Les tensions idéologiques qui traversent les États-Unis ont profondément influencé les politiques de gestion des villes industrielles en déclin, en particulier dans le Midwest, où la population noire des centres urbains a été la plus touchée. Parmi les nombreuses formes d'interventions étatiques, la limitation de l'usage du domaine éminent, ou droit d'expropriation pour cause d’utilité publique, en est un exemple frappant. Les législatures conservatrices des États ont réussi à réduire la portée de cet outil crucial, augmentant ainsi les compensations pour les propriétaires terriens tout en restreignant la capacité des gouvernements locaux à mettre en œuvre des politiques de développement économique. Si cette restriction peut sembler anecdotique pour les villes suburbaines où la terre est souvent peu développée et détenue par quelques propriétaires, elle devient un obstacle majeur dans les zones urbaines centrales, où des milliers de parcelles et de propriétaires rendent l’expropriation quasiment indispensable à la mise en place de projets d’envergure.
Ainsi, les États ont réduit considérablement l'accès des villes à un levier de développement économique, agissant comme une barrière à la revitalisation des zones urbaines les plus déshéritées. Cette intervention étatique ne se limite pas à des restrictions sur les expropriations. L'État joue également un rôle crucial dans la répartition des financements, ce qui influence directement les priorités urbaines. En particulier, les décisions relatives à la pénalité et à la distribution des fonds sociaux révèlent une politique marquée par des discriminations raciales et économiques. Les gouvernements conservateurs ont depuis plusieurs décennies favorisé les investissements dans la répression policière, les prisons et les grands projets de développement économique, comme la construction de stades ou de casinos dans les centres-villes, tout en réduisant les fonds alloués aux services sociaux, au logement subventionné et à l'éducation. Cette dynamique a conduit à une situation où les ressources sont allouées de manière disproportionnée aux secteurs rentables, au détriment des communautés les plus vulnérables.
La situation est particulièrement visible dans les villes anciennes du Midwest, telles que Cleveland, Detroit ou Milwaukee. Là, les gouvernements des États ont choisi de financer massivement les projets de démolition, tout en négligeant de fournir des solutions de logement abordable ou des espaces verts pour les résidents évincés. Ce phénomène a donné naissance à des projets dits de "réajustement", qui cherchent à concentrer la population autour de corridors de croissance tout en construisant des espaces verts dans les quartiers dévastés. Cependant, les États ont limité les capacités des villes à mettre en œuvre ces projets de manière complète et équitable. Les subventions pour la démolition ont été généreuses, mais les financements pour la construction de logements ont été insuffisants, rendant ces initiatives de réajustement incomplètes et souvent discriminatoires.
Cette intervention inégale de l'État ne se limite pas à des choix économiques ; elle s’étend également à la pénalité. Les lois pénales américaines traitent différemment les crimes commis par les propriétaires fonciers et ceux commis par les locataires ou les citoyens pauvres. Les crimes liés à la drogue, par exemple, ont été sévèrement punis dans les années 1980, avec une concentration des efforts de répression sur les utilisateurs de drogues issues de minorités, en particulier les Noirs. Cette politique de répression a eu des conséquences dévastatrices pour les anciennes villes industrielles du Midwest, où une large partie de la population a été emprisonnée. Les prisons, principalement situées dans des zones rurales conservatrices, ont contribué à renforcer l’influence politique de ces régions tout en affaiblissant la représentation des grandes villes.
Une autre conséquence importante de cette approche pénale est l’incapacité des villes à lutter contre les infractions commises par les propriétaires fonciers. Les violations fiscales et les infractions au code de l'urbanisme sont courantes parmi les propriétaires absents, mais les municipalités manquent de ressources ou se heurtent à des interdictions légales imposées par les États pour les pénaliser. Un exemple frappant de cette situation est l'État de l'Indiana, où la ville de South Bend a été interdite par l'État de sanctionner les propriétaires pour des propriétés problématiques, tout en étant autorisée à sanctionner les locataires. De même, dans des États comme l'Ohio, l'Illinois ou la Pennsylvanie, les lois tendent à favoriser les investisseurs immobiliers tout en affaiblissant la position des locataires, ce qui aggrave encore la situation des résidents les plus vulnérables.
Dans ce contexte, il devient clair que les priorités étatiques ont contribué à aggraver l'inégalité urbaine, en concentrant les ressources publiques sur des projets profitables et en négligeant les besoins des populations les plus marginalisées. Les gouvernements conservateurs ont ainsi créé un environnement où la répression, l'emprisonnement et la gentrification ont été favorisés au détriment des politiques de développement durable, d'accès au logement et de justice sociale. Cette dynamique ne fait qu'amplifier les fractures sociales et économiques, en particulier dans les anciennes villes industrielles du Midwest, où les inégalités raciales et économiques se perpétuent sous l’effet de choix politiques profondément inégaux.
Comment les mécanismes du marché foncier affectent les villes en déclin et les stratégies de revitalisation urbaine
La gestion du marché foncier dans les villes en déclin industriel, telles que Detroit ou Cleveland, a un impact direct sur la revitalisation urbaine, la lutte contre l'abandon des propriétés et la restructuration de la ville. De nombreuses stratégies sont mises en œuvre, et ce processus est souvent marqué par une lutte entre les intérêts privés et publics, la spéculation foncière et les enjeux sociaux complexes.
L’un des phénomènes majeurs dans ces régions est l’exploitation prédatrice des biens immobiliers, où les investisseurs se concentrent sur l’achat de propriétés abandonnées ou délabrées dans des quartiers où la demande est faible. Ces actions profitent souvent de la crise économique et de l'abandon institutionnel, créant une dynamique où les propriétés perdent de leur valeur à cause de leur état de dégradation, mais sont rachetées à bas prix. Les chercheurs, tels que Akers et Seymour, appellent cela l’« exploitation instrumentale », où les propriétés ne sont plus perçues comme des ressources à investir, mais comme des objets d’extraction économique immédiate, souvent sans considération pour le bien-être des habitants ou pour la pérennité de la zone concernée.
Un aspect clé de la revitalisation est le rôle de la démolition des bâtiments abandonnés. La question de savoir si la destruction d'immeubles délabrés contribue réellement à améliorer les quartiers ou si elle n'accentue que la marginalisation et l'exode des résidents reste controversée. En Cleveland, une étude de Griswold et al. a montré que la démolition de structures abîmées peut réduire les valeurs immobilières locales et augmenter les risques de saisie hypothécaire dans les quartiers affectés. La logique sous-jacente à ces interventions est de rendre les quartiers plus attrayants pour de nouveaux investissements, mais cette stratégie rencontre souvent des obstacles lorsqu’elle est appliquée de manière isolée, sans accompagnement de politiques sociales visant à réinsérer les anciens habitants dans le tissu urbain.
Dans le cadre de la gestion de l’abandon des propriétés, la mise en place de banques foncières et de mécanismes législatifs tels que les ordonnances de registre des propriétés vacantes a été proposée comme solution. Ces initiatives permettent aux villes de reprendre la gestion des terrains abandonnés, de les assainir et de les réaffecter à de nouveaux usages, par exemple pour l'agriculture urbaine ou la construction de logements sociaux. Cependant, même ces solutions rencontrent des limites. La législation américaine impose des restrictions sur la durée de détention de propriétés publiques, ce qui limite la possibilité pour les villes de conserver des biens fonciers longtemps pour les réaffecter au besoin.
Les défis inhérents à ces démarches deviennent encore plus évidents lorsqu’on les place dans une analyse de plus grande envergure. Polanyi, dans La Grande Transformation, nous montre que l'exploitation du marché foncier ne se fait pas dans un vide; elle est influencée par des processus sociaux et économiques plus larges qui incluent l'accès inégal aux ressources, les pratiques capitalistes d'accumulation, et les ruptures dans les structures sociales traditionnelles des quartiers en déclin. L’urbanisme post-industriel, tel qu’il se manifeste à Detroit ou à Cleveland, est en quelque sorte pris dans un jeu de pouvoir où les autorités locales et les investisseurs privés cherchent à maximiser leurs profits, souvent au détriment des communautés locales les plus vulnérables.
En outre, il est crucial de souligner que la stratégie de revitalisation ne doit pas uniquement se focaliser sur la réduction des espaces vacants et la valorisation du foncier. Le processus doit aussi intégrer des actions visant à reconstruire des liens sociaux et à préserver les équilibres démographiques, qui sont eux-mêmes des éléments vitaux pour la résilience des quartiers en mutation. Les politiques publiques doivent prendre en compte les dimensions humaines et sociales de la revitalisation, afin d'éviter la gentrification, qui est souvent la conséquence directe d'une stratégie de redéveloppement trop focalisée sur l'augmentation de la valeur foncière sans se préoccuper de l’inclusion des anciens résidents.
Il est également fondamental de comprendre que, bien que des programmes comme les crédits d'impôt pour le logement à faible revenu soient censés aider à relancer certains secteurs, leur mise en œuvre peut être entravée par des acteurs du marché qui cherchent avant tout à tirer profit des faiblesses du système. Des études sur le marché immobilier de Detroit, comme celle menée par Immergluck, montrent que les investisseurs, parfois étrangers, qui achètent massivement des terrains ou des propriétés en ruine, ne créent pas nécessairement de conditions favorables à la réintégration des populations précaires dans la ville. Cela conduit à une situation où les politiques de « revitalisation » ne font que déplacer les problèmes sans résoudre les causes profondes de la pauvreté et de l'injustice sociale.
Enfin, la notion de « marché foncier fondamentaliste » soulève une question plus large sur la place du foncier dans l'économie urbaine. Le marché immobilier, dans de nombreuses villes américaines, est souvent perçu comme une ressource autonome, réagissant uniquement aux lois de l'offre et de la demande. Mais, en réalité, le marché foncier est intrinsèquement lié aux choix politiques, aux dynamiques raciales et ethniques, et à l’histoire des inégalités urbaines. Toute réflexion sur la revitalisation doit donc prendre en compte la complexité de ces facteurs et l'interdépendance des différentes stratégies utilisées pour traiter les vestiges de l’abandon urbain.

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