Les expertises psychiatriques dans les procès révèlent souvent la présence manifeste ou détectable de troubles mentaux chez des individus tels que Tarrant. Son incessant voyage autour du monde dissimulait probablement des signes évidents. Son manifeste, rédigé en auto-interview, où il s’imagine récompensé par un prix Nobel de la paix et se compare à Nelson Mandela, illustre une posture narcissique similaire à celle d’Anders Breivik. Åsne Seierstad identifie plusieurs points communs notables : un focus presque exclusif sur l’Europe et les États-Unis plutôt que sur leurs pays d’origine respectifs, une obsession des taux de natalité et une vision de l’Europe en déclin démographique, l’emploi de symboles occidentaux pour dénoncer son « nihilisme » et sa « dégénérescence », ainsi que la volonté de restaurer des « valeurs familiales traditionnelles ». Leur manifeste se présente clairement comme un appel à l’action contre l’immigration musulmane, teinté d’un narcissisme marqué par la mise en scène d’eux-mêmes en victimes d’une « invasion » et d’un « génocide blanc ». Ces discours révèlent une fusion entre frustrations personnelles et idéologie radicale, comme l’illustre l’impact psychologique du décès dramatique du père de Tarrant. À l’image de Breivik, il ne manifeste aucun regret, se positionnant en martyr convaincu de sa propre innocence.
Ces profils d’auteurs partagent souvent une tendance marquée au narcissisme, une perfection dans la planification de leurs actes violents, et un désir inextinguible d’attention publique. Par exemple, Franz Fuchs et John Ausonius ont perpétré leurs crimes tout en échappant longtemps aux forces de l’ordre, jouant à un véritable « chat et souris ». Leur soif d’admiration se traduit par une volonté d’obtenir la plus large couverture médiatique possible, au point d’inventer des affiliations organisationnelles inexistantes, comme l’ont reconnu Fuchs et Breivik. Ausonius, quant à lui, cherchait activement le dialogue avec la presse pour amplifier son message.
L’examen des cas de Peter Mangs, Pavlo Lapshyn et David Sonboly élargit cette compréhension. Ces radicaux de droite n’attaquent pas seulement « l’étranger » ou l’« opposant », mais leur violence naît souvent d’un mal-être profond lié à des questions d’identité non résolues. Cette aliénation, vécue comme un fardeau et non comme une richesse, engendre une sur-identification dangereuse et un rejet brutal de ceux perçus comme « autres ». Ainsi, les individus déracinés, porteurs de complexes, aspirent désespérément à des racines stables, mais leur haine devient implacable, notamment envers les minorités ethniques qu’ils ciblent avec une cruauté particulièrement calculée.
Peter Mangs illustre ce phénomène : après un séjour aux États-Unis où il a été initié au maniement des armes et influencé par des idéologies nationalistes, il revient en Suède avec une haine militante contre les immigrants. Son comportement erratique, son port ostentatoire de gilet pare-balles et ses actes de terreur ciblant des migrants démontrent un mélange d’instabilité psychique et de radicalisation idéologique. Diagnostiqué avec un syndrome d’Asperger, il incarne cette complexité où troubles psychiques et convictions extrêmes s’entrelacent. Son goût pour la musique, sa formation initiale en philosophie, son passage en tant qu’aide-soignant, et ses efforts pour s’insérer dans une vie « civile » montrent que ces profils ne se réduisent pas à une caricature simpliste de la violence.
L’expérience américaine de Mangs, son exposition à la NRA, et la lecture du manifeste « The Turner Diaries » traduisent la manière dont des environnements et des lectures spécifiques alimentent cette radicalisation. Sa haine s’est cristallisée en une action violente systématique, et il revendiquait fièrement sa capacité à semer la panique. Sa trajectoire souligne que ces « loups solitaires » ne sont pas des figures isolées sans histoire, mais des individus façonnés par une conjonction complexe de frustrations personnelles, influences idéologiques et troubles mentaux.
Pavlo Lapshyn, jeune Ukrainien venu étudier en Grande-Bretagne, illustre la rapidité avec laquelle l’idéologie extrémiste peut s’enraciner chez un immigrant lui-même en quête de repères. Cette forme de radicalisation n’est pas le simple reflet d’une haine native, mais d’un déracinement doublé d’un surinvestissement identitaire qui conduit à une violence exacerbée.
Au-delà des spécificités individuelles, il est crucial de comprendre que ces profils partagent une aliénation profonde et une quête d’identité marquée par un rejet de l’Autre, souvent alimentée par une idéologie raciste et xénophobe. Leur violence, bien que ciblée, est l’expression symptomatique d’un mal-être plus large lié à des expériences traumatiques, à des troubles psychologiques et à un besoin désespéré de reconnaissance. La compréhension de ces dynamiques permet d’éviter une lecture simpliste qui réduirait ces actes à de simples expressions de haine, et invite à une réflexion plus nuancée sur la prévention et l’accompagnement des individus à risque.
L’attentat de Munich : acte isolé ou manifestation d’un réseau terroriste virtuel ?
La gestion de l’enquête autour de l’attentat commis par David S. à Munich a révélé des défaillances institutionnelles d’une ampleur inquiétante. Malgré des efforts visibles – quelque soixante enquêteurs ayant examiné près de 1 750 informations et plus de 1 000 dossiers – les structures virtuelles ayant entouré le tueur ont échappé à toute détection. Pourtant, un témoin avait livré des éléments concrets. Ce contraste entre le volume d’investigation et l’angle mort numérique constitue une démonstration crue de la fragmentation de l’appareil sécuritaire.
Encore plus troublant fut le calendrier des révélations. Le Bureau fédéral de la police criminelle (BKA) connaissait, dès décembre 2017, l’existence d’un lien entre David S. et William A., le tireur d’Aztec aux États-Unis. Or, l’Office bavarois de police criminelle (LKA Bayern), chargé de l’enquête principale, ne fut informé qu’en juin 2018, soit plus de six mois plus tard. Ce retard, difficilement justifiable, mine la crédibilité des mécanismes d’échange d’information entre services – a fortiori dans un État vantant l’efficacité de son administration sécuritaire.
Le rapport d’expertise commandé par la police bavaroise, visant à réaffirmer l’idée d’un acte de type "amok" solitaire, fut livré bien après les premiers doutes. La criminologue Britta Bannenberg, autrice du rapport, conclut à l’absence d’extrémisme de droite chez David S., évoquant des troubles personnels anciens comme facteur déclencheur. Ce positionnement provoqua une onde de choc. Elle affirme que David S. n’avait jamais fréquenté de forums ou sites d’idéologie extrémiste, qu’il n’avait aucun lien avec des groupes radicaux et que son acte était exclusivement individuel. Une lecture jugée par plusieurs experts comme réductrice, voire aveuglante.
Le choix symbolique de la date de l’attentat, le 22 juillet, anniversaire de l’attaque d’Utøya perpétrée par Anders Breivik, est un détail qui contredit cette neutralité idéologique supposée. Ce geste n’est pas anodin. L’écho morbide à un autre massacre raciste laisse planer un soupçon lourd sur les motivations profondes de David S., malgré les tentatives officielles de les désamorcer.
Les critiques fusèrent, notamment dans les médias allemands. Certains journalistes pointèrent le ton interprétatif du rapport, comme s’il s’agissait d’un récit psychologique plus que d’un document d’analyse. L’empathie envers le tueur, parfois perceptible dans le texte, choqua l’opinion publique, alors que les familles des victimes attendaient reconnaissance et clarté. Le doute sur l’objectivité de l’expertise mit en lumière le conflit entre les impératifs politiques de maintien du récit officiel et les exigences démocratiques de transparence.
Face à la pression médiatique et parlementaire, le gouvernement bavarois dut revoir sa position. En octobre 2019, soit plus de trois ans après les faits, la police reconnut que les motivations de David S. incluaient bien des éléments racistes et d’extrême droite. Mais ce revirement tardif ne fit que souligner l’obstination initiale à nier toute dimension politique, probablement pour éviter d’alimenter la perception d’une menace structurée venant de la droite radicale.
Dans ce contexte, un autre facteur entra en jeu : le rôle opaque des autorités américaines. Des demandes d’informations sur William A. – le lien transatlantique – restèrent sans réponse pendant des mois. L’argument du gouvernement bavarois pour ne pas répondre aux questions des parlementaires reposait précisément sur cette absence de coopération. Une forme d’attente diplomatique fut invoquée pour justifier le report répété de toute évaluation définitive du mobile. La dimension internationale de cette affaire fut ainsi systématiquement repoussée hors champ.
Ce dossier souligne la difficulté structurelle des institutions à penser la menace sous une forme nouvelle : décentralisée, virtuelle, transnationale. L’idée d’un "réseau de tueurs solitaires", lié non pas par une hiérarchie mais par des forums, des échanges idéologiques, des références symboliques communes, demeure encore mal intégrée dans les logiques policières classiques.
Il est impératif pour le lecteur de comprendre que ce type de violence ne relève plus uniquement du fantasme individuel ni du complot organisé, mais d’un entre-deux instable, où l’écosystème numérique fonctionne comme incubateur idéologique. L’évaluation du danger ne peut plus se contenter de vérifier l’appartenance formelle à un groupe ou l’activité sur des plateformes codées. Ce qui émerge ici, c’est une culture partagée de la haine, des modèles mimétiques d’action violente, une virtualisation de l’engagement qui défie les catégories établies du terrorisme.
Le récit officiel a longtemps résisté à cette complexité. Mais les faits, eux, restent tenaces. Ils obligent à repenser en profondeur les critères de qualification des actes violents à l’ère numérique.
Comment la mémoire d’un homme d’exception façonne-t-elle l’identité d’une nation ?
Comment les matériaux semi-conducteurs 2D révolutionnent-ils les systèmes solaires rechargeables ?
Comment les efforts de plaidoyer peuvent transformer les politiques éducatives : Le cas de l'intervention en matière de littératie et de rétention scolaire
Comment reconnaître la dépendance chez soi-même et chez les autres : Choisir le bon moment pour l'aide et les options de traitement

Deutsch
Francais
Nederlands
Svenska
Norsk
Dansk
Suomi
Espanol
Italiano
Portugues
Magyar
Polski
Cestina
Русский