L’une des idées fondatrices du domaine pharmaceutique a été la notion de spécificité biologique, où les molécules de médicament étaient conçues pour interagir de manière précise avec des cibles spécifiques, telles que des récepteurs ou des enzymes. Cependant, au fil des années, cette vision a évolué, remettant en question la simple relation un-à-un entre un médicament et sa cible. Ce phénomène, plus complexe qu’il n'y paraît, est particulièrement manifeste dans le domaine de la polypharmacologie.
Au départ, les stratégies de découverte de médicaments se concentraient sur l’identification de molécules capables de se lier spécifiquement à une cible choisie, qu’il s’agisse d’une enzyme ou d’un récepteur protéique. Cette approche reposait sur l’idée que les interactions biologiques étaient précises et que chaque protéine ou récepteur avait une spécificité bien définie, à l’image de l’idée du "balle magique" (ou "Zauberkugel") proposée par Paul Ehrlich au début du XXe siècle. Selon cette théorie, un médicament se lie spécifiquement à une cible, permettant de traiter une pathologie sans nuire aux tissus sains. Pourtant, des décennies de recherche ont révélé que cette spécificité est loin d’être absolue.
Aujourd’hui, la polypharmacologie, c’est-à-dire l’action d’un médicament sur plusieurs récepteurs différents, est perçue non pas comme une anomalie, mais comme un atout thérapeutique. En effet, ce phénomène, où un médicament interagit avec plusieurs cibles simultanément, s’avère souvent plus efficace, en particulier pour traiter des maladies complexes où une approche ciblée unique est insuffisante. Ce changement de perspective est dû à une meilleure compréhension de la "promiscuité" des protéines, un concept qui réfère à la capacité des protéines à interagir avec plusieurs ligands et à jouer des rôles variés dans des processus biologiques distincts.
Ainsi, bien que la spécificité biologique des protéines ait longtemps été un principe fondamental, des découvertes récentes ont montré que cette spécificité est plus flexible et dynamique qu'on ne le pensait. Des protéines, comme les enzymes, ne se contentent pas d'une seule fonction ; elles peuvent, par exemple, catalyser plusieurs réactions biochimiques différentes. Un exemple classique est celui de la lipase, qui digère les graisses mais peut aussi catalyser des réactions d'estérification et même des réactions de formation de liaisons C-C, normalement réalisées par d'autres enzymes.
Il devient ainsi évident que la séparation stricte entre les protéines catalytiques et non catalytiques est un concept dépassé. Ce phénomène de "moonlighting" (littéralement "travail de nuit") montre que de nombreuses protéines peuvent assumer plusieurs fonctions en fonction des conditions cellulaires, ce qui leur permet de répondre de manière plus flexible aux besoins de l'organisme. Cela s’oppose à l’idée traditionnelle selon laquelle chaque protéine doit avoir une fonction unique et une structure bien définie. En réalité, certaines protéines intrinsèquement désordonnées (IDP), qui ne possèdent pas une structure stable préétablie, peuvent adopter une forme fonctionnelle et créer des sites de liaison lorsqu’elles interagissent avec des ligands spécifiques.
Ces découvertes ont des implications considérables pour la recherche pharmaceutique. La compréhension de la polypharmacologie, qui exploite la flexibilité des protéines et des médicaments, ouvre de nouvelles perspectives pour le traitement de maladies complexes comme le cancer, les maladies neurodégénératives ou les infections parasitaires. Par exemple, des médicaments qui ciblent plusieurs récepteurs ou enzymes à la fois peuvent être plus efficaces pour traiter des pathologies multi-facettes.
Il est essentiel de comprendre que la promiscuité des médicaments n’est pas un défaut, mais une caractéristique qui peut être exploitée de manière stratégique pour concevoir des thérapies plus polyvalentes. Le processus de redécouverte de médicaments (repurposing), qui consiste à utiliser des médicaments déjà existants pour de nouvelles indications, bénéficie grandement de cette nouvelle approche. Par exemple, certains médicaments anticancéreux ou anti-infectieux, initialement développés pour une seule maladie, montrent une efficacité contre plusieurs types de pathologies, ce qui démontre la capacité des molécules à interagir avec divers systèmes biologiques.
Il est également important de considérer l’interaction des médicaments avec non seulement des cibles principales, mais aussi des cibles secondaires. Cela implique que l’efficacité d’un médicament ne peut plus être évaluée uniquement en fonction de sa capacité à se lier à une cible spécifique, mais doit également tenir compte de son effet global sur l’organisme, en prenant en compte les multiples interactions qu’il peut engendrer avec différentes protéines ou récepteurs. Dans ce cadre, l’étude de la biologie des protéines désordonnées ou flexibles devient cruciale pour concevoir de nouveaux médicaments plus efficaces et moins spécifiques, capables d’agir sur plusieurs fronts thérapeutiques.
L'intégration des nanomatériaux dans la repurposition des médicaments : Une révolution en médecine moderne
Les nanomatériaux offrent des avantages indéniables dans le domaine de la conception de médicaments. Leur capacité à améliorer l'administration des médicaments, à modifier leur biodistribution, leurs propriétés pharmacocinétiques, à permettre une libération contrôlée et prolongée, à faciliter la délivrance ciblée et à soutenir les thérapies combinées en intégrant plusieurs médicaments ouvre la voie à des traitements plus efficaces et personnalisés. Ce niveau de précision dans la délivrance des traitements contribue non seulement à améliorer les résultats thérapeutiques mais aussi à réduire la toxicité systémique, facilitant ainsi l'émergence de traitements plus sûrs et plus ciblés.
Les nanomédicaments approuvés par la FDA, comme le Doxil®, une formulation liposomale de la doxorubicine, ont révolutionné le traitement des cancers, en réduisant notamment la toxicité cardiaque. D'autres exemples, comme l'Abraxane® qui utilise le paclitaxel dans des nanoparticules d'albumine, traitent divers types de cancers tout en évitant les solvants problématiques, et le Marqibo®, une formulation liposomale pour traiter les cancers du sang, ont démontré la capacité des nanotechnologies à résoudre des défis complexes dans l'administration des médicaments. Ces traitements illustrent un tournant dans la médecine moderne, où la précision et l'efficacité surpassent la simple administration de médicaments. L'intégration des nanomédicaments dans la pratique clinique marque un tournant décisif dans la lutte contre les maladies complexes et chroniques, notamment le cancer.
Le repurposition des médicaments, qui consiste à réutiliser des médicaments déjà approuvés ou en phase d'essai pour de nouvelles indications thérapeutiques, constitue une approche prometteuse pour accélérer l'accès à des traitements innovants tout en réduisant les coûts et le temps associés à la recherche de nouveaux médicaments. Ce processus, qui peut se diviser en deux catégories — le « repurposition dur » (utilisation d'un médicament pour un autre objectif médical, comme l'utilisation des antibiotiques pour traiter le cancer) et le « repurposition doux » (réutilisation de médicaments déjà établis dans une même domaine médical pour traiter de nouvelles affections) — présente un avantage majeur : le médicament a déjà démontré sa sécurité dans les études précliniques et cliniques. Cette méthode réduit considérablement les risques associés au développement de nouveaux médicaments.
Toutefois, les médicaments existants sont souvent limités par leurs propriétés physiques et chimiques, telles que leur faible solubilité dans l'eau, leur stabilité limitée, leur incompatibilité avec certaines voies d'administration, et une prise cellulaire insuffisante. Ces limitations peuvent rendre les traitements inefficaces et entraîner des effets secondaires indésirables. C'est dans ce contexte que les nanomatériaux jouent un rôle crucial. Leur capacité à améliorer la solubilité des médicaments, à fournir une délivrance ciblée et une libération contrôlée est essentielle pour que des médicaments déjà existants puissent atteindre leurs cibles thérapeutiques de manière plus efficace.
Prenons l'exemple des traitements pour la maladie d'Alzheimer. Plus de 98 % des médicaments à petites molécules et presque 100 % des médicaments biologiques ne parviennent pas à traverser efficacement la barrière hémato-encéphalique (BHE), ce qui limite leur capacité à traiter cette maladie neurodégénérative. Cependant, les nanoparticules, grâce à leur petite taille et leurs propriétés uniques, peuvent contourner cette barrière, ouvrant ainsi des perspectives nouvelles pour le traitement de la maladie d'Alzheimer. De nombreuses études démontrent l'augmentation de l'efficacité thérapeutique de médicaments repurposés par l'intermédiaire de nanomatériaux.
Dans le domaine du cancer, l'utilisation des nanomatériaux combinée au repurposition des médicaments offre des possibilités révolutionnaires. Le cancer reste l'une des premières causes de mortalité dans le monde, avec environ 9,6 millions de décès en 2018. Les traitements traditionnels comme la chimiothérapie et la radiothérapie sont souvent non sélectifs et nécessitent de fortes doses de médicaments, ce qui entraîne des effets secondaires graves. En intégrant des nanomaterials, les chercheurs cherchent à maximiser l'efficacité des médicaments repurposés, à réduire leur toxicité et à offrir des alternatives plus ciblées et précises. Par exemple, des complexes nanomoléculaires ont permis de repenser l’utilisation de l'aspirine dans le traitement du cancer, illustrant l'efficacité des nanoparticules pour améliorer l’absorption et la libération contrôlée des médicaments.
En parallèle, d'autres maladies comme les maladies neurodégénératives, les infections virales, les maladies cardiaques et la leishmaniose sont également des cibles de ces recherches combinées entre nanomédecine et repurposition. Chaque année, les études sur ces applications se multiplient, renforçant l'idée que les nanotechnologies ont un rôle essentiel à jouer dans la transformation du paysage thérapeutique.
L'une des principales clés de cette révolution thérapeutique réside dans la capacité des nanomatériaux à surmonter les obstacles physiques et chimiques des médicaments traditionnels. Ils offrent des solutions pour rendre des médicaments existants plus efficaces, en facilitant leur passage à travers des barrières biologiques complexes et en améliorant leur biodisponibilité. De plus, la réduction des effets secondaires est un atout majeur dans l'optimisation des traitements.
En résumé, l'intégration des nanotechnologies dans le domaine du repurposition des médicaments représente un tournant majeur dans le développement de traitements plus ciblés, plus sûrs et plus efficaces. Ce domaine en pleine expansion ouvre la voie à des innovations thérapeutiques, permettant de repenser la médecine moderne en intégrant des technologies de pointe pour améliorer la prise en charge des patients.
Comment les infections virales altèrent l'immunité innée et adaptative : Une analyse du rôle des cellules souches hématopoïétiques et des vaccins existants dans les pathologies récentes
Les modèles murins de la tuberculose (TB) ont permis de démontrer que l'immunité innée, entraînée par le vaccin BCG, offre une protection en réorientant les cellules souches hématopoïétiques (HSCs) résidant dans la moelle osseuse (BM) vers une production accrue de cellules myéloïdes, et ce, par un mécanisme dépendant de l'interféron-gamma (IFN-γ) (Kaufmann et al., 2018). Cependant, cette immunité entraînée peut être inhibée par Mycobacterium tuberculosis (Khan et al., 2020), dont l’infiltration au sein de la BM entraîne une série de perturbations immunitaires. En effet, après seulement dix jours d’infection, la bactérie se propage des poumons à la moelle osseuse, où elle altère l'axe IFN de type I/fer par un biais vers la nécroptose, un type de mort cellulaire particulièrement dévastateur pour les cellules myéloïdes. Ce phénomène est particulièrement frappant car il perturbe une partie essentielle de la réponse immunitaire innée en tuant ces cellules clés du système immunitaire (Khan et al., 2020).
Dans le cas de la COVID-19, plusieurs études ont observé la présence du virus SARS-CoV-2 dans le sang, une condition connue sous le nom de virémie (Puelles et al., 2020 ; Di Cristanziano et al., 2021), ainsi que la détection d'ARN viral dans la moelle osseuse de patients atteints de la COVID-19 (Deinhardt-Emmer et al., 2021 ; Jurek et al., 2022) et de modèles murins (Kaufmann et al., 2022). Une hypothèse a ainsi été formulée selon laquelle l'immunité innée formée par le BCG contre le SARS-CoV-2 pourrait être compromise par la dispersion virale à la BM, provoquée par les lésions vasculaires pulmonaires (Kaufmann et al., 2022). Alors que la vaccination par BCG diminue considérablement la morbidité et la mortalité causées par le virus de la grippe A chez les souris et les hamsters, elle n’a pas montré la même efficacité contre une infection grave au SARS-CoV-2. Contrairement à la grippe, l'infection par le SARS-CoV-2 provoque des lésions distinctes de la vasculature pulmonaire, facilitant la dissémination du virus vers d'autres organes, notamment la BM, qui joue un rôle crucial dans l'immunité innée formée par le BCG (Kaufmann et al., 2022).
Les interférons de type I (IFN-I) sont des éléments essentiels de la réponse antivirale précoce, limitant la réplication et la propagation des virus. Cependant, chez les patients atteints de COVID-19 sévère, de très faibles niveaux d'IFNs ont été retrouvés dans les poumons ou dans le sang périphérique (Blanco-Melo et al., 2020 ; Hadjadj et al., 2020). Cette carence en IFNs est pensée être l'un des principaux facteurs expliquant la gravité de la maladie (Bastard et al., 2020 ; Lei et al., 2020 ; Hadjadj et al., 2020). Plusieurs protéines virales jouent un rôle clé dans cette altération de la réponse immunitaire (pour revue, voir Rubio-Casillas et al., 2022).
Les recherches ont également révélé une lymphopénie marquée chez les patients atteints de formes graves de COVID-19 (Gutiérrez-Bautista et al., 2020 ; Han et al., 2020 ; Shi et al., 2020 ; Wang et al., 2020), souvent associée à une suppression de la production de lymphocytes dans la BM. En effet, il a été suggéré que les chimiokines induites par le SARS-CoV-2 inhibent la survie des HSCs dans la BM (Chi et al., 2020). L'analyse par séquençage ARN de cellules mononucléées de la moelle osseuse de patients COVID-19 a révélé que les HSCs étaient principalement en phase G1 et présentaient un risque élevé d'apoptose. De plus, dans les cas les plus graves, une diminution notable des progéniteurs lymphoïdes et une concentration accrue de progéniteurs myéloïdes immatures ont été observées (Wang et al., 2021). L'infection par le SARS-CoV-2 conduit également à des modifications telles qu'une pancytopénie (réduction généralisée des cellules sanguines), une phagocytose des cellules précurseurs (hémophagocytose) et une nécrose de la moelle osseuse (Debliquis et al., 2020 ; Zeylabi et al., 2023 ; Marques-Maggio et al., 2023).
Le rôle de la glande thymique dans la production de lymphocytes T a aussi été fortement perturbé par le SARS-CoV-2 (Ciofani et Zúñiga-Pflücker, 2007 ; Rosichini et al., 2023). En effet, bien que les lymphocytes T, comme toutes les autres cellules hématopoïétiques, soient produits à partir des HSCs de la moelle osseuse, la majeure partie de leur développement et de leur maturation se fait au sein du thymus. Une étude menée auprès de patients adultes hospitalisés en Italie entre mars et octobre 2020 a révélé que les récepteurs ACE2, qui permettent au SARS-CoV-2 d’infecter les cellules hôtes, étaient présents dans l’épithélium thymique. Il a été observé que les patients COVID-19 montraient une réduction significative de la survie des lymphocytes T dans le thymus, cette altération étant corrélée à la gravité de la maladie (Rosichini et al., 2023).
Dans les modèles animaux, le variant Delta du SARS-CoV-2 a induit une atrophie thymique plus marquée, accompagnée d'une réduction significative du nombre de cellules T en raison de l'apoptose, tandis que le variant Omicron n'a provoqué qu'une atrophie thymique marginale. Cela suggère que la dysrégulation et l'atrophie thymiques pourraient être responsables de la lymphopénie observée dans les formes sévères de la COVID-19 (Rizvi et al., 2024). Le SARS-CoV-2 semble ainsi avoir évolué pour contourner les mécanismes de surveillance immunitaire et de destruction, en ciblant précisément deux organes immunitaires majeurs : la moelle osseuse et le thymus. Cette attaque de précision pourrait expliquer pourquoi certains vaccins, comme le BCG ou le vaccin contre la polio (OPV), n'ont pas été efficaces pour réduire la sévérité de l'infection ou la mortalité lors de l'infection par le SARS-CoV-2.
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