Dans la crise actuelle de la modernité, caractérisée par une multitude de défis environnementaux, économiques et sociaux, il est devenu impératif de concevoir des narratifs intégratifs qui dépassent les cadres traditionnels et qui incluent des voix souvent ignorées. Cette nécessité est d’autant plus pressante lorsqu’il s’agit de prendre en compte les menaces réelles et imminentes qui pèsent sur l’avenir de notre société globale, telles que la crise climatique, la destruction des espèces, l’inégalité croissante et l'armement nucléaire. Pourtant, ces crises ne peuvent être résolues par une perspective monolithique. Elles exigent des contributions provenant de divers secteurs sociaux : la recherche académique, les politiques gouvernementales, mais aussi des secteurs tels que la religion moderne, les arts, l’éducation et les technologies innovantes.

Ce que l’on observe dans les mouvements populistes et fondamentalistes, en particulier, c'est une tendance à s'opposer directement à ces institutions modernes, qui, malgré leurs défauts, sont les seules capables d’entreprendre une action radicale pour contrer les menaces existentielles. En effet, ces mouvements se présentent comme des réactions face à une crise qu’ils jugent morale, identitaire ou nationale, mais en réalité, leur impact sur la modernité va bien au-delà de leurs revendications immédiates. Leurs attaques contre les institutions telles que les médias, le système juridique, les organisations internationales, et même la science, ne font que détourner l’attention et les ressources nécessaires pour traiter des véritables enjeux de l’heure.

En critiquant systématiquement ces institutions — en les accusant de conspirer contre le peuple, d’ignorer les lois divines ou de détruire la famille traditionnelle — ces mouvements cherchent à les subvertir ou à les neutraliser. Leurs tactiques, souvent violentes et rhétoriques, visent à déstabiliser les fondements mêmes de l’ordre moderne. Prenons l’exemple des populistes qui, une fois au pouvoir, cherchent à contrôler le système judiciaire, les médias et les institutions internationales, souvent au prix de l'indépendance de ces structures. Les politiques sur le climat, l'immigration ou le désarmement sont rapidement remises en question ou même renversées par ces mouvements, ce qui empêche toute action cohérente face à des défis planétaires urgents.

D’un autre côté, les fondamentalistes, bien qu’ayant des réponses diverses, cherchent également à affaiblir ces institutions en cherchant à imposer des valeurs religieuses sur les institutions laïques. Par exemple, dans des pays comme les États-Unis, le mouvement chrétien évangélique cherche à inverser des progrès sociaux comme les droits des minorités, les droits des femmes ou encore les droits des communautés LGBTQ+. Cette volonté de transformer ou de contester l'ordre établi se heurte fréquemment à une réalité contradictoire : les institutions modernes, malgré leurs défauts, sont essentielles pour garantir la paix sociale et la stabilité mondiale.

Face à ces mouvements réactionnaires, les institutions modernes se retrouvent prises dans un dilemme permanent : elles doivent à la fois gérer des crises globales, tout en répondant aux attaques incessantes provenant de ceux qui cherchent à détruire le système même qui pourrait les aider à surmonter ces crises. Par conséquent, des ressources considérables sont détournées vers la gestion de cette opposition, réduisant ainsi l’efficacité des mesures nécessaires pour résoudre des problèmes bien plus larges.

Mais cette lutte contre les réactions populistes et fondamentalistes ne peut se limiter à une simple résistance passive. Il est impératif de comprendre les mécanismes psychologiques sous-jacents à ces mouvements, afin de repérer les points de pression où leurs narratives commencent à se fissurer. Par exemple, lorsque les expériences quotidiennes des partisans sont en contradiction avec les promesses idéologiques de ces mouvements, des tensions peuvent émerger. Ces contradictions, bien que souvent justifiées par des arguments narratifs astucieux, représentent néanmoins des faiblesses sur lesquelles il est possible d'agir pour affaiblir ces mouvements de l'intérieur.

Ainsi, les institutions modernes, loin d’être en déclin, détiennent la clé pour résoudre les crises auxquelles nous faisons face. Cependant, pour que cela soit possible, elles doivent être renforcées, soutenues et protégées contre les attaques qui visent à les démanteler. Cela nécessite une vigilance continue et un engagement à l’échelle mondiale pour maintenir l'ordre et l’équilibre dans un monde en pleine mutation.

Les Mouvements Fondamentalistes : Une Réaction Contre la Modernité

Les mouvements fondamentalistes, qu'ils soient religieux, politiques ou sociaux, se caractérisent par un rejet de la modernité et un désir de revenir à un ordre social perçu comme plus pur et plus simple. Ce phénomène s’observe tant chez les groupes extrémistes que chez les groupes plus modérés, comme les Amish, les Frères, ou les Haredim, qui, tout en étant pacifiques, partagent cette même aspiration à un retour aux origines. Cependant, leurs méthodes et leur rapport au monde diffèrent profondément. Alors que certains, comme l'État islamique (ISIS), aspirent à dominer le monde par la violence et le terrorisme, d'autres, plus isolés, cherchent à s'en retirer complètement pour préserver leur vision du monde.

Le cas de l'ISIS, avec sa quête du califat, est emblématique de cette dynamique. Ce groupe fondamentaliste a cherché à recréer une forme de gouvernement islamique, sur le modèle des premiers califes qui ont dirigé l'islam après la mort du prophète Mahomet. Cette période, considérée par de nombreux musulmans comme l'âge d'or de l'islam, est cependant idéalisée, car elle a été marquée par des conflits internes et des dissensions, notamment la scission entre sunnites et chiites. À partir de la fin du califat en 1924, l’idée d’un califat a persisté chez certains mouvements fondamentalistes, qui ont vu dans ce modèle une solution à la corruption et à la décadence perçues du monde moderne.

L'ISIS, en particulier, a cherché à redonner vie à ce rêve en créant un califat basé sur une interprétation stricte de la charia. Cette tentative de recréer une société islamique "pure" s'est accompagnée d'une violence extrême, visant à imposer sa vision par la terreur. Mais cette quête d’une société idéale, fondée sur une pureté originelle, a rencontré des obstacles inhérents à la réalité politique et sociale. Après l'effondrement de son califat en 2019, l'ISIS a montré, de manière tragique, la fragilité des rêves fondamentalistes lorsqu'ils sont confrontés aux contraintes du monde réel.

Ce phénomène de réaction contre la modernité n'est pas limité à un seul groupe ni à une seule idéologie. Il est global et concerne différentes expressions de fondamentalismes, qu'ils soient religieux, politiques ou même culturels. Les fondamentalistes, dans leurs diverses formes, cherchent à reconstruire une identité sociale qu'ils estiment perdue ou menacée par la mondialisation, le capitalisme ou les valeurs progressistes. Cette quête de retour à un passé idéalisé est souvent marquée par un rejet de l’individualisme moderne, de la pluralité des valeurs et de la relativité des connaissances. En réponse à une modernité qu’ils considèrent comme déstabilisante et aliénante, ces mouvements fondamentalistes proposent une vision monolithique et rigide de la société, où la vérité est immuable et incontestable.

Il est essentiel de comprendre que les fondamentalistes, qu'ils soient violents ou non, partagent cette même vision restauratrice. Cependant, la manière dont ils tentent de réaliser ce retour au passé varie grandement. Certains, comme l'ISIS, usent de la violence et du terrorisme pour imposer leur ordre. D'autres, comme les Amish, choisissent la séparation du monde moderne, préférant se retirer pour préserver leurs valeurs. Ce qui les réunit tous, c’est une vision du monde où la diversité des opinions et des croyances est rejetée, et où un seul modèle de société est considéré comme légitime.

Dans ce contexte, il est crucial de se demander comment les sociétés modernes devraient réagir face à ces mouvements. Certains prônent une confrontation directe avec ces idéologies extrêmes, cherchant à les éliminer par la force. D’autres suggèrent un dialogue, cherchant à comprendre les préoccupations des fondamentalistes et à engager une discussion sur les vrais enjeux qui traversent la société contemporaine. Cependant, il est important de noter que ces mouvements ne se contentent pas de défendre une vision du monde ; ils créent aussi des divisions profondes au sein des sociétés. En rejetant la pluralité et en prônant des solutions absolues, les fondamentalistes sapent les bases mêmes du débat démocratique et de la coexistence pacifique.

Les mouvements populistes et fondamentalistes représentent donc une menace pour les systèmes sociaux modernes, car ils détournent l'attention des problèmes réels et urgents auxquels le monde est confronté, tels que la crise climatique, les inégalités sociales et les conflits géopolitiques. En attaquant directement la modernité, ces mouvements non seulement compliquent les efforts pour résoudre ces crises, mais créent également des coûts d'opportunité en détournant les ressources et les énergies collectives vers des luttes idéologiques souvent stériles.

Les sociétés modernes doivent donc trouver des moyens efficaces de répondre à ces défis. Ignorer ces mouvements pourrait permettre à des problèmes plus pressants de se détériorer davantage, mais les confronter frontalement pourrait aussi être contre-productif. L'une des stratégies pourrait consister à rétablir une confiance sociale qui montre que les systèmes modernes sont capables et motivés à résoudre les crises actuelles. Cela nécessite un effort collectif qui inclut la participation des citoyens, des institutions, et des voix critiques dans le processus décisionnel. La construction d’une véritable solidarité sociale, fondée sur la confiance mutuelle et l’engagement en faveur de solutions concrètes aux enjeux mondiaux, semble être l’une des clés pour surmonter cette crise de la modernité.

Pourquoi les projets populistes sont-ils risqués pour les sociétés modernes ?

Les projets populistes, qu'ils s'agissent d'un retrait des législations européennes, de l'abandon d'accords environnementaux ou du retour à des programmes éducatifs mettant en avant des valeurs familiales et religieuses traditionnelles, portent en eux des risques considérables. Ces risques ne se limitent pas seulement à la difficulté et la complexité de leur mise en œuvre, mais trouvent également leur origine dans leur incompatibilité avec les expériences vécues et les valeurs de nombreux citoyens. Cette divergence réside au cœur de la problématique.

Le populisme, en ce sens, se présente comme une réaction contre la modernité. Il se veut un rejet des élites et des experts, c'est-à-dire des systèmes sociaux spécialisés qui régissent le monde moderne. Les leaders populistes s'adressent directement à leurs partisans dans leur propre langage, et leurs solutions, prétendument fondées sur le "bon sens", cherchent à démontrer que les élites ne sont que des parasites vivant aux dépens des "familles travailleuses". Cependant, la réalité est bien différente : les nations modernes dépendent des systèmes sociaux modernes pour leur survie. Pour cette raison, les dirigeants populistes doivent impérativement obtenir et conserver le contrôle sur ces systèmes s'ils souhaitent maintenir le pouvoir qu'ils ont acquis.

Les médias, le système judiciaire, les systèmes politiques, l'éducation et les entreprises doivent tous être infiltrés par les alliés du leader populiste, ou contrôlés d'une manière ou d'une autre, afin de mettre en œuvre son programme. L'ironie de cette situation réside dans le fait que ces systèmes modernes sont si cruciaux pour la société contemporaine qu'ils peuvent, s'ils sont entravés, faire échouer les projets populistes. Si, par exemple, les juges ne parviennent pas à rendre la justice, si les entreprises échouent à générer de la richesse, si les médias ne parviennent pas à découvrir et à transmettre des vérités inconfortables, alors ils ne soutiendront pas un leader populiste. Bien plus, ils utiliseront le poids de leurs institutions pour contrer le mouvement populiste qui les défie.

C'est pourquoi les populistes sont bien plus adaptés à "combattre la bonne bataille" qu'à exercer réellement le pouvoir. Lorsque leurs solutions de "bon sens" échouent, ils expliquent cet échec en incriminant les puissances cachées des "élites" ou du "deep state". Leur but ultime est d'entretenir un climat de conflit, car, à l'instar des fondamentalismes, ils se battent contre l'ensemble de l'appareil de la modernité. Ce n'est d'ailleurs que lorsqu'ils semblent l'emporter qu'ils révèlent leur plus grande faiblesse. En accédant au pouvoir, ils se retrouvent confrontés à de nouveaux défis. Les leaders et gouvernements populistes finissent par s'effondrer lorsqu'il devient évident que leurs solutions simplistes ne fonctionnent pas et que la restauration de l'âge d'or mythique qu'ils promettent n'est qu'une illusion cruelle. Les systèmes sociaux modernes, bien qu'inconfortables ou imparfaits, sont indispensables à la survie des sociétés modernes.

Prenons l'exemple de Brexit et de Farage, un cas d'école dans la mise en œuvre d'un projet populiste. En 2016, la Grande-Bretagne s'engage dans un référendum historique sur sa sortie de l'Union européenne. À l'origine de ce projet se trouvait Nigel Farage, un des principaux promoteurs de cette campagne populiste. Son discours, déjà évoqué précédemment, illustre parfaitement la manière dont un leader populiste s'associe à un projet politique en faisant appel aux identités et à l’essence même de ses partisans. Cependant, le Brexit n'a pas émergé de nulle part. L'histoire de la politique britannique et la carrière de Farage révèlent une longue hostilité de la droite britannique à l'Europe, souvent fondée sur des préoccupations de souveraineté et de contrôle de l'immigration. Une hostilité qui, jusqu’à récemment, était reléguée aux marges du discours politique, mais qui a pris une ampleur significative avec l'ascension de Farage.

Son arrivée à la tête du UKIP en 2006 marque un tournant. Le parti se transforme et la présence de Farage au Parlement européen devient un outil de visibilité maximale. Son style direct et provocateur, parfois allant jusqu’à l’insulte, visait à s’affirmer comme un défenseur authentique des "gens ordinaires". En dépit de ses interventions polémiques et de son absence régulière lors des votes, Farage réussit à s’imposer sur la scène politique européenne et britannique. Le référendum sur le Brexit, qu’il soutient activement, devient un terrain idéal pour renforcer son discours populiste. En associant l'immigration à la menace et en accentuant le clivage entre "nous", le peuple britannique, et "eux", les élites européennes et les migrants, il réussit à mobiliser une large frange de la population.

Le "Leave.EU" fait de cette polarisation une arme, et, après la victoire étroite du camp pro-Brexit, Farage se retire du UKIP en se déclarant satisfait de l’accomplissement de son objectif. Toutefois, son retour en politique, notamment à travers le Brexit Party, montre que la dynamique populiste, une fois lancée, ne disparaît pas. Au contraire, elle trouve de nouveaux enjeux et de nouvelles cibles à attaquer, comme l’élite politique britannique elle-même, qu’il accuse d’avoir trahi les aspirations populaires. L’agenda populiste, dans cette phase, devient alors une machine bien rodée pour nourrir les frustrations populaires et accentuer les divisions.

Il est crucial de comprendre que, malgré leur popularité apparente, les projets populistes ne sont pas seulement des réponses à des crises immédiates mais bien le symptôme d'un malaise profond vis-à-vis des structures modernes. Leur échec ne tient pas seulement à une mauvaise gestion ou à des solutions inappropriées ; il réside dans l’impossibilité de revenir en arrière, de ressusciter un passé révolu, et dans la confrontation inévitable avec les réalités complexes d’un monde qui ne se laisse pas réorganiser à l’image d’un idéal simpliste. Le populisme, tout en étant un puissant moteur de division, se heurte tôt ou tard aux limites de ses propres promesses.