Le populisme autoritaire, tel que incarné par Trump et ses partisans, représente une défense farouche d'un ordre mondial révolu. Il s'inscrit dans une époque où la vision d'un « homme blanc de la classe ouvrière » comme figure centrale de la politique de gauche et de la justice sociale est de plus en plus contestée. Cette vision réductrice, qui limite la classe ouvrière à une catégorie unidimensionnelle, doit être remise en question. Selon Thomson (2017), nous nous trouvons face à un choix crucial entre une démocratie sociale pluraliste et un protectionnisme nativiste teinté de blanc. Les discours sur la "politique identitaire", souvent décriés par les populistes autoritaires comme étant un luxe réservé aux minorités et aux élites, nécessitent une réévaluation radicale.

Le terme « politique identitaire », devenu un concept péjoratif utilisé tant par les populistes autoritaires que certains membres de la gauche, sert à discréditer les préoccupations légitimes des femmes, des minorités raciales et sexuelles, en les réduisant à une tendance inutile. Cette vision porte en elle la logique du « jeu à somme nulle » : selon cette perspective, les femmes et les minorités auraient monopolisé l'attention politique, laissant de côté les préoccupations des hommes blancs de la classe ouvrière. Cette fausse dichotomie trouve un terrain fertile dans les discours populistes, où l'élite capitaliste exploite habilement cette rancœur pour mieux asseoir son pouvoir.

Davidson (2017) répond à cette vision simpliste en affirmant que croire que l'égalité sociale est la cause de la misère économique de certains nécessite une manipulation de l'opinion publique d'une ampleur sans précédent. Il est primordial de comprendre que cette vision fausse de la réalité ne fait que détourner l'attention du véritable problème : la structure capitaliste elle-même. Le véritable enjeu n’est pas une lutte entre les classes raciales et sexuelles, mais bien une lutte contre le système économique qui maintient et perpétue ces inégalités.

Les critiques du populisme autoritaire oublient souvent la contradiction centrale de ce mouvement : la croyance en un "sauveur riche et extérieur" qui s’allie aux travailleurs pour renverser les élites. Ce mythe du riche sauveur, présent tout au long de l’histoire dans le discours populiste de droite, trouve une expression frappante dans les partisans de Trump. Ils dénoncent les élites libérales, les minorités et les groupes LGBTQ tout en se rangeant du côté de l’oligarchie capitaliste, créant ainsi un gouffre de dissonance cognitive. L’illusion est de croire que Trump représente l'opposition à Wall Street et à la mondialisation, alors que, dans les faits, il sert les mêmes intérêts économiques. Cette dissonance, alimentée par les médias conservateurs comme Fox News, empêche de voir les véritables sources de la précarité économique.

Là où Trump a su séduire une large partie de l’électorat populaire, notamment les ouvriers blancs, c’est en leur promettant de ramener des emplois tout en réduisant les impôts et les réglementations. Cependant, ces promesses sont souvent démenties par la réalité des politiques mises en place : la réduction des impôts et la dérégulation profitent aux grandes entreprises tandis que les dépenses publiques pour les infrastructures, censées soutenir l'économie, sont systématiquement bloquées par le Congrès. Ce paradoxe est un aspect fondamental du nationalisme économique qui sous-tend l’agenda de Trump. Une rhétorique qui combine néolibéralisme interne et protectionnisme extérieur ne fait qu’aggraver la situation des travailleurs, tout en renforçant les puissances capitalistes transnationales.

Pour les progressistes, il devient évident que les effets du populisme autoritaire ne peuvent être dissipés par quelques exemples politiques alternatifs. La montée de figures comme Trump ou d’autres candidats populistes autoritaires après lui témoigne d’un phénomène mondial à long terme qui nécessite une analyse rigoureuse des dynamiques sociales et économiques qui en sont la cause. Les classes populaires, dans leur colère et leur frustration, sont trop souvent manipulées par des élites économiques et politiques qui leur promettent un salut illusoire. Leur échec à comprendre que la solution ne réside pas dans une opposition entre élites politiques et travailleurs, mais dans une refonte radicale des rapports sociaux de production, conduit à une tragédie sociale prolongée.

L’ironie amère de la situation réside dans le fait que les déclin des salaires des travailleurs blancs est directement lié aux politiques menées par les candidats qu'ils soutiennent. L’attaque systématique contre les syndicats, notamment dans les états du Sud et ceux de la Rust Belt, est un facteur crucial de cette misère économique. En soutenant des politiques qui défendent les intérêts des grandes entreprises, ces travailleurs contribuent, sans le savoir, à leur propre déclin.

Les populistes autoritaires, comme Trump, se nourrissent de ce manque de conscience de classe et exploitent ces divisions pour maintenir leur pouvoir. Leur popularité repose sur une croyance erronée que la classe ouvrière peut être sauvée par ceux qui l’ont historiquement opprimée. Cependant, ce phénomène n’est pas simplement un cas d'ignorance économique ; il représente une tendance plus large où les individus, désillusionnés par un système politique qui semble les avoir trahis, choisissent des solutions radicales qui exacerbent les inégalités qu'ils souhaitent combattre.

Comment comprendre la relation complexe entre la religion, la race et la nation à l’ère Trump ?

Le phénomène du nationalisme chrétien blanc, avec sa revendication d’une identité chrétienne et nationale étroitement liée, a pris une ampleur particulière pendant la présidence de Donald Trump. Le rôle de Trump en tant que leader de cette mouvance ne se limite pas seulement à une figure politique classique ; il s’agit plutôt d’une incarnation d’une vision radicale du lien entre religion, race et nation. Ce lien se manifeste principalement à travers des représentations visuelles et des discours qui visent non pas à convaincre des observateurs extérieurs, mais à signaler aux membres de cette mouvance que leurs choix politiques et spirituels sont divinement ordonnés.

Les images et les slogans qui circulent au sein des communautés évangéliques pro-Trump servent à légitimer ce mouvement, en véhiculant un message clair : la loyauté envers Trump est un devoir divin. Celui qui trahit Trump trahit Dieu, et ceux qui osent contester son autorité risquent les conséquences éternelles. Ces déclarations, et plus encore les actions qui suivent, témoignent de l’interdépendance entre la religion, la race et la nation dans ce discours. Trump lui-même, bien que souvent critiqué pour son manque d'engagement religieux authentique, joue un rôle central en tant que figure « bénie », porteuse d’un mandat divin, et ses déclarations révèlent une profonde instrumentalisation de la religion chrétienne.

Prenons quelques exemples de ses discours adressés à ses partisans évangéliques. En janvier 2016, il déclare : « Je vous remercie énormément pour votre soutien. […] Vous êtes incroyables. Chaque sondage montre que je vais très bien avec vous. Je ne vous laisserai jamais tomber. » À plusieurs reprises, Trump se présente comme le seul capable de restaurer l’ordre et de défendre la liberté religieuse des chrétiens, en particulier contre ce qu’il perçoit comme une attaque continue des valeurs chrétiennes par les médias et les politiques libérales. En août 2018, il lance une mise en garde : « Vous êtes à une élection de tout perdre, tout ce que vous avez. » Cette vision apocalyptique, où l’avenir des chrétiens est directement lié au succès de sa présidence, fait écho à une rhétorique de type messianique. Trump se présente ainsi comme le défenseur ultime de la foi chrétienne et de la nation, reliant le destin de l'un à l'autre.

Cependant, comprendre l'ère Trump exige plus qu'une simple analyse de son discours. Le nationalisme chrétien blanc n’est pas un phénomène monolithique, et il n’est pas seulement défini par la personne de Trump. Bien que ses partisans soient profondément engagés dans un projet de réaffirmation de la culture chrétienne, il faut reconnaître que ce nationalisme est imprégné d’une certaine forme de sécularisme. Selon certains chercheurs, Trumpisme pourrait être vu comme une version sécularisée du nationalisme chrétien traditionnel, où la foi chrétienne n’est plus le fondement explicite de la politique, mais plutôt un outil pour renforcer un sentiment d’identité et de cohésion nationale.

Cette dynamique complexe peut être mieux comprise à travers l’analyse de l’œuvre de Reinhold Niebuhr, un théologien chrétien du XXe siècle. Dans son livre The Children of Light and the Children of Darkness (1944), Niebuhr oppose deux groupes : les "enfants de la lumière", qui croient en un ordre moral supérieur, et les "enfants des ténèbres", qui agissent uniquement selon leur intérêt personnel. Dans cette dichotomie, Trump et ses partisans se placent souvent dans le camp des "enfants de la lumière", s’identifiant comme les défenseurs d’un ordre moral menacé par ceux qu'ils considèrent comme des "enfants des ténèbres", à savoir leurs adversaires politiques et idéologiques. Cette opposition binaire nourrit une vision du monde dans laquelle les valeurs chrétiennes sont non seulement un pilier de la nation, mais aussi une ligne de défense contre une menace perçue comme existentielle.

Toutefois, cette analyse doit être nuancée. Le nationalisme chrétien blanc, tel qu’il se manifeste sous Trump, ne se contente pas d’une simple revendication de valeurs chrétiennes. Il s'agit aussi d’une forme de nationalisme racial, où l’identité chrétienne est indissociable d’une identité raciale blanche, renforçant l'idée d'une nation "pure" menacée par les minorités et les valeurs progressistes. Trump, en s’appuyant sur cette rhétorique, exploite les peurs raciales et culturelles pour consolider son pouvoir, tout en se positionnant comme un leader providentiel, seul capable de restaurer l’ordre et de défendre les « vrais » Américains.

Il devient ainsi évident que l’ère Trump ne se contente pas d’une reconfiguration politique, mais d’une transformation profonde des liens entre la religion, la race et la nation. Les partisans de Trump, notamment au sein du mouvement évangélique, doivent constamment naviguer entre ces trois dimensions, cherchant à justifier leur soutien à un leader souvent perçu comme moralement et religieusement ambigu. L’enjeu n’est pas seulement politique ; il est aussi spirituel et identitaire. Les figures religieuses, qui autrefois se seraient opposées à une telle instrumentalisation de la foi, se trouvent désormais parfois en silence ou en soutien actif de ce projet nationaliste, troublant ainsi la frontière entre foi et politique.

L’ère Trump invite donc à une relecture de l’histoire et de l’identité américaine. Il est essentiel de comprendre que ce phénomène dépasse les simples dynamiques politiques. Ce n’est pas seulement une question de soutien à un homme ou à un mouvement, mais de la redéfinition d’un imaginaire national où la race et la religion sont inextricablement liées, et où l’enjeu ultime devient la préservation d’un modèle de société jugé menacé par des forces extérieures et intérieures.

Comment l'idéologie du nationalisme chrétien blanc façonne la société contemporaine et la religion

Les enfants de la lumière sont vertueux car ils ont une conception d'une loi supérieure à leur propre volonté. Cependant, ils sont souvent naïfs, car ils ignorent la puissance de la volonté personnelle. Ils ne savent pas que l'individu qui semble dévoué au « bien commun » peut avoir des désirs, des ambitions, des espoirs et des peurs qui le placent en opposition avec son prochain. En résumé, les enfants des ténèbres sont ceux qui élèvent leur propre intérêt personnel au-dessus de tout, tandis que les enfants de la lumière cherchent à soumettre leur intérêt personnel à un bien plus grand, à une harmonie et une justice universelles. Malheureusement, les enfants de la lumière commettent souvent l'erreur de croire (à tort) que les appels à la volonté universelle surpasseront automatiquement la puissance de l'intérêt personnel et le rendront inoffensif. Les enfants des ténèbres, eux, sont sages et utilisent des tactiques particulières pour dissimuler leur égoïsme.

Le credo libéral n'est jamais un instrument explicite des enfants des ténèbres. Mais il est surprenant de voir dans quelle mesure ces forces obscures parviennent à en faire un usage secret. Il est donc essentiel, en analysant l’espoir libéral d’une simple harmonie sociale et politique, de comprendre à la fois les présupposés universalistes qui sous-tendent cet espoir et les corruptions égoïstes (tant individuelles que collectives) qui se manifestent inévitablement dans notre culture, malgré le credo. Il faut comprendre que ce credo appartient aux enfants de la lumière, mais qu'il trahit leur cécité face aux forces des ténèbres. L'universalité, telle que présentée par le libéralisme, ne peut dissimuler la réalité de l'égoïsme qui la nourrit.

Les enfants des ténèbres érigent le faux universel de la communauté nationale contre toutes les autres formes d’expression vitale particulière. Niebuhr voit cette tendance comme une forme de fierté collective, qui trouve ses racines dans « la tendance à faire des [normes du groupe] les normes finales de l’existence et à juger les autres pour leur échec à y conformer » (p. 140). Cette analyse révèle que les enfants des ténèbres élèvent leur propre identité (individuelle ou collective) au rang de norme universelle, tout en utilisant le format du credo libéral pour dissimuler subtilement cette équation entre intérêt personnel et intérêt national.

Cette analyse, bien qu'une critique pertinente de l’ère Trump, ne va pas assez loin. Même si Niebuhr mentionne que le racisme joue un rôle important dans ce processus, il ne va pas jusqu’à nommer la Blanchité comme la forme particulière qu’il prend. Cette fusion entre l'individu et l'universel est le signe distinctif de la Blanchité, qui, depuis la rencontre coloniale initiale jusqu’à la phase impérialiste actuelle, repose sur l’idée que « l’unité de l’un peut représenter celle des autres, et que l’un a le pouvoir de définir la réalité pour les autres » (Jennings, 2013, p. 788). Cependant, ce processus est dissimulé sous un credo libéral quasi-universel et une illusion d'absence de couleur. Comme l'expliquent Matias et Newlove (2017), bien que la Blanchité s’appuie sur un libéralisme abstrait pour promouvoir des idéaux de justice, elle cache subtilement son objectif suprémaciste par des pratiques « colorblind » : « Cet épistémologique moment, caractérisé par l'acceptation de principes suprémacistes blancs, se dissimule derrière une façade de libertés civiles » (p. 924).

Ainsi, les nationalistes chrétiens blancs de notre époque dissimulent leurs véritables intentions sous le masque de la promotion de l'intérêt national. Lorsqu'on interroge ces intentions, ils invoquent des idées abstraites de liberté et utilisent l'espoir libéral de l'universalisme pour revendiquer leur droit à la parole — un droit qui, en réalité, n'est que la poursuite de leur propre intérêt personnel.

Cela amène à une question fondamentale : où se situe la religion dans tout cela ? La réponse se trouve dans les travaux de la chercheuse en religion Kathryn Lofton. Dans Consuming Religion (2017), elle défend une conception plus large de la religion, une conception qui rejoint les processus décrits par Niebuhr : « La religion est aussi un moyen de décrire des structures par lesquelles nous nous distinguons des autres, souvent en nous unissant autour de choses qui prétendent avoir un intérêt universel » (p. 5). Lofton met en lumière la façon dont nos choix de consommation — qu'il s'agisse de produits, d'idées ou de comportements — façonnent notre appartenance à des groupes et contribuent à la construction d'une identité religieuse et politique. Elle soutient que ces décisions de consommation sont des actes d’organisation sociale, où la religion se manifeste dans la manière dont nous interprétons la vie et identifions l'autorité.

Ainsi, l'achat et le port d'une casquette « Make America Great Again » (MAGA) ne sont pas simplement des actes de consommation ou de soutien à une politique. Ils incarnent un acte spirituel, une forme de nationalisme chrétien blanc, un rituel où l’individu cherche à s'approprier une version idéalisée de l'Amérique d'autrefois, lorsqu'elle était « grande » (c'est-à-dire majoritairement blanche et chrétienne). Il s'agit d'une tentative d'accès à un avenir ou une éternité imaginés, où la « décadence » démographique blanche serait inversée et où le pays serait débarrassé de l'Autre. Que l'individu qui porte ce symbole croie réellement en ces idées est en grande partie secondaire, car l'acte d'achat et de port devient un rituel qui affirme une appartenance à un mouvement plus vaste, comme l'affirme Lofton : « Vous êtes dedans » (p. 13).

De même, acheter un livre ou un t-shirt pro-Trump, participer à un rassemblement Trump, faire un don en ligne pour une prière nationale pour Trump et pour l'Amérique, regarder un film sur les prophéties de Trump, ou partager des mèmes pro-Trump sur les réseaux sociaux sont tous des actes de consommation. Chaque acte symbolise un désir d'élever l'intérêt racial et religieux de l'individu à celui de la nation, en masquant cet intérêt sous des apparences de choix libre et universel dans le marché de la consommation. À travers ces actions, la religion, la race et la nation se redéfinissent, se reconstruisent à travers l'engagement individuel et collectif.