Amartya Sen, figure éminente de l’économie classique, incarne une partie importante de cette orthodoxie qui, tout en prétendant aborder les enjeux environnementaux, continue d’ignorer leur véritable complexité. Lors d’une confrontation avec un critique de la croissance économique, Sen s’est moqué de l’idée d’abandonner le progrès économique, le qualifiant de retour aux « huttes de chaume ». Pourtant, cette réaction, loin de défendre un progrès réel, illustre plutôt une incompréhension fondamentale des enjeux écologiques. La posture de Sen reflète une tendance parmi les économistes dominants à éviter de confronter la crise environnementale sous ses véritables dimensions systémiques. Une telle attitude, qui consiste à occulter les racines profondes des crises écologiques, est un problème grave.
La question fondamentale ici est celle de l'intégration de la question environnementale dans l’économie, qui, dans l’économie dominante, est trop souvent traitée comme un simple cas particulier. La position la plus répandue consiste à transformer les problèmes écologiques en déclinaisons des concepts économiques déjà établis. Par exemple, le changement climatique, qu’il soit d’origine humaine ou non, est abordé principalement comme une opportunité de transition vers une économie à faible émission de carbone, autrement dit comme une forme de « croissance verte » ou de « finance verte ». Cette approche prétend que la transformation écologique des économies pourrait être simplement encadrée par des politiques macroéconomiques classiques, comme si l’ensemble des mécanismes écologiques pouvait être intégrés dans les théories économiques existantes sans en modifier la structure de fond.
En opposition à cette conception, une autre approche émerge, l’approche de l’économie écologique sociale, qui plaide pour une analyse interdisciplinaire et pour une reconceptualisation de l’économie comme un sous-ensemble des systèmes écologiques. Cette vision radicale remet en question la séparation traditionnelle entre la sphère économique et les dynamiques écologiques, en insistant sur la nécessité d’une transformation sociale-écologique des économies modernes. Les économistes qui soutiennent cette approche, parmi lesquels figurent Sabine O’Hara, Marina Fischer-Kowalski et Bina Agarwal, partagent l’idée qu’une véritable réponse à la crise environnementale doit passer par une redéfinition de la relation entre la société, l’économie et la nature.
Ce positionnement relève non seulement de la critique de l’économie dominante, mais aussi d’un rejet de son incapacité à repenser les paradigmes économiques dans un contexte écologique. Selon certains économistes critiques, la réponse de l’orthodoxie à la crise écologique est non seulement insuffisante, mais elle présente également un danger. L’accommodation des questions environnementales au sein des modèles économiques existants ne fait que retarder l’adoption de véritables réformes systémiques. L’intégration de la nature dans les théories économiques comme simple « capital naturel » ou « services écosystémiques » ne fait qu’ignorer la finitude des ressources et les limites planétaires.
Il est essentiel de souligner que cette dynamique ne concerne pas uniquement les économistes. L’impasse du paradigme économique dominant est également un problème pour d’autres disciplines. Les chercheurs en sciences sociales, ainsi que les philosophes et les écologistes, commencent à s’intéresser davantage à ces questions, mais la résistance au changement reste forte. L’économie dominante s’arroge souvent un monopole sur les questions relatives à l’économie et l’environnement, rendant difficile la remise en cause de sa logique interne.
Les dissidents hétérodoxes, ceux qui remettent en question les fondements de l’économie dominante, ne sont pas sans critique. Ils se distinguent des économistes « hérétiques » qui, tout en critiquant l’orthodoxie, continuent d’opérer dans les limites de ses prémisses. Selon des chercheurs comme Lee (2009) et Lavoie (2014), les économistes hétérodoxes, bien qu’ils remettent en cause certaines idées fondamentales de l’économie classique, ne parviennent pas à renverser les bases mêmes du système. Leur critique, bien que précieuse, demeure partielle et souvent contenue dans le cadre de l’économie de marché.
Dans le même temps, l’économie écologique sociale, qui s'inscrit dans cette longue tradition de dissidence, cherche à radicaliser la remise en question de l’économie dominante. Elle rejette les compromis et appelle à une révision totale des principes économiques afin d’intégrer des impératifs écologiques et sociaux. Des économistes comme Georgescu-Roegen, Kapp et Spash ont défendu cette approche dès les premières heures de l’économie écologique, mettant en lumière l'illogisme de la poursuite de la croissance économique dans un monde aux ressources limitées.
Ce discours, bien que marginal dans l’académie économique traditionnelle, gagne en influence en raison de l’ampleur croissante de la crise environnementale. Il est d’ailleurs intéressant de constater que l’économie écologique n’a pas été constituée uniquement par des économistes, mais par une diversité de chercheurs provenant de diverses disciplines : écologues, sociologues, politologues, voire même des scientifiques naturels. Cette approche interdisciplinaire est non seulement un atout, mais aussi une nécessité face à la complexité des défis écologiques actuels. Ceux qui se préoccupent des crises environnementales doivent être prêts à dépasser les clivages disciplinaires pour repenser l’économie en termes écologiques et sociaux.
Une telle refonte de la pensée économique demande une remise en question profonde de l'économie telle qu’elle est pratiquée aujourd'hui. Les économistes hétérodoxes et les chercheurs écologiques s’accordent à dire que la solution ne réside pas dans la « croissance verte », mais dans une transformation radicale des pratiques économiques, un changement qui ne pourra se produire que si la pensée dominante est véritablement remise en cause. Cela nécessite une ouverture à de nouvelles formes de gouvernance, un modèle de production moins axé sur l’accumulation infinie et plus sur la gestion soutenable des ressources naturelles.
Quelles sont les différentes approches de la recherche en économie écologique ?
L'économie écologique, comme domaine scientifique, a progressivement évolué en un collectif complexe, rassemblant divers chercheurs et contributeurs. L'objectif de cette section est de cartographier ce paysage théorique et idéologique afin de clarifier ce qui constitue cette communauté d'experts, de chercheurs et de praticiens qui s'identifient à cette discipline. Il ne s'agit pas d'éviter les divisions substantielles ou les incohérences qui peuvent émerger de ces réflexions. Ainsi, cette analyse présente trois positions majeures au sein de la recherche en économie écologique : le pragmatisme environnemental, la nouvelle économie des ressources et l'économie sociale écologique. Quatre positions croisées, qui se situent entre ces principales, permettent de dresser un tableau plus complet des débats théoriques et pratiques qui traversent cette discipline. Leur présence au sein de la communauté scientifique n'est pas prédéterminée, et comme dans toute conceptualisation dialectique, elles peuvent apparaître plus ou moins empiriquement importantes, mais toujours pertinentes pour affiner les frontières du champ de l'économie écologique.
Le paysage théorique qui suit repose sur une vaste expérience personnelle de quatre décennies de lecture, d'écriture et de recherche sur les relations entre économie et environnement. La classification proposée est avant tout descriptive et non prescriptive, mais elle a des implications importantes pour l'économie écologique en tant que pratique scientifique. Ce travail vise à conceptualiser un domaine de savoir qui allie l'interaction dynamique entre la compréhension des enjeux et les références théoriques qu'elles invoquent. Après plusieurs années de raffinements, la carte de ce territoire semble suffisamment précise pour guider les chercheurs, bien que des critiques aient été émises à son sujet. L'étendue de la présence empirique de ces sept positions reste une question ouverte, mais il est certain que l'avenir de ce champ de recherche en sera influencé par les propositions contenues dans cet ouvrage.
Les sept approches de la recherche en économie écologique
Dans les chapitres précédents, l'ouvrage a plaidé pour le rejet d'un pluralisme méthodologique déstructuré et non critique, ainsi que pour la mise à distance de l'économie néoclassique dominante. Le développement de l'économie écologique a été freiné, plutôt que favorisé, par des théories telles que la théorie des prix et de la valeur en microéconomie néoclassique, la vision du développement par la croissance macroéconomique, et la méthodologie formaliste et arithmomorphe de l'orthodoxie économique. Certains chercheurs s'associant à l'économie écologique, notamment à travers la publication dans des revues spécialisées, semblent satisfaits d'adopter une économie néoclassique orthodoxe de manière totalement non critique, en apportant quelques modifications marginales, mais sans proposer de rupture paradigmatique. Ces chercheurs forment ce que l'on pourrait appeler « la nouvelle économie des ressources », qui, bien qu'ayant adopté certains éléments critiques issus des sciences physiques et écologiques, les formalise dans des modèles néoclassiques, visant l'allocation optimale des ressources via des marchés producteurs de prix.
En revanche, ceux qui rejettent cette approche et qui appellent à une refondation théorique radicale de l'économie forment ce que l'on pourrait désigner sous le nom d’« économie sociale écologique ». Ce groupe n'est pas fondé sur des propositions récentes, mais plutôt sur une philosophie et une idéologie qui prennent racine dans la pensée écologique historique, remontant à des idées fondatrices de l'économie écologique.
Un troisième groupe refuse ce qu'ils appellent les « prétentions théoriques » des deux précédents, se concentrant exclusivement sur des solutions pratiques aux problèmes environnementaux. Ils adoptent une approche pragmatique, rejetant la théorie qu'ils jugent obstructive. Pour ce groupe, la fin justifie les moyens, et ils considèrent que les approches théoriques doivent céder la place à des actions concrètes et immédiatement efficaces. Ce positionnement est désigné sous le terme « pragmatisme environnemental », et se distingue de la tradition philosophique du pragmatisme américain. Il repose sur l'idée que l'efficacité d'une méthode, quelle qu'elle soit, doit primer, indépendamment des réflexions théoriques ou critiques qui peuvent l'accompagner.
Le pragmatisme environnemental peut ainsi se manifester de deux manières : soit comme une extension de l'économie néoclassique, par exemple dans l'utilisation de modèles économiques comme moyens de persuasion politique, soit dans une approche plus lâche, visant à apaiser les tensions entre les différents acteurs politiques et économiques en rendant l'environnement une question accessible à tous.
Positions et implications théoriques
La confrontation entre ces trois groupes — la nouvelle économie des ressources, l'économie sociale écologique, et le pragmatisme environnemental — présente un tableau complexe où les différences théoriques et idéologiques s'entrelacent avec des stratégies politiques. La nouvelle économie des ressources, bien qu'incarnant un courant hétérodoxe, demeure fondamentalement ancrée dans les paradigmes traditionnels de l'économie de marché et de la gestion des ressources naturelles. L'économie sociale écologique, en revanche, représente une critique radicale des paradigmes existants, cherchant à redéfinir la relation entre l'économie et l'environnement sur des bases profondément nouvelles. Le pragmatisme environnemental, quant à lui, cherche une approche plus flexible, pragmatique, visant des résultats immédiats sans se soucier des débats théoriques qui, selon lui, sont souvent trop abstraits et peu utiles à la résolution des problèmes concrets.
Il est essentiel de comprendre que ces différentes positions ne sont pas simplement des nuances théoriques, mais des stratégies politiques bien distinctes. Certaines approches, comme celle du pragmatisme environnemental, peuvent adopter des concepts économiques sans se soucier de la rigueur théorique de leur mise en œuvre, dans un but purement instrumental, à savoir persuader les décideurs et les acteurs économiques. Cette approche, en particulier, a conduit à une financiarisation de la nature, où des outils comme la valorisation monétaire de l'environnement sont utilisés pour intégrer les considérations écologiques dans des systèmes économiques dominés par le marché.
Il est également important de noter que l’économie écologique n'est pas seulement un champ d'étude académique, mais un domaine de plus en plus influencé par des intérêts économiques et politiques. Par conséquent, une réflexion sur la manière dont les concepts sont utilisés pour des objectifs politiques et économiques reste essentielle pour comprendre les orientations futures de ce domaine de recherche.
Quelles sont les limites de la croissance économique dans un contexte écologique?
L'économie moderne, dans sa quête incessante de croissance et d'expansion, se heurte à des paradoxes qui mettent en lumière ses contradictions fondamentales. Depuis la Révolution industrielle, la recherche d'une croissance illimitée a été perçue comme la clé du progrès, mais aujourd'hui, les limites naturelles du système économique mondial deviennent de plus en plus évidentes. Les ressources naturelles, pourtant perçues comme infinies à une époque, sont aujourd'hui reconnues comme finies et fragiles. Cette prise de conscience a donné naissance à des débats sur les limites de la croissance, en particulier dans le contexte des crises écologiques et sociales que nous affrontons.
L'un des concepts clés dans ce domaine est celui de l'« économie de l'écosystème ». Contrairement à la vision traditionnelle qui évalue la croissance principalement en termes de production et de consommation, cette approche reconnaît que les écosystèmes ont une valeur intrinsèque qui ne peut être réduite à des simples transactions économiques. Il s'agit de dépasser les notions de prix des ressources naturelles pour intégrer des considérations écologiques et sociales dans le calcul économique. Cependant, cette nouvelle façon de penser rencontre des résistances, notamment de la part des économistes traditionnels, qui maintiennent que l'économie doit rester concentrée sur des indicateurs de performance mesurables, tels que le produit intérieur brut (PIB), et que les enjeux environnementaux ne sont qu’un aspect secondaire de la croissance économique.
Le modèle de la « croissance verte » propose d'innover par le biais de technologies permettant de concilier croissance économique et préservation des ressources naturelles. Mais cette vision demeure discutable. Les progrès technologiques, bien qu'importants, ne semblent pas suffire à compenser l'impact environnemental global des sociétés modernes. La pression sur les écosystèmes, la surexploitation des ressources naturelles et la perte de biodiversité continuent de croître, rendant d'autant plus urgente une réflexion sur les véritables limites du modèle de croissance illimitée.
En parallèle, les théories économiques hétérodoxes, comme l'économie écologique, offrent une alternative plus radicale. Ces théories remettent en question la notion même de croissance économique infinie. Elles suggèrent que l'économie doit être pensée comme un sous-système intégré aux écosystèmes naturels, respectant leurs limites et leurs cycles. La croissance, dans ce contexte, ne doit plus être un objectif en soi, mais un processus qui s’inscrit dans un cadre durable et respectueux des capacités de la Terre.
Il est essentiel, dans ce débat, de prendre en compte les dimensions sociales et éthiques de la question. La croissance économique, telle qu'elle est pratiquée aujourd'hui, a renforcé les inégalités sociales et la précarité. Les bénéfices de la croissance ne sont pas répartis équitablement et la persistance de l'inégalité économique et sociale est l'une des conséquences les plus pernicieuses du modèle de croissance dominante. En outre, la croissance inexorable a souvent été justifiée par une vision technologique et optimiste du futur, ignorant les impacts négatifs sur les populations vulnérables et sur l’environnement.
Les arguments en faveur d'un « arrêt de la croissance », bien que contestés, proposent un modèle économique radicalement différent. Selon ces perspectives, l'objectif ne serait pas de maintenir ou d'accélérer la croissance, mais de promouvoir une économie de la suffisance, qui privilégierait la qualité de vie plutôt que l'augmentation des biens matériels. Cette orientation nécessite une refonte totale de notre conception de la prospérité, qui inclurait non seulement les biens matériels, mais aussi les dimensions immatérielles du bien-être humain, telles que la culture, la santé, et les relations sociales.
Dans cette perspective, les politiques publiques doivent évoluer pour créer des structures économiques qui privilégient l'accès universel aux biens essentiels et soutiennent une transition vers des modèles de consommation plus durables. Le « post-croissance » propose également de reconsidérer la place de l'État et du marché dans la régulation des ressources naturelles, en mettant l'accent sur la coopération internationale et l'instauration de régulations efficaces pour protéger l'environnement.
En ce sens, il est crucial de remettre en question les paradigmes dominants de l’économie, qui ont longtemps ignoré l’écosystème en tant que facteur central de la prospérité humaine. L’économie doit, selon cette approche, évoluer vers une plus grande interdisciplinarité et intégrer les connaissances écologiques dans ses processus de prise de décision. Une telle transformation nécessiterait un changement radical de notre compréhension des relations entre l'homme et la nature, un changement qui inclut une révision de nos valeurs fondamentales et de nos objectifs à long terme.
La réflexion sur les limites de la croissance, par ailleurs, ne peut ignorer les questions de justice sociale et d’équité. L’inégale distribution des bénéfices de la croissance actuelle est au cœur des débats sur la durabilité. La transition vers un modèle économique qui respecte les limites de la croissance doit impérativement tenir compte des inégalités sociales et des impératifs de solidarité internationale, car ce sont les populations les plus vulnérables qui pâtissent le plus des crises écologiques et des dérèglements économiques globaux.
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