Les institutions religieuses, dans leur vision souvent restrictive, cherchent à contrôler le message divin, le ramenant à une interprétation qui exclut, restreint et isole la nature généreuse de Dieu. Ces « tendres religieux » se battent pour contenir l'ADN de Dieu, l'empêchant de se répandre dans le monde quotidien et de se mêler aux idées modernes sur le commerce, l'économie et la société. Il est particulièrement difficile pour les individus, en particulier ceux qui se considèrent comme des « self-made men », d'accepter que la séquence religieuse attendue, à savoir la repentance d'abord, puis la communion, soit inversée dans le ministère de Jésus. Pourtant, c’est précisément ce renversement qui est central à son message.
Jésus propose une offre radicale : d'abord la communion, la grâce, l'interconnexion humaine avant même la conversion. Dieu entre en contact avec nous, non pas dans notre perfection, mais dans nos « vieux habits ». Ce n’est qu’ensuite que la conversion, le repentir, et la nouvelle vie viennent. Ce modèle d'engagement divin bouleverse les systèmes sociaux et économiques, notamment l’idée que la réussite est le produit d'un travail acharné et de la vertu, et que ceux qui réussissent matériellement en sont récompensés par Dieu.
De nombreux chrétiens américains d'aujourd'hui, imprégnés de l'idéologie de l'exceptionnalisme américain et du capitalisme de marché libre, voient la grâce paulinienne comme une menace morale. Elle semble incompatible avec l'économie de marché, créant potentiellement de la paresse ou honorant les « freeloaders » (profiteurs). Les débats sur la redistribution, sur la santé, l'éducation ou les aides sociales sont teintés de cette opposition entre les idées bibliques de générosité et de redistribution et la dure réalité des principes économiques modernes. Pour beaucoup, l'idée d'une économie fondée sur la grâce, de l'aide divine donnée sans conditions à tous, reste un herésiarque.
L'attitude dominante semble être de limiter la vision chrétienne à des frontières bien définies : la terre est la propriété de ceux qui réussissent, et toute redistribution est perçue comme une forme d'irresponsabilité. Les partisans de l'exceptionnalisme américain, tout comme les « chrétiens confesseurs » des années 1930, se battent pour écarter les éléments du message chrétien qui appellent à une redistribution radicale de la richesse et des ressources. Le modèle de la grâce universelle et de la solidarité sociale devient, dans ce contexte, un concept hérétique. Ainsi, l'idée que Dieu pourrait être un "redistributeur radical", prêt à partager la création divine sans distinction, est perçue comme une hérésie par ceux qui défendent les valeurs du capitalisme.
Dans ce cadre, des mouvements politiques comme celui de « rendre l'Amérique grande à nouveau » ou des interprétations extrémistes de la théologie chrétienne, qui soutiennent que Dieu favorise le capitalisme de marché libre, se dressent comme une alternative au modèle paulinien. L’idée qu’un système basé sur la grâce, la rédemption gratuite et la redistribution puisse être viable, est vue comme une menace pour l'ordre établi. Les grandes figures du protestantisme évangélique, qui affirment que Donald Trump est l'outil de Dieu pour préserver cet ordre économique, reflètent cette tension entre la foi chrétienne authentique et les forces séculières du marché libre.
Pourtant, à la lumière de l'évangile, cette vision divine de l'économie semble incompatible avec le monde moderne, où tout est lié à l'effort personnel, la réussite individuelle et la compétition. Chaque bonne chose provient de Dieu, et cela inclut les bénédictions matérielles, qui sont en réalité des dons, non des récompenses. Ce paradoxe du message chrétien est difficile à accepter, notamment dans une société qui valorise le mérite, l'individualisme et la réussite à tout prix. Pourtant, ce message de grâce est radical : la véritable conversion spirituelle, selon l'évangile, ne peut se produire que dans un contexte communautaire où chacun vit pour l'autre, où chaque don est partagé.
Cette dynamique de grâce, qui oppose la logique du marché à celle de l’Évangile, reste une idée révolutionnaire, inconciliable avec les logiques économiques dominantes. Pourtant, l’appel à un christianisme public, insurgé, radical et transformateur, semble toujours pertinent. La question demeure : est-ce que les chrétiens, aujourd'hui, oseront embrasser ce christianisme radical de la grâce, loin des valeurs du capitalisme, pour proposer une alternative sociale et économique véritablement évangélique ?
Qu'est-ce que signifie un humanisme chrétien dans un monde postmoderne ?
La lecture contemporaine de la Bible, loin de se concentrer sur une vision historique rigide, propose une approche plus dynamique et métaphorique. Alors que certains matérialistes lisent le monde à travers des certitudes cognitives qui anesthésient toute forme de mystère, d'autres tentent de retrouver une forme de discours théologique capable de remettre en question l'ordre établi. Loin de vouloir seulement annoncer des idées confortables, les prédications bibliques cherchent à déstabiliser les certitudes humaines en présentant des symboles qui perturbent l'existence. La mission de la prédication n'est pas de donner de l'information, mais de transformer l'écoute, de faire naître de nouveaux mondes possibles, où l'individu est invité à se renoncer et à s'ouvrir à une autre forme de réalité. Dans ce contexte, le message biblique, loin d'être un simple récit moral, devient une invitation à une révolution intérieure et sociale, à une vision radicale de la condition humaine.
Dans ce cadre, tout acte de prédication revêt une dimension politique. Tenter de maintenir la politique à l'écart de l'Église reviendrait à exclure une dimension révolutionnaire du Christ. Cette approche rappelle que, dans une époque dominée par des idéologies séculières, l'Église doit revendiquer sa place dans l'espace public pour offrir une alternative narrative à la vision postmoderne qui éclate le monde en fragments. La mission de l'Église ne consiste pas seulement à prêcher une parole de réconfort, mais à proposer une rédemption active de la société, un message de transformation qu'il est urgent de redécouvrir à l'ère post-Trump.
Un humanisme chrétien contemporain, à la lumière de la théologie de l'espérance, entend revisiter la question de la nature humaine. Cette réflexion s'éloigne d'un anthropocentrisme matérialiste, souvent figé dans une conception de l'homme comme être purement rationnel et dénué de toute dimension spirituelle. Le retour de l’humanisme chrétien consiste à reconnaître dans l’humanité les « anges de la terre », des êtres interconnectés capables de reconstruire des communautés justes sur une Terre réenchantée. Cette vision trouve ses racines dans l’affirmation ancienne que Dieu est devenu homme pour que l'homme devienne divin – une idée qui, malgré son caractère audacieux, mérite d’être réexplorée dans un monde qui tend à oublier la transcendance de l’homme au profit de sa simple matérialité.
Dans les premiers siècles de l'Église, des théologiens comme Irénée de Lyon, Clément d'Alexandrie ou Athanase ont formulé cette notion de laosis, ou déification, qui demeure un des aspects les plus radicaux du christianisme primitif. Irénée, par exemple, disait que Dieu est devenu ce que nous sommes afin que nous puissions devenir ce qu'Il est Lui-même. Cette idée, bien que rejetée ou obscurcie au fil des siècles par des courants théologiques comme celui d'Augustin ou de Luther, demeure une invitation à redéfinir la vocation humaine. Le Christ, incarné en tant qu'homme, ouvre la voie pour que l'humanité puisse, à travers lui, retrouver son potentiel divin. L’humanisme chrétien contemporain réactive cette notion d'un homme capable de transcender ses limites, non pas par ses propres forces, mais par une participation à l'incarnation de Dieu en Christ.
Une telle révision du rôle de l’homme sur Terre ne se fait pas dans l’isolement. Elle implique une vision de l’humanité inscrite dans une histoire divine et une cosmogonie qui relie la Terre au Ciel. L’évangile, en ce sens, ne se limite pas à une simple prédication de la rédemption personnelle, mais invite à une réorganisation radicale des relations humaines et sociales, en construisant de nouveaux espaces de justice et de solidarité sur Terre. C’est cette vision qui doit être réintégrée dans le discours public, face à un monde qui semble avoir perdu tout sens du sacré et de la transcendance.
Cela dit, l’église ne doit pas s’abandonner à une nostalgie du passé, ni à une vision réductrice de l’histoire chrétienne. Elle doit se saisir de la promesse d’un monde nouveau, celui où la relation humaine avec Dieu pourrait, à travers le Christ, être restaurée et dépassée. Le défi consiste à réintégrer dans la société une théologie de l’espérance qui puisse répondre aux désillusions et aux fractures du monde contemporain, tout en réaffirmant la dignité de l’homme, non pas comme un être déchu, mais comme un être créé pour la communion divine.
Ainsi, un humanisme chrétien, au cœur duquel se trouve une vision théologique de l'espérance, a le pouvoir de redéfinir la condition humaine et de projeter l'humanité vers un avenir radicalement différent. En même temps, il faut comprendre que cette transformation exige une révolution intérieure autant qu’une action sociale concrète. Les défis sont immenses, mais le retour à une véritable « théologie de l'espérance » pourrait offrir à l'humanité une chance de redécouvrir son potentiel divin et de participer à la création d'un monde plus juste et plus réconcilié.
L’incarnation est-elle un projet inachevé ?
L’héritage chrétien de la transformation humaine semble s’être arrêté trop tôt, à mi-chemin du potentiel que la foi promettait d’accomplir. L’imputation de la justice fut envisagée comme un point d’arrivée, non comme le point de départ d’un chemin vers la perfection vivante. À l’aube du troisième millénaire, ce projet d’incarnation — dans son sens fort, ontologique — mérite d’être relancé. Il ne s’agissait jamais simplement d’un événement magique survenu lors du baptême, mais d’un processus complexe, structuré par une vie entière de prière contemplative, d’ascèse, de participation à l’Eucharistie, de monachisme, de quête mystique. C’est ainsi que les premiers siècles du christianisme comprenaient la transformation humaine : comme une lente transfiguration du monde intérieur, scellée par l’imitation du Christ dans le quotidien.
Les saints en furent les témoins. Ils étaient perçus comme des dépôts de la présence divine, des balises dispersées sur les chemins humains, témoignant de la persistance de l’Esprit sur terre. Cette vision, moins prégnante dans les traditions protestantes, fut néanmoins portée par des communautés comme les Quakers, qui voyaient dans la « station immobile dans la Lumière » un chemin vers la transformation. Le message était clair : l’incarnation continue.
Or, notre époque semble avoir perdu cette ambition. Nous avons rétréci notre vision de Dieu à la taille de notre pessimisme, à la mesure de notre résignation. Nous avons ajusté notre théologie à un monde vidé de rôles signifiants pour l’humanité. Le souffle prophétique qui portait les récits bibliques s’est tari. Pourtant, l’histoire d’Israël, l’Exode, l’Alliance prophétique et la figure de Jésus ne forment pas un passé figé, mais une anticipation active d’un avenir où Dieu et l’homme œuvrent ensemble à l’édification d’un monde nouveau.
Il ne s’agit pas de rêver d’un paradis posthume, mais d’oser désirer une terre habitée par la volonté divine, une terre transfigurée. Le « Notre Père » ne dit-il pas : « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel » ? Cette prière récite l’audace d’une espérance incarnée, celle d’un espace partagé — un chevauchement entre l’espace de Dieu (Godspace) et le nôtre. C’est là que s’inscrit l’agence humaine, réhabilitée, redevenue créatrice, autorisée par l’incarnation du Christ à espérer un avenir ouvert pour la terre.
Des anthropologues comme Victor Turner ont perçu, dans les rituels archaïques, ce moment où Dieu descend et « chevauche les chevaux humains ». Cette métaphore éclaire l’idée que la présence divine a toujours requis une plateforme humaine. L’incarnation n’est pas un monologue de Dieu, mais une dramaturgie partagée, où les humains ont des rôles déterminants. Quand les prophètes parlent, quand Moïse défie Pharaon, quand Élie provoque les prêtres idolâtres, c’est toute la scène cosmique qui s’anime. L’Esprit a besoin de notre souffle.
Mais aujourd’hui, beaucoup renoncent à ces rôles. Certains s’accrochent à une théologie de la grâce si passive qu’elle étouffe toute initiative humaine. On attend que Dieu agisse, on abdique, on retarde la révolution, on promet le ciel plus tard, pendant que la terre brûle. Et ce report n’est pas neutre : il est souvent sponsorisé par ceux qui ont intérêt à ce que rien ne change.
Cette paralysie n’est pas théologiquement inévitable. La vocation biblique appelle à un engagement radical : à la justice, à la ré-enchantement du monde, à la sauvegarde de la création. Ces tâches exigent l’imagination humaine, animée par l’énergie divine. Le croyant est appelé à entrer dans le devenir même de Dieu, à participer à la conscience cosmique en maturation. Le nom divin révélé à Moïse, « Je serai qui je serai », est une déclaration de devenir, une promesse ouverte.
Cela implique que notre refus d’agir, ou notre engagement, peuvent altérer — ou faire croître — le devenir de Dieu lui-même. La co-évolution de l’humanité et du divin n’est pas une figure de style : elle est le cœur battant de toute espérance chrétienne. Elle suppose que nous devenions les porteurs d’un ADN prophétique, la voix de Dieu dans l’histoire, les mains qui bâtissent l’espace pour sa présence.
Comment la science et la religion peuvent-elles coexister dans la quête de la vérité ?
La raison critique, selon la vision dominante, est devenue le regard objectivant, distancié et contrôlant du penseur (masculin), du scientifique, de l'explorateur et du colonisateur. Ces individus se sont interrogés sur la manière de découvrir et d'acquérir, de reconceptualiser des espaces encore inexplorés, souvent perçus comme l'Autre féminisé. Christophe Colomb, par exemple, décrivait le Nouveau Monde comme un sein, où le paradis résidait au bout du téton. De telles perceptions furent nourries, dans une certaine mesure, par le christianisme colonial, qui partageait des hypothèses similaires. Pour Francis Bacon, la nature était féminine et la mission de la science était de la contraindre à se soumettre, de la pénétrer, de la dominer. Cette vision dominait l'ère des Lumières, où le déisme, en écartant un Dieu désormais absent, libérait la science de tout lien divin, lui permettant d'explorer le monde indépendamment de toute perspective religieuse. Le déisme n'était pas tant une conception d'un Dieu qui s'était retiré qu'une idée d'un Dieu exilé de toute considération humaine. Il s'associait aux Lumières pour chasser les dieux du domaine de la matière et, dans certains cas, pour déclarer que seule la matière existait, excluant ainsi tout esprit ou transcendance. Cependant, cette approche restait une vision réductrice.
La science, loin d’être une entité indépendante et neutre, appartient à la culture humaine, à la pensée collective, à notre écologie mentale. Elle fait partie intégrante de notre mode de perception du monde. La science, ainsi que toutes les autres quêtes humaines, est une construction. Lorsqu'elle se sépara de la religion et des humanités, la science tomba dans un matérialisme rival de la métaphysique, la réduisant à une simple exploration des phénomènes matériels. Ce matérialisme prétendait que la matière maîtrisée par la science était tout ce qu'il y avait. Si la science ne parvenait pas à trouver un sens en termes scientifiques, c'était alors qu'il n'y avait tout simplement pas de sens à découvrir. Mais cette perspective finit par occulter la possibilité que l'univers puisse se déployer de manière intentionnelle, en évoluant vers la conscience de soi et la réflexion, en partant d’une énergie primordiale vers notre étonnement radical actuel.
Les avancées récentes, particulièrement en physique théorique, offrent une porte de sortie à ce matérialisme réducteur. La théorie quantique suggère que le monde rationnel que nous croyions stable est, en réalité, instable et indéterminé à son niveau subatomique. Cette théorie, contre-intuitive, remet en question l'efficacité des conceptions « sensées » du monde, auxquelles la modernité s'était profondément attachée. Elle laisse entrevoir une sorte d’unité dans la séparation, où deux entités, autrefois interactives, continuent d’avoir un pouvoir d’influence l’une sur l’autre, suggérant une holistique inattendue dans l’univers. En un sens, la physique théorique est capable de concevoir un électron invisible à l'œil, mais aussi lié à tout ce qui est connu. De même, la théologie invoque des réalités spirituelles qui échappent à la représentation visuelle. Ces idées, souvent incompréhensibles à première vue, trouvent néanmoins leur écho dans notre quotidien, à travers des technologies comme les dispositifs de positionnement par satellite, qui prévoient même les embouteillages à venir.
Une autre image saisissante : imaginez que l'atome soit de la taille du dôme de Saint-Pierre à Rome, la plus grande coupole du monde. Dans cette échelle, son noyau ne serait guère plus grand qu’un grain de sel. En réalité, même ce noyau, fondement de tout un secteur scientifique, se révèle être une danse d'énergie, une énergie mouvante au gré de relations imprévisibles. L'idée même de la matière, fondement du matérialisme scientifique qui rejetait toute hypothèse religieuse, se transforme ainsi en énergie se mouvant selon des motifs relationnels et aléatoires. Ce que la science avait perçu comme immuable, comme le socle de toute connaissance, s'avère être plus complexe et insaisissable. La nature n’est pas un système clos. Newton avait tort. Le poète William Blake évoquait déjà, dans ses écrits, le besoin de nous réveiller de « la vision unique et du sommeil de Newton ». Pourtant, malgré ces découvertes, les fondamentalistes religieux continuent de rejeter la science, tandis que certains scientifiques, avec une vision tout aussi dogmatique, considèrent la liberté par rapport à la religion comme l’un des "résultats assurés" de l'ère moderne.
La science moderne, qui a vu ses grandes réussites se manifester dans l’Europe chrétienne, s’est largement appuyée sur une vision du monde créée par le christianisme, un monde dont les lois logiques et cohérentes pouvaient être abordées par la raison humaine. C’est en cela qu’il est ironique de constater qu’une partie importante des avancées scientifiques ait eu lieu dans un contexte chrétien. Ce n’était pas une simple coïncidence, car, comme l’a suggéré Thomas d'Aquin au Moyen Âge, la raison humaine, en lien avec une compréhension de Dieu, était capable de saisir l’ordre du monde. Dans sa vision, la meilleure manière de connaître le monde passait par une rencontre entre le sujet inquisitif et l'objet de cette quête, un échange de dons réciproques qui permettait à l’esprit de s'élever et de participer activement à la réalité. Dans cette perspective, la connaissance ne se limite pas à l’acte impérialiste d’objectivation, mais devient une union du sujet et de l’objet dans un processus de compréhension.
Le supposé affrontement entre la science et la religion, pourtant, ne trouve pas de justification dans cette vision. L’opposition frontale entre ces deux domaines est une impasse. De nombreux scientifiques modernes, se considérant comme des idéologues antireligieux, ont souvent étendu leur critique au-delà des limites de ce que la science empirique pourrait justifier, tandis que, de l'autre côté, le christianisme, qui a beaucoup à se faire pardonner pour ses persécutions passées envers certains scientifiques, entretient toujours des critiques profondes, notamment à l’encontre de la théorie de l’évolution de Darwin. Pourtant, la question se pose : les créationnistes, dans leur quête de sens et de signification dans l’univers, se trompent-ils vraiment, ou ne font-ils que chercher ce que la science et la religion ont parfois négligé – la question du sens plus profond de l’existence ?
Il existe des façons plus prometteuses de penser à la relation entre science et religion. Des théologiens et des philosophes des sciences comme John Polkinghorn, Ted Peters et Ian Barbour ont suggéré plusieurs approches : conflit, indépendance mutuelle, dialogue et intégration. Peut-être que, plutôt que de nous contenter d’un modèle conflictuel, il serait plus fécond d’aller vers l'intégration. Actuellement, le modèle du conflit domine. Le scientisme matérialiste prétend détenir toute la vérité, réduisant la réalité à ce qui peut être perçu, et considérant les connaissances religieuses comme non pertinentes. Mais il existe une possibilité, encore souvent ignorée, de faire dialoguer ces deux sphères de manière plus constructive.
L’espérance peut-elle devenir une praxis publique dans le christianisme contemporain ?
L’espérance, loin d’être une consolation passive ou une attente désincarnée, s’affirme ici comme une disposition active, une force imaginative, un levier eschatologique capable de transformer le monde. Elle n’est pas une fuite vers un ailleurs céleste, mais une tension vive entre le présent et l’avenir, entre ce qui est et ce qui devrait être. Elle autorise l’humain à façonner des futurs désirables, à rêver au sein même de l’histoire, à s’inscrire dans une temporalité encore inachevée. « L’année prochaine à Jérusalem » — cette prière juive — n’est pas qu’une espérance mystique, mais l’affirmation d’une terre promise à construire ici-bas. Le banquet eucharistique, lui aussi, préfigure ce qui vient : un avant-goût du festin à venir, une anticipation sacramentelle de la plénitude.
Les ennemis de cette espérance sont bien identifiés : la paresse et l’ironie. La paresse, péché ancien, abdique devant la difficulté du réel, refuse l’effort de transformation et se retire du combat. L’ironie, quant à elle, est une posture distanciée, une armure d’intellectuel désabusé qui, pour ne pas paraître naïf, se moque de toute ardeur réformatrice. L’âge de l’ironie a érigé le scepticisme en vertu. Pourtant, face à un monde brisé, ravagé par les inégalités, les désastres climatiques et la violence structurelle, seule une espérance agissante peut s’y opposer. C’est ce que rappelait Barbara Kingsolver, appelant à se libérer du cynisme pour rejoindre les mouvements de transformation. L’histoire a déjà prouvé que le changement est possible : l’abolition de l’esclavage, le suffrage universel — toutes ces victoires furent arrachées par ceux qui osèrent espérer contre toute espérance.
L’espérance chrétienne, loin d’un dogme figé, est puissance d’imagination. Elle refuse d’abandonner le ciel aux fondamentalismes qui en ont fait un récit d’exclusion, de vengeance, de ruine programmée du monde. Le ciel des « évangéliques apocalyptiques » devient un théâtre d’anéantissement, un décor pour la punition des ennemis idéologiques. Mais ce rétrécissement du symbolique est un désastre pour la pensée religieuse. Sans métaphore du ciel, la conscience humaine perd son étoile polaire. Le langage s’appauvrit, les mythes s’effondrent, la culture se stérilise. Or, les images du ciel sont des répétitions générales du futur. Elles logent au cœur même de l’âme humaine, elles nourrissent la mémoire de l’avenir. Une terre nouvelle ne surgira que si nous la désirons avec passion, parfois même au-delà du raisonnable.
C’est pourquoi l’espérance, comme mood fondamental du christianisme progressiste, devient praxis terrestre. Elle pousse la foi hors des temples pour l’inscrire dans les luttes sociales, dans les débats publics, dans les mouvements d’émancipation. Le christianisme du troisième millénaire veut inscrire l’espérance dans sa charte. L’exode devient paradigme : sortir de l’Égypte moderne, c’est s’extraire des logiques d’oppression, des impératifs économiques déshumanisants, des clôtures identitaires. Comme le rappelle l’adage patristique lex orandi, lex credendi, la prière juste forge la croyance juste. Le culte chrétien ne peut être simple discours ; il doit être performatif, il doit entraîner le corps et l’esprit dans un mouvement de sortie, une dramatisation du passage de la mort à la vie.
Mais la liturgie se vide de sa puissance quand elle devient bavardage. Le Dieu vivant y est souvent remplacé par une figure fade, domestiquée, célébrée par des sermons qui n’osent plus nommer l’injustice ni rêver de bouleversements. Où sont les prédications qui redonnent au Dieu biblique sa force subversive, qui démasquent les puissances et appellent à la transgression des normes établies ? Trop souvent, le christianisme s’est résigné à un rôle d’accompagnement moral du monde tel qu’il est.
La théologie elle-même se trouve en retard, incapable d’articuler un imaginaire à la hauteur des défis contemporains. Le débat public entre chrétiens — entre progressistes et conservateurs — est rare, cloisonné, fragmenté. Chaque camp parle à ses propres fidèles, dans une logique tribale, sans confrontation réelle sur le sens des textes bibliques. Les progressistes, fatigués ou désabusés, ont déserté les arènes où se jouent les imaginaires collectifs. Les évangéliques, eux, investissent massivement les médias et les réseaux sociaux, façonnant ainsi l’opinion publique selon leur vision.
Pour redevenir force de proposition, la théologie chrétienne doit se reconnecter aux grandes questions du temps : crises écologiques, violence structurelle, fragmentation sociale, inégalités systémiques. Dans le Nouveau Testament, l’espérance n’est pas une simple consolation, c’est une orientation fondamentale sans laquelle la communauté reste informe. Il est temps de redonner forme à cette espérance, de lui offrir des corps, des voix, des gestes — et de la faire défiler sur la place publique.
Ce texte doit s’accompagner d’une réflexion sur la manière dont les récits apocalyptiques peuvent produire des prophéties autoréalisatrices. La vision d’un monde en ruine peut engendrer du désespoir, voire alimenter des pulsions destructrices, plutôt que stimuler des désirs de réconciliation. Il est essentiel de discerner entre l’imaginaire de la fin et celui du recommencement. L’espérance chrétienne n’est pas l’attente d’un effondrement, mais l’annonce obstinée d’une transformation. De plus, il faut reconsidérer le rôle du langage liturgique : il ne s’agit pas de réciter, mais d’activer. La parole sacrée, comme le pensait Luther, est performative — elle fait advenir une réalité nouvelle. Enfin, pour que cette espérance devienne praxis, elle doit s’accompagner d’un renouvellement de l’imaginaire collectif, capable d’articuler ciel et terre, symbolique et politique, transcendance et justice.
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