Dans l’étude des modèles cinétiques contraints (KCM), la compréhension des phénomènes hors d’équilibre requiert une analyse fine des structures spatiales et temporelles complexes. Une méthode clé repose sur la décomposition en chaînes de cycles de Toom, des ensembles d’interactions locales enracinées en points précis de l’espace-temps, dont les distances et recouvrements sont soigneusement contrôlés. Cette approche permet d’isoler des sous-ensembles disjoints de cycles, assurant l’indépendance probabiliste nécessaire pour établir des bornes exponentielles sur la probabilité que le diamètre d’une composante connectée dépasse une certaine valeur. En conséquence, cette méthode dégage une structure connexe contenant la trajectoire initiale, ce qui facilite la démonstration rigoureuse de résultats majeurs, notamment le théorème 7.20 pour le modèle FA-2f en dimension deux.

Au-delà de cette construction technique, d’autres voies ont été explorées pour saisir la dynamique hors d’équilibre des KCM. Le processus de branchement annihilant biaisé (BABP), proche du modèle FA-1f, constitue un exemple particulièrement instructif. Malgré des similarités fonctionnelles avec FA-1f, BABP se distingue par une propriété d’autodualité qui simplifie notablement l’analyse. Cette autodualité, couplée à une quasi-dualité avec un processus dit "double flip", permet d’établir une convergence vers l’équilibre dans des conditions plus larges que celles accessibles par des techniques classiques, notamment pour toute densité de trous initiale non nulle. Cette avancée met en lumière les subtilités algébriques sous-jacentes au générateur du processus et ouvre la voie à des méthodes de preuve nouvelles dans le cadre des KCM.

Le modèle FA-1f, en particulier à basse densité, offre un terrain d’étude accessible et révélateur. Sa nature non coopérative signifie qu’un unique site vide peut se déplacer dans la configuration, provoquant une reconfiguration du système. Le comportement des sites vides, approchés comme des marches aléatoires avec coalescence et branchement occasionnels, peut être tracé précisément dans des volumes critiques proportionnels à l’inverse de la densité des trous. Ce suivi rigoureux, couplé à une analyse fine des collisions binaires et des phénomènes de branchement, permet d’évaluer des temps de mélange qui croissent comme une puissance inverse de la densité, avec des corrections logarithmiques. La démonstration repose sur des inégalités de Sobolev logarithmiques à volume fini, qui permettent de relier les dynamiques en volumes finis à celles en volumes infinis, malgré l’absence d’attractivité, propriété rendant généralement délicate cette correspondance.

Une perspective complémentaire est apportée par l’étude des grandes déviations dans l’espace des trajectoires. Plutôt que d’observer un instantané du système, cette approche considère l’activité cumulée, c’est-à-dire le nombre total de changements d’état dans un domaine spatial donné jusqu’à un instant long. La fonction de taux associée aux grandes déviations révèle une transition de phase dynamique induite par les contraintes : la possibilité d’atteindre une faible activité sans coût exponentiel, phénomène absent dans des modèles non contraints. Ces études, menées notamment pour les modèles FA-1f et East en dimension un, éclairent la richesse des comportements hors d’équilibre des KCM et leur complexité intrinsèque.

Enfin, le modèle East en dimension un illustre un phénomène dit de vieillissement, caractérisé par une relaxation vers l’équilibre à taux exponentiel après un "quench" de densité, mais avec une séparation nette des échelles temporelles. En particulier, les périodes dites actives et de blocage s’alternent selon une hiérarchie temporelle croissante. Durant les périodes actives, seuls les sites vides suffisamment proches peuvent être éliminés, tandis que durant les périodes de blocage, la configuration reste quasiment figée. Ce découpage temporel illustre la nature coopérative de la dynamique, où la création d’un site vide nécessaire pour en éliminer un autre impose une chaîne de dépendances spatiales et temporelles croissantes, reflétée dans une croissance logarithmique du nombre de sites vides à créer pour éliminer un site éloigné.

Il est essentiel de saisir que ces dynamiques ne peuvent être comprises uniquement à travers des états instantanés du système. La structure des contraintes, la nature des interactions entre sites vides, et l’échelle temporelle des transitions gouvernent la complexité du comportement hors d’équilibre. Les propriétés algébriques des générateurs, les inégalités fonctionnelles, et les propriétés statistiques fines des trajectoires jouent un rôle crucial. La notion de coopération, qu’elle soit explicite comme dans le modèle East, ou implicite à travers des propriétés d’autodualité et de branchement, conditionne la capacité du système à relaxer vers l’équilibre ou à maintenir des états métastables sur de longues échelles. Comprendre ces mécanismes est indispensable pour appréhender la dynamique des KCM et leurs applications potentielles dans la modélisation des systèmes désordonnés et des verres.

Comment la transition liquide-verre explique-t-elle la dynamique des liquides surfondu et le comportement vitreux ?

Lorsque l’on refroidit un liquide suffisamment rapidement, on empêche la nucléation de cristaux, ce qui conduit le liquide à entrer dans un état métastable prolongé appelé phase liquide surfondue. De manière générale, la transition liquide-cristal est évitée parce que les molécules n’ont pas le temps de se réorganiser pour former une structure cristalline ordonnée. Progressivement, le mouvement moléculaire ralentit, le liquide devient visqueux comme un sirop épais, jusqu’à ce que la structure sans ordre cristallin soit piégée dans un état amorphe, le verre. Bien que l’état liquide surfondu ne soit pas stable thermodynamiquement, la nucléation d’un cristal stable est tellement lente qu’il peut être considéré, pour la plupart des applications expérimentales, comme un système à l’équilibre. On peut ainsi définir un temps de relaxation, mesuré expérimentalement par la viscosité, et établir des relations de fluctuation-dissipation reliant la réponse du système à une perturbation externe à ses fonctions de corrélation.

Une caractéristique commune aux liquides surfondus proches de la transition vitreuse est un ralentissement brutal de la dynamique. La viscosité peut augmenter de plus de quatorze ordres de grandeur pour une faible diminution de température. Cette observation permet de classer les liquides surfondus en deux catégories : les liquides dits « forts » et les liquides dits « fragiles ». La distinction repose sur le comportement de l’énergie d’activation, définie par la relation entre température et viscosité. Dans les liquides forts, cette énergie d’activation est indépendante de la température, tandis que dans les liquides fragiles, elle croît lorsque la température diminue. Ces comportements correspondent respectivement aux lois d’Arrhenius et super-Arrhenius. Ce ralentissement spectaculaire est lié à l’augmentation de la densité lors du refroidissement : les molécules s’obstruent mutuellement, ce qui engendre des structures bloquées et une dynamique coopérative complexe.

Un phénomène clé observé expérimentalement est l’hétérogénéité dynamique. En effet, lorsque le verre se forme, les molécules ne ralentissent pas uniformément : certaines régions sont « bloquées » tandis que d’autres restent mobiles. Cette coexistence de zones rapides et lentes suggère l’existence d’une transition dynamique sous-jacente entre trajectoires lentes et rapides. Une preuve indirecte de cette hétérogénéité est la violation de la relation de Stokes–Einstein, habituellement valable pour des liquides homogènes. Alors que la diffusion propre (autodiffusion) et la viscosité augmentent toutes deux à mesure que la température baisse, la diffusion ne ralentit pas aussi fortement que la viscosité, entraînant un découplage notable entre ces deux grandeurs. Ce phénomène illustre que la diffusion est dominée par les régions les plus mobiles, tandis que la relaxation structurale reflète les régions les plus lentes.

Malgré des décennies d’études expérimentales et théoriques, la compréhension complète de la transition vitreuse et de ses phénomènes associés — vieillissement, hystérésis, rajeunissement, transport anomal — demeure incomplète. La transition présente un caractère hybride : elle combine la divergence des échelles de temps et de longueur typique des transitions du second ordre avec un saut discontinu de l’ordre amorphe, rappelant une transition du premier ordre. De plus, la dégénérescence des états fondamentaux rend l’analyse plus complexe. Ce n’est donc pas une simple rupture d’ergodicité, ce qui explique l’absence d’un consensus unique autour d’une théorie universelle.

Cette problématique ne se limite pas aux liquides vitrifiants : des transitions dynamiques similaires, dites transitions de blocage (jamming), se manifestent dans de nombreux systèmes granulaires, émulsions, mousses, suspensions colloïdales, polymères, plastiques, et céramiques. La compréhension de la transition vitreuse ouvre donc la voie à des outils théoriques et numériques nouveaux, utiles pour l’étude des systèmes complexes, où le comportement collectif global n’est pas trivial.

Les modèles cinétiquement contraints (KCM) sont des modèles simplifiés qui capturent les aspects dynamiques de ces transitions sans s’appuyer sur les interactions statiques complexes. Ils simulent la mise en cage locale responsable du ralentissement de la dynamique à basse température ou haute densité. Ces modèles ont été proposés dans le cadre de la théorie de la facilitation dynamique et reproduisent plusieurs phénomènes observés expérimentalement : rupture d’ergodicité, percolation de structures bloquées, arrestation dynamique, fluctuations spatio-temporelles, hétérogénéités dynamiques, vieillissement. Selon les contraintes appliquées, ils peuvent décrire des comportements de relaxation Arrhenius ou super-Arrhenius, correspondant aux liquides forts et fragiles. Néanmoins, une critique majeure reste la difficulté à relier ces modèles très simplifiés à une description moléculaire réaliste et à identifier, au niveau microscopique, les sites facilitants responsables de la dynamique.

Il est essentiel de comprendre que la transition vitreuse n’est pas uniquement un phénomène lié à une structure statique nouvelle, mais avant tout à une dynamique extrêmement complexe et coopérative. Les phénomènes d’hétérogénéité dynamique et de déconnexion entre diffusion et viscosité révèlent la coexistence de comportements très différents à petite échelle, ce qui complique toute tentative de description simple. La richesse de ces comportements rend la transition vitreuse un sujet d’étude central pour la physique des systèmes désordonnés et complexes, avec des implications potentiellement étendues dans des domaines allant des matériaux aux sciences biologiques.