architecturaux et sculpturaux de l’époque, principalement religieux, sont nombreux, mais les preuves archéologiques de la vie quotidienne restent relativement limitées. Néanmoins, des sites comme le Purana Qila, Ahichchhatra, Basarh, Bhita et Kaveripattinam offrent des données précieuses qui aident à comprendre non seulement les structures religieuses, mais aussi les contours des sociétés et de leurs pratiques.

La dynastie Gupta, fondée par Chandragupta I, semble avoir émergé vers 319-320 de notre ère, un moment crucial dans l’histoire de l’Inde. Les détails concernant les origines des Gupta sont flous, mais les recherches suggèrent qu'ils étaient probablement originaires de la région de Magadha ou de la basse vallée du Gange. Bien que certains chercheurs aient avancé que les Gupta étaient des Vaishyas, cette théorie est contestée par d'autres qui les considèrent comme des Kshatriyas, basant leur argumentation sur leurs alliances matrimoniales avec des familles de la noblesse guerrière comme les Lichchhavis. L’inscription d'Allahabad (Prayagraj), qui célèbre les réalisations de Samudragupta, nous permet d’imaginer la grandeur de l’empire Gupta à travers ses conquêtes et la consolidation de son pouvoir. Samudragupta, notamment, est décrit comme un roi idéal, menant des campagnes militaires à l’ouest, dans la vallée du Gange, ainsi qu’au-delà des frontières de l’Empire. L’inscription de Allahabad, en particulier, mentionne sa victoire sur plusieurs rois d'Aryavarta et d'autres territoires, soulignant ainsi l'extension et l'importance stratégique de l’empire Gupta.

Les Gupta, au travers de leurs mariages stratégiques et de leurs alliances, ont aussi renforcé leur statut politique. Le mariage de Chandragupta I avec la princesse Lichchhavi Kumaradevi marque l’importance de ces dynamiques dans la formation de l'empire. Les alliances avec des familles royales puissantes, telles que les Vakatakas, ont permis aux Gupta de s'affirmer comme une force majeure sur le plan politique et militaire, contribuant à l'apogée de l'Empire Gupta, un des moments les plus brillants de l'histoire indienne. Les monnaies frappées pendant cette période, représentant souvent des dieux et des déesses, témoignent de cette puissance mais aussi de la dimension religieuse de leur autorité.

Au-delà des événements militaires et politiques, il est essentiel de comprendre que la dynastie Gupta a également marqué une période de grand développement culturel et intellectuel. La période Gupta, parfois désignée comme l'« âge d’or » de l'Inde, a vu l’émergence de la littérature sanskrite, de la philosophie et des sciences. Des figures telles que Kalidasa et Aryabhata, dont les œuvres ont traversé les siècles, illustrent l’essor de la culture sous cette dynastie. Les Gupta ont également favorisé le développement de la sculpture et de l’architecture, avec des créations religieuses impressionnantes qui ont marqué l’art indien classique.

Le tableau tracé par ces voyageurs et chroniqueurs, ainsi que les découvertes archéologiques et épigraphiques, nous offrent un aperçu complexe et multiforme de l’Inde ancienne. L’étude de ces sources, tout en prenant en compte les biais culturels et les objectifs des auteurs, permet de mieux comprendre les dynamiques sociales, politiques et religieuses de l’époque. La richesse de ces témoignages souligne l’importance de la période Gupta non seulement dans le contexte indien, mais aussi dans l’histoire du monde ancien.

Comment la conception de la citadelle et de la ville inférieure à Mohenjo-daro révèle-t-elle l'organisation sociale et les compétences techniques de la civilisation Harappéenne ?

La ville de Mohenjo-daro, l'une des principales cités de la civilisation de l'Indus, est un exemple fascinant d'organisation urbaine et de sophistication architecturale. Le site comprend deux zones distinctes : la citadelle, une zone élevée qui semble avoir eu des fonctions à la fois symboliques et pratiques, et la ville inférieure, un espace plus vaste qui témoigne de la vie quotidienne et des activités économiques de ses habitants. L'étude de ces deux secteurs révèle non seulement des aspects de l'organisation sociale, mais aussi un niveau de compétence technique remarquable dans l'ingénierie, l'urbanisme et l'artisanat.

La citadelle de Mohenjo-daro, qui s'élève à 12 mètres au-dessus de la plaine environnante, était construite sur une plateforme artificielle en briques de boue et de terre, d'environ 400 × 200 mètres. Un mur de soutènement en briques de boue, d'une épaisseur de 6 mètres, entourait la citadelle, avec des projections sur le sud-ouest et l'ouest, et une tour identifiée sur le côté sud-est. Certains chercheurs suggèrent que cette structure ne servait pas principalement à des fins défensives, mais qu'elle faisait partie d'un aménagement civique visant à créer un paysage symbolique élevé. Toutefois, l'aspect défensif de ces murs, aussi bien à Mohenjo-daro que dans d'autres cités de la civilisation de l'Indus, ne peut être totalement écarté.

Les bâtiments de la citadelle sont parmi les vestiges les plus emblématiques de la civilisation harappéenne. Dans la partie nord de la citadelle, on trouve la Grande Baignoire, un « grenier » et un « collège des prêtres ». La Grande Baignoire, un exemple impressionnant des compétences en ingénierie des Harappéens, mesure environ 14,5 × 7 mètres, avec une profondeur maximale de 2,4 mètres. L'eau pouvait être acheminée dans le bassin par un escalier large menant à la cuve depuis le nord et le sud. Les murs et le sol du bassin étaient rendus imperméables grâce à une disposition soignée de briques et de mortier de gypse. Un épais revêtement de bitume recouvrait les parois du bassin, rendant cette installation l'un des premiers exemples de protection contre l'eau dans le monde. Ce bassin s'écoulait vers le coin sud-ouest, où un petit exutoire reliait un drain en briques qui acheminait l'eau jusqu'aux bords de la colline.

À côté de la Grande Baignoire, on trouve les restes d'un bâtiment imposant (69 × 23,4 mètres) composé de plusieurs salles, d'une cour carrée de 10 mètres de côté et de trois vérandas. Les escaliers menaient soit au toit, soit à un étage supérieur. De par sa taille et sa proximité avec la Grande Baignoire, ce bâtiment a été interprété comme la maison du grand prêtre ou de plusieurs prêtres, parfois appelé « collège des prêtres ». Un peu plus au sud, sur la partie occidentale de la colline, une grande structure en briques a d'abord été identifiée comme un hammam, mais plus tard comme le « grand grenier ». Cette structure massivement fondée en briques solides mesurait 50 × 27 mètres et était divisée en plusieurs unités par des couloirs étroits.

Dans la ville inférieure, qui s'étend sur plus de 80 hectares, les maisons étaient disposées de manière ordonnée, et chaque quartier semblait avoir été bien desservi en matière d'approvisionnement en eau. Les rues principales, larges de 9 mètres, étaient divisées par de nombreuses rues et ruelles secondaires, généralement de 1,5 à 3 mètres. Il est intéressant de noter que de nombreuses maisons à Mohenjo-daro avaient leur propre puits privé, certains quartiers étant même équipés de puits publics situés le long des rues principales. Ces puits, parfois de 10 à 15 mètres de profondeur, ont été découverts en grand nombre, donnant une idée de la fréquence de l'approvisionnement en eau dans la cité. Il est probable que ces puits aient aussi joué un rôle social important, devenant des lieux de rencontre pour les habitants qui échangeaient des nouvelles ou discutaient en attendant de remplir leurs pots d'eau.

En outre, la ville inférieure était un centre d'activités artisanales. Des ateliers de travail du cuivre, de fabrication de perles, de teinture, de poterie et de travail des coquillages ont été identifiés dans différents quartiers. L'un des secteurs les plus fascinants de Mohenjo-daro est celui où ont été trouvées des traces de fabrication de sceaux et des fragments de sculpture en pierre, évoquant l'existence d'un temple ou de la résidence d'un chef important.

Outre les aspects urbains et sociaux de Mohenjo-daro, il est essentiel de souligner les défis auxquels le site fait face aujourd'hui. La montée de la nappe phréatique et la salinité du sol ont mis en danger la conservation de ces structures précieuses, ce qui témoigne de la fragilité de notre patrimoine archéologique face aux changements environnementaux.

Ces éléments offrent un aperçu fascinant de la manière dont les Harappéens ont construit des villes non seulement fonctionnelles, mais aussi symboliquement chargées. Leur ingénierie avancée, notamment dans le domaine de l'hydraulique et de la construction de bâtiments durables, montre un niveau de développement technologique impressionnant pour l'époque. Cependant, ce qui reste encore flou, ce sont les raisons exactes derrière certaines décisions architecturales et l'organisation sociale de ces sociétés. L'absence de documentation écrite nous empêche de connaître pleinement les structures de pouvoir et les relations entre les différentes classes sociales, mais l'architecture de la ville nous offre un témoignage précieux de l'ingéniosité et de la complexité de cette ancienne civilisation.