La campagne présidentielle de Ronald Reagan en 1984 s’est voulue le symbole d’un renouveau pour l’Amérique, avec son slogan emblématique « Morning in America », qui suggérait que son mandat marquait un nouveau départ. Pourtant, l’analyse de ses discours et de ses stratégies de communication montre que si son discours semblait novateur, il restait dans une large mesure fidèle aux formulations traditionnelles, et ce, en dépit des apparences. La notion de coalition, par exemple, à laquelle Reagan faisait souvent référence, ne changeait guère les bases idéologiques de son message.
Le 30 octobre 1984, lors d'un discours devant les groupes de direction de la campagne Reagan-Bush, Reagan affirmait que leur coalition représentait des personnes partageant des valeurs traditionnelles américaines, qu’elles soient issues de pays latins, africains, asiatiques ou européens. Ce message, bien que teinté de diversité ethnique, reposait sur des principes familiers : l'amour de la famille, le respect de Dieu, le travail acharné, et la paix par la force. Si l'inclusion des Latinos et des Américains d'Asie représentait une nouveauté apparente, le cœur de son discours restait cependant inchangé, insistant sur des valeurs qu'il qualifiait de « américaines », et non de « républicaines ».
En réalité, Reagan pensait que les Latinos voteraient massivement pour les Républicains, une conviction probablement alimentée par son succès auprès de la communauté cubano-américaine. Il affirmait d'ailleurs à Lionel Sosa, un stratège en marketing politique, que « les Hispanics sont républicains, ils ne le savent juste pas encore ». Pour Reagan et Sosa, les Latinos partageaient des préoccupations communes avec les Républicains, notamment sur des enjeux sociaux tels que l’avortement. De plus, Reagan croyait qu'une figure politique digne de confiance et morale, indépendamment de ses positions sur les enjeux clés, saurait rallier les Latinos au sein du Parti républicain.
Pour cette raison, il créa la première série de publicités télévisées ciblant les Latinos, qui n’étaient pas de simples traductions de publicités en anglais. Ces publicités mettaient en scène des Latinos de classe moyenne expliquant pourquoi ils se détournaient du Parti démocrate pour soutenir Reagan. Leurs messages étaient simples : bien que les problèmes spécifiques des Latinos ne soient pas abordés, il était essentiel de souligner l'importance de cette communauté dans la politique américaine.
Les appels de Reagan aux Latinos suivaient un schéma similaire à ceux qu’il adressait aux autres groupes ethniques : ses politiques favorisaient tout le monde, tout en critiquant celles de ses adversaires. Il opposait son « opportunity society » (société des opportunités) à ce qu’il considérait comme les politiques défaillantes des Démocrates, qu’il accusait de rendre les populations défavorisées dépendantes des programmes fédéraux. Reagan soulignait que ses politiques allaient en faveur de tous les Américains et enrichissaient la culture nationale, y compris la culture latino-américaine.
En outre, Reagan exprimait souvent une vision particulière des relations raciales et ethniques en Amérique. Lors de l’Assemblée nationale hispanique à Dallas, le 23 août 1984, il suggérait que les Démocrates considéraient les Latinos comme un « groupe d’intérêt séparé », tandis que les Républicains les percevaient comme faisant partie intégrante du « courant principal de notre parti et de notre pays ». Cette remarque, bien que subtile, comportait une charge implicite forte : en cherchant à conquérir les voix des Latinos, Reagan tentait de les intégrer dans le giron de l’Amérique blanche et traditionnelle, tout en se démarquant des Démocrates, qu’il accusait de promouvoir une vision fragmentée du pays, divisée en groupes d’intérêt. Cette vision contrastait avec celle de Reagan, qui prônait une nation unie autour de valeurs communes, à savoir celles de la famille, de la religion et du travail.
Ce discours se doublait d’une critique acerbe des Démocrates, qu’il accusait d’adopter des politiques de « charité » et de « dépendance » envers les populations pauvres, qu’elles soient noires ou latinos. Reagan plaçait les républicains dans la position de défenseurs des « véritables » valeurs américaines, tout en insinuant que les Démocrates, en se livrant à des pratiques de politique clientéliste, cherchaient à entretenir une vision de la société américaine où les différentes communautés seraient en compétition pour des ressources limitées.
Cette division entre les valeurs républicaines et les politiques démocrates prenait une tournure raciale lorsqu’il affirmait que les Républicains « ne voyaient pas les gens comme appartenant à un groupe ou un autre », suggérant ainsi qu’il n’y avait pas de place pour les stéréotypes raciaux dans son discours politique. Ce discours, bien que dénué de termes explicitement raciaux, véhiculait une image claire : les stéréotypes raciaux associés aux communautés afro-américaines, par exemple, étaient en réalité utilisés par les Démocrates pour maintenir un système de « dépendance ».
Enfin, Reagan élargit son appel à un groupe encore moins traditionnellement associé au Parti républicain : les Américains d’origine asiatique. Lors d’un entretien avec Pacific Magazine, le 4 mai 1984, il saluait l’engagement des Américains d’Asie à préserver le rêve américain, en mettant en avant des valeurs telles que la foi religieuse, l’esprit communautaire et le travail acharné. Pour Reagan, ces valeurs se traduisaient par une contribution positive à la société américaine, comparable à celle des autres groupes ethniques, qu’il percevait comme un prolongement naturel des valeurs dominantes de la nation.
Le message de Reagan, qui cherchait à unifier différentes communautés autour de valeurs communes tout en opposant son projet à celui des Démocrates, ne doit pas être vu seulement sous l'angle de la politique. Il reflétait une vision de l’Amérique comme une nation unifiée, mais aussi une nation qui ne voulait pas aborder frontalement les questions de race, d’inégalité historique et de discrimination. L’inclusion des groupes ethniques dans son discours politique n’était pas tant une reconnaissance de leur diversité, mais plutôt une tentative de les intégrer dans un modèle national homogène, où les différences culturelles et raciales étaient fondamentalement perçues comme secondaires face aux valeurs de travail, de famille et de foi.
Comment différencier les bons et les mauvais immigrants dans le discours politique américain ?
Dans les discours de George W. Bush sur l’immigration, un double registre narratif s’entrelace : la nécessité de préserver la sécurité nationale et l’impératif de maintenir les valeurs fondamentales de l’Amérique. Loin de proposer une régularisation générale, Bush défend un programme de travail temporaire pour les étrangers « prêts à travailler », posant ainsi une distinction morale et fonctionnelle entre les immigrants « travailleurs » et les « illégaux ».
Cette opposition entre « bons » et « mauvais » immigrants s’illustre par l’éloge des individus venant du Mexique « pour nourrir leur famille », face à ceux qui violent la loi en franchissant la frontière de manière clandestine. En réaffirmant son refus de toute amnistie globale, Bush légitime une ligne politique qui valorise l'effort, la responsabilité individuelle et la conformité aux règles, tout en renforçant les frontières. L’objectif affiché est de permettre aux agents de la frontière de se concentrer sur les « vrais criminels » : trafiquants de drogue, terroristes, passeurs.
Cette vision moraliste de l’immigration n’est pas neuve, mais Bush la modernise en liant les immigrants méritants à l’économie nationale. Il évoque les secteurs incapables de trouver de la main-d’œuvre locale et justifie ainsi la nécessité d’un programme permettant aux entreprises d'embaucher des travailleurs étrangers temporaires. Par là, il répond non seulement aux besoins économiques, mais aussi à l’angoisse culturelle du déclin du respect des lois.
Dans ses mémoires, Bush propose un système de régularisation conditionnelle. Ceux qui ont vécu longtemps aux États-Unis, travaillé, payé des impôts, appris l’anglais, seraient éligibles à une citoyenneté différée, mais seulement après avoir payé une amende et attendu leur tour derrière ceux ayant respecté les règles dès le départ. Cette mécanique de « mérite » vient neutraliser l’accusation d’injustice souvent opposée aux régularisations massives.
Mais cette rhétorique du mérite cache un projet plus profond : celui de redéfinir l’identité américaine à travers une ligne de fracture entre les Latinos « acceptables » — travailleurs, intégrés, taxés — et les « autres » — délinquants, clandestins, marginaux. En ce sens, le discours réactive des structures anciennes du discours racial américain : ce n’est pas tant l’origine qui compte, mais la capacité à se rapprocher des valeurs associées à la blanchité — discipline, légalité, travail.
L’amalgame subtil entre immigration illégale, terrorisme et criminalité répond à des peurs collectives réactivées après le 11 septembre. Bien que les terroristes de ces attaques soient entrés légalement sur le territoire, une majorité d’Américains croyait, en 2004, que l’immigration clandestine augmentait le risque terroriste. De même, la frustration vis-à-vis des travailleurs non imposables se transforme en soutien à des politiques contraignantes, qui forcent l’adhésion fiscale et culturelle des immigrants.
Bush capitalise sur cette anxiété : il offre à son électorat blanc la possibilité de distinguer entre les « bons Latinos » qui respectent les règles, et les « mauvais » qui profitent du système. Il donne ainsi une structure morale et rassurante à un phénomène global complexe. Cette dichotomie, bien que séduisante, perpétue une hiérarchie raciale subtile. Le Latino travailleur devient acceptable s’il incarne des qualités historiquement attribuées à la blanchité. Ainsi, même s’il ne peut jamais véritablement devenir blanc, il peut au moins participer à l’idéal américain, à condition de se distancier des siens jugés déviants.
Cette politique du mérite ne vise pas seulement à gérer les flux migratoires. Elle redéfinit l'appartenance nationale selon des critères économiques et moraux. Le « bon immigrant » est celui qui travaille, paie, attend, apprend — il est l’anti-criminel, l’anti-terroriste, l’anti-fainéant. Ce faisant, le discours de Bush ne se contente pas d’administrer une frontière : il reconstruit symboliquement l’Amérique.
Il est important de comprendre que cette stratégie politique repose sur une instrumentalisation du récit national. En séparant les immigrants selon leur conformité à l’économie et à la loi, on détourne l’attention des causes structurelles de la migration et des responsabilités américaines dans les déséquilibres régionaux. Cette logique exclut aussi de facto les plus vulnérables : ceux qui n’ont ni les moyens de payer une amende, ni l’accès à un emploi stable, ni le temps d’attendre leur tour.
En liant citoyenneté à mérite, on substitue à une logique de droits universels une logique contractuelle où seuls les « performants » sont tolérés. Cela affaiblit la notion même de communauté politique inclusive et masque, sous le vernis de l’équité, une profonde inégalité d’accès à l’appartenance.

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