L'histoire humaine est marquée par une relation complexe à la violence. Certains pensent que cette relation peut être expliquée par le pouvoir, l'agression innée ou encore un comportement appris. Cependant, il est indéniable que l'humanité éprouve une forme de plaisir à détruire et à observer la souffrance. Les tyrans l'ont bien compris et savent exploiter ce besoin latent. Mais plus fascinant encore est le comportement des foules qui, loin d’être manipulées ou contraintes, prennent un plaisir évident à s’adonner à la violence. Ce phénomène n’est pas uniquement dû à la tromperie ou à la coercition, mais à une forme de participation joyeuse, presque jubilatoire, à l’acte violent. Cette dynamique a traversé les siècles et se retrouve dans des œuvres philosophiques et littéraires classiques.

Les Grecs anciens, en particulier, ont exploré cette réalité dans leurs tragédies et leurs réflexions philosophiques. Dans l'Iliade d'Homère, la rage et la violence prennent des proportions monstrueuses. Achille, pris dans une furie destructrice, incarne cette jouissance dévastatrice. Il est pertinent de condamner cette violence excessive, mais Homère met en lumière une facette essentielle de la nature humaine : la violence peut devenir une célébration en soi, une forme de plaisir, aussi extrême soit-elle. Euripide, quant à lui, dans Les Bacchantes, lie violence, folie, ivresse et stupidité. Le personnage de Pentheus, aveuglé par son orgueil et sa raison, est destiné à la destruction. Bien que l'avertissement de Tiresias le mette en garde contre les forces violentes du dieu Dionysos, Pentheus choisit de rejeter cette sagesse. Il est pris dans une spirale de violence, et la tragédie atteint son paroxysme lorsque sa propre mère, dans un état de frénésie, le tue et le découpe. Cette scène violente, en apparence dénuée de tout sens, est une illustration de la manière dont la folie et la stupidité sont liées à l’acte de destruction. Avant que la prise de conscience tragique n’éclate, la violence se présente comme une forme de plaisir aveugle, comparable à une possession démoniaque ou à une ivresse collective.

Dans cette tragédie, l'élément qui retient l'attention est la façon dont la violence, bien que démesurée, devient un spectacle apprécié. Les spectateurs sont pris dans ce tourbillon, abandonnant toute réflexion morale pour se concentrer sur le spectacle lui-même. Cette analyse rejoint les observations de Diogène le Cynique, qui qualifiait les festivals dionysiaques de "spectacles pour les idiots". Un tel divertissement, qui transforme la violence en une forme d’amusement collectif, est encore visible dans de nombreuses productions culturelles contemporaines. Des films de Quentin Tarantino aux spectacles de catch ou de films de kung-fu, la violence devient un produit de consommation destiné à divertir. Ce qui, autrefois, pouvait être une forme d’humiliation publique violente, s’est transformé en un produit de culture populaire.

Il est essentiel de comprendre que cette fascination pour la violence et la folie est souvent détachée de toute réflexion morale. C’est une sorte de suspension volontaire du jugement moral, où l'excitation et le plaisir prennent le pas sur la vérité et la raison. Les foules ne sont pas nécessairement composées de personnes malveillantes ; elles sont constituées d’individus ordinaires, pris dans l’instant et guidés par un désir de stimulation et de fun. Cela soulève une question essentielle : pourquoi une société de gens en apparence raisonnables tombe-t-elle parfois dans ce piège, soutenant des actes de violence ou d'injustices grossières ? Ce phénomène ne relève pas d’une malveillance intrinsèque, mais plutôt d’une défaillance de la sagesse et de la vertu. La foule ne raisonne pas ; elle agit, elle se laisse emporter par l’émotion et le mouvement. La vérité n’est plus une préoccupation primordiale pour elle.

Une telle dynamique se rencontre souvent dans le cadre de mouvements politiques extrêmes. Si les partisans d'un tyran sont parfois animés par la cruauté, d'autres peuvent simplement être séduits par l'agitation, les slogans et les émotions qui bouillonnent dans l’air. La situation est complexe : il ne s’agit pas seulement d'un simple affrontement entre le bien et le mal, mais d'une tragédie où des personnes, qui autrement seraient respectables, agissent de manière abominable. Ce n’est pas l’intention malveillante qui est en jeu, mais l'absence de discernement et de vertu. Cela illustre la facilité avec laquelle une foule, qu'elle soit éclairée ou non, peut être entraînée dans un tourbillon de violence et de folie. Ce phénomène de manipulation et de recherche de plaisir dans la violence est intimement lié à l’attrait que les tyrans exercent sur leurs partisans, qui, dans un désir de gratification immédiate, se laissent séduire par le spectacle de la domination.

L'un des éléments les plus perturbants de ce phénomène est l'érotisme qui y est souvent associé. L’attraction que la foule éprouve envers le tyran n’est pas seulement celle d'un pouvoir brut, mais aussi un désir étrange et souvent irrationnel. Le tyran, en effet, aime non pas son peuple, mais l'amour que ce peuple lui porte. Le lien qui unit la foule et le tyran est une forme d'amour perverti, un désir de participation à un spectacle intense, presque sensuel, de pouvoir et de violence. Cela renvoie à l’analyse de Platon, qui voyait dans la tyrannie une forme d’amour mal orienté, une passion pour la domination plus que pour le bien commun.

Le principal danger de cette dynamique réside dans l'abandon de la raison et la recherche effrénée du plaisir immédiat. La foule, loin d’être guidée par la recherche de la vérité ou de la justice, est en proie à un besoin pressant de distraction et d'excitation. C’est ce qui rend si fragile la stabilité d’une société démocratique et éclairée. L'enjeu est d'éduquer non seulement à la vérité et à la réflexion critique, mais aussi à l’amour véritable, qui s’épanouit dans la sagesse et non dans la jouissance des spectacles violents et dégradants. Seule une telle éducation pourra prévenir le piège de la tyrannie et de la foule aveugle.

Comment comprendre l'idiotie et la cécité cognitive dans le jugement politique et moral ?

Les erreurs de jugement cognitives, bien que largement documentées et étudiées, ne sont pas nouvelles. Depuis l'Antiquité, des philosophes comme Platon et plus tard Bacon ont mis en lumière ce que l’on appelle aujourd'hui les biais cognitifs, comme la cécité perceptuelle ou l'inattention. Cette tendance à ignorer certaines informations en raison de nos préjugés inconscients est aujourd’hui au cœur des débats sur la rationalité et le jugement moral dans la vie politique. Bacon, par exemple, expliquait déjà dans son Novum Organum que l’esprit humain, une fois qu'il adopte une opinion, cherche uniquement des éléments qui viennent confirmer cette position, créant ainsi un biais de confirmation. Cette propension à maintenir des croyances, même irrationnelles, explique la persistance de nombreuses superstitions et des croyances populaires. Si Bacon déplorait cette dynamique dans la science et la philosophie, c’est que cette erreur cognitive touche bien plus que la simple pensée subjective : elle imprègne les processus d’interprétation du monde.

Dans ce contexte, il devient difficile d’imaginer qu'une rationalité parfaite puisse exister. Jonathan Haidt, dans ses recherches sur le jugement politique, soutient que l'émotion mène souvent la raison. Il insiste sur le fait que les individus, en particulier dans des contextes partisans, sont incapables de raisonner de manière ouverte et impartiale. La raison, dans ce cadre, ne serait qu’une illusion, car ce que l’on appelle souvent "raisonnement" n’est en réalité qu’une quête de justifications pour des intuitions préexistantes. Il souligne que nous, êtres humains, sommes particulièrement enclins à rechercher des preuves qui valident nos positions, surtout lorsque l’intérêt personnel ou les préoccupations de réputation sont en jeu.

Haidt propose donc une vision selon laquelle notre raisonnement est souvent conditionné par nos émotions, et non par des faits objectifs. Ce phénomène devient particulièrement marqué dans le domaine politique, où le partisanisme crée un cycle de renforcement mutuel des opinions, rendant de plus en plus difficile tout échange rationnel. Cette dynamique montre à quel point l'éducation et la culture de la pensée critique sont cruciales pour contrecarrer ces biais émotionnels.

Mais peut-on réellement échapper à cette condition humaine de biais cognitifs ? Est-il même possible de dépasser cette tendance à l'ignorance et à l'arrogance de la certitude ? L'idée d'un "idiot", dans ce contexte, se définit comme un individu qui n’est pas seulement limité par ses capacités cognitives, mais qui choisit consciemment de rester dans cet état de non-évolution intellectuelle. L'idiot, selon cette définition, est celui qui refuse de raisonner de manière impartiale et objective, même s’il en est parfaitement capable. Il s’agit d’une personne qui, au lieu de rechercher la vérité, préfère se maintenir dans une forme de certitude fermée, souvent renforcée par des biais émotionnels ou subjectifs.

Cela ne veut pas dire qu’un idiot soit une personne intrinsèquement ignorante ou toujours dans l’erreur. Il arrive que, par hasard, des personnes arrivent à des conclusions justes. Cependant, la différence réside dans le processus qui mène à cette conclusion : un idiot ne raisonne pas selon des principes rationnels et objectifs, mais selon des émotions, des croyances préétablies ou des influences extérieures.

Une autre distinction importante réside dans la deuxième condition de cette définition : l'idiot n’est pas nécessairement une personne dénuée de toutes capacités cognitives. Celui qui souffre d'une déficience cognitive ou d'un environnement limitant son accès à l'éducation ne doit pas être jugé pour son incapacité à raisonner de manière éclairée. Cependant, il reste un impératif moral et social : tous devraient faire l'effort, dans la mesure du possible, de dépasser leurs limitations cognitives, qu'elles soient dues à une mauvaise éducation ou à des facteurs sociaux. La condition nécessaire est donc de s’efforcer de s’élever au-delà des biais et des idéologies.

L'idiotie, ainsi comprise, n'est pas une fatalité. Elle repose souvent sur une forme de paresse intellectuelle et d’absence de désir d’améliorer ses capacités de jugement. Ceux qui sont "idiots" choisissent de le rester par manque de curiosité, d’ouverture d'esprit, ou par un confort dans leur ignorance. La situation est d’autant plus préoccupante lorsqu’il s’agit de politique démocratique : la culture de la pensée critique et du jugement éclairé est essentielle pour une société saine. Si l’on accepte la paresse intellectuelle comme une norme, alors le progrès moral et politique devient pratiquement impossible.

Ainsi, le défi réside dans notre capacité à résister à l’attrait de la simplicité émotionnelle et à cultiver un désir sincère d’améliorer notre raisonnement, même dans un monde qui valorise souvent la certitude facile et l’ignorance revendiquée.

Comment comprendre le rôle du sycophante et la nécessaire vigilance citoyenne ?

Le sycophante, souvent mal compris et perçu sous un jour négatif, occupe pourtant un rôle complexe et parfois nécessaire dans les dynamiques de pouvoir. Il s’agit d’une figure qui navigue constamment entre flatterie et manipulation, agissant parfois en porte-parole du tyran, parfois en serviteur de la foule. Son existence même repose sur un paradoxe fondamental : il doit plaire à tous, tout en servant les intérêts d’un pouvoir supérieur, tout en risquant, dans de nombreux cas, d’être sacrifié une fois sa mission accomplie.

Prenons l'exemple historique de Néron et Sénèque, ou celui de Trump et de Cohen, où le sycophante est à la fois utilisé et abandonné. Ce phénomène s'explique par la nature du tyran : une figure capricieuse, instable, mais puissante, dont l'influence repose sur l'asservissement de ceux qui l’entourent. Dans ce contexte, l'art du sycophante réside dans sa capacité à maintenir l'équilibre entre flatterie et stratégie, à déjouer les attentes tout en se maintenant pertinent dans un monde où les instruments de pouvoir sont de plus en plus impitoyables. C’est cette double dimension de la parole, qui s’adresse à deux audiences simultanément, qui rend sa tâche particulièrement périlleuse : d'un côté, il flatte les foules, de l'autre, il doit contenter le tyran sans éveiller sa méfiance.

L'exemple d'Ulysse dans la mythologie grecque offre un aperçu fascinant de ce phénomène. Celui-ci, loin d'être un simple héros guerrier, incarne la figure du sycophante lorsqu'il est confronté à une menace plus grande que lui. Son astuce réside dans sa capacité à manipuler son interlocuteur, à jouer avec l'image qu'il projette pour survivre. Lorsque Ulysse se retrouve face au Cyclope, il utilise une série de ruses pour se sortir d'une situation désastreuse. L'une des plus célèbres est celle où il déclare s'appeler « Personne », une supercherie qui empêche le Cyclope d’appeler à l'aide. En cachant sa véritable intention sous une façade d'humour et de dérision, il manipule habilement la situation.

Cependant, lorsque Ulysse retrouve son pouvoir, il ne montre aucune pitié envers ceux qui l’ont trahi, punissant sévèrement ceux qui ont profité de son absence. Ce contraste souligne la capacité du sycophante à passer de la ruse à la brutalité. Dans un monde où l'art de la flatterie et de la manipulation semble l’emporter, le passage de l’indulgence à la violence reste une possibilité tragique. Le mythe du cheval de Troie, par exemple, illustre parfaitement cette dynamique : un cadeau empoisonné, qui cache des intentions malveillantes derrière un geste apparemment généreux.

Mais la véritable leçon derrière cette mythologie et l’analyse des sycophantes dans le monde moderne réside dans la manière dont le pouvoir, souvent habillé de douceur ou de charité, dissimule des ambitions bien plus sombres. Ces flatteries, ces discours enjôleurs, ne sont pas des actes de vertu, mais des outils de domination, des stratégies pour garder le contrôle et manipuler les masses. Leur beauté réside dans leur capacité à masquer la cupidité, l’égoïsme et parfois même la violence.

Dès lors, comment pouvons-nous échapper à cette logique perverse ? Comment pouvons-nous nous prémunir contre les influences corruptrices des sycophantes et des tyrans ? La réponse, bien que complexe, semble se situer dans la vigilance citoyenne et la quête de sagesse. Comme le soulignait Thomas Jefferson, les pouvoirs ultimes d’une société doivent résider dans les mains du peuple, qui doit être éduqué et éclairé pour savoir les utiliser de manière juste et raisonnable. La vraie solution contre les abus de pouvoir, selon lui, n’est pas de les retirer au peuple, mais d'éduquer ce dernier pour qu’il puisse exercer son jugement avec discernement. C'est par cette éducation et cette vigilance collective que la société peut éviter de sombrer dans la tyrannie.

Ainsi, face aux sycophantes et à leurs tyrans, il est essentiel de cultiver une forme de sagesse pratique. Cela implique de reconnaître non seulement les flatteries qui circulent dans les discours politiques, mais aussi d’être attentif à leurs conséquences à long terme. Il est crucial de comprendre que derrière chaque sourire et chaque parole douce, des intérêts souvent inavoués peuvent se cacher. Le véritable défi, dans un monde moderne de plus en plus polarisé, est d’être capable de discerner ces faux cadeaux, de repousser la violence et de maintenir un engagement solide envers la vérité et la justice.

Les citoyens doivent se voir comme les gardiens vigilants de leur propre liberté. Ce n'est qu’en cultivant cette vigilance, accompagnée de non-violence, de solidarité et d’une fidélité inébranlable à la loi, qu'ils pourront empêcher l’ascension de figures tyranniques. Un bon citoyen, inspiré par des exemples comme celui de l’officier Eugene Goodman lors de l'insurrection du 6 janvier, peut incarner ce principe de vigilance et de courage. En dirigeant les émeutiers loin des lieux stratégiques, il a évité une catastrophe. Cet acte de courage montre l’importance de l’action individuelle, de l’ingéniosité et de l’intégrité face aux dangers d’un monde politique troublé.

Pour qu'une démocratie fonctionne, il est essentiel que davantage de citoyens adoptent cette attitude : une vigilance éclairée et une résistance pacifique aux tentations du sycophantisme et de la violence. Cela ne signifie pas une résistance violente ou impulsive, mais un engagement quotidien pour préserver les valeurs de liberté, de respect et de justice.