L'émergence de Donald Trump sur la scène publique a été en grande partie façonnée par sa présence médiatique, mais aussi par un système de népotisme et d'élites qui a perdu son rôle de contrôle critique au fil du temps. Tout comme d'autres figures de pouvoir, Trump a navigué dans un monde médiatique qui, au lieu de servir de contrepoids aux dérives du pouvoir, est devenu un terrain de jeu pour ses stratégies personnelles. Dès ses premières apparitions dans les tabloïds et les émissions à sensation, il a exploité ces médias pour se construire une image de self-made man, bien qu'en réalité, son ascension ait été largement facilitée par l'héritage familial.

Trump n'a jamais été un "homme ordinaire", et pourtant l'image qu'il a projetée était justement celle d'un personnage que l'on pouvait facilement mépriser ou prendre pour une farce. Dans les années 80 et 90, il a incarné l'archétype de l'homme d'affaires arrogant et déconnecté, dont les échecs financiers et les scandales personnels faisaient la une des journaux. Pourtant, ces scandales, loin de le marginaliser, ont en réalité nourri son image et amplifié sa présence médiatique. L'indignation suscitée par son divorce, ses échecs économiques et ses comportements douteux a attiré l'attention des journalistes, mais également des spectateurs et des lecteurs avides de sensations fortes. À ce moment-là, la couverture médiatique de Trump ne se contentait pas de relater ses malheurs financiers ou ses déboires personnels ; elle était devenue une forme de divertissement. C’était, comme l’a décrit Edwin Diamond dans un article de 1990, une "information rentable", où le scandale et le sensationnalisme étaient les principales valeurs ajoutées. Les faits n’étaient pas nécessairement vérifiés, mais l’important était que Trump, comme une star de la télé-réalité, soit toujours présent dans les médias.

Ce phénomène a pris une ampleur considérable dans les années qui ont suivi, lorsque la structure des médias a évolué vers une production d’information 24 heures sur 24, dans un cycle frénétique où la vérification des faits est devenue secondaire face aux exigences commerciales et au besoin de remplir des espaces d’antenne. Dans cet environnement, Trump, qui avait bien compris le système, a su manipuler les médias à son avantage. Loin de subir cette médiatisation, il l'a exploitée pour renforcer son image d'homme d'affaires conquérant et même de candidat politique "non conventionnel".

Cependant, ce qui est crucial à comprendre, c’est la façon dont cette médiatisation a effacé, ou du moins occulté, certains aspects cruciaux de sa personnalité et de son passé. Les accusations de violence conjugale et d'abus sexuels, par exemple, ont été largement minimisées, voire ignorées, par de nombreux grands médias, malgré les témoignages et les rapports accablants. Cette situation illustre la manière dont les dynasties familiales, souvent discrètes mais puissantes, influencent la couverture médiatique, en particulier lorsque des figures influentes ont des liens personnels avec des journalistes ou des publications. Ainsi, il n’est pas seulement question d’un homme d’affaires qui manipule les médias pour sa propre gloire ; il s'agit également d'un système où des élites, parfois inconscientes de la corruption blanche-colle, participent à un jeu qui repose sur des intérêts croisés.

L'impact de cette médiatisation sur la perception du public est encore plus flagrant lorsqu'on considère l'ampleur de l'aveuglement collectif à l'égard des comportements de Trump. L'omniprésence des tabloïds et des émissions de divertissement a contribué à redéfinir la notion d'information et à réduire les attentes vis-à-vis des journalistes. Le journalisme d’investigation, qui pourrait exiger une analyse plus profonde et une vérification rigoureuse des faits, a été remplacé par une logique commerciale où l’accès facile à des informations superficielles suffisait. Ce glissement a fait de Trump une figure largement incontrôlable, capable d'échapper à des décennies de révélations sans que cela n'entame de manière significative sa popularité.

Un autre aspect important réside dans la relation entre Trump et ses médias : un jeu complexe d'exploitation et de manipulation. Trump n'a pas seulement été une victime des médias ; il en a été un acteur clé, capable de diriger l'attention où bon lui semblait. En utilisant les faiblesses du système médiatique, il a su se positionner en dehors des règles habituelles de la politique et des affaires. Au lieu de répondre aux critiques par des excuses ou des réparations, il a opté pour une stratégie de confrontation, repoussant sans cesse les limites de ce qui est acceptable dans le discours public.

Ce contexte est d’autant plus préoccupant lorsqu’on analyse les dynamiques du pouvoir médiatique aujourd'hui. Les lignes entre information et divertissement sont désormais floues, et il est de plus en plus difficile pour le public de discerner la vérité d’un simple show médiatique. Cette évolution a un impact direct sur la manière dont les événements politiques et économiques sont rapportés et perçus par les citoyens. Dans ce monde, l'information, souvent réduite à une question de spectacle, ne cherche plus à édifier ou à informer, mais à captiver, tout en nourrissant des narratives déjà établies.

Qui sont ces élites transnationales qui s’approprient les nations et démantèlent la démocratie ?

Dans l’ombre des États et des institutions, une élite criminelle sans frontières a lentement tissé ses réseaux pendant des décennies. Venue de Russie, d’Arabie Saoudite, d’Israël, du Royaume-Uni, des États-Unis et d’ailleurs, elle ne jure fidélité ni à un pays ni à un drapeau. Sa seule allégeance est celle de l’argent et du pouvoir. Les membres de cette nébuleuse, passés du détournement d’entreprises à l’appropriation des nations, n’ont pas d’idéologie commune. Certains sont motivés par l’appât du gain, d’autres par des ambitions territoriales, des croyances apocalyptiques, ou des fanatismes raciaux et religieux. Mais tous ont en partage le projet de vider les démocraties de leur substance pour les vendre en pièces détachées.

Ce réseau n’est ni monolithique ni totalisant, mais il imprègne les institutions censées l’arrêter. Ses ramifications s’étendent vers les extrêmes droites républicaines, les mouvements religieux apocalyptiques, les entreprises de réseaux sociaux, des groupes de pression tels que la National Rifle Association et même certains pans des médias traditionnels. Il ne s’agit pas d’une conspiration omnipotente, mais d’une convergence d’intérêts qui, sur plusieurs décennies, a uni des forces disparates dans la destruction méthodique de la démocratie.

L’État n’est plus un rempart, il devient un instrument. Dans certains pays, comme la Russie, cette fusion entre mafia et pouvoir politique est explicite ; ailleurs, elle est diffuse mais tout aussi corrosive. Les conséquences se lisent dans l’ascension des démagogues nationalistes blancs à travers l’Occident et l’explosion des crimes de haine qui suit leurs victoires électorales. Le phénomène était prévisible et annoncé par ceux qu’on refusait d’entendre — universitaires spécialistes des régimes autoritaires, militants marginalisés, minorités déjà confrontées à l’autocratie légale et quotidienne. La catégorie des “personnes qui n’ont rien vu venir” désignait en réalité tous ceux qu’on refusait de considérer comme des voix légitimes.

Le moment présent diffère des autocraties passées. Sa nature transnationale, son recours aux acteurs non étatiques capables de franchir les frontières par le biais des technologies numériques, lui donnent une ampleur inédite. Le cas Assange illustre cette porosité : il n’est pas un État, mais il bouleverse les États. Le changement climatique ajoute un élément supplémentaire à cette mutation. Loin d’être de véritables climatosceptiques, ces prédateurs globaux incarnent ce que Naomi Klein nomme le “capitalisme du désastre” : ils voient dans l’effondrement planétaire une opportunité de profit et de préservation de leurs privilèges.

Le refus persistant de sanctionner la criminalité des élites a transformé une démocratie imparfaite en autocratie naissante. L’élection du premier président ouvertement antiaméricain ne fut ni un accident électoral ni le triomphe d’un fou charismatique. Elle fut l’œuvre d’une coterie de criminels organisés, sûrs de leur impunité, trouvant même dans le scandale une source d’exaltation. Leur victoire ultime n’est pas seulement d’accéder au pouvoir : c’est de réécrire la loi pour se l’approprier.

Ce processus, amorcé bien avant 2016, a été nourri par le silence et l’incrédulité des élites politiques et médiatiques. Ceux qui voyaient venir le danger étaient étiquetés alarmistes ; ceux qui avaient vécu dans leur chair l’autoritarisme n’étaient pas crus. La prévisibilité de l’autocratie est pourtant constante : elle suit des schémas identifiables, elle reproduit des rites de domination. Comprendre cela n’est pas un exercice académique, mais une urgence politique et morale.

Il est essentiel que chaque citoyen conserve une trace de ce qu’il est, de ce qu’il croit et des limites qu’il se fixe. Car les crises déplacent les repères et transforment les interdits en habitudes. Écrire ses valeurs, ses rêves, son histoire familiale et les épreuves traversées, c’est préserver un ancrage face à la tempête. C’est aussi refuser d’oublier, dans l’année qui vient, ce qu’on s’était juré de ne jamais croire ni faire. Dans un monde où les institutions reculent, où les normes s’effondrent et où les autocrates s’érigent en kleptocrates moraux, cette lucidité personnelle est une des dernières formes de résistance.

La menace actuelle n’est pas seulement un problème américain : c’est un modèle exportable, un mécanisme adaptable. Comme d’autres peuples ont renversé des tyrans ou aboli l’apartheid, il est possible de résister à cette mutation. Mais cela exige de reconnaître la nature transnationale du danger, d’admettre que le numérique et la mondialisation ne sont pas neutres, et de comprendre que l’impunité des puissants nourrit leur pouvoir jusqu’à ce qu’ils puissent remodeler la loi. Ce n’est qu’à partir de ce diagnostic que la démocratie pourra retrouver un souffle.

Comment résister à l’érosion intérieure face à l’autoritarisme naissant ?

J’étudie les États autoritaires depuis plus d’une décennie, et je ne céderai jamais à l’exagération. Pourtant, l’alerte que je lance aujourd’hui ne relève pas d’un simple désaccord politique ni du rejet d’un président élu impopulaire : elle concerne l’arrivée d’un dirigeant dont l’objectif déclaré est de détruire la nation elle-même. Ce constat, je ne l’adresse pas à ses opposants, mais à ses partisans, car eux aussi subiront les conséquences de ce projet.

L’homme qui incarne cette menace n’a jamais caché sa vision. Dès 2014, bien avant sa candidature, il défendait déjà la Russie à la télévision américaine et exposait sa conception d’un pays réduit au chaos économique et social pour redevenir “grand”. Cette logique, qu’il a appliquée à ses propres affaires en tirant profit des désastres financiers, n’est pas un accident. C’est un programme. À travers ses déclarations – de son cynisme assumé sur la violence et l’impunité à son mépris des femmes – se dessine un personnage qui se vante de pouvoir tout faire parce qu’il est “une star”. Il a raison sur un point : personne ne l’a tenu pour responsable. Il incarne ce qu’il prétend dénoncer : un milliardaire élitiste qui exploite un système truqué à son avantage et qui jouit d’humilier ceux qui ont moins de pouvoir.

Mais l’autoritarisme n’est pas seulement l’accumulation de lois liberticides ni la manipulation institutionnelle : c’est un processus plus intime. Il s’insinue dans les consciences, fabrique la peur et transforme cette peur en cruauté. Il pousse à se conformer, à tolérer l’intolérable, à accomplir l’impensable, jusqu’à faire taire cette voix intérieure qui murmure que quelque chose est profondément faux. Cette voix est la conscience, la morale, l’individualité ; nul ne peut vous la retirer sans votre consentement. On peut vous enlever votre maison, votre travail, votre parole, vos déplacements ; mais pas votre être. Cette inviolabilité est votre ultime pouvoir, à condition de la connaître et de la cultiver avant qu’il ne soit trop tard.

Pour préserver ce pouvoir, il faut s’ancrer dans ses valeurs, écrire qui l’on est, relire ces mots quand on se retrouve entraîné à agir contre soi-même. Si, dans un futur proche, vous vous surprenez à accepter l’inacceptable, comparez-vous à cette version antérieure de vous-même. Si elle ne l’aurait pas fait, ne le faites pas. L’identité morale se construit par ces refus silencieux.

Le glissement actuel des États-Unis vers l’autoritarisme n’est pas achevé. Les protections disparaissent, la liberté de parole se restreint, l’État de droit se délite. Ce processus est d’autant plus terrifiant que je sais, par mes recherches et mes voyages, combien cela peut empirer. Je n’ai pas de nostalgie du passé ; j’ai la nostalgie d’un futur qui reste encore à sauver. Cette douleur est celle d’une mère qui regarde l’horizon et imagine le monde que ses enfants hériteront. Mais le futur n’est pas figé. Il existe encore une part d’imprévisible, d’incontrôlable : l’amour, l’imagination, l’originalité. Il est possible de vivre de manière à “déjouer l’algorithme”, à prier l’inattendu.

Une des pertes les plus désorientantes de ces dernières années est notre rapport au temps. Dans une démocratie qui bascule vers l’autocratie, les journées se fondent en une succession de crises et de révélations, sans repères nets, comme les détails d’un cauchemar qui s’effacent au réveil alors que le corps reste tendu par la peur. Cette confusion affaiblit la pensée claire et la mémoire collective ; c’est l’effet recherché. Mais il existe une différence fondamentale entre prévoir l’autocratie et l’accepter. Il est nécessaire de la prévoir pour se préparer à la combattre. L’accepter, c’est déjà y consentir.

On ne sort pas indemne de l’observation quotidienne d’enfants arrachés à leurs parents et placés dans des camps, d’un chef sociopathe brandissant la menace nucléaire, d’un gouvernement agissant contre son peuple avec l’appui d’États hostiles, ni de la révélation d’atrocités longtemps tolérées sans sanction. On ne sort pas indemne du silence de ceux qui savaient. Mais on peut, malgré cela, refuser l’oubli et la résignation. On peut encore protéger les vulnérables, encourager les effrayés, se tenir debout pour les autres quand on est courageux, et choisir la bonté quand le courage manque.

Il est vital de ne jamais perdre de vue qui l’on est et ce que l’on valorise. Cette vigilance intérieure n’est pas un luxe mais un acte de résistance. C’est le socle d’où pourra naître une société plus forte que ceux qui cherchent à la briser.

Comment la corruption et la désindustrialisation ont redéfini le Midwest américain

L'histoire de St. Louis illustre profondément les transformations socio-économiques subies par plusieurs villes du Midwest américain. Initialement, cette ville a connu une période de déclin similaire à celle de nombreuses cités postindustrielles, entre les années 1980 et 1990, marquée par la désindustrialisation et la perte d'identité économique. Malgré cela, St. Louis restait une ville abordable, pleine de ressources accessibles, un endroit jugé propice à l’épanouissement familial, une oasis dans ce qu'on pourrait qualifier de désert industriel. Cette situation résonne avec l'expérience personnelle vécue à Meriden, Connecticut, une ville de taille moyenne autrefois prospère et désormais laissée à l’abandon, où la beauté émergeait des éléments les plus ordinaires de la vie quotidienne, témoignant d’une résilience culturelle face à la dégradation urbaine.

Les similitudes entre ces villes suggèrent que la division réelle aux États-Unis ne se situe pas tant entre les côtes et le centre, mais plutôt entre quelques métropoles excessivement riches et fonctionnelles, et l’ensemble des autres territoires. Cette fracture socio-économique s'est accentuée dès les années 1980, avec la montée d'une cupidité corporatiste agressive incarnée par des figures telles que Carl Icahn, qui ont méthodiquement pillé les ressources de villes comme St. Louis au profit de profits à court terme. Ce processus a accéléré le déclin du Midwest, le transformant en ce que l’on appelle désormais la « Rust Belt », symbole d’une Amérique industrielle abandonnée et méprisée par les élites côtières.

Dans cette transformation, le Midwest a perdu sa représentation culturelle dans le paysage national. Alors que dans les années 1980 et 1990, des icônes musicales et des séries télévisées portaient fièrement les couleurs de la région, les années 2000 ont vu cette représentation s’effacer presque totalement. Cette disparition culturelle va de pair avec une marginalisation économique, permettant aux politiciens d’exploiter le ressentiment des populations locales, un ressentiment nourri par le deuil d’un passé industriel prospère plutôt que par l’envie.

L’émergence des divisions politiques « rouges » et « bleues » lors de l’élection de 2000 a encore fragmenté la réalité américaine en simplifiant à outrance des identités régionales complexes. Le Missouri, souvent considéré comme un État pivot, a vu cette bipolarisation s’accentuer avec l’influence croissante de donateurs conservateurs et de l'argent occulte dans la politique. Des figures comme Rex Sinquefield ont joué un rôle central dans la dérive démocratique de l’État, contribuant à une forme de corruption institutionnalisée qui fragilise profondément les mécanismes de représentation.

Les réformes législatives dans les années 2000, notamment la suppression des limites aux contributions directes aux campagnes électorales, ont ouvert la porte à un afflux massif de fonds opaques et d'influences obscures, phénomène amplifié par l’arrêt historique Citizens United en 2010. Cette décision a transformé l’argent politique en une forme de liberté d’expression illimitée, permettant aux entreprises et aux donateurs anonymes d’exercer une influence disproportionnée sur la démocratie. Missouri s'est ainsi retrouvé à la pointe d'une crise nationale, illustrant la dangereuse collusion entre argent, pouvoir politique et dégradation des institutions démocratiques.

Il importe de comprendre que cette situation ne résulte pas seulement d’acteurs extérieurs ou de la seule dynamique économique, mais aussi d’un tissu local historique où politique, affaires et crime ont souvent été étroitement imbriqués, comme l'a montré le passé du Kansas City de Tom Pendergast. La particularité du Midwest réside dans cette double réalité, où le déclin économique s’accompagne d’une crise morale et institutionnelle profonde, façonnant une région longtemps laissée pour compte mais dont les enjeux dépassent largement les frontières locales.

Au-delà de la simple observation des faits, il est essentiel de saisir que la marginalisation du Midwest n’est pas une fatalité, mais le résultat d’un système économique et politique construit pour favoriser des centres urbains et des élites spécifiques. La résilience culturelle et humaine de ces villes appelle à une réflexion critique sur les mécanismes de pouvoir et d’injustice qui sous-tendent la configuration actuelle des États-Unis. Comprendre cette dynamique est fondamental pour appréhender les tensions politiques contemporaines, ainsi que pour imaginer des voies de renaissance économique et démocratique.