La religion de la période védique, bien qu'orientée principalement vers le présent et la vie sur Terre, était relativement simple. Les sacrifices occupaient une place centrale dans les rites religieux, et bien que de nombreux dieux fussent vénérés, chacun d’eux personnifiait un phénomène naturel spécifique. Le praticien de ces rituels s'adressait toujours à une divinité précise. Les images de ces dieux étaient, pour la plupart, des représentations différentes d’un même phénomène divin. Ainsi, ces dieux se confondaient fréquemment et devenaient identiques les uns aux autres. Dans un premier temps, beaucoup de ces divinités étaient probablement des dieux tribaux, ce qui reflétait la société de clans dans laquelle ces croyances s’épanouissaient.
La religion védique, malgré son caractère relativement simple, était un reflet direct de la société tribale en transition, sans sanctuaires ni temples mentionnés dans les Védas. Les sacrifices se faisaient soit à domicile, soit sur un autel extérieur, et les représentations visuelles des dieux étaient quasi inexistantes. Il est important de noter que la prédominance des divinités masculines dans le panthéon védique et l'absence de déesses étaient des éléments révélateurs de la structure patriarcale de la société.
Cependant, autour du début du premier millénaire avant notre ère, des changements significatifs s’opérèrent dans la société indienne. Les Aryens, après avoir conquis les bassins de l'Indus et du Gange, établirent des royaumes despotiques. Ce passage à une vie plus sédentaire, influencée par les populations locales pré-aryennes, comme les Dravidiens et les Mundas, amorça une transformation profonde des structures sociales et religieuses. Cette nouvelle configuration sociale allait rapidement entrer en conflit avec les anciennes traditions, exacerbant les contradictions entre les peuples conquis et les conquérants.
Au milieu du premier millénaire avant notre ère, un royaume du bas Gange, Magadha, réussit à s'imposer et à devenir le centre politique et culturel du nord de l’Inde. C’est durant cette période que se posa les fondations du système des castes, qui allait structurer la société indienne pour les siècles à venir. Ce système de castes, connu sous le nom de varnas (signifiant « couleurs » en sanskrit), comptait quatre groupes principaux : les Brahmanes, les Kshatriyas, les Vaisyas et les Sudras. Chaque caste avait des fonctions spécifiques et des obligations religieuses particulières.
Les Brahmanes, clercs et prêtres, occupaient une position dominante dans cette structure sociale. Ils étaient les détenteurs du savoir sacré, en particulier des Védas, et exerçaient les rites religieux. Leur pouvoir ne se limitait pas à la pratique religieuse, mais s'étendait à l’influence politique, car ils étaient responsables de maintenir l'ordre moral et religieux. En revanche, les Kshatriyas, caste des guerriers, avaient la responsabilité de protéger le royaume et de maintenir la paix, tandis que les Vaisyas, commerçants et agriculteurs, jouissaient d'une certaine liberté économique. Enfin, les Sudras, issus des populations conquises, étaient relégués à des tâches subalternes et n'avaient aucun rôle dans les rituels sacrés.
La codification du système des castes se retrouva dans les Lois de Manu, un texte fondamental, qui combina législation et dogme religieux. Ce texte, rédigé au début du Ve siècle avant notre ère, établissait des règles strictes régissant la société indienne. Les lois définissaient la hiérarchie des castes et justifiaient l’organisation sociale en la présentant comme une volonté divine. Le texte soulignait ainsi la sacralité du rôle des Brahmanes, les élevant au-dessus des autres groupes sociaux.
D’après les Lois de Manu, les Brahmanes étaient les héritiers d’une position divine, et leur statut était directement lié à leur origine sacrée. Ils étaient considérés comme les protecteurs du savoir et les garants de l’ordre cosmique. Leur principale occupation était d’étudier et de transmettre les Védas, une fonction qui les distinguait du reste de la société. Leur vie était divisée en quatre phases : l'apprentissage, le mariage, la retraite ascétique et, enfin, l'ascétisme total. Ce système, bien qu’établi par les dieux eux-mêmes selon la mythologie, reflétait également l’évolution de la structure sociale vers un régime de plus en plus patriarcal et inégalitaire.
L’initiation, appelée upanayana, marquait le passage à un nouveau stade de vie pour les jeunes des castes supérieures. Ce rite d’initiation, qui comprenait la remise d'un cordon sacré, symbolisait la renaissance spirituelle. Les Brahmanes, les Kshatriyas et les Vaisyas étaient tous soumis à cette initiation, mais les Sudras, eux, en étaient exclus, marquant ainsi leur statut inférieur et leur appartenance à une classe inférieure, sans droits religieux.
Au cours de cette époque, un nouveau dieu fit son apparition dans la mythologie indienne : Brahma, le créateur, qui selon les mythes, serait à l’origine des castes. Chaque caste était alors symboliquement associée à une partie du corps divin de Brahma : les Brahmanes venaient de sa bouche, les Kshatriyas de ses bras, les Vaisyas de ses cuisses, et les Sudras de ses pieds. Cette mythologie contribua à sanctifier et légitimer la division sociale.
Il est essentiel de comprendre que, bien que le système des castes ait été profondément influencé par des croyances religieuses, il ne doit pas être perçu simplement comme un phénomène spirituel. C’est avant tout une construction sociale, étroitement liée à des dynamiques politiques, économiques et culturelles qui ont façonné l’Inde ancienne et qui continuent à influencer la société indienne contemporaine.
La transfiguration des divinités mésopotamiennes et l’astralisation des dieux
Les noms sémitiques ont joué un rôle central dans la transformation et la renommée de certaines divinités mésopotamiennes, ces dernières adoptant parfois des appellations sémitiques qui se superposaient aux noms originels. Par exemple, la déesse Innina, une figure vénérée dans la tradition sumérienne, prit le nom d’Ishtar, variante sémitique que l’on retrouve sous différentes formes : Ashtart chez les Akkadiens, Ishtar chez les Assyriens, Astarté et Ashtar parmi les Sémites de l’Ouest. De même, le dieu solaire Utu de Larsa devint Shamash (ou Shemesh chez les Juifs, Shams chez les Arabes, et Samsu et Samas chez les Amorites et Assyriens). Ces métamorphoses de noms témoignent des dynamiques interculturelles au sein du Proche-Orient ancien.
Au fil du temps, certains dieux, qui étaient à l’origine des patrons locaux, se virent attribuer des rôles plus universels. Par exemple, Nannar (le Sin antique), déité lunaire, fut le protecteur de la ville d’Ur, tandis que Nergal, divinité des enfers, était adoré à Kutha. Au début du deuxième millénaire avant notre ère, avec la montée en puissance de Babylone, Marduk devint le principal dieu de la cité. Il fut exalté au sommet d’un panthéon complexe, et les prêtres babyloniens élaborèrent des mythes exaltant sa suprématie divine, allant jusqu’à envisager une sorte de monothéisme. Ils enseignaient que Marduk était l'unique dieu, et que les autres n’étaient que ses manifestations. Par exemple, Ninurta représentait la force de Marduk, Nergal incarnait sa puissance guerrière, tandis qu’Enlil symbolisait son autorité divine. Cette tendance vers un monothéisme absolu s’expliquait par une volonté de centralisation politique, les rois babyloniens ayant conquis toute la Mésopotamie et s’imposant comme les souverains les plus puissants du Proche-Orient.
Cependant, cette tentative d’instaurer un monothéisme se heurta à la résistance des prêtres des cultes locaux, qui continuèrent à vénérer les anciens dieux. Ainsi, bien que Marduk ait été proclamé Dieu suprême, les cultes des divinités régionales persistèrent et se maintinrent parallèlement à la domination de Babylone. Les rois, eux-mêmes, étaient souvent considérés comme des figures divines, proches des dieux. Les rois de Mésopotamie, tels que Sargon d’Akkad, se présentaient comme les favoris des dieux, régissant en leur nom. Dans les reliefs et stèles, ces rois étaient souvent représentés en tenue divine, comme dans le cas du roi Naram-Sin, coiffé d’un casque à cornes, ou encore dans la stèle de Hammurabi, où le roi reçoit les lois des mains de Shamash.
Mais cette vénération des souverains s'accompagnait d'autres cultes plus anciens, souvent liés aux croyances populaires. Parmi ces cultes, l’adoration des divinités agricoles et de la fertilité occupait une place primordiale. Ishtar, la déesse de l’amour et de la fertilité, était adorée non seulement pour sa capacité à protéger les villes, mais aussi pour son pouvoir de régénération. Elle était souvent associée à un cycle de vie et de mort. Son amant, Dumuzi (plus connu sous le nom de Tammuz), personnifiait le cycle végétal, la résurrection de la nature. Un mythe racontait que Dumuzi mourait, se rendait dans le monde souterrain, avant de revenir à la vie, un récit qui trouve des parallèles dans d’autres traditions du Moyen-Orient, comme celle d’Osiris en Égypte.
Cette figure de la mort et de la résurrection devint un élément clé de la mythologie babylonienne, et Marduk, dans certaines légendes, subit un sort similaire à celui de Dumuzi, mourant et revenant à la vie grâce à sa déesse épouse. Ce mythe fut transposé à l’échelle des divinités principales. Les peuples sémitiques, notamment les Phéniciens, transformèrent Tammuz en Adonis, une figure dont le culte se diffusa largement dans tout le Proche-Orient. Dans une version du mythe, Adonis meurt lors d’une chasse, tué par un sanglier. Les femmes de Jérusalem, comme le rapporte le prophète Ézéchiel, pleuraient la mort de Tammuz, probablement en référence aux femmes babyloniennes. Le culte d’Adonis, avec ses jardins et ses plantes à croissance rapide, symbolisait la résurrection et la fertilité, et il se répandit plus tard dans diverses régions de l’Est.
Parallèlement à ces pratiques cultuelles, les prêtres babyloniens détenaient un savoir précieux, celui de l’astronomie, qui leur permettait de prédire et de contrôler les crues des fleuves, indispensables à l’agriculture. Cette observation systématique des corps célestes influença profondément les croyances religieuses et la mythologie mésopotamienne. Les dieux étaient ainsi associés aux phénomènes célestes, et chaque divinité prit progressivement une dimension astrale. Par exemple, Shamash, le dieu solaire, fut désormais identifié au Soleil, Nabu avec la planète Mercure, Ishtar avec Vénus, Nergal avec Mars, Marduk avec Jupiter, et Ninurta avec Saturne. Cette astralisation des dieux, qui commence dès les premiers siècles de la Mésopotamie, se perpétue dans les traditions culturelles et religieuses qui suivirent, influençant même les Grecs et les Romains, qui empruntèrent aux Babyloniens les noms des planètes. Ces derniers continuaient de rendre hommage à ces divinités astrales à travers les mois de l’année, eux-mêmes dédiés aux dieux.
L’aspect astral de la religion babylonienne reflétait un désir profond de relier la vie quotidienne à l’ordre cosmique, de comprendre et d’expliquer les phénomènes naturels par la médiation des dieux. Cette orientation vers l’astronomie et l’astralisation des divinités marquèrent un tournant dans la manière dont la religion mésopotamienne évolua, soulignant l’influence du cosmos sur les affaires humaines et l’énigmatique relation entre le divin et le terrestre. Les prêtres, en tant que gardiens de ce savoir céleste, furent à la fois les médiateurs entre les dieux et les hommes et les architectes d’un système religieux où chaque étoile, chaque planète, semblait témoigner de la présence divine.
L'Évolution et l'Origine des Cultes Divins dans le Monde Grec
Les cultes d'Artemis et d'Apollon, bien que faisant partie intégrante de la mythologie grecque classique, portent en eux des traces d'origines multiples et de transformations au fil du temps. Artemis, déesse de la chasse et de la fertilité, a vu son culte se développer en Asie Mineure, avec un centre majeur à Éphèse, avant d'être progressivement adopté en Grèce. Cependant, certains chercheurs soutiennent que c'est à partir de la Grèce, et plus précisément de l'Arcadie, que le culte d'Artemis se serait diffusé vers l'Asie Mineure. Dans sa forme archaïque, Artemis était une divinité locale de l'Arcadie, liée à la protection des chasseurs d'ours. Cette complexité géographique et religieuse marque l'interconnexion des traditions et des croyances dans l'Antiquité.
Dans l'imagerie classique, Artemis est représentée comme une déesse vierge, souvent accompagnée d'une biche. Cependant, cette association entre la déesse et l'animal est avant tout une création mythologique, sans lien direct avec les croyances primitives. Le culte d'Apollon, tout aussi complexe, est intimement lié à celui d'Artemis. Fils de Zeus et de Léto, Apollon est considéré dans la mythologie grecque comme le frère d'Artemis. L'élément fascinant réside dans l'incertitude sur l'origine d'Apollon. Certains chercheurs estiment qu'Apollon, tout comme Artemis, aurait des racines arcadiennes, où il aurait été un dieu des bergers, tandis que d'autres considèrent qu'il proviendrait d'Asie Mineure.
Le culte d'Apollon, qui s'est répandu largement à travers la Grèce, a notamment connu un grand développement à Delphes, où se trouvait son célèbre oracle. Cette déité avait des fonctions diverses : la divination, les arts et les sciences, la guérison et la purification. Il est intéressant de noter que l'association d'Apollon au Soleil, bien que très répandue dans la pensée philosophique ultérieure, ne trouve pas de fondement explicite dans les sources les plus anciennes.
À l'opposé, Asclépios, le dieu de la guérison, émerge comme une divinité purement grecque, bien que son culte ait également pris une ampleur importante à travers tout le pays. Dans la même veine, Pan, dieu des bergers d'origine arcadienne, illustre l'intégration d'anciennes divinités locales dans les grands panthéons grecs. Pan était représenté comme une figure hybride, mi-homme mi-bouc, et était vénéré dans les montagnes et forêts, lieux de son influence divine.
Aphrodite, déesse de l'amour et de la beauté, révèle également l'hybride des traditions grecques et orientales. Selon Homère, Aphrodite combattait du côté des Troyens contre les Achéens et son nom "Cypriote" renvoie à son centre de culte en Chypre. Sa naissance mythologique, née de l'écume de la mer, et son lien avec le dieu oriental Adonis attestent de son origine asiatique, avant qu'elle ne soit associée à la beauté idéale et à l'amour. La transformation d'Aphrodite en une déesse de la beauté et de l'amour, ainsi que la personnification de l'amour par son fils Éros, illustre le processus d'idéalisation et de spiritualisation des divinités dans le monde grec.
Le dieu Ares, bien que d'origine thrace, devient en Grèce une figure centrale du panthéon guerrier. Ares, dépeint dans l'Iliade comme un dieu cruel, incarne l'aspect brutal de la guerre, et sa popularité dans le monde grec fut relativement faible comparée à d'autres divinités. La guerre et les conflits étaient des aspects omniprésents de la société grecque, mais les Grecs, en leur majorité, cherchaient à transcender cette brutalité, d'où un certain dédain pour Ares, au profit de figures plus positives comme Athéna.
Hephaïstos et Hestia, de leur côté, sont les personnifications du feu et de ses applications dans la vie humaine : le feu de la forge et le feu du foyer. Ces divinités n'étaient pas vénérées de manière étendue à travers la Grèce, mais elles jouaient des rôles essentiels dans la vie quotidienne et la structuration de la société grecque, à travers le travail du métal ou la préservation du foyer domestique.
Hermès, le messager des dieux, possède lui aussi une origine locale, liée aux stèles de pierres servant de repères sur les chemins. Son rôle évolue pour inclure la protection des voyageurs, le commerce et même la conduite des âmes vers l'Hadès. Ce dieu, à la fois protecteur et médiateur, incarne la fluidité des frontières et des échanges entre les différents aspects de la vie humaine et divine.
Le panthéon grec est, de façon générale, une mosaïque de divinités d'origines multiples et d'usages divers. Zeus, le roi des dieux, est probablement la figure la plus complexe de toutes. Son culte se fonde sur une combinaison de croyances anciennes de l'île de Crète et de Thessalie. Dans l'île de Crète, le symbole de Zeus était l'axe double, lié à un culte minoen ancien, tandis qu'en Thessalie, la divinité était associée à la pluie et à la fertilité des terres. Zeus est donc un dieu pluridimensionnel qui, par l'unification de ces cultes locaux, est devenu l'autorité suprême des Olympiens.
L'agriculture, essentielle à la vie grecque, n'a cependant été pleinement intégrée au panthéon qu'à une époque tardive. Déméter, déesse des récoltes, et Dionysos, dieu du vin, ont vu leurs cultes se diffuser à partir du VIIe siècle avant J.-C., période où l'agriculture prend une place de plus en plus centrale dans la société. Dionysos, d'origine thrace, fut adopté dans la culture grecque au travers des pratiques liées à la vigne et à la production de vin, un rituel porté par les tyrans de l'époque pour affirmer une forme de culture populaire et démocratique.
Les divinités de l'ombre, Hades et Hécate, sont également représentatives de cultes plus mystérieux, associés à la magie et à la mort. Leur influence sur le monde des morts et leur absence d'un culte public de grande envergure traduisent un aspect plus souterrain de la religion grecque. Leur présence est cependant omniprésente dans les croyances liées aux rituels funéraires et aux pratiques occultes.
Les divinités anciennes, telles que Cronos et les Titans, incarnaient les forces primordiales et le chaos avant que les dieux Olympiens ne prennent le dessus. Leurs mythes, riches en symbolisme, sont essentiels pour comprendre l'évolution des croyances religieuses grecques, et la transition d'un monde chaotique vers un univers ordonné sous l'autorité de Zeus.
Pourquoi le christianisme s'est-il développé et quel rôle la figure de Jésus a-t-elle joué dans cette évolution ?
Le Christ, tel que nous le connaissons aujourd'hui dans la tradition chrétienne, n'a pas toujours existé sous cette forme. Il a progressivement évolué, passant de l'image d’un être surnaturel, tel un agneau mystique, comme il est décrit dans l'Apocalypse, à celle d'un Jésus terrestre, prêchant sur Terre et subissant l'exécution. Cette transformation est indissociable du développement même de la foi chrétienne. Cette évolution est bien documentée, notamment par l'iconographie archéologique. Dans l'art chrétien primitif, l'image du Jésus crucifié est absente; elle n'apparaît qu'à partir du VIIIe siècle.
Dans une perspective marxiste, il n'est pas essentiel de trancher sur la question de l'historicité de Jésus. Les racines de l'enseignement chrétien ne doivent pas être recherchées dans l'activité de figures individuelles, aussi célèbres soient-elles, mais plutôt dans les conditions socio-politiques de l'époque, et dans la lutte des idées qui s'y développaient. L'image du Jésus biblique (qui est aujourd'hui la seule figure acceptée dans le christianisme moderne) ne correspond pas à un personnage historique, mais à une création littéraire collective, façonnée au fil de longues luttes idéologiques. Ainsi, pour les chercheurs marxistes, la question de savoir si un prédicateur nommé Jésus a vécu et est mort au Ier siècle en Palestine n'est pas le point crucial.
C’est à Friedrich Engels que l’on doit la première étude rigoureuse des conditions historiques ayant permis l’émergence du christianisme. Il a souligné que l’élément clé était la formation de l'Empire romain. La création d’une monarchie mondiale a facilité l’émergence d’un culte de nivellement. La conquête romaine, avec son régime despotique et violent, son oppression des provinces, ses taxes élevées et l'absence générale de droits civiques, a conduit à un sentiment d'apathie et de démoralisation parmi les masses populaires, qu'elles soient esclaves ou libres, en particulier dans les provinces. Les rébellions échouées, qu'elles viennent des esclaves ou des peuples opprimés, ont renforcé cette atmosphère de désespoir et de confusion.
Ce sentiment de désespoir se retrouvait dans toutes les classes sociales, car les peuples ressentirent tous la même impasse. En effet, toute résistance face à la gigantesque puissance mondiale de Rome était vaine. La question était donc de savoir où chercher la rédemption, où trouver le salut face à l'oppression ? La réponse résidait dans un idéal qui n'était plus terrestre. C’est ainsi qu’un besoin de salvation, de réconfort, a poussé les opprimés à chercher leur salut dans l’au-delà.
Mais pourquoi une nouvelle religion était-elle nécessaire ? Pourquoi les peuples ne pouvaient-ils pas trouver de consolation dans les religions anciennes ? Les religions anciennes, tribales et nationales, ne pouvaient pas transcender leurs frontières. De plus, la destruction des États où ces religions étaient nées avait sapé leurs fondements. Une religion plus flexible, universelle, était nécessaire, une religion qui ne se limitait pas à des conditions nationales étroites et qui pouvait répondre aux besoins des masses hétérogènes de l'Empire romain.
Les dirigeants de l'Empire romain avaient tenté de créer une religion universelle. Par exemple, ils avaient introduit des cultes impériaux, comme celui de l'empereur ou de la déesse Roma, mais ces cultes officiels ne pouvaient répondre aux besoins spirituels des masses opprimées. Certaines doctrines religieuses, en particulier des cultes orientaux, ont eu plus de succès. Le culte d'Isis et celui de Mithra, ce dernier particulièrement répandu dans l'armée romaine, témoignent de ce phénomène. Toutefois, ces cultes ne sont jamais parvenus à devenir une religion véritablement universelle.
La seule religion capable de remplir ce rôle était une foi qui pouvait unir les masses multiples et variées de l'Empire romain. Ce sont principalement les esclaves et les populations opprimées qui ont ressenti ce besoin de consolation religieuse, un besoin de réconfort qu’aucune des anciennes religions ne pouvait leur offrir. Ces dernières étaient toutes profondément liées aux pouvoirs en place, aristocratiques et étatiques, et n’étaient pas conçues pour les déshérités.
Les crises sociales des sociétés esclavagistes ont favorisé l’émergence de nouvelles formes de conscience sociale. Dès l’époque de l’Empire, de nouvelles idées ont vu le jour, en opposition à l'idéologie aristocratique qui méprisait la pauvreté, l’esclavage et le travail manuel. Ces nouvelles idées mettaient en valeur le "petit homme", le marginal, le pauvre, y compris l’esclave, et affirmaient sa dignité humaine. Elles se reflétaient dans les épitaphes, les inscriptions et les œuvres littéraires de l'époque, comme les satires de Martial et Juvénal, ainsi que dans la philosophie des Stoïciens. Le christianisme primitif, dans ce contexte, a véritablement été la religion des esclaves et des opprimés.
Le christianisme est né du sectarisme juif. Au Ier et IIe siècles, plusieurs sectes juives croyaient en la venue du Messie, ce sauveur tant attendu. Pour les Juifs, plus que pour tout autre peuple, soumis à la domination étrangère (greco-syrienne puis romaine), cette attente du Messie était fondamentale. Certaines de ces sectes, comme les Zélotes, imaginaient ce Messie comme un héros guerrier, qui libérerait le peuple du joug romain. Cependant, la défaite de ces rébellions a donné lieu à un autre courant, plus spirituel, celui des Esséniens, qui attendaient un Messie enseignant la justice et la rédemption morale. C’est dans ce contexte que la figure de Jésus s’est épanouie.
Le mouvement chrétien émergea des enseignements des Nazôréens, une secte juive assez proche du christianisme primitif. Les membres de cette secte se consacraient à Dieu, menant une vie d'ascétisme, d’abstinence et de pureté. Le terme "Nazôréen" était utilisé pour désigner ceux qui, comme Jésus, avaient consacré leur vie à une existence spirituelle. La figure de Jésus, dans les Évangiles, est donc souvent associée à ce groupe.
Les origines du christianisme, leur épanouissement et leur ascension dans un empire aussi vaste et multilingue que celui de Rome, ne peuvent être comprises que dans le cadre de l'aliénation des masses populaires et du besoin de réconfort et d’espérance d’une population opprimée. Le christianisme, contrairement aux religions anciennes, a su s’adapter à ces besoins universels.
Les Cultes anciens et orientaux : La naissance du Christianisme
Les racines de cette idée remontent aux croyances totémiques de l'Antiquité, lorsque les peuples cherchaient à comprendre et à symboliser les forces invisibles de la nature. Le christianisme, dans son essence, intègre des éléments juifs, mais aussi de nombreuses influences provenant des anciennes religions orientales. La pénétration des groupes païens, orientaux et gréco-romains dans les premières communautés chrétiennes a provoqué une lutte exacerbée entre les éléments juifs et non-juifs au sein de ces mêmes communautés. Cette lutte interne a contribué, au fil du temps, à l'effacement progressif de l'héritage judaïque du christianisme.
L'hostilité envers le judaïsme était manifeste dans la littérature chrétienne primitive. Les évangiles dépeignent clairement les Juifs (ou Judéens) comme les ennemis de Jésus-Christ. Bien que Jésus lui-même fût juif, les Juifs dans leur ensemble étaient perçus comme les responsables de sa crucifixion. L’épisode avec Pilate souligne particulièrement cette culpabilité. Contrairement à la réalité historique (où Pilate était un tyran cruel, peu enclin à la clémence), les évangiles le présentent comme un juge juste, hésitant à condamner un homme innocent. Pilate, dans cette version, essaie de dissuader les Juifs de demander l'exécution de Jésus et se lave les mains pour se dédouaner. Cette mise en scène, répétée dans toutes les versions des quatre évangiles, visait clairement à exonérer les Romains et à reporter toute la faute sur les Juifs.
Un autre aspect de cette opposition réside dans la figure de Judas, le traître, que les quatre évangiles dépeignent comme celui qui a livré Jésus pour trente pièces d'argent. Le nom de Judas est ainsi devenu la personnification du peuple judaïque, un moyen de les calomnier par l’intermédiaire de ce personnage. Ces éléments témoignent de l'entrelacement des traditions judaïques et païennes, voire anti-judaïques, au sein du christianisme primitif.
Les figures des apôtres Pierre et Paul illustrent cette division au cœur du christianisme naissant. Pierre, l'apôtre judaïque, et Paul, l'apôtre des païens, représentent deux courants qui ont façonné le christianisme. Le véritable tournant dans l’élaboration du christianisme en tant que religion fut la rupture avec le judaïsme, bien que ce dernier ait persisté sous forme d'influences et de traditions juives intégrées dans la nouvelle foi. Cette confrontation entre les groupes juifs (judo-chrétiens) et non-juifs (païens) dans les communautés chrétiennes s’est intensifiée au cours des Ier et IIe siècles.
Le "Évangile selon Saint Matthieu", par exemple, est un texte où ces tensions sont palpables. Matthieu, ayant des racines profondes dans la tradition judaïque, contient des contradictions qui témoignent de cette lutte interne. Lorsque Jésus envoie ses apôtres prêcher, il leur ordonne de ne pas se rendre chez les Gentils, mais de s'adresser uniquement aux "brebis perdues de la maison d'Israël" (Matthieu 10:5-6). Cette idée se retrouve dans l’épisode de la femme cananéenne à qui Jésus refuse de venir en aide, la qualifiant de "chienne" (Matthieu 15:24-26). Cependant, dans le même évangile, Jésus montre une préférence pour un centurion romain plutôt que pour les Juifs (Matthieu 8:10-13). Et, à la fin de cet évangile, Jésus ordonne à ses apôtres d’"enseigner toutes les nations" (Matthieu 28:19), suggérant ainsi un passage à un christianisme universel.
Ainsi, les débuts du christianisme peuvent être vus comme une fusion complexe des croyances judaïques et païennes. Cependant, il serait réducteur de ne pas reconnaître les éléments nouveaux introduits par cette religion. Comme l’a noté Engels, le christianisme a marqué une nouvelle étape dans le développement de la religion, en particulier avec l’introduction du concept de péché, ainsi que de son pendant, celui de la rédemption.
L'idée centrale du christianisme est, en effet, celle du péché, une notion qui a résonné profondément dans les cœurs de ceux qui vivaient dans la misère physique et morale. Selon Engels, le christianisme a répondu à ce mal-être en déclarant que le péché était à l’origine de toutes les souffrances humaines. "C’est vous, vous et votre propre dépravation intérieure, qui êtes responsables de la misère du monde", disait ce message, réduisant les luttes sociales réelles à la question du péché. Cela détourne l'attention des masses des injustices sociales pour se concentrer sur leur salut spirituel. Cependant, cette doctrine offrait une forme de consolation religieuse en promettant un salut possible, fondé sur l'idée que le monde entier était plongé dans le péché depuis la Chute d'Adam, mais qu’un Sauveur viendrait pour sauver l’humanité.
Cette notion de salut n'était pas nouvelle en soi. Des dieux sauveurs existaient déjà dans les cultes orientaux et remontaient aux héros culturels de la société pré-classique. Ce qui était nouveau dans le christianisme, c’était que cette idée devint l’élément central de la religion. Jésus-Christ, en tant que Dieu Sauveur, devait incarner cette idée au cœur du culte chrétien. L’image de Jésus-Christ est, d’ailleurs, extrêmement complexe. Bien que nous soyons habitués à penser à Jésus-Christ comme un nom unifié, dans les évangiles, il correspond à deux concepts distincts. Jésus est le nom du prédicateur galiléen, perçu par certains comme un grand enseignant et thaumaturge, et par d’autres comme un imposteur. "Christ", quant à lui, est la traduction grecque du mot hébreu "Messie", un titre rarement utilisé dans les évangiles. Jésus lui-même n’a jamais proclamé être le Christ, et même ses disciples les plus proches n’étaient pas certains de cette identité. Ce n’est que lorsque Pierre confesse Jésus comme le Christ que Jésus le désigne comme le chef de l'Église naissante.
Ce point est crucial : les récits évangéliques cherchent avant tout à convaincre le lecteur que ce prédicateur galiléen, dont on parlait tant, était effectivement le Messie attendu, le Christ, qui avait pour mission de sauver l’humanité du péché.

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