Le terme « amok » trouve son origine dans les pratiques guerrières des combattants malais, qui se lançaient à l’assaut de leurs ennemis dans une frénésie meurtrière, sans souci de leur propre survie, hurlant le cri de guerre « Amok ». Cette furie incontrôlée s’est transformée, au fil des siècles, en un concept psychologique et criminologique désignant une explosion soudaine, apparemment inexplicable, de violence meurtrière, le plus souvent dirigée contre des personnes dans l’entourage immédiat du protagoniste. La définition adoptée aujourd’hui par l’Organisation mondiale de la santé décrit l’amok comme un épisode arbitraire, apparemment non provoqué, de comportement destructeur grave, souvent meurtrier, dirigé contre autrui.

L’amalgame fréquent entre attentat terroriste et attaque de type amok est à la fois simpliste et dangereux. Ces actes partagent des traits de surface : violence extrême, caractère spectaculaire, impact médiatique. Mais ils diffèrent radicalement par leur nature, leur motivation et leur cible. L’acte terroriste s’inscrit dans une stratégie, une logique instrumentale ; il vise à envoyer un message politique, à provoquer un changement sociétal. La violence est choisie comme moyen de communication idéologique. À l’inverse, l’auteur d’un acte amok agit dans un état de désinhibition émotionnelle, souvent décrit comme une rage aveugle. Il ne poursuit pas de but rationnel ou politique ; l’explosion de violence est en général le point culminant d’un conflit intérieur, d’un isolement, d’un ressentiment personnel accumulé.

Le choix des victimes témoigne également de cette divergence fondamentale. Le terroriste sélectionne ses cibles pour leur symbolisme : membres d’une communauté ethnique ou religieuse, représentants de l’État ou de l’ordre établi, civils anonymes frappés dans leur quotidien pour semer la peur collective. L’amok, quant à lui, s’en prend fréquemment à des proches, à d’anciens camarades de classe ou collègues, à des figures associées à un rejet, une humiliation ou une souffrance personnelle. Il s’agit moins de faire passer un message que d’exprimer un rejet globalisé du monde.

Les trajectoires des auteurs diffèrent aussi. Là où le terroriste planifie, rédige des manifestes, choisit méthodiquement le lieu, le moment et les moyens de son acte, l’auteur d’un amok agit dans une impulsion souvent non préméditée. Le premier envisage parfois sa propre mort comme un geste héroïque au service d’une cause ; le second voit sa propre disparition comme la seule issue à une logique de destruction totale – des autres et de lui-même.

Cette distinction a des implications profondes, tant sur le plan judiciaire que social. Car qualifier un acte de terrorisme engage la société dans une réponse politique, dans l’évaluation de risques systémiques, dans la mise en place de dispositifs sécuritaires, de politiques de prévention. Qualifier un acte d’amok, c’est le renvoyer à la sphère individuelle, à une pathologie mentale, à une tragédie intime. Pourtant, la frontière entre les deux n’est pas toujours nette. Le regard de l’observateur, de la justice, des médias, est souvent influencé par l’apparence des faits, par la présence ou non d’un manifeste, par le profil des victimes. Ainsi, un acte motivé par une idéologie raciste mais réalisé par un individu isolé peut être perçu comme un délire personnel, là où il faudrait reconnaître un acte terroriste structuré, même sans réseau.

L’évaluation de ces actes, leur catégorisation, sont donc tout sauf anodines. Elles orientent la perception collective, la reconnaissance des victimes, la responsabilité institutionnelle. L’exemple de l’attentat d’El Paso en 2019, où le tireur a visé des personnes d’origine hispanique en se fondant sur un manifeste idéologique, montre combien il est essentiel de ne pas confondre dérangement psychologique et engagement idéologique. L’acte y était pensé, justifié, structuré : tout l’inverse de l’explosion incontrôlée d’un individu déconnecté de toute rationalité politique.

Toute tentative de pathologisation excessive court le risque de minimiser la responsabilité morale et sociale de l’auteur. Elle occulte les facteurs sociaux, idéologiques, culturels, qui nourrissent parfois la haine. Elle contribue aussi à isoler l’acte, à le présenter comme une anomalie, plutôt que comme le symptôme d’un malaise plus profond. La reconnaissance d’un acte comme terroriste ou comme amok n’est donc pas qu’un débat académique : elle façonne la manière dont la société s’en remet, dont elle juge, dont elle tire les leçons ou les oublie.

Ce qu’il est également fondamental de comprendre, c’est que le traitement différencié de ces actes ne doit pas faire oublier qu’ils s’inscrivent dans des contextes sociaux, des fragilités collectives, des logiques d’exclusion ou de radicalis

Comment Brenton Tarrant incarne-t-il l'extrémisme identitaire et la radicalisation moderne ?

Brenton Tarrant s’est revendiqué comme un combattant contre le terrorisme islamique, se présentant lui-même dans un manifeste empreint de pathos, où il décrit les attaques qu’il a subies comme des agressions contre son peuple, sa culture, sa foi et son âme. Son engagement s’inscrit dans un contexte politique marqué par les élections présidentielles françaises de 2017, où il oppose une vision capitaliste, égalitariste et globaliste, incarnée par Emmanuel Macron, à une figure nationaliste courageuse, représentée par Marine Le Pen, qui défendait la lutte contre la déportation des immigrés illégaux. Dans cette optique, chaque ville ou village français devient un théâtre d’invasion supposée. Tarrant puise explicitement dans les idées du mouvement identitaire, comme en témoigne le titre de son manifeste, « Der große Austausch » (Le Grand Remplacement), directement emprunté au penseur français Renaud Camus. Son implication financière auprès de ce mouvement, notamment par des dons à leur porte-parole autrichien Martin Sellner, confirme son intégration dans ce réseau idéologique transnational.

Le lien entre Tarrant et Sellner illustre une dimension internationale de cette radicalisation : leurs échanges épistolaires et l’invitation faite par Sellner à Tarrant de rejoindre le mouvement identitaire à Vienne démontrent une coordination et un partage d’idéaux. Tarrant, qui planifiait ses actes depuis plusieurs années, semblait se percevoir comme un soldat engagé dans une guerre culturelle et identitaire. Son séjour au Pakistan, pays où se déroulent des conflits religieux violents, surprend par son ton inhabituellement conciliant et respectueux envers la population locale, ce qui illustre une contradiction dans son profil et dans la complexité des motivations qui animent certains extrémistes.

Installé en Nouvelle-Zélande depuis 2017, Tarrant vivait dans une solitude volontaire, sans attaches sociales significatives. Son appartement dépourvu de toute décoration et ses entraînements en club de tir témoignent d’une préparation méticuleuse. Il possédait un permis d’arme à feu et s’était équipé d’un fusil de chasse, renforçant l’image d’un individu méthodique, loin de la caricature du déséquilibré impulsif. Lors de son procès, il affichait ouvertement des symboles de suprémacisme blanc et revendiquait une fascination pour les conflits religieux en Europe et dans les Balkans, région qu’il mentionnait souvent dans son manifeste. Son usage de références historiques précises, notamment à des combattants serbes et monténégrins, révèle une connaissance approfondie des symboles nationalistes extrêmes, rappelant la démarche d’Anders Breivik.

Comme Breivik, Tarrant a adopté une stratégie de communication sophistiquée, diffusant en direct ses actes via une caméra montée sur son casque et distribuant son manifeste sur des forums internet radicaux. Il se considérait comme un « éco-fasciste ethno-nationaliste », n’appartenant à aucun groupe, mais investi d’une mission quasi messianique : garantir l’avenir des peuples blancs, perçus comme européens, en particulier en Australie et en Nouvelle-Zélande. Sa revendication d’ascendance écossaise, irlandaise et anglaise, ainsi que sa comparaison narcissique à Nelson Mandela, soulignent une vision idéalisée et délirante de lui-même, renforcée par ses contacts avec Breivik, qu’il désignait comme son véritable mentor.

Le profil de Tarrant met en lumière un phénomène contemporain où l’idéologie extrémiste ne repose pas nécessairement sur une érudition approfondie, mais sur une accumulation d’informations fragmentaires glanées sur Internet, amalgamées à une vision du monde déformée et violente. Sa démarche illustre comment des discours identitaires et nationalistes, diffusés via les réseaux numériques, peuvent catalyser des actes terroristes d’une grande brutalité. Son choix d’armes et la mise en scène médiatique de son attentat visaient à polariser la société, exacerbant les divisions sociales, culturelles, politiques et raciales, dans une logique de provocation et de radicalisation.

Il est essentiel de comprendre que la radicalisation violente s’appuie souvent sur un mélange d’idéologies superficielles, de ressentiments personnels, et d’un besoin de reconnaissance, plus que sur une véritable compréhension politique ou historique. De plus, la diffusion rapide des contenus extrémistes sur Internet crée une dynamique de contagion, où les actes violents sont amplifiés, reproduits, et parfois même célébrés par des réseaux transnationaux. La complexité de ces profils, entre isolement social et adhésion à des groupes idéologiques structurés, rend difficile la prévention et la détection de tels dangers. Enfin, la confrontation aux idéologies identitaires et à leurs expressions violentes doit s’inscrire dans une analyse approfond