L'ère Trump a marqué un tournant dans la politique américaine, particulièrement en ce qui concerne l'impact sur le monde du travail. Le président Trump, en utilisant son pouvoir exécutif, a mené une série de politiques qui ont non seulement affecté l'économie, mais aussi renforcé des pratiques autoritaires dans les milieux de travail. Ses actions ont exacerbé les tensions sociales et économiques, notamment en matière de droits des travailleurs et de régulations en faveur des grandes entreprises.

La guerre commerciale lancée par Trump contre la Chine a eu des effets désastreux, augmentant les prix des biens de consommation, poussant des milliers d'agriculteurs à la faillite et, au final, creusant le déficit commercial des États-Unis à son plus haut niveau depuis quatorze ans (Wiseman 2020). Toutefois, ces conséquences économiques n'étaient qu'une partie de l'histoire. Lorsque Trump a utilisé son pouvoir exécutif, c'était avant tout pour promouvoir des politiques anti-travailleurs, favorisant ses donateurs républicains et des intérêts spéciaux. Au sein du National Labor Relations Board, il a appliqué la tradition républicaine en nommant des membres pro-entreprises qui ont renversé des décennies de précédents juridiques, rendant plus difficile l'organisation des travailleurs et offrant aux employeurs une plus grande latitude pour répondre aux efforts syndicaux (Prescod 2019).

Sous la direction de ses secrétaires au Département du Travail, Alex Acosta et Eugene Scalia, les États-Unis ont vu un renversement des règles de l'ère Obama, notamment la règle des heures supplémentaires, qui a exclu 8,2 millions de travailleurs de la possibilité de bénéficier d'un paiement d'heures supplémentaires (Hiltzik 2019). Trump avait promis de créer des emplois bien rémunérés pour les travailleurs, mais son agenda de déréglementation a, en réalité, donné encore plus de pouvoir aux employeurs pour exploiter et maltraiter leurs employés. En outre, son administration a travaillé activement à abroger des protections contre la discrimination, notamment en permettant aux entrepreneurs publics de discriminer les employés LGBTQ+ (Kullgren 2019) et en soutenant des cas devant la Cour Suprême où des institutions religieuses cherchaient à être exemptées des lois locales et nationales anti-discrimination.

La pandémie de COVID-19 a aggravé la situation des travailleurs. Non seulement l'administration Trump a utilisé la Loi sur la production de défense pour protéger les usines de transformation de viande de la responsabilité en cas de conditions de travail dangereuses (Faulders 2020), mais elle a également soutenu les efforts des républicains au Congrès pour inclure des exonérations de responsabilité pour les employeurs dans les projets de loi de secours. Des reportages ont révélé que le Département du Travail avait travaillé en étroite collaboration avec la direction des usines de transformation pour dissimuler les taux d'infection par le COVID-19 et éliminer la responsabilité des employeurs en cas de négligence, ce qui a entraîné la mort de plusieurs travailleurs.

Sous la présidence de Trump, les États-Unis ont perdu un total net de 740 000 emplois dans l'industrie manufacturière et ont continué de voir une diminution des emplois syndicaux (Bureau of Labor Statistics 2020). La guerre commerciale avec la Chine a exacerbé cette tendance, les entreprises déplaçant leurs chaînes d'approvisionnement vers le sud-est asiatique plutôt que de rapatrier la production. L'accord USMCA, remplaçant l'ALENA, a également contribué à l'externalisation des emplois vers le Mexique (Scott 2020), un exemple emblématique étant l'usine Carrier en Indiana. En 2020, de nombreux travailleurs ayant voté pour Trump ont exprimé leur sentiment de trahison en constatant que leurs conditions économiques ne s'étaient pas améliorées.

Parallèlement à son bilan catastrophique en matière de travail, Trump a tenté de recentrer la campagne présidentielle de 2020 autour de la loi et de l'ordre, accusant Biden de douceur face à la criminalité et avertissant que son adversaire pourrait introduire le socialisme aux États-Unis. Sur le plan politique, Biden a fait de l'emploi et de la reprise économique sa priorité, remportant les foyers syndicaux dans des États comme le Michigan et le Wisconsin (Walker 2020, NBC News 2020). La défaite de Trump en 2020 est ainsi venue souligner le fossé grandissant entre ses promesses de soutien aux travailleurs et ses réelles politiques de dérégulation.

L'expansion du pouvoir exécutif sous Trump n'a pas été un accident, mais plutôt un prolongement d'une tendance qui remonte aux administrations précédentes. Depuis le New Deal et la guerre froide, le pouvoir exécutif a considérablement augmenté pour répondre aux obligations de l'État en matière de bien-être social et de sécurité nationale (Waterman 2009). La politique de Reagan a été la première à repousser les frontières de l'État administratif en cherchant à contourner le Congrès pour promouvoir une agenda deregulatoire, en modifiant des lois de protection des droits civils et de l'environnement (Metzger 2017). Cette tendance s'est poursuivie, notamment avec la décision de la Cour suprême dans l'affaire Chevron v. NRDC en 1984, qui a renforcé le pouvoir du président en matière de réglementation (O'Connell 2008). Les périodes de blocage législatif, en particulier après les attentats du 11 septembre, ont encore élargi les prérogatives présidentielles, tandis que la paralysie du Congrès a permis à l'exécutif d'agir par décrets et décisions administratives.

Le théorème de l'exécutif unitaire, qui a trouvé un soutien dans l'administration Trump, va encore plus loin en affirmant que le président détient un pouvoir absolu sur l'exécutif, et que les agences indépendantes sont anticonstitutionnelles. Ce concept affirme que le président est la seule autorité dans la branche exécutive, un principe auquel ont adhéré de nombreux membres du gouvernement de Trump, dont le procureur général William Barr, qui a écrit qu'il est « constitutionnellement erroné de concevoir le président comme simplement le plus haut fonctionnaire de la hiérarchie de l'exécutif » (Barr, cité dans Kinkopf 2019). Ainsi, l'autoritarisme au travail, qui a pris racine dans la sphère privée, a désormais pénétré l'État.

La Crise de la Démocratie Américaine : L'Alliance des Blancs et le Trumpisme

L’alliance qui s’est tissée entre certains blancs sans formation universitaire et les promoteurs ultra-riches des idéologies d’extrême droite est au cœur de la transformation politique que nous avons observée aux États-Unis ces dernières années. Cette coalition, animée par un ressentiment commun envers la bourgeoisie bleue et la montée en puissance des personnes de couleur dans les domaines économiques et politiques, a permis à Donald Trump de subvertir les valeurs fondamentales de la démocratie et du libéralisme humanitaire, des principes qui ont longtemps fait partie du patrimoine politique américain. Ces idéaux, bien que souvent entachés d'injustices passées, ont été délibérément évincés par Trump, qui a non seulement contourné les valeurs libérales, mais les a activement corrompues au sein de sa base politique.

Cette corruption des valeurs démocratiques ne s'est pas simplement manifestée par une tolérance passive ; elle a été embrassée avec enthousiasme par une large partie du Parti républicain et par la frange la plus radicale de ses partisans. L'alliance raciste et sexiste qui lie aujourd’hui les blancs économiquement désavantagés aux blancs très riches sert d'écran de fumée, détournant l'attention des véritables effets du trumpisme : l'instauration flagrante d’une plutocratie où les intérêts des plus riches dominent, non seulement au détriment des pauvres et des non-blancs, mais aussi des travailleurs blancs. Cette dynamique ne concerne pas uniquement une crise des valeurs libérales, mais aussi une crise profonde du racisme, du sexisme et des inégalités sociales qui se sont exacerbées sous l’effet de ce modèle politique.

L’impact du trumpisme, loin d’être limité à des différences idéologiques classiques, a trouvé son socle dans des théories du complot d’extrême droite qui vont bien au-delà des traditionnelles opinions conservatrices. Cette radicalisation idéologique a donné naissance à une série de récits contre-factuels, qui ont trouvé un écho auprès d’une large part de la population, transformant des préoccupations économiques et sociales légitimes en instruments de division sociale et politique. Le résultat est une amplification des fractures sociales existantes, une polarisation qui se nourrit d'un discours victimaire et d’une vision de plus en plus déformée de la réalité politique.

Il est fondamental de comprendre que cette polarisation n'est pas simplement le produit d'une réaction passagère à des élections perdues ou à des changements démographiques, mais bien le symptôme d'une crise plus large et plus profonde. Le trumpisme s’inscrit dans un contexte où les inégalités économiques se sont amplifiées, avec une concentration toujours plus grande de la richesse entre les mains d’une minorité d’élites économiques, tandis que les conditions de vie des classes populaires se détériorent. Les politiques menées par Trump ont exacerbé ces inégalités, mais elles ont aussi créé une illusion de solidarité entre des groupes sociaux disparates, comme si une alliance entre les pauvres blancs et les riches ultra-libéraux pouvait redresser une économie qui, en réalité, les défavorise tous deux à des degrés différents.

Un autre élément à ne pas négliger dans cette analyse est la manière dont Trump a manipulé les symboles et les discours politiques. En exacerbant les peurs liées à l'immigration, au féminisme ou encore aux droits des minorités, il a réussi à polariser l'opinion publique et à détourner les enjeux socio-économiques fondamentaux. Il a redéfini les frontières de ce qui est acceptable dans le discours politique, légitimant des positions racistes, sexistes et xénophobes, qui auparavant étaient marginales, voire réprouvées.

Ce phénomène n’est pas une simple question de stratégies politiques, mais bien une transformation profonde des valeurs sociales et des croyances collectives. Le trumpisme a créé un environnement où la vérité elle-même devient malléable, et où les faits sont souvent relégués au second plan par la puissance d’un récit émotionnel et identitaire. Cela a conduit à un rejet des institutions démocratiques classiques, tout en créant un vide de légitimité dans lequel des théories du complot trouvent un terrain fertile.

Enfin, comprendre cette dynamique est essentiel si nous voulons amorcer un véritable changement. Cela nécessite une prise de conscience collective et une action politique consciente, visant non seulement à redresser les injustices économiques, mais aussi à déconstruire les récits faussement réconfortants qui alimentent la polarisation. Pour ce faire, il ne suffit pas d’analyser la situation à travers le prisme des valeurs libérales classiques, mais aussi de prendre en compte les réalités sociales, économiques et historiques qui ont conduit à cette rupture. La reconstruction d’une société plus juste et plus inclusive passe par une révision en profondeur des structures de pouvoir qui ont permis l’émergence de ces forces politiques déstabilisatrices.

Pourquoi appeler Donald Trump "corrompu" n'est pas seulement une erreur, mais un piège

Donald Trump, figure centrale de la politique contemporaine, incarne une forme de corruption que beaucoup, tant aux États-Unis qu'à l'international, s'accordent à qualifier de dévastatrice pour les principes démocratiques. Pourtant, qualifier ses actions de « corrompues » pourrait bien être un piège, renforçant sa position et l'influence qu'il exerce sur ses partisans. Cette approche simpliste d’une accusation de corruption ne fait que jouer en sa faveur et renforce, de manière paradoxale, son pouvoir. Ce n'est pas tant le concept de corruption qui est problématique en soi, mais la façon dont il fonctionne comme une représentation de la transgression qui finit par abolir toute notion de transgression.

L’énonciation de « corruption » suppose une violation des principes qui sous-tendent l’ordre moral d’une société, la sacralisation des valeurs. Mais ce que Trump réussit à faire, c’est de remettre en question cette sacralité même, en multipliant les actions qui devraient normalement scandaliser, mais qui, à force de répétition, perdent toute capacité de choquer. Trump ne se contente pas de transgresser les règles ; il les manipule, les déconstruit, jusqu’à ce qu’elles n'aient plus aucun pouvoir sur lui. À force d’accumuler des actes d’« irrévérence » et de sacrilege, il en arrive à ce que la notion même de transgression perde tout sens. Lorsqu’il serre le drapeau américain sur scène, il n’en fait pas un simple geste de défiance ; il le transforme en un symbole d’irrévérence revendiquée, un geste qui s’amuse des règles établies.

Ainsi, Trump ne commet pas des actes de corruption au sens classique du terme, mais il redéfinit la corruption comme un moyen de redistribuer la valeur à ceux qui sont habituellement exclus de ces sphères. En ce sens, il occupe un rôle paradoxal : celui d’un canal entre des mondes séparés, celui des élites et celui des "dépossédés". Le fait d’accuser Trump de corruption, dans ce contexte, reviendrait à valider cette position de médiateur, de pont entre des univers opposés. Cette accusation, qui semble dénoncer un mal, finit par renforcer son pouvoir et par justifier la perception qu’il est l’antidote à un monde « corrompu ».

Le danger réside dans l'effet de répétition de cette accusation. Le concept même de corruption est saturé, il devient une sorte de mantra qui sert à valider la version du monde que Trump propose, celle où les élites sont corrompues et lui, dans son « statut » d'outsider, se pose en sauveur. En d’autres termes, accuser Trump de corruption c’est, en quelque sorte, participer à son récit : celui où la corruption qu'il incarne devient la solution à une corruption qu’il met en lumière. Ce qui semblait être un acte de résistance morale devient un soutien indirect à la mythologie qu’il construit autour de sa propre figure.

L’accusation de corruption oublie souvent un détail fondamental : ce n'est pas la seule transgression qui est en jeu, mais la manière dont elle est intégrée dans un système de valeurs radicalement différent de celui que nous, dans notre cadre normatif, entretenons. Trump ne fait pas qu’enfreindre des règles ; il joue sur la fluidité et la perméabilité des frontières sociales et morales. Là où d’autres se sentiraient limités par la norme, lui n’en fait pas qu’un acte de défi, il le transforme en un moyen de reconstruire un nouvel ordre, un ordre qui n’est plus fondé sur la sacralisation des symboles mais sur une transgression sans fin, sans limite, qui annihile l’idée même de sacré.

Ce n’est pas tant son comportement qui doit être mis en question, mais l’interprétation que nous en faisons. Lorsque l’on parle de corruption, il est important de se rendre compte que cette notion implique une hiérarchisation des valeurs et une sanctification de l’ordre moral que Trump détruit systématiquement. Son « désordre » peut être vu comme une forme de réinvention, une déconstruction de la réalité ordinaire qui, bien que choquante, fait écho à un processus plus large de déstabilisation du champ politique. En d’autres termes, Trump transforme la corruption en une méthode de réévaluation des valeurs sociales et politiques.

Cela dit, il serait plus productif de concentrer les critiques sur ses actes spécifiques et leurs conséquences réelles, plutôt que de les englober dans une accusation globale de corruption. En insistant sur l’illégalité de ses actions, telles que la fraude, l’obstruction ou l’évasion fiscale, on se donne la possibilité de structurer une critique qui pourrait s’inscrire dans une démarche légale et opérationnelle. Cette approche permettrait non seulement de mieux cibler ses malversations, mais aussi d’éviter de renforcer les perceptions idéologiques qui contribuent à son image d’outsider courageux face à un système corrompu.

Une meilleure stratégie consisterait ainsi à exposer la nature de ses actes, à les analyser pour ce qu’ils sont — des violations tangibles des lois et des normes — plutôt que de les amalgamer sous le terme flou de corruption. Ce terme trop large et mal défini ne sert qu’à alimenter l’image d’un Trump qui, dans sa capacité à manipuler les symboles de la corruption, devient à son tour un symbole. En renonçant à ce terme et en favorisant des accusations plus précises, nous pourrions mieux dissiper le mystère qui l’entoure et affaiblir la force de son discours.

Quelles figures féminines sont perçues comme transgressives dans le discours politique de l'ère Trump ?

Le slogan "Lock her up!" est né lors de la Convention nationale républicaine de 2016 à Cleveland, Ohio, sous l'impulsion du général à la retraite Michael Flynn, qui deviendra brièvement le conseiller à la sécurité nationale de Trump avant de démissionner. Ce cri de guerre visait Hillary Clinton, candidate démocrate à la présidence, et faisait référence à son utilisation d'un serveur privé pour gérer des communications classifiées lorsqu'elle était secrétaire d'État. Cette phrase succincte, composée de trois mots, est devenue un symbole du plaisir collectif et agressif de réclamer publiquement la punition de figures politiques féminines. Le chant a rapidement traversé les frontières de cet événement et a persisté tout au long de la présidence de Trump, faisant un retour dans chaque grand meeting, où il devenait un point de focus indigné, toujours centré sur Clinton. Ce cri, à l'origine dirigé contre une seule femme, s'est transformé au fil du temps en un appel à punir d'autres femmes publiques. Des personnalités telles que Dianne Feinstein, Christine Blasey Ford, Ilhan Omar, Rashida Tlaib, Nancy Pelosi et Gretchen Whitmer sont devenues des cibles pour ce cri de ralliement.

Le slogan a évolué pour devenir une formule flexible, s'adaptant à différentes figures politiques féminines que le discours de Trump identifiait comme des violatrices de normes de respectabilité. Curieusement, aucun slogan équivalent n'a émergé pour les figures politiques masculines. Ainsi, le chant "Lock her up!" incarne une volonté virulente de disciplinariser les femmes publiques qui refusent de rester silencieuses, soumises ou invisibles.

Cette expression révèle ce que l’on pourrait appeler un sexisme tenace. Le concept de "sticky sexism" (sexisme collant), proposé par la philosophe féministe Sara Ahmed, est éclairant pour comprendre ce phénomène. Ahmed soutient que la politique de l'imaginaire national consiste à associer des sentiments particuliers à certaines personnes ou objets, tout en les faisant "glisser" sur d'autres. Dans ce cadre, certaines figures politiques – notamment les femmes, les personnes noires ou brunes, très visibles – deviennent les réceptacles de sentiments négatifs comme la rage, le dégoût ou la haine. Ces émotions sont alors liées à ces individus, renforçant l’idée qu’ils ne font pas partie du groupe des citoyens légitimes. Ce processus de délégitimation joue un rôle central dans la construction de l'identité d’un groupe politique, tout en excluant ceux qui sont perçus comme des menaces à l’ordre établi.

L'usage du chant "Lock her up!" reflète cette dynamique. La phrase, qui a d'abord été lancée contre Hillary Clinton, est devenue un outil permettant d'exacerber une forme de colère collective contre des femmes politiques qui incarnent, aux yeux de leurs détracteurs, une forme de transgression. Le sexisme véhiculé par ce cri n'est pas seulement une attaque contre les femmes en général, mais contre des femmes spécifiques qui défient un ordre patriarcal perçu comme naturel et légitime. Ces figures ne sont pas simplement des femmes; elles sont des représentations d’une certaine forme de pouvoir féminin qu'il faut détruire pour maintenir la domination masculine.

Le phénomène du sexisme "collant" trouve sa racine dans une vision politique du monde qui, par sa rhétorique, construit des catégories binaires : d'un côté, ceux qui appartiennent au groupe des "bons citoyens" et de l'autre, ceux qui sont perçus comme des transgresseurs, souvent des femmes, ou des personnes non blanches. Cette dynamique d'exclusion est au cœur des discours qui cherchent à délégitimer des figures politiques féminines.

Trump lui-même incarne un style de masculinité qui renoue avec une forme de machisme vulgaire et spectaculaire, alimenté par son attitude vis-à-vis des femmes, qu’il qualifie souvent d’objets. Sa réputation, renforcée par ses déboires sexuels et ses propos misogynes, trouve écho chez un électorat en quête de figures autoritaires, capables de remettre en question un certain ordre social perçu comme trop progressiste ou trop féministe. En ce sens, Trump personnifie ce qu'avait anticipé Richard Rorty : un retour à une masculinité arrogante, mais aussi une forme de régression politique où le mépris pour les femmes, notamment celles qui occupent des positions de pouvoir, est à la fois admis et cultivé.

Cependant, cette figure de masculinité virile et dominatrice est paradoxale. En dépit de ses attaques répétées contre les femmes, Trump repose aussi sur un cercle de femmes influentes qui participent activement à son image. Il y a là une contradiction apparente : d'un côté, une virilité machiste et dégradante, de l'autre, une utilisation pragmatique de femmes pour consolider son pouvoir. Le rôle de figures telles que Melania Trump, Ivanka Trump, Kellyanne Conway ou Hope Hicks dans l'administration Trump complexifie la perception de son sexisme. Ces femmes, tout en étant présentes dans son équipe, ne sont pas seulement des figures de décoration; elles incarnent une forme de féminité qui s’aligne avec la vision trumpiste de l'ordre social.

Néanmoins, au-delà de ces contradictions, ce qu’il est important de saisir, c'est la dimension profondément misogyne de cette politique. Comme le souligne Kate Manne, la misogynie n’est pas seulement une hostilité générale à l’égard des femmes. Elle s’exprime plus spécifiquement à travers une volonté de punir certaines femmes qui ne respectent pas les normes sexistes, de les humilier publiquement, de les marginaliser. Dans ce contexte, le sexisme et la misogynie ne sont pas des idéologies séparées, mais des forces complémentaires, chacune jouant un rôle crucial dans l’affirmation d’un ordre patriarcal.

Ainsi, la longue survie du cri "Lock her up!" au sein du discours politique américain, au-delà de l’élection de Trump, révèle une dynamique sociale et politique où certaines femmes sont perçues comme des menaces à l'ordre patriarcal traditionnel, un ordre qu’il s’agit de préserver à tout prix. Ce phénomène de "sexisme collant" n’est pas seulement une régression ; il est le reflet d’un débat plus large sur la place des femmes dans la société américaine et sur leur droit à l’autonomie et à la visibilité. Ce cri, devenu symbole, est une illustration d’un désir de réaffirmer un pouvoir masculin qui ne tolère aucune contestation.

Comment les utilisateurs de /ptg/ forment-ils une contre-publicité ?

Les utilisateurs du forum /ptg/ sur 4chan ne se contentent pas de cultiver un espace de "political incorrectness" axé sur Trump et son administration, ils ont également pour mission de protéger cet espace contre les médias dits "mainstream". Leur but est de créer un environnement où le discours pro-Trump puisse prospérer sans interruption ni censure, tout en se défendant contre les forces extérieures qui menacent cette dynamique. Dans cette logique, les « boulangers de pain » (bread bakers), qui jouent un rôle clé sur ce fil de discussion, sont chargés de maintenir cette résistance, de garantir la cohésion de la communauté et de guider les conversations en suivant une ligne éditoriale spécifique.

Le rôle du boulanger de pain sur /ptg/ va au-delà de la simple gestion du fil. Il s'agit de créer un espace où les discussions peuvent se concentrer sur les enjeux liés à Trump, tout en étant un rempart contre l'influence de ceux qu'ils considèrent comme des éléments perturbateurs — principalement la presse grand public qui critique ou dénigre leur idole. Ainsi, ces boulangers participent activement à une forme de contre-public, un espace alternatif où l'idéologie conservatrice et trumpiste peut s'épanouir sans les entraves de la bienséance politique ou des critiques médiatiques.

Pour comprendre l'ampleur de cet engagement, il est nécessaire de s'intéresser à l’aspect plus obscur de cette participation, notamment au phénomène des « dark participations ». Dans le contexte de /ptg/, cette forme de participation politique se manifeste par une stratégie de perturbation : il s'agit de créer de la confusion dans les discussions, de semer le doute et de retourner les arguments de l’opposition contre elle. Ce phénomène est alimenté par une culture du troll et de la désinformation qui trouve son écho dans les actions de certains acteurs politiques, notamment ceux associés aux soi-disant « usines à trolls » russes, qui ont infiltré les plateformes médiatiques américaines. La finalité de cette participation est de déranger, de contester, et parfois même de détruire les narratifs dominants.

Dans cet espace de résistance, une grande partie des utilisateurs de /ptg/ s’engagent activement dans des comportements qui sont perçus comme « mauvais » ou « néfastes » par le grand public. Les discussions se nourrissent d’une forme de violence verbale, de racisme et de xénophobie, des idéologies que ces utilisateurs semblent revendiquer fièrement. Cela les amène à incarner une forme de "mal authentique", selon l’analyse de Quandt, qui décrit ces performances comme une manière de réaffirmer leur position contre une société qu’ils considèrent comme décadente ou corrompue.

En parallèle, une autre faction sur /ptg/ cherche à re-contextualiser cette contre-publicité en une forme plus éclairée. Ces acteurs, souvent stratégiques, cherchent à réécrire l’histoire de ce fil comme un bastion de résistance contre la narrative dominante des médias. Pour eux, il s’agit de légitimer leur espace en dehors des accusations de « mal » et d’ouvrir un espace où les discours échappent à la censure imposée par les canaux médiatiques traditionnels. Ils utilisent des tactiques discursives sophistiquées pour créer une version alternative des événements et des politiques de Trump, qu'ils considèrent comme plus proches de la vérité.

En outre, une troisième catégorie d’utilisateurs, qualifiée de "tactiques", joue un rôle essentiel dans le maintien de la cohésion de la communauté. Ces utilisateurs interviennent lorsque la communauté se sent attaquée, défendant ainsi son existence et sa légitimité tout en justifiant les comportements parfois violents ou provocateurs des membres. L’unité de cette contre-publicité se trouve renforcée par des actes de solidarité numérique qui s’expriment sous forme de réponses communes et de soutien dans des moments où l’espace semble être menacé.

Il est crucial de comprendre que cette dynamique ne se limite pas à une simple expression de résistance politique, mais à la formation d’une communauté numérique soudée par un discours de contestation, de dénigrement des normes établies et d’affirmation de ses propres valeurs. La violence, le racisme et l'exclusion ne sont pas seulement des conséquences du discours, mais des éléments constitutifs de cette communauté en ligne. Ce processus est facilité par la manière dont les utilisateurs communiquent et interagissent les uns avec les autres : ils appliquent des normes strictes de compétence linguistique et comportementale, ridiculisant ceux qui ne partagent pas leur vision du monde ou qui se montrent trop "sympathiques" envers les autres.

Dans cette optique, la culture de la « greentext » et des formats narratifs spécifiques, comme les >b-but Trump hasn’t done anything ! et TRUMP 4EVA, devient un outil central dans la consolidation de ce groupe et la propagation de ses idéologies. Chaque message, chaque lien, chaque vidéo devient une brique dans la construction de ce monde alternatif. L’ironie et le sarcasme deviennent des instruments puissants pour diffuser des idées qui, dans d’autres contextes, seraient considérées comme extrêmes ou inacceptables.

Enfin, cette dynamique de contre-publicité trouve un écho dans les comportements plus larges de la communauté de 4chan. La persistance des utilisateurs à s’opposer aux narratives médiatiques et à se défendre contre les attaques extérieures contribue à forger un espace où l’on peut exprimer librement des opinions radicales sans craindre la censure. C’est une forme de résistance contre ce qu’ils considèrent comme une société et un gouvernement corrompus, mais aussi une manière de réécrire les règles du jeu en ligne.