La politique contemporaine, qu'elle soit identifiée au populisme de droite américain ou à une position anti-establishment européenne comme le Brexit, semble désormais marquée par un défi fondamental à l'égard de la vérité objective. Ce phénomène est souvent désigné sous le terme de "post-vérité". L'usage de cette notion s'est intensifié avec la montée de politiques comme celles de Donald Trump aux États-Unis, mais aussi dans d’autres espaces politiques où l’idéologie dominante est remise en question par une nouvelle forme de discours. Cependant, l'usage de la "post-vérité" ne se limite pas aux seuls contextes de droite, et la critique de la vérité ou de l’idéologie, loin d’être un concept exclusif aux mouvements conservateurs, traverse aussi une tradition de gauche, que ce soit à travers les écrits d'Althusser ou les réflexions sur le fascisme italien du XXe siècle.

Le lien entre la vérité et l’idéologie a toujours été complexe et contradictoire, particulièrement en ce qui concerne les régimes politiques autoritaires. Si la critique de la vérité par les mouvements d’extrême droite semble plus flagrante, elle n'est pas sans précédent. L'exemple du fascisme italien des années 1930, en particulier, offre une analyse pertinente pour comprendre les fondements philosophiques et idéologiques de ce type de mouvement. Loin d’être une réponse autoritaire simpliste, le fascisme était un phénomène politique profondément contradictoire, où la vérité elle-même devenait un instrument de manipulation et de contrôle. Dans cette dynamique, la "vérité" était continuellement redéfinie par l’État et ses discours, qui cherchaient à inverser les valeurs et à réécrire l’histoire pour soutenir l'idéologie nationale.

En parallèle, les critiques de la vérité dans la pensée de gauche, notamment chez Louis Althusser, ont permis de développer une approche sophistiquée de la manière dont les idéologies agissent au sein de la société. Selon Althusser, les idéologies ne sont pas simplement des systèmes de croyances, mais des structures sociales qui déterminent et conditionnent les individus en fonction de leurs classes sociales et de leur position dans la société. L’idéologie, pour Althusser, est ainsi un outil de domination qui fausse la perception des masses sur la réalité sociale, un phénomène qui, sous le prisme de la "post-vérité", trouve des échos dans la politique contemporaine.

Dans le cadre de la montée du trumpisme, on observe une manipulation similaire des faits et des vérités. Le discours de Trump et de ses partisans ne se fonde pas nécessairement sur des faits vérifiables, mais sur une série de récits qui exploitent les émotions et les sentiments populaires. Cette manière de faire de la politique à travers un récit alternatif, un récit qui nie les faits scientifiques ou historiques au profit d’une narration personnelle, constitue une des caractéristiques majeures de la politique "post-vérité". En cela, Trump, à travers son usage systématique de la désinformation et de la rhétorique populiste, incarne une continuation de stratégies de manipulation idéologique qui se retrouvent, sous une forme ou une autre, dans l’histoire du fascisme.

Ainsi, l’étude des liens entre le "post-vérité", le discours de droite et les idéologies autoritaires permet de comprendre non seulement le phénomène politique actuel, mais aussi d’éclairer un ensemble de mécanismes qui structurent encore aujourd’hui les rapports entre pouvoir, vérité et perception sociale. Les régimes qui cherchent à déstabiliser les concepts traditionnels de vérité et de rationalité n’en sont pas à leurs débuts. Au contraire, ils s’inscrivent dans une tradition plus longue de contestation idéologique, qu’elle soit de droite ou de gauche, et qui trouve ses racines dans les mouvements historiques comme le fascisme ou dans les critiques marxistes de l'idéologie.

Ce phénomène n’est donc pas une invention du XXIe siècle, mais plutôt une continuité, une nouvelle version d'une lutte idéologique qui s’affronte sur le terrain de la vérité et de la perception de la réalité. Comprendre cette dynamique nous permet de mieux saisir les enjeux de la politique moderne et la manière dont les idéologies, loin de se limiter à un simple corpus d’idées, agissent comme des forces structurantes de l’espace politique et social.

Pourquoi attribuer la victoire de Trump à « l’anxiété économique » est une erreur fondamentale

L'élection de Donald Trump a été un choc retentissant, tant au niveau national qu'international, annonçant de sombres perspectives pour les groupes vulnérables qui avaient été les cibles permanentes de sa rhétorique raciste, sexiste et xénophobe durant sa campagne. Parmi les réactions des partisans de Hillary Clinton, de nombreuses réponses aux enquêtes post-électorales évoquaient un sentiment de « peur », soulignant non seulement la menace que représente l’approche autoritaire de l’administration Trump, mais aussi les risques réels auxquels sont confrontés leurs amis et familles : du profilage racial à la perte de soins de santé, en passant par la montée en puissance d’un discours haineux et violent autrefois cantonné aux marges de la société, qui s’est maintenant installé à la Maison Blanche.

Ce qui s'est avéré encore plus décevant, c'est l'incapacité de l'imagination politique de la gauche, qu'il s'agisse des marxistes, des progressistes ou des libéraux centristes, qui se sont laissés convaincre que la victoire de Trump était impossible, ou que Clinton « n'aurait pas fait mieux ». Une forme de sympathie envers les partisans de Trump a pris racine, non seulement dans les discours médiatiques, mais également parmi certains commentateurs et figures publiques. Beaucoup ont critiqué les démocrates pour leur insistance sur la « politique identitaire » au lieu de se concentrer sur les préoccupations économiques des électeurs blancs, une tendance qui s’est fortement manifestée après l’élection.

Parmi les théories qui ont circulé pour expliquer la victoire de Trump, celle de l’« anxiété économique » s'est imposée. Selon cette théorie, les électeurs de Trump n’ont pas voté pour lui en raison du racisme, mais parce qu’ils étaient profondément inquiets de la situation économique. Cette analyse, bien que populaire, repose sur un simplisme trompeur qui ignore l'élément déterminant de la dynamique raciale dans cette élection. En effet, les partisans de Trump étaient essentiellement des Blancs, et cela transcende largement les considérations économiques. Trump a gagné des soutiens à travers toutes les catégories socio-économiques des Blancs, des plus riches aux plus pauvres, avec un soutien particulièrement fort parmi les hommes et les femmes blancs, qu’ils soient diplômés ou non. Les Blancs âgés de 45 à 65 ans ont soutenu Trump à hauteur de 28 points de plus que Clinton, et ce soutien a été également visible dans toutes les régions des États-Unis, que ce soit dans le Sud, le Nord-Est ou la Côte Ouest.

Nier l'importance du racisme dans cette dynamique revient à occulter la réalité même de la campagne de Trump. L’argument économique, bien qu'il puisse constituer un facteur parmi d'autres, masque l'élément central qui est celui de la race. Il est impossible de ne pas voir que l’électorat blanc a voté massivement pour Trump, et que cette victoire s'est construite autour de valeurs racistes et nationalistes, souvent dissimulées sous des discours populistes sur l’économie.

Il convient de souligner que cette approche « économique » et « dénuée de race » ne fait qu’alimenter une normalisation des discours de suprématie blanche et des politiques de l’administration Trump. Au lieu de confronter directement la question du racisme, une partie importante des analyses médiatiques et politiques a préféré chercher une explication qui soit politiquement plus correcte, évitant ainsi de nommer la véritable source du problème : la peur et la colère ressenties par une partie importante de la population blanche face aux changements démographiques et sociaux qui redéfinissent l'Amérique.

L’argument de l’anxiété économique a été utilisé pour justifier le déplacement du discours politique des libéraux et progressistes, les incitant à abandonner les enjeux liés à l’identité au profit d’un discours plus économique, prétendant ainsi que cela pourrait permettre de rallier les électeurs blancs de Trump. Cependant, cette stratégie fait abstraction d’une vérité fondamentale : la « crise » de l’économie mondiale actuelle, tout comme la montée des inégalités, ne sont pas les seuls facteurs qui expliquent la montée du populisme. La manière dont les médias et les politiciens blancs se sont intéressés à cette « anxiété économique » est une manière de réécrire l’histoire de la victoire de Trump sans aborder de front la question du racisme.

Derrière le discours économique se cache une tendance plus insidieuse : l’oubli de la question raciale, qui a joué un rôle primordial dans l’ascension de Trump. Que ce soit par son discours sur l’immigration ou son soutien à des politiques qui renforcent les inégalités raciales, Trump a habilement utilisé cette division pour mobiliser une partie de l’électorat blanc qui se sentait dépossédée par les changements sociaux et démographiques. Il est crucial de ne pas réduire son élection à une simple question économique, mais de comprendre la manière dont le racisme a nourri et légitimé ses politiques.

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Comment le langage de la gauche a été utilisé par la droite : Une analyse du discours politique sous Trump

L'élection de Donald Trump en novembre 2016 a marqué un tournant dans la politique américaine, un événement que beaucoup, même à l'intérieur des milieux académiques, n'ont pas pu prévoir. La victoire de Trump, rendue possible par une série de petites victoires dans quelques États clés, a révélé l'étendue d'une fracture sociopolitique de plus en plus profonde et a engendré ce que l'on pourrait appeler une nouvelle norme toxique. Dans ce contexte, les tentatives de la gauche pour contrer les idéologies de droite se sont avérées largement inefficaces, face à un adversaire qui n'hésite pas à manipuler le langage de la gauche elle-même, exploitant les failles du libéralisme classique.

Trump, durant sa campagne, a habilement utilisé un discours hautement raciste, sexiste et xénophobe, se lançant dans un tourbillon de provocation et d'attaque contre les minorités, qu'il s'agisse des femmes, des immigrés ou des personnes issues de la communauté LGBTQ+. Ces discours ont alimenté une atmosphère de division extrême, culminant dans des événements aussi choquants que le rassemblement Unite the Right à Charlottesville en août 2017, où la violence raciale a fait surface de manière brutale. Pourtant, la gauche n’a pas su répondre adéquatement. Que ce soit en sous-estimant Trump durant les primaires ou en minimisant les préoccupations légitimes des femmes et des minorités sous l’étiquette de "politique identitaire", elle s’est retrouvée démunie face à la montée de cette rhétorique violente.

Le problème majeur réside dans la manière dont la droite, sous la direction de Trump et de ses partisans, a non seulement pris le contrôle du discours public mais a également manipulé les espaces en ligne, où la liberté d’expression est souvent utilisée pour légitimer des idées de plus en plus radicales et dénuées de toute rationalité. Les réseaux sociaux, qui devraient être des lieux de débat constructif, se sont rapidement transformés en plateformes où la parole des Trumpistes a pu se répandre sans véritable contrepoids. La difficulté à modérer les discours haineux, au nom de la liberté d’expression, a permis à ces idéologies de proliférer et de se solidifier dans l’espace public.

L’une des caractéristiques notables du phénomène Trump est la manière dont il a détourné la relativité postmoderne, autrefois chérie par certains courants de la gauche, et l’a utilisée à ses propres fins. La relativisation de la vérité, souvent présentée comme un outil de résistance à l’autoritarisme, s'est transformée en un instrument de manipulation. En refusant de s’engager sur des principes idéologiques cohérents et en jouant sur les contradictions de son propre discours, Trump a réussi à neutraliser l’opposition, tout en renforçant son emprise sur ses partisans. Ce processus a été facilité par une presse qui, sous la pression de maintenir une neutralité apparente, a permis à des idées fausses et des "faits alternatifs" de se répandre sans être véritablement contestés.

Le concept de "vérité" sous l’ère Trump est devenu problématique dans la mesure où Trump lui-même ne semble adhérer à aucune vision politique ou idéologique stable. À l’inverse des administrations précédentes, où des idéologies claires étaient exprimées, Trump navigue entre des discours de nationalisme, des politiques isolationnistes, et des positions contradictoires sur des sujets aussi divers que les relations internationales ou les valeurs familiales. Cette incohérence rend son administration difficile à critiquer de manière structurée, car il n'existe pas de cadre idéologique précis à remettre en question.

Dans ce climat, la notion de "réalisme critique" a disparu. Les vérités structurelles ou les faits établis sont constamment érodés, remplacés par des discours où l’on privilégie les intérêts immédiats et le pouvoir du récit personnel. C'est dans cette ambiance que les soutiens de Trump, à l’image de Milo Yiannopoulos et d’autres figures de l’extrême droite, ont pu exploiter l’ironie postmoderne et la subversion de la culture de gauche pour propager leur message. Ce phénomène n’est pas sans rappeler les stratégies de manipulation utilisées par d'autres régimes autoritaires, où la réalité est déformée pour servir les intérêts du pouvoir en place.

Le problème de la droite actuelle réside donc dans sa capacité à utiliser et à détourner des outils théoriques de la gauche pour en faire un levier politique. L’idéologie de la gauche a été réappropriée, et ses concepts, tels que la liberté d'expression, l'égalité ou le droit à la différence, ont été transformés en des armes idéologiques servant à justifier des positions de plus en plus radicales et excluantes. Il est crucial pour la gauche de prendre conscience de cette dynamique et de réfléchir à des stratégies nouvelles pour contester ce discours.

Dans ce contexte, les espaces de débat en ligne doivent être réformés, les plateformes de réseaux sociaux doivent prendre leurs responsabilités en matière de modération, et la gauche, au lieu de se contenter de dénoncer la manipulation de la vérité, doit redéfinir ses valeurs et se doter d’une idéologie cohérente et offensive face à la montée des idéologies de droite.