Dans l'écriture académique, la revue de littérature est un élément central, un rite de passage où l'auteur démontre sa compréhension du travail existant avant de proposer sa propre contribution. Cette démarche est semblable à celle d'un testateur qui, dans son testament, laisse un dollar symbolique à un parent ostracisé. Ce geste ne représente pas seulement un acte de reconnaissance, mais il sert également à anticiper toute contestation potentielle de sa volonté. Ainsi, la revue de littérature n'est pas un simple récapitulatif des recherches passées, mais un moyen stratégique de se positionner dans un dialogue académique plus large. Elle permet de clarifier ce que l’on sait et de poser les bases pour montrer ce que l’on apporte de neuf dans ce champ de recherche.

Il existe une variété de conventions selon les disciplines. En sciences, par exemple, des articles comme celui de Camille Parmesan et Gary Yohe, A Globally Coherent Fingerprint of Climate Change Impacts across Natural Systems, intègrent une revue de littérature analytique où les auteurs explorent et croisent des études antérieures sur des sujets aussi variés que les oiseaux, les papillons ou les herbes alpines, afin de démontrer l'impact global du changement climatique sur les espèces. Dans ce type de recherche, la revue de littérature devient essentielle, car elle ne se contente pas de décrire ce qui a été fait, mais analyse également la façon dont ces travaux se rejoignent pour construire une nouvelle vision.

Les articles scientifiques commencent généralement par un résumé de l'argument et de la méthodologie, suivi immédiatement de la revue de littérature. Là, les auteurs font un survol des travaux existants qui éclairent leur propre recherche, en présentant les conclusions des études antérieures et en justifiant ainsi l’originalité de leur propre approche. Cette structure vise à installer une sorte de continuité logique où le lecteur peut suivre le cheminement intellectuel qui mène à la contribution de l’auteur. Par exemple, l’étude intitulée Discontinuation of Antiretroviral Therapy among Adults Receiving HIV Care in the United States commence par une revue de littérature concise mais précise, résumant les recherches antérieures sur l’adhésion au traitement antirétroviral et les facteurs associés à son interruption, avant de présenter la question originale que cette étude aborde.

Dans d'autres disciplines, en particulier les sciences humaines, la revue de littérature peut apparaître de manière moins formelle et souvent plus diffuse. Elle peut être incluse dans le texte principal ou dans les notes de bas de page, selon le style de l'auteur. Cependant, même dans ces domaines moins rigides, il est crucial que la revue de littérature ne devienne pas un exercice obligatoire ou mécanique. Citer une source simplement parce qu’il est « nécessaire » de le faire ne contribuera pas à l’avancement de l’argumentation. Les citations doivent être intégrées de manière organique, comme des éléments qui enrichissent le raisonnement de l’auteur et qui participent à tisser une toile de connaissances. Cette approche est essentielle pour éviter que la revue de littérature ne devienne une simple récapitulation d’opinions, sans lien clair avec la réflexion propre de l’auteur.

L'un des défis de l'écriture académique est de ne pas minimiser le travail des chercheurs qui vous ont précédé. Ils ont tracé des chemins que vous empruntez, et leurs idées doivent être respectées même lorsque vous les critiquez. Le véritable danger pour un écrivain en devenir est de se retrouver dans ce qu'on pourrait appeler un "massacre rituel des critiques" qui l'ont précédé. Si vous rejetez systématiquement tout ce qui a été dit avant vous, vous risquez de fragiliser votre propre travail, et de passer à côté de l’opportunité d'engager un véritable dialogue avec ceux qui vous ont précédé. L’humilité et le respect envers vos prédécesseurs sont des valeurs fondamentales dans le monde académique, et les intégrer à votre écriture témoignera de votre rigueur intellectuelle.

En outre, la revue de littérature ne doit pas être un simple compte-rendu d’articles et de thèses. Elle doit aussi s’organiser autour de ce qui est pertinent pour votre propre recherche. Il est important de choisir les sources qui vous permettront de mieux situer votre question dans un contexte plus large. Ce n’est pas tant l’abondance des références qui importe, mais leur qualité et leur pertinence pour l’argument que vous développez. Les lecteurs, et en particulier vos pairs chercheurs, attendent de vous que vous mettiez en lumière les contributions majeures qui ont marqué l’évolution de la réflexion sur votre sujet. Vous devez aussi montrer clairement votre propre position dans cette évolution.

Imaginez votre domaine de recherche comme un buisson dense, avec de nombreuses branches et ramifications. Où vous trouvez-vous dans ce buisson ? Êtes-vous au cœur de débats bien établis, ou êtes-vous à l'extrémité d'une branche plus marginale, apportant une question nouvelle ? Votre position doit être clairement établie dans la revue de littérature, afin de montrer comment vous vous inscrivez dans cette conversation et ce que vous apportez de nouveau. Parfois, il peut être utile d'expliquer pourquoi certaines discussions passées ne sont plus pertinentes ou doivent être redéfinies à la lumière de nouvelles découvertes ou méthodologies.

En fin de compte, une revue de littérature réussie ne doit pas se limiter à une simple récapitulation des travaux antérieurs. Elle doit être le point de départ d’un dialogue intellectuel qui enrichit et fait progresser le champ de recherche. Ce dialogue, loin d’être un exercice d’admiration ou de critique pure, doit être une conversation active et critique, dans laquelle vous tissez les idées des autres avec vos propres arguments pour en faire une nouvelle contribution. C’est cette interaction avec le travail des autres qui donne du sens à votre propre démarche.

Pourquoi l'écriture académique doit-elle être compréhensible ?

Certaines des personnalités les plus visibles du monde académique écrivent dans des termes complexes et parfois difficiles. On pense à des figures comme les philosophes Judith Butler et Jacques Derrida, l'anthropologue Elizabeth Povinelli, le sociologue Harrison White, ou encore le théoricien Pierre Bourdieu, pour n'en nommer que quelques-uns. Ces intellectuels ont gagné en influence car ils ont su convaincre leurs lecteurs de prendre le temps d'analyser leurs écrits de manière approfondie et d'y déchiffrer leurs idées. Un tel succès semble sous-entendre que les écrivains académiques doivent être difficiles. Pourtant, il s'agit d'une erreur risquée de tirer une telle conclusion.

La défunte Lauren Berlant, critique littéraire et culturelle, cherchait à introduire une difficulté utile dans ses écrits. La lecture de Berlant n'est pas facile, mais elle est gratifiante. Caleb Smith, qui a célébré l'œuvre de Berlant, expliquait qu’il la lisait « comme une écrivaine, une créatrice de phrases dont les idées sont indissociables de leur composition dans des séquences de mots soigneusement agencées ». Cette appréciation, fondée sur une volonté d'étudier son travail en profondeur, montre le succès de Berlant dans sa transition du monde de l'écriture académique à celui de l'art littéraire. Cependant, la majorité des écrivains académiques ne sont pas des artistes. Leur tâche est différente et commence par la nécessité d’être compris.

La plupart des lecteurs ne consacreront pas l'effort nécessaire pour déchiffrer la prose d'un auteur académique comme l'ont fait Caleb Smith et d'autres lecteurs de Berlant. Écrire comme elle l'a fait reste une option audacieuse, mais qui ne réussira pas dans la majorité des cas. Berlant a fait un choix qui a payé. Pour de nombreux autres écrivains, cela n'aura pas le même effet. Lauren Berlant, en tant que modèle, ne doit donc pas être imité par les écrivains en herbe. Ce n'est pas que Berlant fût une mauvaise écrivaine ; elle a fait un choix délibéré de manière d'écrire, et elle a trouvé un large public dévoué. Cependant, reproduire ce style dans le but d'être compris est une mauvaise stratégie.

Le monde académique est compétitif, et de nombreux chercheurs—qu'ils soient étudiants ou professionnels—ont peur d'être contestés. Au lieu d’adopter délibérément la densité étudiée et l’ambiguïté de Berlant, beaucoup choisissent d’écrire de manière indirecte, esquivant le sens comme si c'était trop dangereux à approcher, de sorte que la compréhension devient difficile, et la confrontation encore plus. Au lieu d'établir une relation claire avec le lecteur, ils s'en détournent. Ce que l'on appelle souvent le « mauvais jargon » illustre bien cette tendance. La plupart des écrivains académiques ne se rendent même pas compte qu'ils rendent leurs textes cryptiques. L'écriture académique peut devenir un domaine à enjeux élevés, où l'anxiété pousse à des comportements étranges, notamment en matière de style.

L’une des causes majeures de ces dérives dans l'écriture académique réside dans un manque de confiance en soi de l'écrivain. Cette absence de conviction se manifeste par une hésitation à exposer clairement ses vues. L'écriture devient alors un exercice contradictoire : l’auteur cherche à affirmer tout en restant dans l'ombre. Ce phénomène prend plusieurs formes : parler autour d’un sujet plutôt que de l’aborder frontalement, éviter de prendre position, utiliser un jargon inutilement complexe ou, encore plus fréquemment, éviter d’être catégorique, comme dans cet exemple : « Il semble prometteur d'examiner d'autres médias contemporains… » Cette hésitation permanente est souvent le symptôme d’un doute intérieur sur la légitimité de l'écrivain. Pourtant, une décision claire de ce qu'il faut explorer ou défendre n’est pas ambiguë. Si l’idée n'est pas suffisamment solide pour être explorée, pourquoi en faire part au lecteur ? Si l’écrivain n'est pas sûr de son argument, il est improbable que le lecteur soit prêt à le suivre dans cette voie incertaine.

Une autre conséquence de cette peur dans l'écriture académique est la tendance à devenir verbeux. Il existe un besoin presque compulsif de montrer tout ce que l'on sait, même si cela n’est pas pertinent pour le lecteur. Cela génère des exemples excessivement détaillés qui, au lieu d’apporter une réelle plus-value, encombrent le texte de références inutiles. Un exemple souvent rencontré est celui du chercheur débutant qui, n'ayant pas encore l'assurance de son expertise, se sent obligé de faire étalage de son savoir. L'excès de références et de citations inutiles ne fait que nuire à la clarté du message, tout en mettant en avant plus l’égo de l'écrivain que l'information pertinente pour son public.

Ainsi, l’écriture académique doit chercher à être compréhensible, surtout si elle veut être efficace. Ce n'est pas une question de renoncer à la complexité, mais de s'assurer que la complexité n'empêche pas la compréhension. Trop d'écrivains s’égarent dans l’illusion que la difficulté est synonyme de profondeur intellectuelle, alors qu’elle peut souvent être un masque pour masquer des doutes personnels ou un manque de confiance dans la validité de leurs idées. Les écrits académiques doivent être suffisamment clairs pour que les idées qu’ils véhiculent soient accessibles à ceux qui les lisent, sans avoir à leur demander de faire un travail supplémentaire pour déchiffrer des passages obscurs.

Il est essentiel de comprendre que l’écriture académique ne doit pas servir à démontrer la complexité du monde, mais à en rendre les éléments essentiels plus clairs pour ceux qui cherchent à les comprendre.

Comment les écrivains peuvent-ils se connecter à leurs lecteurs ? L'importance de l'engagement dans l'écriture académique et l'utilisation de l'intelligence artificielle

L'écriture académique a longtemps été perçue comme une activité marquée par des formats rigides et des discours souvent hermétiques, réservés à une élite intellectuelle. Cependant, des penseuses comme bell hooks ont remis en question cette conception en insistant sur l'importance d'une communication claire et accessible. Selon hooks, l'écrivain doit savoir se connecter à ses lecteurs non seulement par le biais de concepts théoriques, mais également par une démarche qui transcende les abstractions pour se traduire dans des exemples concrets. Elle évoque un moment où, après une discussion sur les questions de race, de genre et de classe, une auditrice lui a fermement saisi les mains pour la remercier. Cet acte, bien qu'apparemment simple, symbolise un véritable lien entre l'écrivain et le lecteur, soulignant l'impact tangible de l'écriture. C’est cette interaction humaine, cette « poignée de main », qui incarne la manière dont un auteur peut, en fin de compte, résonner avec son public, créant ainsi un espace où les idées prennent vie et résonnent au-delà des mots.

Cela ne signifie pas que les enjeux intellectuels doivent être simplifiés à outrance ou dénués de profondeur. L’idée est plutôt de considérer l’écrivain comme un acteur engagé dans une démarche de communication avec ses lecteurs, cherchant à être compris tout en respectant la complexité du sujet traité. Cela implique un équilibre entre l’expertise académique et une capacité à rendre ces savoirs accessibles, sans jamais perdre de vue l’importance de l’impact humain de l’écriture.

Une autre dimension de cette évolution dans l’écriture académique contemporaine est l'émergence de l'intelligence artificielle (IA), en particulier des modèles de langage tels que ChatGPT. Si l'usage de l'IA dans le monde académique suscite souvent des débats, il n’en reste pas moins qu’elle peut jouer un rôle positif, tant dans le processus de recherche que dans l’écriture. L'IA, lorsqu'elle est utilisée de manière judicieuse, devient un collaborateur capable de générer rapidement des informations, de résumer des documents et d'offrir des perspectives nouvelles. Toutefois, l'IA présente également des limites notables, en particulier en ce qui concerne la profondeur émotionnelle et l'authenticité de la voix de l'écrivain.

L'une des erreurs fréquentes consiste à croire que l’IA peut remplacer l'auteur dans son travail de réflexion et d’écriture. Cependant, il est crucial de se rappeler que l'écriture est avant tout un acte de pensée. C’est une démarche où les idées se transforment, se redéfinissent et se réorganisent au fur et à mesure que l'on les pose sur le papier. L’IA peut, certes, aider à amorcer une réflexion ou à affiner des points spécifiques, mais elle ne remplace pas l’esprit humain qui doit toujours être à l’origine de l’analyse et de l’argumentation. En effet, l'écriture académique, même à l'ère de l'intelligence artificielle, doit être marquée par l'esprit critique, l'engagement et la sensibilité personnelle.

L’une des grandes forces de l’IA réside dans sa capacité à traiter rapidement des informations disponibles sur des sujets bien documentés. Elle peut être particulièrement utile dans les phases initiales de la recherche, où l’objectif est de rassembler une masse d'informations ou de clarifier des concepts généraux. Cependant, dès que l’on s’engage dans des réflexions plus profondes ou sur des sujets moins explorés, l’IA peut rapidement devenir inexacte ou produire des résultats superficiels. Ainsi, bien qu’elle puisse être un outil puissant, l’IA ne doit jamais se substituer à l’acquisition d’un savoir réel, à l'expérience et à l'intuition humaine.

Il est également essentiel de souligner que la rédaction universitaire est indissociable d’un travail de réflexion, de synthèse et de création. Le travail de l’écrivain ne se limite pas à regrouper des informations ou à répéter ce qui a déjà été dit, mais bien à proposer une perspective originale, à questionner et à critiquer les idées existantes. L’écrivain se fait le vecteur d’une réflexion personnelle et d’un engagement qui doivent transparaître dans chaque phrase, chaque argument, et chaque conclusion.

L'introduction de l’IA dans le processus d’écriture devrait être envisagée comme un complément, une sorte de « stagiaire de haut niveau », qui peut offrir des suggestions ou des idées, mais qui ne peut jamais se substituer à l’écrivain lui-même. Dans cette perspective, l’écrivain doit conserver son rôle de guide, veillant à ce que chaque mot qu’il choisit, chaque argument qu’il défend, soit le produit de sa propre réflexion et de son propre engagement.

La question centrale, en fin de compte, est de comprendre que l'écriture académique ne doit jamais être une simple accumulation de données ou de réflexions sans âme. Elle doit toujours refléter un engagement personnel, une volonté de créer des liens et de transmettre des idées de manière réfléchie et nuancée. Cela implique que l'écrivain reste le maître d’œuvre de son texte, utilisant l’IA comme un outil qui facilite le travail mais ne le remplace pas.

Il est crucial pour tout écrivain académique, dans ce monde en mutation technologique, de maintenir un équilibre subtil entre l’usage de l’IA et la préservation de sa voix propre, celle qui fait toute la richesse de l’écriture. L’IA, aussi sophistiquée soit-elle, ne saura jamais remplacer l’intuition, la sensibilité et la créativité humaines. Il est donc essentiel de garder à l’esprit que l’écriture, bien qu’elle puisse bénéficier d’outils technologiques, doit rester une expression authentique de la pensée humaine.