La résolution de l’équation différentielle qui décrit la déflexion latérale d’une poutre soumise à une force axiale P peut s’exprimer sous la forme analytique :
w(x)=D1+D2x+D3cos(λx)+D4sin(λx),w(x) = D_1 + D_2 x + D_3 \cos(\lambda x) + D_4 \sin(\lambda x),

où les constantes D1,D2,D3,D4D_1, D_2, D_3, D_4 sont à déterminer en fonction des conditions aux limites, et λ\lambda est un paramètre lié à la charge appliquée. Cette solution satisfait l’équation d’équilibre élastique pour toute condition aux limites, mais seule l’application précise des contraintes du problème permet d’en déduire les valeurs propres λ\lambda.

Pour une poutre simplement appuyée aux extrémités, les conditions sont : w(0)=0w(0) = 0, w(L)=0w(L) = 0, et les moments fléchissants aux extrémités s’annulent, ce qui se traduit par w(0)=0w''(0) = 0 et w(L)=0w''(L) = 0. En appliquant ces conditions, on découvre que plusieurs constantes s’annulent, sauf D4D_4, qui reste indéterminée mais non nulle pour une déformation non triviale. La condition essentielle pour l’existence d’une configuration fléchie non nulle devient alors :

sin(λL)=0,\sin(\lambda L) = 0,
ce qui impose que λL=nπ\lambda L = n\pi, avec nn un entier naturel.

Cette équation caractéristique donne les valeurs propres λn\lambda_n, et donc les charges critiques PnP_n qui peuvent engendrer le flambement. En effet, en reliant λn\lambda_n à la charge axiale PnP_n via la relation λn2=PnEI\lambda_n^2 = \frac{P_n}{EI}, où EE est le module d’élasticité et II le moment d’inertie de la section, on obtient :

Pn=n2π2EIL2.P_n = \frac{n^2 \pi^2 EI}{L^2}.
La plus petite valeur, pour n=1n=1, est appelée charge critique de flambement, ou charge d’Euler :
Pcr=π2EIL2.P_{cr} = \frac{\pi^2 EI}{L^2}.

Chaque valeur propre λn\lambda_n correspond à une fonction propre ou mode propre φn(x)=sin(λnx)\varphi_n(x) = \sin(\lambda_n x), représentant une forme de flambement admissible. Ces fonctions propres sont orthogonales et forment une base fonctionnelle permettant de représenter toute déformation admissible par une série infinie de modes. Ce lien avec la théorie des fonctions propres est analogue à celui des vecteurs propres dans le cadre discret des matrices, mais ici appliqué à des fonctions continues.

L’orthogonalité des fonctions propres repose sur la satisfaction des conditions aux limites et sur la nature auto-adjointe de l’opérateur différentiel sous-jacent. Cette propriété permet de simplifier le calcul des coefficients dans une décomposition en modes et de mieux comprendre la réponse dynamique et statique des structures.

Au-delà du calcul des charges critiques, la stabilité de la configuration droite (non fléchie) doit être étudiée via l’énergie potentielle totale du système. Cette énergie est la somme de l’énergie de déformation élastique 12EI0L(w)2dx\frac{1}{2} EI \int_0^L (w'')^2 dx et de l’énergie potentielle associée à la charge axiale 12P0L(w)2dx-\frac{1}{2} P \int_0^L (w')^2 dx. L’équilibre droit est stable tant que cette énergie est minimale. Lorsque la charge atteint PcrP_{cr}, la configuration droite devient instable, et la structure adopte une configuration fléchie correspondant à un mode propre.

L’analyse de la stabilité repose sur l’étude des variations fonctionnelles de l’énergie potentielle, concept essentiel en mécanique des milieux continus et en calcul des variations. La dérivée directionnelle de la fonctionnelle énergie potentielle indique si un petit déplacement vers une configuration voisine augmente ou diminue l’énergie, déterminant ainsi la stabilité ou l’instabilité.

La compréhension de cette démarche est fondamentale pour l’ingénieur, car elle illustre la transition entre des états d’équilibre stables et instables, explique pourquoi certaines charges provoquent le flambement, et guide la conception pour éviter des défaillances catastrophiques.

Les modes propres au-delà du premier sont également importants : ils correspondent à des formes de flambement plus complexes, et leur étude est précieuse pour les analyses dynamiques, les vibrations, et la conception des structures soumises à des sollicitations variables. Leur orthogonalité facilite la résolution numérique et analytique des problèmes complexes.

En complément, il est essentiel de comprendre que les hypothèses classiques (matériau linéaire, déformations petites, conditions aux limites idéalisées) encadrent cette théorie. Dans la pratique, les imperfections géométriques, la non-linéarité du matériau ou des conditions aux limites réelles modifient souvent les valeurs critiques et les modes de flambement. Ces aspects demandent une attention particulière lors de l’application de la théorie pour garantir la sécurité et la fiabilité des structures réelles.

Comment la déformation influence-t-elle la mesure des déformations normales et de cisaillement dans un solide ?

La déformation d’un solide se traduit par des modifications locales des longueurs et des angles entre des éléments matériels, révélant ainsi les contraintes internes qui agissent sur le corps. Pour analyser ces changements, on distingue d’abord la partie purement déformative d’un mouvement, distincte de la simple rotation rigide qui ne produit aucune déformation.

Le tenseur de déformation, plus précisément le tenseur de Green C=FTF\mathbf{C} = \mathbf{F}^T \mathbf{F}, joue un rôle fondamental dans cette analyse. Il permet de calculer le carré de l’étirement dans une direction donnée n\mathbf{n} par la relation λ2(n)=nCn\lambda^2(\mathbf{n}) = \mathbf{n} \cdot \mathbf{C} \mathbf{n}. Le tenseur de déformation lagrangien E=12(CI)\mathbf{E} = \frac{1}{2}(\mathbf{C} - \mathbf{I}) est ainsi défini et possède la propriété essentielle d’être symétrique, contrairement au gradient de déformation F\mathbf{F} qui ne l’est pas nécessairement.

L’extension ou la contraction des lignes dans le solide traduit la déformation normale, mais la déformation implique aussi un changement des angles entre ces lignes, phénomène appelé déformation par cisaillement. Deux lignes, initialement orientées selon des vecteurs unitaires n1\mathbf{n}_1 et n2\mathbf{n}_2, subissent lors de la déformation une modification de leur angle initial β0\beta_0. Cette variation ne dépend pas uniquement des changements de longueur des lignes (paramétrés par les facteurs d’étirement λ1\lambda_1 et λ2\lambda_2) mais aussi d’une composante propre à la déformation angulaire.

La relation fondamentale s’exprime ainsi :

cosβ=n1Cn2λ(n1)λ(n2)=n1(I+2E)n2λ(n1)λ(n2)=cosβ0+2n1En2λ(n1)λ(n2).\cos \beta = \frac{\mathbf{n}_1 \cdot \mathbf{C} \mathbf{n}_2}{\lambda(\mathbf{n}_1) \lambda(\mathbf{n}_2)} = \frac{\mathbf{n}_1 \cdot (\mathbf{I} + 2 \mathbf{E}) \mathbf{n}_2}{\lambda(\mathbf{n}_1) \lambda(\mathbf{n}_2)} = \frac{\cos \beta_0 + 2 \mathbf{n}_1 \cdot \mathbf{E} \mathbf{n}_2}{\lambda(\mathbf{n}_1) \lambda(\mathbf{n}_2)}.

Lorsque les directions initiales sont perpendiculaires, cosβ0=0\cos \beta_0 = 0, et la variation d’angle dépend uniquement de la composante hors diagonale du tenseur E\mathbf{E}. Ce terme est d’autant plus significatif qu’il représente la déformation en cisaillement. Pour des petites déformations, la relation linéarisée relie directement cette composante hors diagonale au déplacement angulaire.

Le cas typique pris avec les vecteurs de base e1\mathbf{e}_1 et e2\mathbf{e}_2 illustre bien ce phénomène : la composante εxy\varepsilon_{xy} du tenseur de déformation mesure la déviation angulaire par rapport à la perpendicularité. Si les étirements sont proches de l’unité (cas des petites déformations), l’angle de déviation γ\gamma est approximativement égal à 2εxy2 \varepsilon_{xy}.

Les exemples numériques confirment la cohérence de cette théorie avec la géométrie élémentaire : le calcul du tenseur de Green et du tenseur de déformation lagrangien pour des configurations simples permet de vérifier les longueurs et les angles modifiés en accord avec le théorème de Pythagore et les rotations observées. La différence d’angles de rotation entre deux segments met en évidence le cisaillement, qui ne peut pas être expliqué par une simple rotation rigide.

Il est important de comprendre que la déformation d’un solide est donc un phénomène complexe, alliant variations de longueurs et de directions. La symétrie du tenseur E\mathbf{E} assure que les déformations normales et de cisaillement sont décrites de manière cohérente, tandis que le gradient de déformation F\mathbf{F} capture globalement la transformation subie. L’analyse détaillée de ces tenseurs est cruciale pour la modélisation mécanique des matériaux, notamment dans l’étude des contraintes internes, des ruptures et des comportements plastiques.

Au-delà de ces calculs, le lecteur doit garder à l’esprit que les notions de déformation ne sont pas purement mathématiques : elles traduisent des changements physiques réels dans la matière. La distinction entre mouvement rigide et déformation est fondamentale, car seule la seconde engendre des contraintes internes susceptibles de modifier la structure et la résistance du matériau. La compréhension approfondie des composantes normales et de cisaillement du tenseur de déformation ouvre la voie à des prédictions fiables des réponses mécaniques des solides sous chargement, essentielles en ingénierie, en science des matériaux et en physique appliquée.