En 1987, Donald Trump publiait une annonce pleine page dans des journaux de renom comme le New York Times, le Washington Post et le Boston Globe. Cet article, un appel ouvert en cinq paragraphes, dévoilait les principaux principes qui guideraient sa politique étrangère pendant des décennies. Au cœur de son discours, Trump attaquait les alliés des États-Unis, en particulier le Japon et l'Arabie Saoudite, les accusant de profiter des garanties de sécurité des États-Unis sans rien offrir en retour. Il se demandait pourquoi ces pays ne payaient pas pour les vies humaines et les milliards de dollars perdus par les États-Unis pour protéger leurs intérêts. Ce questionnement reflète un aspect fondamental de la vision politique de Trump : les relations internationales sont perçues comme des transactions où chaque partie doit obtenir un retour tangible.

Cette vision pragmatique et utilitariste des alliances est l'une des caractéristiques marquantes de la politique de Trump. Plutôt que de considérer les alliances comme un investissement stratégique ou moral, il les interprète comme des contrats où la réciprocité financière doit être clairement définie. Il voit l'engagement des États-Unis dans des alliances militaires, comme celles avec le Japon ou l'Arabie Saoudite, non pas comme une protection mutuelle, mais comme une charge injustifiée. Il insiste sur le fait que ces pays doivent rembourser les États-Unis pour les services rendus en termes de défense et de sécurité, en particulier dans un contexte où leur économie est florissante. Pour Trump, la notion même de solidarité internationale semble absente ; la politique étrangère ne peut être qu'un jeu de rapports de force économiques.

Cette approche transactionnelle de la politique internationale trouve un écho dans sa conception de l'économie mondiale. Selon Trump, l'économie mondiale est une "part de gâteau" finie, dans laquelle il faut prendre des parts aux autres pour maintenir la prospérité nationale. Lors d'une interview en 2013, il affirmait qu’il fallait « prendre des emplois » aux autres pays, notamment la Chine et l'Inde, qu'il accusait de voler les emplois américains. En mettant l'accent sur les déficits commerciaux, Trump voit ces déséquilibres comme des exemples évidents d'exploitation. Après un sommet du G7, il se plaignit du déficit commercial avec des pays comme le Canada et les membres de l'Union européenne, dénonçant l'importation de produits de luxe comme les voitures allemandes et l'absence de réciprocité pour les exportations agricoles américaines. Selon lui, ces nations profitent des États-Unis, ce qui renforce son argument selon lequel le commerce international n'est pas un échange bénéfique, mais une compétition où les perdants sont ceux qui se retrouvent désavantagés.

Cette vision de l’économie se traduit dans sa politique protectionniste. Pendant son mandat, Trump a mis en place des tarifs douaniers sur les importations en provenance de divers pays, dont la Chine, le Mexique, et l'Union européenne, au nom de la défense de la souveraineté économique américaine. Bien que ses conseillers économiques aient souvent souligné que ces politiques étaient contre-productives, Trump a persisté. Les mesures protectionnistes ont effectivement pénalisé l'économie américaine, notamment en augmentant les coûts pour les entreprises et les consommateurs. Par exemple, la guerre commerciale avec la Chine a engendré des contre-tarifs affectant directement les exportations agricoles américaines, ce qui a conduit à des subventions massives pour les agriculteurs américains, une solution temporaire qui n’a fait que masquer les effets néfastes de ces politiques.

L’attitude de Trump face aux accords commerciaux multilatéraux reflète également cette tendance. À plusieurs reprises, il a exprimé son désir de quitter des accords commerciaux tels que l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) ou même l’Organisation mondiale du commerce (OMC), insistant sur le fait que ces structures nuisaient à la compétitivité des États-Unis. La vision de Trump, résolument opposée au libre-échange, repose sur une approche binaire : les relations internationales sont une compétition où chaque victoire pour un pays est une défaite pour un autre. Cette vision se reflète dans ses discours, où il affiche une aversion totale pour les accords qui pourraient bénéficier à plusieurs nations, mettant en avant l’idée qu'il est préférable de rester sur ses positions et de ne rien céder.

Dans le domaine de la sécurité, la politique de Trump est tout aussi marquée par cette vision transactionnelle. Il ne voit pas l’engagement militaire des États-Unis à l’étranger comme une stratégie de défense commune, mais comme un coût qu'il faut justifier économiquement. Lors de ses négociations avec la Corée du Sud, il a remis en question la présence de troupes américaines sur le sol coréen, arguant que les États-Unis devraient être compensés financièrement pour cette protection. Cette approche n’est pas uniquement pragmatique, elle est également révélatrice de son incapacité à concevoir des alliances stratégiques comme des partenariats équilibrés où les bénéfices sont mutuels.

Un exemple particulièrement controversé de cette philosophie transactionnelle a été l'attitude de Trump vis-à-vis de l'Arabie Saoudite. En 2018, au milieu de la réprobation internationale liée à l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi et aux crimes de guerre en cours au Yémen, Trump a continué de défendre les relations étroites entre les deux pays. Pour lui, l’Arabie Saoudite était un allié précieux, non pas en raison de ses valeurs ou de son système politique, mais en raison de ses ressources économiques et stratégiques, notamment l’achat d'armements et les investissements dans l'économie américaine. Cette conception de l’alliance en termes strictement utilitaires a encore une fois montré que, pour Trump, tout est une question de coût et de bénéfice.

La conception "America First" de Trump, basée sur une vision transactionnelle et protectionniste des relations internationales, reste un fondement essentiel de sa politique étrangère. Il cherche à imposer une logique de "gagnant-perdant", où les États-Unis doivent tirer un avantage clair de chaque relation internationale. En conséquence, l’idéologie de Trump a conduit à un désengagement stratégique, un isolement partiel de certains forums multilatéraux, et une montée de la tension commerciale et diplomatique avec des alliés traditionnels.

Quel rôle les impulsions idéologiques de Trump ont-elles joué dans sa politique étrangère ?

Les réflexions sur la politique étrangère de Donald Trump sont souvent confrontées à une difficulté fondamentale : la prétendue incohérence de ses idées et l’absence apparente d’un cadre théorique structuré pour orienter ses actions internationales. D’après les observations de figures proches de son administration, telles que son ancien chef de cabinet, Karl Rove, il apparaît que Trump manquait de la concentration et de la discipline nécessaires pour maîtriser les subtilités de la politique gouvernementale. Une partie de son équipe de sécurité nationale a même été contrainte d’adopter des méthodes novatrices pour lui présenter les informations, en recourant à des résumés d'une page, des points clés et de nombreux supports visuels afin de surmonter sa « notoire capacité d’attention limitée ».

Si Trump a réussi à se constituer une image d'expert en matière de communication, la substance de ses idées reste souvent floue. Lors de la campagne électorale, il clamait comprendre mieux que quiconque les enjeux mondiaux. Toutefois, une fois en fonction, cette certitude a vacillé, notamment lorsqu’il s’est heurté à la complexité des relations internationales, comme l’a montré son expérience avec la question de la Corée du Nord. Lors d’une discussion avec le président chinois Xi Jinping, Trump a admis après seulement dix minutes d’explication sur les liens historiques entre la Chine et la Corée que la situation n’était pas aussi simple qu’il l’avait imaginé.

Il est devenu rapidement évident que les alliés de longue date des États-Unis, notamment en Europe, ne s’attendaient plus à un changement radical de la part de Trump, et la notion d’une « courbe d’apprentissage » semblait avoir disparu. L’idée que Trump pourrait un jour se réformer, ou même se familiariser de manière plus approfondie avec les politiques étrangères complexes, s’est éteinte à mesure que le temps passait. En 2017, le Washington Post rapportait qu’un diplomate européen de haut rang avait affirmé que l’idée d’un apprentissage par Trump était désormais « obsolète ».

Parallèlement, l’ancien sénateur républicain Bob Corker, un soutien de Trump en 2016, a publiquement déploré l’incompétence du président, comparant la Maison Blanche à un « centre de jour pour adultes ». Selon Corker, les responsables expérimentés qui entouraient Trump, comme le secrétaire à la Défense James Mattis et le secrétaire d’État Rex Tillerson, agissaient comme des « tampons » pour protéger le pays du chaos que pourrait engendrer une présidence erratique. Leurs efforts étaient constamment orientés vers la gestion des impulsions imprévisibles du président, souvent vues comme des tentatives pour maintenir une certaine stabilité et éviter la désintégration totale de la politique étrangère américaine.

Ainsi, l’idéologie de Trump ne semble pas reposer sur un corpus de doctrine cohérente ou une stratégie extérieure définie. Sa politique étrangère est mieux comprise comme une série de réactions impulsives, largement dictées par une vision nationaliste qui ne s’étend pas à un repli total sur les frontières des États-Unis, mais qui se manifeste par un désir de dominer et d’imposer la volonté américaine sur la scène mondiale. Son approche de « l’Amérique d’abord » s’articule autour de l’idée d’un retour à la gloire militaire, une constante volonté de menacer les adversaires, et un scepticisme manifeste envers les alliés. Cela se reflète notamment dans son admiration pour les dirigeants autoritaires, de Vladimir Poutine à Kim Jong-un, des relations qu’il perçoit comme plus fortes et plus directement efficaces.

Il est essentiel de comprendre que la politique étrangère de Trump, en dépit de l'apparente absence de vision systématique, s’inscrit dans une forme de militarisme et de nationalisme populiste qui correspond aux idéologies qui ont prévalu en Europe et en Amérique aux XIXe et XXe siècles. Son programme intérieur de protectionnisme économique et de restriction de l’immigration s’est accompagné sur la scène internationale d’une diplomatie agressive et de l’usage récurrent de la menace militaire. Contrairement aux idées de « réalistes » en relations internationales, qui prônent un retrait relatif des États-Unis dans les affaires mondiales, la politique de Trump n’a pas mis l’accent sur la diplomatie multilatérale ni sur la réduction de la présence militaire américaine à l'étranger. Elle a au contraire été marquée par une politique belliqueuse, caractérisée par des tensions économiques avec les puissances rivales et une diplomatie de confrontation.

Ainsi, pour appréhender la politique étrangère de Trump, il ne faut pas se laisser induire en erreur par des comparaisons simplistes avec des courants tels que l’isolationnisme ou le réalisme. Sa vision du monde est plutôt marquée par une approche pragmatique du pouvoir, où l’image de force et la menace de la violence prévalent sur les subtilités diplomatiques. En ce sens, son administration a parfois agi de manière désordonnée, mais elle a aussi transformé le paysage politique américain en amplifiant la notion de puissance brute et de volonté nationale affirmée, et en rejetant les mécanismes multilatéraux qui avaient jusqu’alors gouverné les relations internationales.