Donald Trump a constamment justifié son soutien à l’Arabie saoudite en mettant en avant les bénéfices économiques tirés des ventes d’armements, et en minimisant les enjeux moraux et géopolitiques. En effet, la rentabilité pour les entreprises de défense et les emplois créés par ces ventes sont des arguments qu’il a brandis pour défendre sa politique, tout en exagérant leur importance dans le cadre de l’économie américaine. Il a insisté sur le fait que l’annulation des ventes d’armements à Riyad pourrait détourner l’Arabie saoudite vers d’autres puissances comme la Russie ou la Chine, ce qui offrirait un avantage à ces rivaux géopolitiques. Cette logique de « zéro-somme » – où chaque gain des États-Unis se fait nécessairement au détriment d’un autre acteur – se retrouve tout au long de sa présidence. Ce mode de pensée pragmatique et transactionnel imprègne non seulement sa politique étrangère mais aussi sa vision de l’économie et des alliances internationales. Trump a ainsi montré une réticence à respecter les impératifs stratégiques ou éthiques s’ils entravent les gains économiques immédiats pour son pays ou ses alliés privés.

Ce calcul froid, qui place les profits d’un petit nombre de grandes entreprises au-dessus des enjeux moraux et stratégiques, peut sembler cynique mais reflète une pensée pragmatique centrée sur l’intérêt national immédiat. Ce genre de raisonnement a également guidé sa politique en matière d’accords internationaux, de l’accord nucléaire iranien à l’Accord de Paris sur le climat, en passant par sa volonté de renégocier des accords commerciaux comme l’ALENA ou le Partenariat Transpacifique (TPP). Ces positions, souvent perçues comme isolées, ne font que renforcer une vision de la politique mondiale où le rapport de force est privilégié sur la coopération multilatérale.

La vision de Trump peut être analysée à travers le prisme du nationalisme jacksonien, une philosophie politique théorisée par Walter Russell Mead dans son ouvrage de 2001, "Special Providence". Mead y identifie quatre grandes écoles de pensée ayant façonné la politique étrangère des États-Unis, et la tradition jacksonienne se distingue par son accent sur le nationalisme économique, le populisme, et la militarisation. Selon Mead, les Jacksoniens sont sceptiques à l’égard des idéaux universalistes, comme ceux véhiculés par les Wilsoniens, qui prônent l’exportation des valeurs démocratiques à l’étranger. Ils sont également en désaccord avec les Hamiltoniens, qui mettent l’accent sur les institutions économiques fortes et la diplomatie commerciale. À l’opposé, les Jacksoniens placent la force militaire et la souveraineté nationale au cœur de leur vision du monde.

Trump, de par son admiration explicite pour le président Andrew Jackson, incarne ce courant de pensée, avec un penchant pour une politique étrangère où la priorité est donnée à la défense des intérêts nationaux sans ménagement pour les conventions internationales. Jackson, en tant que symbole de cette approche, est un modèle de leader qui, à son époque, n’hésitait pas à utiliser la force pour protéger la nation et ses intérêts, et Trump a souvent fait écho à cette idée d’un pays prêt à frapper fort, voire de manière préemptive, si les enjeux en valaient la peine.

Ce type de mentalité trouve également un écho dans ses déclarations et ses choix politiques, qu’il s’agisse de son soutien à des politiques militaires agressives ou de sa volonté de recourir à des méthodes non conventionnelles, comme la torture, pour contrer le terrorisme. Même si ces politiques n’ont pas toutes été mises en œuvre dans leur totalité, elles témoignent d’un style de leadership où les enjeux de sécurité et de suprématie nationale l’emportent sur les principes juridiques ou humanitaires.

Le Jacksonianisme de Trump se caractérise par une certaine vision du monde, où l'ordre international est perçu comme anarchique et où la guerre est souvent la solution privilégiée face à l’adversité. Dans ce cadre, les ennemis doivent être frappés aussi fort que possible et de manière décisive. La vision jacksonienne considère l’utilisation de la force comme légitime, voire nécessaire, pour préserver la sécurité nationale, et considère les traités ou accords multilatéraux comme des obstacles inutiles à l’action souveraine des États-Unis.

En politique étrangère, ce mode de pensée traduit un rejet des initiatives internationales de coopération et une volonté d’affirmer la souveraineté des États-Unis, quitte à rompre avec des accords multilatéraux. La relation avec des institutions comme l’ONU ou l’OTAN, souvent critiquée par Trump, s’inscrit dans cette logique de souveraineté nationale renforcée, où les États-Unis, selon lui, doivent agir seuls pour défendre leurs intérêts.

Cette philosophie ne se limite pas à la sphère militaire et diplomatique. Elle se transpose également dans sa vision économique, où Trump a souvent favorisé des politiques protectionnistes, comme la mise en place de droits de douane pour protéger les industries américaines, même si ces mesures ont été critiquées pour leurs effets pervers sur les consommateurs et les partenaires commerciaux des États-Unis. En somme, la logique de "America First" consiste à privilégier les intérêts économiques et stratégiques immédiats des États-Unis, au détriment de la coopération internationale ou des principes éthiques.

Enfin, cette approche jacksonienne du pouvoir est aussi marquée par une attitude de défiance envers l’élite intellectuelle et politique. Les Jacksoniens, selon Mead, sont souvent dépeints comme étant méfiants envers les institutions internationales et les élites politiques, qui sont perçues comme déconnectées des réalités du terrain et des préoccupations des citoyens. Cette vision populiste, qui fait appel aux sentiments d’une large portion de l’électorat, a été un facteur clé dans le succès de Trump lors de l’élection présidentielle de 2016, en particulier auprès des électeurs déçus par les élites politiques traditionnelles.

Comment la présidence impériale façonne la politique étrangère de Trump : continuité et rupture

La question de la présidence impériale n’est pas nouvelle. Depuis des décennies, les critiques affirment que la concentration des pouvoirs exécutifs dans les mains du président des États-Unis a dépassé les limites prévues par la Constitution. L’ère Trump n’a fait que mettre en lumière cette tendance, notamment en matière de politique étrangère. Toutefois, ce phénomène n’est pas seulement dû aux tendances autoritaires du président, mais également à l’affaiblissement progressif des contraintes sur la présidence, qu’elles proviennent du Congrès, de la bureaucratie ou des institutions internationales. La présidence impériale, qui désigne cette accumulation excessive de pouvoirs exécutifs, trouve ainsi un terrain fertile sous l’administration Trump.

La guerre au Yémen, symbole de l’incapacité à imposer des limites, incarne à la fois la brutalité et l’impunité des actions américaines. Le rôle des États-Unis dans ce conflit a été largement ignoré, en dépit de l’ampleur des atrocités commises, comme l’attaque d’un bus scolaire en 2018, qui a fait quarante enfants. L’opinion publique a réagi de manière plus significative après l’assassinat de Jamal Khashoggi, mais ce n’est qu’à ce moment-là que le Sénat a entamé un débat sérieux sur l’implication américaine. Pourtant, les actions concrètes restent limitées, même après des votes symboliques pour mettre fin à l’engagement militaire. Le veto de Donald Trump, dans ce contexte, témoigne de la solidité de la présidence face à une opposition législative divisée. Le soutien à l’exécutif est devenu un point d’ancrage, permettant à Trump de contourner la résistance politique.

Les changements politiques sous Trump ont été marqués par sa liberté d’action en matière de politique étrangère. L’un des exemples les plus frappants est la guerre commerciale contre la Chine et la révision des accords commerciaux internationaux, notamment le retrait du TPP et la restructuration de l’ALENA en USMCA. Ces décisions, pourtant controversées, ont été largement prises de manière unilatérale, grâce à des prérogatives que le Congrès avait déjà accordées à la Maison Blanche. Cependant, malgré ces initiatives radicales, la politique américaine en Afghanistan et au Moyen-Orient n’a pas subi de modifications majeures. Trump, connu pour ses déclarations en faveur d’un retrait rapide des interventions militaires, a néanmoins renforcé la présence américaine dans certaines régions stratégiques, y compris en Syrie. Ces contradictions politiques suggèrent des dynamiques internes complexes qui vont au-delà de simples choix idéologiques.

Une explication possible de cette continuité est l’apprentissage progressif de Trump en tant que président. Peu expérimenté en matière de politique étrangère, Trump a été confronté à la réalité complexe de la gestion des affaires internationales. Des décisions, comme la gestion des relations avec la Corée du Nord ou la persistance de l’engagement en Afghanistan, témoignent de ce processus d’adaptation. Toutefois, cette dynamique n’est pas universelle. En ce qui concerne des questions comme l’immigration ou l’accord nucléaire avec l’Iran, Trump est resté fidèle à ses positions de campagne, refusant tout compromis sur des sujets essentiels.

Mais une autre explication pourrait résider dans la nature même de la présidence moderne. Contrairement aux apparences, les contraintes sur les pouvoirs présidentiels n’ont pas disparu sous Trump. Elles se sont plutôt adaptées à une réalité politique où les décisions sont de plus en plus façonnées par une combinaison d’intérêts partisans et de calculs stratégiques. Le pouvoir exécutif, bien qu’étendu, est contraint par les exigences internes et les limites imposées par la structure politique et militaire des États-Unis.

Les divergences entre l’approche de Trump et celle des présidents précédents soulignent un phénomène bien plus vaste : la lente érosion des garde-fous qui ont historiquement limité le pouvoir présidentiel. Si, sous Obama, les décisions étaient souvent le fruit de consultations approfondies avec le Congrès et les alliés internationaux, sous Trump, la logique de l’action unilatérale s’est largement imposée. Cela n’est pas sans conséquences pour la politique étrangère américaine, qui, malgré sa prétention à l’isolement, demeure inextricablement liée aux dynamiques globales.

L’érosion de ces mécanismes de contrôle a des implications profondes. D’une part, elle révèle la centralisation du pouvoir à la Maison Blanche, d’autre part, elle accentue l’importance du rôle du président dans les affaires internationales. Dans ce cadre, le terme « présidence impériale » ne fait pas seulement référence à la concentration des pouvoirs dans les mains d’un individu, mais également à une nouvelle conception des relations internationales, dominée par des actions unilatérales et parfois imprévisibles.

En résumé, les évolutions sous Trump, loin d’être uniquement le produit de son autoritarisme, sont également le reflet d’une transformation plus large de la présidence moderne. Les changements qu’il a impulsés dans la politique étrangère américaine ne doivent pas seulement être vus comme des ruptures avec le passé, mais aussi comme le prolongement d’une tendance de longue date vers une présidence de plus en plus autonome.

Quel est le véritable coût d’une politique étrangère interventionniste pour la démocratie américaine ?

Une politique étrangère hyperactive, soutenue par des infrastructures militaires surdimensionnées et un appareil sécuritaire permanent, exerce une pression latente mais constante sur les valeurs fondamentales de la démocratie libérale. L’exigence de maintenir une présence globale à travers un réseau d’interventions militaires successives a nourri, à l’intérieur même des frontières américaines, une culture de l’autoritarisme, du culte de la force et du contournement des normes institutionnelles.

L’ère Trump a cristallisé cette dérive. Par ses inclinations autoritaires, son mépris pour l’indépendance des institutions, son usage politique de la justice, et son rapport instrumental aux médias, il n’a pas seulement exposé des failles personnelles mais a mis en lumière la malléabilité des garde-fous démocratiques face à un exécutif surarmé et délié des traditions de retenue. L’homme n’a pas inventé ce système ; il l’a simplement utilisé avec une brutalité plus explicite. Ses tentatives d’éroder les contre-pouvoirs constitutionnels ne relèvent pas d’une anomalie, mais s’inscrivent dans un continuum de présidences de l’après-guerre, qui ont laissé derrière elles un pouvoir exécutif plus fort, moins contrôlé, plus interventionniste.

Cette extension continue de la puissance présidentielle s’appuie sur un postulat obsolète : celui d’un monde instable, en proie à des menaces permanentes, où les États-Unis, par leur suprématie, seraient naturellement appelés à intervenir. Pourtant, la réalité contemporaine ne justifie plus cette hyperactivité militaire. Le système international actuel, bien que loin d’être exempt de tensions, reste relativement stable. Et la position géographique des États-Unis, combinée à leur poids économique et militaire encore dominant, les place dans une situation de sécurité structurelle que peu d’autres nations peuvent revendiquer.

Pourtant, la politique étrangère américaine reste figée dans les logiques du passé. Depuis la fin de la guerre froide, les États-Unis ont été en guerre deux années sur trois. Plus de 46 % des citoyens américains ont vécu la majeure partie de leur vie avec leur pays engagé dans des conflits armés. Le nombre d’interventions militaires de Washington au cours des trente dernières années dépasse largement celui des deux siècles précédents. Cette suractivité n’est pas seulement coûteuse ou contre-productive ; elle est fondamentalement déconnectée de la réalité géopolitique actuelle et nuit aux intérêts mêmes qu’elle prétend défendre.

L’origine de cette inertie tient au consensus politique autour de la stratégie de primauté. Celle-ci impose une vision expansive du rôle des États-Unis dans le monde, dans laquelle chaque enjeu périphérique est élevé au rang d’intérêt vital. Cela justifie des dépenses militaires excessives et légitime l’ingérence. À l’inverse, une stratégie de retenue propose une posture plus mesurée : éviter les guerres de choix, renoncer aux projets chimériques de construction nationale à l’étranger, et rejeter l’hégémonie comme objectif stratégique.

Cette approche s’inscrit dans la tradition intellectuelle et diplomatique américaine. John Quincy Adams, figure emblématique du XIXe siècle, affirmait qu’Amérique devait être "l’amie de la liberté et de l’indépendance de tous" mais "la championne uniquement de la sienne". Pour lui, chercher des monstres à combattre à l’étranger risquait de transformer la République en impératrice du monde, et non plus en maîtresse d’elle-même.

Les ambitions impériales entraînent l’érosion progressive des maximes fondamentales de la République, passant de la liberté à la force, de l’indépendance au contrôle. Cette métamorphose est aujourd’hui palpable : à mesure que la puissance relative des États-Unis décline — leur part dans l’économie mondiale étant tombée de 50 % après la Seconde Guerre mondiale à moins de 15 % aujourd’hui — leur politique extérieure demeure figée dans des schémas forgés à une époque de domination incontestée.

Le temps est venu pour une réévaluation radicale du rôle que les États-Unis souhaitent jouer dans le monde. Ni le "America First" de Trump, ni le retour aux politiques de statu quo ne peuvent répondre aux défis du XXIe siècle. Ce qui est requis, c’est un recentrage stratégique, un retour à la prudence, et une réaffirmation du principe de retenue. Le moment est propice pour réhabiliter cette vision. La retenue n’est pas un retrait du monde, mais une réinvention lucide de la puissance.

Il est essentiel de comprendre que l'abandon d'une politique de primauté ne signifie pas l'isolement ou la faiblesse. Il s'agit plutôt de reconnaître les limites inhérentes au pouvoir, les coûts internes d’un interventionnisme sans fin, et les avantages d’une diplomatie fondée sur la stabilité, le commerce et le respect mutuel. Cela nécessite également une culture politique capable de résister à la tentation autoritaire qui accompagne l’idée d’un exécutif tout-puissant façonné par la guerre. Sans cette vigilance intérieure, aucune politique étrangère — même fondée sur la retenue — ne pourra restaurer l'équilibre démocratique.

Pourquoi la politique étrangère de Trump n'a-t-elle pas radicalement changé malgré ses promesses ?

La politique étrangère de Donald Trump, loin de marquer une rupture totale avec le passé, s’inscrit dans un cadre bien plus complexe, oscillant entre l'indifférence, l'improvisation et une logique politique pragmatique. Malgré les promesses de réorientation radicale de la politique étrangère des États-Unis qu’il avait formulées durant sa campagne, la réalité a été bien différente. Plusieurs facteurs sont à l’origine de cette continuité apparente, parmi lesquels son indifférence personnelle pour nombre de questions internationales, son approche chaotique et l’inertie des structures étatiques, qui ont tous limité sa capacité à redéfinir véritablement la place des États-Unis sur la scène mondiale.

Le premier facteur clé réside dans l'attitude de Trump envers la politique étrangère elle-même. Bien qu’il ait exprimé à plusieurs reprises son intention de « réinventer » la politique étrangère des États-Unis, notamment en réduisant l'implication américaine à l'étranger et en cherchant à se concentrer sur des enjeux internes comme le commerce et l'immigration, il est apparu que Trump manquait d'un véritable intérêt pour les affaires internationales. L’affaire Mueller, par exemple, a contribué à détourner son attention de nombreux dossiers internationaux, réduisant ainsi les domaines où il a réellement tenté de faire avancer l'agenda « America First ». Dans ce contexte, des sujets comme le commerce et la sécurité des frontières sont devenus les seules priorités constantes de sa présidence. Pour les autres questions de politique étrangère, les fonctionnaires et conseillers en place, souvent attachés au statu quo, ont continué à dominer, freinant toute initiative de changement radical.

Ce manque d’intérêt de Trump pour la politique étrangère s'accompagne également d'une gestion chaotique de ses affaires internes. Contrairement aux administrations précédentes, qui cherchaient à coordonner leurs actions à travers des campagnes législatives, diplomatiques et bureaucratiques bien huilées, Trump semble opérer sur un mode impulsif, en prenant des décisions au gré de ses humeurs, souvent sans concertation avec ses équipes de sécurité nationale. Cette approche a engendré des zigzags fréquents dans ses positions, rendant sa politique étrangère imprévisible et fragmentée. Les rares décisions prises de manière plus réfléchie, comme les frappes contre le régime Assad en Syrie, semblent avoir été dictées par une réaction émotionnelle à des images médiatiques, plutôt que par une stratégie bien définie.

Un autre élément de ce chaos est la fréquence des départs et des remplacements dans son équipe de sécurité nationale, dont le niveau de rotation a été exceptionnellement élevé. Après la démission de James Mattis en 2018, la vacance du poste de secrétaire à la Défense et les changements de conseillers ont déstabilisé davantage la capacité de l’administration Trump à maintenir une politique étrangère cohérente. Cela a aussi créé un environnement propice à l’imprévisibilité, avec des décisions souvent prises sur la base de calculs politiques immédiats plutôt que d’une vision stratégique à long terme.

Cependant, une autre explication plus nuancée de l’action de Trump peut résider dans ses calculs politiques. Pour ses partisans, les choix qu’il a faits en matière de politique étrangère reflètent en réalité une volonté de maximiser ses gains politiques tout en minimisant les risques. Il a concentré ses efforts sur des sujets qu’il considère comme politiquement favorables, comme l’immigration et le commerce, où il estime que les coûts sont relativement faibles et où il peut s’attirer une large base électorale. En revanche, sur d’autres questions plus complexes, comme la relation avec la Russie ou la gestion des retraits militaires en Syrie et en Afghanistan, Trump a adopté une attitude plus prudente, redoutant les réactions négatives du public ou des institutions comme le Congrès.

Enfin, malgré ces stratégies et ces décisions apparemment irrationnelles, Trump n’a pas échappé aux contraintes historiques et structurelles qui gouvernent la politique étrangère des États-Unis depuis des décennies. La primauté des États-Unis sur la scène mondiale, établie depuis la Seconde Guerre mondiale, crée une inertie difficile à surmonter, même pour un président aussi iconoclaste que Trump. Les décisions prises par les présidents américains sont souvent contraints par des consensus stratégiques largement partagés au sein des élites politiques et militaires, un consensus qui, bien que challengé par Trump, a continué à orienter sa politique étrangère.

Il est important de souligner que, malgré l’impression de chaos ou d’indifférence qui a marqué les premières années de la présidence Trump, certains principes fondamentaux de la politique étrangère des États-Unis sont restés intactes. Ces principes, notamment la protection des intérêts économiques nationaux, la préservation de la domination militaire et la gestion des relations avec les grandes puissances, ont continué à façonner les grandes orientations de la politique étrangère américaine, souvent au-delà de la volonté explicite du président.

Le Pouvoir du Président Américain: Une Analyse des Limites et de l'Évolution de la Stratégie Étrangère des États-Unis

La puissance du président des États-Unis n'a cessé de croître au fil des décennies, transformant cette fonction en un instrument de pouvoir presque illimité. Dès l'ère de Dick Cheney, vice-président sous George W. Bush, l'ampleur du pouvoir exécutif a été mise en lumière. Les attaques du 11 septembre 2001 ont accéléré ce processus, donnant au président un contrôle renforcé sur les politiques étrangères et militaires, notamment avec la création de l'AUMF (Autorisation d'Utilisation de la Force Militaire) en 2001, qui a permis des interventions armées à travers le monde sans un contrôle direct et permanent du Congrès. Ce pouvoir, qui semblait autrefois réservé à des périodes exceptionnelles de guerre, est devenu une norme. L'idée même de l'usage de la force, aussi bien à l'échelle internationale qu’au sein des frontières américaines, est désormais en grande partie dictée par la Maison Blanche.

La situation s'est encore complexifiée sous l'administration de Donald Trump, dont l'attitude vis-à-vis des conflits internationaux a marqué un tournant. Ses premiers mois de présidence ont été marqués par une remise en question des alliances traditionnelles et une approche plus unilatérale de la politique étrangère, en particulier au Moyen-Orient. L'intervention en Syrie, les relations avec l'Arabie Saoudite et les négociations avec la Corée du Nord ont démontré un changement dans l'usage du pouvoir présidentiel, celui-ci étant désormais plus axé sur des manœuvres diplomatiques erratiques que sur une vision claire et systématique de la stratégie américaine. Cependant, ce changement n’a pas été sans conséquences. Les tensions au sein même du gouvernement se sont intensifiées avec des départs importants dans l’équipe de sécurité nationale, comme celui du secrétaire à la Défense Jim Mattis. Cela a mis en lumière un problème fondamental : même si le pouvoir présidentiel est immense, il ne peut échapper aux dynamiques internes du gouvernement et aux pressions internationales.

Il est important de noter que cette concentration du pouvoir exécutif ne se limite pas simplement à des décisions militaires ou diplomatiques. Le rôle du président dans l’économie mondiale, les négociations commerciales, et même les questions internes comme les shutdowns gouvernementaux ou les politiques d'immigration, fait partie d’une évolution où l’individu au sommet de l’exécutif est perçu comme un acteur clé dont les décisions pèsent lourdement sur l’ensemble du pays. Le cas de la guerre au Yémen, où les États-Unis ont soutenu la coalition saoudienne malgré les accusations de crimes de guerre, montre comment une autorisation de guerre unilatérale peut non seulement affecter les relations internationales, mais aussi l’image morale de la nation.

Les débats sur la question de savoir si l’Amérique doit continuer à mener une politique de "leadership mondial" ou adopter une approche plus isolationniste sont au cœur des discussions actuelles. Les politiques de "America First" ont trouvé un large écho au sein de l’opinion publique américaine, surtout parmi les électeurs qui estiment que les États-Unis devraient se concentrer davantage sur leurs propres intérêts et cesser de s’engager dans des conflits étrangers, dont les conséquences sont souvent difficiles à anticiper et à maîtriser. Cependant, cette tendance au retrait peut se heurter aux réalités géopolitiques et aux engagements pris par le passé, qui rendent toute révision brutale de la stratégie étrangère délicate.

Il est essentiel pour le lecteur de comprendre que la puissance présidentielle, bien qu'étendue, ne peut être dissociée des contraintes institutionnelles et politiques qui façonnent la politique étrangère des États-Unis. La structure de l’État américain, avec son système de checks and balances, signifie que le président, bien qu’étant une figure dominante, agit dans un contexte complexe où les pouvoirs législatif et judiciaire jouent des rôles essentiels. De plus, bien que le président dispose de prérogatives considérables, il doit constamment naviguer dans un environnement de politique intérieure où les divisions partisanes et les pressions publiques peuvent rapidement redéfinir ses priorités et ses actions.

La question de l’oversight et du contrôle du Congrès sur les opérations militaires, comme l’illustre le débat sur l’AUMF ou l’implication américaine dans le conflit yéménite, montre qu’il existe des mécanismes formels qui visent à tempérer les décisions présidentielles. Cependant, ces mécanismes sont souvent perçus comme inefficaces face à la montée en puissance du rôle de l’exécutif dans les affaires internationales.

Il est crucial pour le lecteur de saisir que la capacité des États-Unis à maintenir son statut de puissance mondiale repose en grande partie sur la gestion efficace et équilibrée de cette immense capacité de décision présidentielle. Mais cela soulève également la question de la responsabilité et des conséquences, tant sur le plan international qu’intérieur. Les actions menées par un président peuvent affecter non seulement les relations internationales, mais aussi la position morale et politique des États-Unis dans le monde. L’héritage des politiques américaines actuelles, façonnées par l'utilisation parfois erratique du pouvoir présidentiel, pourrait avoir des répercussions profondes sur la manière dont la nation est perçue dans les décennies à venir.