Le problème fondamental auquel nous faisons face aujourd’hui n’est pas une question d’individus ou de leur absence de bonnes intentions, mais plutôt un problème systémique profond et structurel. Les entreprises, en particulier les plus grandes, sont structurées pour maximiser les profits à court terme, souvent sans se soucier des conséquences externes. Ces conséquences, appelées "externalités" dans la littérature économique, incluent des phénomènes tels que la pollution, la congestion du trafic, les accidents ou encore la perte de biodiversité. Pourtant, ces questions sont reléguées au second plan, voire ignorées, au profit de gains financiers immédiats.

Les entreprises telles qu’ExxonMobil ou les grandes banques, comme Goldman Sachs ou JP Morgan, sont des exemples typiques d’institutions dont les actions, motivées par un intérêt économique immédiat, ont des répercussions profondes sur le bien-être social et environnemental. Lorsque de tels systèmes échouent – par exemple, lors de la crise financière de 2008, où des pratiques frauduleuses ont été utilisées pour maximiser les gains à court terme – ce sont des erreurs systématiques qui risquent de déstabiliser des pans entiers de l’économie. Pourtant, dans le cas des grandes entreprises, il existe une sécurité implicite : l'État est souvent amené à sauver ces géants financiers, comme ce fut le cas pour AIG, ou Goldman Sachs. Cependant, cette même approche ne s’applique pas à des phénomènes plus globaux et irréversibles, tels que la destruction environnementale.

La régulation, qui pourrait théoriquement endiguer ces dérives, nécessite toutefois un système démocratique solide pour être mise en place. Or, la concentration excessive de capital dans les mains de quelques-uns affaiblit cette démocratie. Selon Noam Chomsky, le gouvernement n’est plus "notre gouvernement", mais un gouvernement des riches, au service des grandes entreprises. Les citoyens, qui devraient être à l’origine du changement, sont souvent incapables de se mobiliser efficacement, en raison de l’influence des grandes corporations et des médias, qui façonnent l’opinion publique à travers des campagnes de désinformation.

Les médias jouent un rôle crucial dans la formation de l’opinion publique. Avec leur modèle économique axé sur la publicité et l’audience, ils ont tendance à favoriser des récits qui servent les intérêts des grandes entreprises plutôt que d’encourager une réflexion critique. Cela limite la capacité des citoyens à comprendre les enjeux sous-jacents, notamment les effets de la mondialisation et la nécessité d’une régulation plus stricte des marchés. La publicité, en tant que forme de propagande, déforme souvent la réalité, contribuant à une opinion publique qui manque de conscience des dangers imminents auxquels nous faisons face.

Les institutions politiques et économiques, tant aux États-Unis qu’au Canada, sont façonnées par des lobbies puissants, souvent au détriment de l'intérêt général. Par exemple, l’American Legislative Exchange Council (ALEC) et d'autres groupes similaires œuvrent activement à sous-miner la croyance scientifique en l'origine humaine du changement climatique, en promouvant une "éducation équilibrée" qui enseigne à la fois la réalité du réchauffement climatique et les thèses du déni climatique, souvent soutenues par des intérêts pétroliers. Ce type de manipulation de l’opinion publique montre à quel point les grandes entreprises sont prêtes à aller loin pour protéger leurs profits, même au prix de la vérité et de la santé publique.

Dans ce contexte, l’idée même de régulation semble lointaine et difficilement réalisable. Pourtant, elle est plus que jamais nécessaire. Les dérégulations des dernières décennies, initiées sous les gouvernements de Margaret Thatcher et Ronald Reagan, ont permis aux grandes entreprises de se libérer de toute contrainte, augmentant ainsi leur pouvoir sans tenir compte des dommages collatéraux. Mais cette tendance n’est pas irrémédiable. Il existe des solutions, mais elles nécessitent une volonté collective de remettre en question la domination des intérêts financiers sur les politiques publiques.

Pour qu’un véritable changement survienne, il faut que les citoyens prennent conscience de leur pouvoir et de leurs responsabilités. Il est essentiel que la population s’éveille à la réalité des enjeux économiques et environnementaux actuels et exige des actions concrètes, telles que l’instauration de régulations qui limitent l’impact des grandes entreprises sur la société. L’ignorance et la manipulation, souvent véhiculées par des campagnes publicitaires, doivent être combattues par une éducation qui encourage la pensée critique et la réflexion sur les systèmes qui régissent notre monde.

Ce processus ne sera ni rapide ni facile. Les corporations et les groupes d’intérêts puissants sont capables de maintenir leur pouvoir, notamment par la diffusion d’informations biaisées. Néanmoins, l’important est de comprendre que ce système n’est pas une fatalité. Il peut être modifié, mais cela exige une transformation profonde dans la manière dont les citoyens se perçoivent eux-mêmes dans le cadre démocratique et la manière dont ils interagissent avec les structures de pouvoir.

Comment les algorithmes des réseaux sociaux modifient-ils notre perception de la réalité politique et sociale ?

Ce phénomène n’est ni unique, ni isolé, mais plutôt une forme généralisée de rhétorique corrompue, conçue pour manipuler plutôt que pour persuader l’opinion publique. Jaron Lanier, scientifique en informatique et auteur en philosophie, ne considère pas que le scandale Cambridge Analytica soit le pire de tous. Selon lui, les algorithmes et le modèle économique de Facebook sont spécifiquement conçus pour permettre la manipulation massive que Cambridge Analytica a révélée au grand jour. Les algorithmes de Facebook et de Google scrutent en permanence les comportements des utilisateurs afin de pouvoir les manipuler. Et tant que ces "machines" régissent les réseaux sociaux, de mauvaises intentions trouveront des moyens de les exploiter à des fins politiques.

Initialement, ces plateformes utilisaient cette technologie pour stimuler les ventes et satisfaire les annonceurs. Cependant, des entreprises comme Cambridge Analytica, désireuses de promouvoir des idées politiques pernicieuses, peuvent désormais se servir de cette même technologie pour manipuler les croyances politiques avec la même efficacité qu’elles manipulent le pouvoir d’achat. Google et Facebook sont gratuits, certes, mais ces sites sont saturés de publicités, et avec l’amélioration des algorithmes, ce qui commençait comme une simple publicité s’est transformé en une modification de comportement. Même si Facebook met en place des réformes pour protéger les données publiques, de mauvaises pratiques continueront de prospérer, car les acteurs malveillants trouveront toujours un moyen d’utiliser ces pouvoirs manipulateurs à des fins obscures.

Lanier, l’un des pionniers de la réalité virtuelle et un observateur averti de la Silicon Valley, soutient que Facebook et Google ont assombri notre société avec leur publicité incessante et leur programme de surveillance. En manipulant constamment les informations qui nous parviennent, leurs algorithmes ont déformé nos processus politiques à tel point que nous ne pouvons même plus être sûrs de la véracité de nos élections. Une des principales différences entre les publicités sur Facebook et celles à la télévision est que les publicités télévisées ne "regardent pas en retour". Les algorithmes qui gèrent les publicités sur Facebook sont capables de nous observer, de connaître nos intérêts et de déterminer quel contenu nous présenter. Si les publicités télévisées offrent une expérience collective, Facebook et autres plates-formes en ligne peuvent désormais cibler des groupes très spécifiques de personnes, voire un seul individu. Selon Martin Moore du Kings College, Cambridge Analytica aurait pu utiliser jusqu’à 50 000 variations d’une publicité en une seule journée, mesurant les réactions et les affinant ensuite pour les adapter à des individus précis.

Cette micro-ciblage représente un problème majeur. Tant que tout le monde reçoit les mêmes informations, même si elles sont trompeuses, nous avons une chance de lutter contre la propagande. Mais cette stratégie de micro-ciblage prive le discours social de toute forme de conversation collective. Il n’y a plus de débat public, et cela mine à la fois la dignité et l’autonomie des individus. Sur Facebook ou Google, nous sommes sous surveillance par des algorithmes qui font des suppositions sur nous et qui choisissent continuellement quel contenu nous montrer. Ces algorithmes ne s’arrêtent que lorsqu’ils trouvent quelque chose capable de modifier notre opinion, sans que nous en ayons conscience.

Lanier souligne que ces algorithmes cherchent des réponses rapides. Les réponses négatives, comme la peur, l’irritation ou la colère, sont captées plus facilement que les réponses positives, comme la construction de la confiance ou un sentiment de bien-être. Ainsi, les algorithmes amplifient naturellement la négativité et la propagent. Par exemple, ils ont déterminé qu’il y avait plus d’engagement public lorsqu’on parlait de l’État islamique (ISIS) que lorsqu’on mentionnait le Printemps arabe. Si vous mesurez rapidement les impulsions humaines plutôt que le comportement humain accumulé, c’est la négativité qui est amplifiée. Lanier affirme que l’engagement est plus souvent suscité en irritant les gens que pour les éduquer. Ce phénomène est également observé par Zeynep Tufekci, sociologue des technologies, qui met en garde contre ce danger sur YouTube. Elle a observé que, lors de ses recherches sur les vidéos des rassemblements de Trump pendant l’élection présidentielle de 2016, YouTube commençait à recommander des vidéos d’extrême droite, de suprémacisme blanc et de négationnisme. Tufekci a expérimenté ce phénomène en regardant des vidéos de Bernie Sanders et Hillary Clinton, et les vidéos recommandées devenaient de plus en plus extrêmes, éloignées du contenu mainstream.

Ce phénomène n’est pas limité à la politique. Même en cherchant des vidéos sur des sujets non politiques, comme le végétarisme ou le jogging, Tufekci a constaté que les algorithmes de YouTube la guidaient vers des vidéos plus radicales. Le système pousse constamment les utilisateurs vers des contenus plus extrêmes, ce qui démontre que l’algorithme favorise le contenu polémique. Tufekci ne pense pas que Google et Facebook aient l’intention malveillante de rendre le monde plus polarisé, mais c’est précisément ce qui se produit à cause de l’intelligence artificielle et du modèle économique de ces plateformes. Comme l’explique Tufekci, YouTube est devenu l’un des instruments de radicalisation les plus puissants du XXIe siècle.

La problématique des algorithmes réside dans leur capacité à choisir quel contenu déployer dans cette « architecture de persuasion » pour affecter les émotions et les comportements politiques des individus. Et voici la tragédie : nous construisons cette infrastructure de surveillance autoritaire simplement pour encourager les gens à cliquer sur des publicités. Tufekci fait écho aux préoccupations de Lanier concernant les messages micro-ciblés qui rendent impossible une expérience partagée d’information. Sans base d’information commune, le débat public devient de plus en plus difficile, voire impossible. La solution à ce problème n’est pas évidente. Nous ne savons même plus ce que les autres voient en ligne. Ce type d’autoritarisme est subtil, il surveille et nous influence discrètement sans que nous en ayons conscience, manipulant les individus un par un en exploitant leurs faiblesses et vulnérabilités.

Pourquoi le doute est essentiel à la compréhension et au changement social ?

Les questions complexes, souvent sans réponse définitive, occupent une place importante dans nos vies. Cela fait des années que ces interrogations me hantent, depuis cette soirée à Montréal, et je me rends compte que ne pas connaître la réponse n'est pas nécessairement un obstacle. Parfois, il est préférable de maintenir un esprit ouvert, curieux, plutôt que de se précipiter vers une explication confortable qui semble donner sens aux événements. Cette idée a été soulignée par Michael Lewis dans The Undoing Project lorsqu'il évoque un discours d'Amos Tversky prononcé en 1972 à l'Université du Minnesota. À cette époque, Tversky et Daniel Kahneman étudiaient la manière dont l’esprit humain réagit face à l'incertitude, en particulier en ce qui concerne le biais cognitif dans la prise de décision et l'évaluation des risques.

Les deux psychologues, bientôt célèbres, cherchaient à démontrer qu’une meilleure prise de conscience de nos biais cognitifs et un effort pour les réduire pourraient améliorer notre prise de décision. Leur travail a finalement conduit à l’attribution d’un Prix Nobel d'Économie. Le discours de Tversky, intitulé "Historical Interpretation: Judgment Under Uncertainty", exposait un défaut courant dans la manière dont les humains réagissent face à des événements énigmatiques. Il expliquait que lorsqu'un événement surprenant se produit, sans information nouvelle pour l'éclairer, nous avons tendance à construire une explication pour le rendre compréhensible. Il soulignait notre aptitude à détecter des "schémas et des tendances même dans des données aléatoires" et à créer des récits pour donner sens aux événements. Ce qui est encore plus problématique, c'est que, une fois cette explication formulée, nous avons tendance à la défendre avec une grande conviction. Tversky désignait cela comme un défaut du raisonnement humain : "Trop souvent, nous nous retrouvons incapables de prédire ce qui va se produire; et pourtant, après coup, nous expliquons ce qui s'est passé avec une grande assurance."

Cette propension à inventer des récits pour expliquer ce que nous ne comprenons pas, et à les défendre une fois formulés, bloque notre capacité à apprendre et à progresser. Ce phénomène empêche l'émergence de nouvelles idées et de nouveaux apprentissages, indispensables si l'on veut trouver des réponses aux défis sociaux et environnementaux contemporains.

Les experts que j’ai interrogés sur ces sujets remettent en question cette tendance à "explorer" les événements et les problèmes à travers des prismes déformés. Otto Scharmer, spécialiste des systèmes sociaux au MIT, conseille de "regarder l'avenir émergent, non pas le passé". Pour Scharmer, sortir des schémas de pensée habituels demande un effort conscient de "suspension" des jugements anciens, une écoute active et profonde. Cela nécessite un entraînement, similaire à celui des muscles pour maintenir une forme physique. Un esprit, un cœur et une volonté ouverts sont des clés précieuses, car selon lui, "les données qui contredisent nos croyances sont à l’origine de l'innovation."

J’ai écrit ce livre avec l’esprit d’un débutant, en cherchant à tirer des leçons des personnalités les plus réfléchies que j’ai rencontrées. J’ai interrogé plus de 70 experts, allant de philosophes à des sociologues, et tous s’accordent à dire que le discours public actuel est un frein majeur au changement. Nombreux sont ceux qui ont observé ce phénomène pendant des années. Ce constat est particulièrement frappant lorsqu’on parle de l’impact de la propagande et des pseudo-sciences dans la résistance au changement, et de la manière dont la manipulation de l’opinion peut être utilisée pour empêcher l’adoption de solutions politiques.

Je me suis intéressé dès 2006 au rôle de la désinformation dans le domaine du changement climatique et à la manière dont les intérêts politiques et industriels manipulent l’opinion publique à travers la diffusion de doutes fabriqués. Mon objectif a toujours été d’aider à démystifier les arguments fallacieux et à sensibiliser le public à ces mécanismes. Mais, malgré toutes les preuves de manipulation, je suis resté étonné du manque de révolte du public face à ces manœuvres.

L’une des difficultés majeures que nous rencontrons dans les débats publics actuels réside dans l'incapacité de se détacher des stéréotypes et des jugements hâtifs. Le professeur Deborah Tannen de l’Université de Georgetown remarque que l’attaque systématique des motivations et du caractère de ceux qui nous contredisent détourne l’attention des vrais enjeux et dévalorise la critique légitime. Cette approche combative réduit l’espace nécessaire au débat constructif, et lorsque les positions extrêmes définissent les contours du débat, les problèmes semblent insolubles et la société se désengage du processus politique.

Ce phénomène n’est pas limité aux questions environnementales. Il est également visible dans des débats comme ceux sur l’immigration, le contrôle des armes ou l’économie. Ce climat de polarisation intense ne fait qu’alimenter la division et la méfiance, rendant plus difficile la recherche de solutions communes. Cela a été particulièrement manifeste sous la présidence de Donald Trump, qui a porté le discours de la division à un niveau sans précédent, qualifiant les scientifiques du climat de "politiciens" et les accusant de mentir pour faire avancer leurs propres intérêts.

Le plus inquiétant, c'est que ces dynamiques contribuent à fermer le "square public", cet espace nécessaire à un débat démocratique constructif. Face à ce défi, la question de la reconstruction d'un véritable dialogue public devient primordiale. Ce n’est pas une question de changer le comportement des consommateurs ou des électeurs, mais plutôt de redonner de la place à des conversations authentiques où l’opposition passionnée et les faits scientifiques participent à l’enrichissement des débats.

Là réside l’enjeu de cette époque : comment rétablir un échange sincère et éclairé, où l’on peut se confronter aux idées des autres, sans avoir peur de découvrir des vérités qui échappent à nos certitudes préalables.

La Propagande et la Polarisation : Une Réflexion sur le Discours Public et l’Engagement Démocratique

Les problèmes collectifs semblent insurmontables lorsqu'ils sont définis par des points de vue extrêmes et polarisés. La division accrue créée par la propagande mène à une incompréhension croissante et à un désengagement général du public. À l'origine, j'avais une vision naïve des campagnes de désinformation, pensant qu'elles étaient simplement des tentatives de persuader les gens que le changement climatique était une supercherie. Bien que cela soit vrai, j'ai depuis compris que le pouvoir de la propagande ne réside pas tant dans la persuasion que dans l'exploitation d'une idéologie profonde et d'un esprit de groupe. Il ne s'agit pas seulement de diffuser des mensonges, mais de créer la division.

Des campagnes telles que « Foreign Funded Radicals » et « Ethical Oil », qui visaient à semer la discorde et à semer la confusion au sein de l’opinion publique, n'étaient que des manifestations d'une guerre psychologique plus large. Le Brexit ou la campagne présidentielle de Trump ont utilisé des techniques similaires, fondées sur des attaques ad hominem incessantes contre des groupes extérieurs, dans le but d'exacerber la peur et la colère. Ces stratégies visent à amplifier la division, en désignant des boucs émissaires, qu'il s'agisse des réfugiés, des demandeurs d'asile ou des groupes vulnérables comme les migrants fuyant la violence ou la sécheresse. L’objectif est de créer un environnement où l'angoisse collective justifie des décisions politiques biaisées, éloignant les citoyens de la vérité et de la solidarité.

Le cœur toxique de la propagande n’est pas seulement la désinformation, mais le tribalisme qui l’accompagne. Il génère un fossé profond, un « nous » contre « eux » qui empêche toute remise en question des croyances internes du groupe. Cette dynamique sociale devient un terrain fertile pour l'illusion de certitude, rendant difficile l’acceptation de faits objectifs et du raisonnement collectif. Dans ce climat, le discours démocratique authentique devient presque impossible, car les espaces publics sont pollués par une polarisation croissante. La véritable démocratie exige des conversations ouvertes et raisonnables sur des sujets tels que l'environnement ou la justice sociale. Pour cela, il est crucial de désamorcer la propagande qui divise, et de créer des conditions permettant un dialogue rationnel.

Il est essentiel de comprendre comment fonctionne la propagande non seulement pour éviter d'en être victime, mais aussi pour éviter de contribuer involontairement à ses effets divisifs. Les réactions hâtives et émotionnelles alimentent souvent cette polarisation. En effet, il est tentant de se laisser emporter par la colère face à des manipulations évidentes, ce qui est compréhensible. Cependant, l’objectif devrait être d’exprimer une indignation publique juste sans provoquer un déchaînement plus toxique qui n’affecte que la division sociale et conduit à l’impasse. Il est facile de se laisser entraîner dans des débats futiles, et pourtant, comme l’a dit George Bernard Shaw, « ne jamais lutter avec un cochon, vous vous salissez tous les deux, et en plus, le cochon prend plaisir à ça ». L’idée sous-jacente est de ne pas sombrer dans la radicalité ou la fanatisation, car il est souvent plus sage de ne pas répondre à la provocation par l'extrémisme.

Le dialogue avec les opposants n'est pas une tâche simple. Mais, comme le souligne Karen Armstrong, nous devons examiner ce qui nous fait souffrir et éviter d'infliger cette douleur à autrui. Agir par ego ou pour punir l'adversaire est contre-productif. Ce qui compte vraiment, c'est d'induire un changement réel, non d’agir sous le coup de l’ego. En ce sens, les enseignements de figures comme Thich Nhat Hanh et le Dalaï Lama sont précieux. Leur sagesse nous invite à être justes dans nos propos, mais à ne jamais chercher à punir par nos mots. La vérité doit être exprimée, mais elle ne doit pas être utilisée comme une arme pour humilier ou détruire l’autre.

Cependant, ce type de dialogue soulève des débats. Certains soutiennent que la véritable menace ne réside pas dans la polarisation, mais dans la corruption systémique. D'autres croient qu'il est impossible de surmonter l'indifférence générale sans une polarisation accrue pour attirer l'attention du public. Il existe aussi des voix qui clament qu’il y a un manque d'indignation face aux injustices environnementales et sociales. Mais ces points de vue, bien que valables sous certains aspects, ignorent un principe fondamental : la polarisation de la société ne résoudra rien. Au contraire, elle précipite un état de blocage politique et social. L'histoire nous montre que les changements durables ne sont pas le fruit de la division, mais de l’unité. Une solution viendra d'un mouvement qui dépasse la confrontation directe, et qui propose une alternative inclusive et progressive.

L’idée centrale demeure celle du dialogue et de l’engagement civique. Lors de discussions récentes avec mes amis Alex Himelfarb et Miles Richardson, la question s'est posée : devons-nous rechercher un juste milieu avec ceux qui défendent des idéologies haineuses et dangereuses ? Alex a fermement répondu que, face à la haine et à la corruption, il n'y a pas de terrain d'entente. Il est impératif de s'opposer sans ambiguïté à l’intolérable. Pourtant, cette opposition ne doit pas se confondre avec un simple rejet, mais doit s'accompagner d’une vision positive qui reconstruise, qui propose un nouvel idéal de société, où l’on prône la coopération plutôt que la compétition, où le bien-être collectif prend le pas sur l’individualisme.

Le véritable défi aujourd'hui consiste à créer un mouvement capable de contrer les forces sombres tout en restaurer la confiance publique. Cela passe par la reconstruction des institutions démocratiques et par des actions concrètes pour lutter contre les inégalités, protéger l'environnement et renforcer la démocratie elle-même. Les leaders doivent cesser de diviser et commencer à unir, en bâtissant un projet commun pour un avenir plus juste et plus durable.