Les paysans biélorusses célébraient chaque année, avant le Mardi Gras, la Pentecôte et après la semaine de Pâques, la mémoire de leurs grands-pères défunts. Les préparatifs pour cette célébration étaient longs et minutieux : nettoyage de la maison et préparation de plats rituels. Les défunts étaient invités à participer à la fête, qui était toujours un événement festif majeur. Ce genre de vénération des ancêtres, très ancré dans les traditions paysannes, illustre l’importance du culte des défunts dans les sociétés slaves.

En Serbie et en Bulgarie, les coutumes funéraires se pratiquaient principalement autour des cimetières. Les vivants apportaient de la nourriture et des boissons sur les tombes de leurs ancêtres, en consommant une partie sur place et en laissant le reste aux défunts. La pratique de la gloire familiale, en particulier chez les Serbes, survit encore aujourd’hui. Elle se déroule le jour de la fête du saint patron de la famille, et ses origines préchrétiennes sont évidentes, puisqu'elle honorait les ancêtres de la lignée familiale.

Un autre vestige de ce culte des ancêtres réside dans la croyance en un dieu domestique, une figure invisible protectrice de la maison. Ce dieu, encore très présent parmi les Slaves de l'Est, est souvent imaginé comme un ancien chef de famille ou comme un vieillard symbolisant le bien-être ou la malchance de la maison. Il réside traditionnellement sous le poêle ou sous le seuil de la porte, surveillant les membres de la famille, réprimandant ceux qui sont paresseux et veillant sur les chevaux, qu’il accepte ou rejette selon la couleur de leur pelage. Les offrandes à ce dieu, simples mais significatives, comme du pain, du sel ou des céréales, sont un moyen de s'assurer de la prospérité du foyer. Ce culte persiste notamment dans les familles russes et biélorusses où la structure patriarcale demeure forte.

En revanche, les défunts dits "impurs" faisaient l’objet d’une toute autre approche. Craints par les vivants, ces défunts n’étaient pas vénérés mais redoutés, probablement en raison de la façon inhabituelle de leur mort ou de leur statut de sorciers durant leur vie. La superstition liée à ces défunts ne concernait pas leur âme mais leur corps, considéré comme une entité capable de revenir à la vie et de causer des malheurs. Des pratiques telles que la perforation du cadavre avec une pique en tremble étaient destinées à empêcher toute résurrection, une mesure pour se protéger d’une entité corporelle plutôt que spirituelle. Ces défunts impurs étaient souvent accusés de provoquer des catastrophes naturelles, comme la sécheresse, et leur corps était parfois exhumé pour être jeté dans des marécages ou noyé dans l’eau pour apaiser leur colère.

Les Slaves avaient également des cultes communautaires étroitement liés à l'agriculture. Ces rituels et fêtes, parfois encore observés aujourd'hui, se déroulaient à des moments clés du cycle agricole, comme le solstice d'hiver (qui a fusionné avec Noël), la période de Shrovetide (le préambule de Carême), ou les célébrations de la moisson. Ces fêtes, tout d'abord simples et liées aux travaux agricoles, ont évolué pour intégrer des éléments magiques et superstitieux, souvent en lien avec des croyances animistes. Les rites, comme la divination du Nouvel An ou l'ensemencement symbolique d'un œuf de poule, montrent combien la magie agricole faisait partie de la vie quotidienne des Slaves.

Parmi les divinités anciennes des Slaves, certaines sont clairement liées à l’agriculture, comme Svarog, Dazhdbog et Khors, associés au soleil. Veles, quant à lui, était le dieu protecteur du bétail. Mokosh, déesse des travaux féminins, notamment du filage et du tissage, est l'une des rares figures féminines du panthéon slave. Sa vénération est la seule à avoir perduré jusqu’à nos jours sous une forme populaire.

Les Slaves possédaient aussi des croyances plus floues, telles que celles relatives à Rod et Rozhanitsy. Bien que leur nature exacte demeure incertaine, certains chercheurs les identifient comme des esprits ancestraux, tandis que d'autres les considèrent comme des esprits de la fertilité. Leurs cultes sont emblématiques des croyances profondément enracinées dans les familles et les communautés, même si les sources écrites ne permettent pas toujours de clarifier leur signification.

Enfin, à mesure que les sociétés slaves se structuraient et que les relations féodales se développaient, certains cultes tribaux ont été transformés en cultes nationaux. C’est notamment ce qui s’est produit avec l’effort de Vladimir le Grand, prince de Kiev, qui, en 980, tenta d'unifier les Slaves de l'Est sous un même panthéon. Mais malgré cette tentative de créer une religion nationale, la conversion au christianisme s’imposa rapidement dans la région, en partie parce qu’elle répondait mieux aux besoins des nouvelles structures sociales. En fin de compte, le christianisme supprima progressivement les cultes anciens, bien que de nombreuses traditions païennes aient persisté sous forme de superstitions ou aient été intégrées dans les célébrations chrétiennes.

Le processus de christianisation des Slaves montre comment les croyances anciennes se sont amalgamées avec les nouvelles religions, et comment les traditions folkloriques et les cultes préchrétiens ont survécu à travers des adaptations culturelles. Il est important de comprendre que, bien que les croyances populaires aient évolué, elles ne disparaissaient jamais complètement, et ce métissage des pratiques religieuses constitue une partie essentielle du patrimoine spirituel des Slaves.

Les croyances religieuses et la magie chez les Aborigènes australiens : une exploration des rituels et mythes

Bien que les Australiens aient constamment suspecté quelqu'un de sorcellerie, ils y recouraient rarement. Cela s'explique par le fait que le rite pouvait être nuisible à l'exécutant, car être simplement suspecté de sorcellerie pouvait entraîner la vengeance des proches de la victime. La grande majorité des tribus ne possédaient pas de spécialistes en magie noire. La plupart des tribus croyaient que n'importe qui pouvait lancer une malédiction, le plus souvent venant d'une tribu ennemie. Le conflit intertribal était le principal facteur instigateur de la peur superstitieuse de la magie noire, qui, à son tour, alimentait encore davantage les discordes intertribales et les hostilités mutuelles.

La majorité des tribus australiennes pratiquaient des formes de magie médicale similaires, issues de la médecine populaire. Cette pratique était extrêmement développée chez les Australiens, qui savaient comment utiliser diverses herbes, préparer des cataplasmes, faire des massages, appliquer des compresses, pratiquer les saignées, traiter les blessures et remettre les os en place. Toutes ces méthodes de médecine populaire et de chirurgie étaient accessibles à tous, mais elles n'étaient pas toujours efficaces. C'est pourquoi les personnes superstitieuses cherchaient l'aide de guérisseurs professionnels, qui utilisaient souvent la magie, comme aspirer une pierre imaginaire ou un « cristal » du corps du patient, tenter d'influencer son psychisme et l'hypnotiser par des regards et des gestes. La guérison du patient était attribuée à des pouvoirs magiques.

Les Australiens possédaient les premiers éléments du chamanisme. Contrairement au guérisseur qui « soigne » son patient par la magie, le chaman le faisait avec l'aide des esprits. Selon la tradition, ce sont les esprits qui désignaient celui qui deviendrait chaman. Le chamanisme, cependant, représente une forme de religion propre à une époque où le système tribal était en déclin. Les Australiens se situaient encore à un stade précoce de ce développement. Les guérisseurs et les chamans étaient également des « faiseurs de pluie », bien que ce rôle ne fût pas universel. Dans une culture de chasseurs, cette forme de magie n'avait pas un rôle central dans le système de croyances. Elle ne revêtait une grande importance que dans le climat aride du centre de l'Australie.

La magie sexuelle ou de l'amour existait chez les Australiens sous ses formes les plus simples. Les jeunes hommes portaient simplement des parures, croyant qu'elles exerçaient un effet magique sur les femmes et susciteraient leur réponse. Une incantation était souvent prononcée sur ces parures. Cet exemple montre comment la magie sexuelle prenait forme : des méthodes simples de séduction étaient censées avoir un effet magique.

Les chercheurs ont longtemps soutenu que toute la religion en Australie était un domaine purement masculin, et que les femmes étaient exclues des cérémonies religieuses. Presque tous les rites religieux décrits par les anthropologues impliquaient uniquement des hommes, et les croyances associées à ces rites étaient largement inaccessibles aux femmes. D'où la conclusion que les femmes n'avaient pas un statut égal dans la société australienne. Toutefois, des recherches récentes indiquent que ce n'est pas le cas. La stratification sociale selon le sexe et l'âge en Australie a affecté les rituels et les croyances. Au cours des dernières décennies, et peut-être des siècles, la société australienne a connu une transition du matrilinéaire au patrilinéaire. Par conséquent, les hommes ont largement remplacé les femmes dans les affaires rituelles. Cependant, les mythes et légendes de nombreuses tribus racontent des temps anciens où les femmes étaient actives, voire prédominantes, dans les cérémonies religieuses. De nos jours encore, il existe des cultes féminins aussi bien que masculins. Les cultes féminins sont moins connus, non seulement parce que presque tous les anthropologues étaient des hommes, mais aussi parce qu'il était extrêmement difficile pour eux de découvrir quoi que ce soit sur les rituels des femmes, où les hommes n'étaient pas autorisés à entrer. Parallèlement, de nombreux rituels menés par les hommes requièrent la participation des femmes, bien que dans un rôle discret et assez passif.

Un groupe particulier de rites religieux et de croyances est lié au culte des morts. Les formes d'inhumation chez les Australiens sont très variées. Ils enterraient le corps soit dans une position étendue, soit accroupie (parfois le corps était attaché ou même défiguré), l'enterraient dans une niche latérale, effectuaient des enterrements aériens sur des échafaudages ou des arbres, pratiquaient l'endo-cannibalisme (manger les morts), fumaient le corps, le transportaient, ou encore le brûlaient. Certaines tribus, notamment dans le sud, pratiquaient la méthode la plus simple : elles laissaient le corps près de leur feu de camp et partaient toutes vers une autre zone.

Les conceptions australiennes de l'au-delà sont assez vagues. Certaines tribus croient que l'âme du défunt erre sur la terre, d'autres pensent qu'elle s'en va vers le nord ou dans le ciel. D'autres encore estiment que l'âme meurt peu de temps après le corps.

Les Australiens possèdent une mythologie riche, bien que primitive. On a déjà mentionné les mythes sacrés totemiques. En plus de ceux-ci, il existe de nombreux mythes de types variés, principalement sur les animaux et les corps célestes. Ces mythes ne sont pas considérés comme sacrés et ne sont pas directement liés à la religion. C'est précisément ce qui les rend intéressants pour un historien des religions. Il est clair que ces mythes extrêmement primitifs sont nés de la simple curiosité de l'esprit humain, une tentative naïve d'expliquer tel ou tel phénomène. Les explications se retrouvent dans la personnification de ces phénomènes.

Un grand nombre de mythes expliquent, sous une forme naïve, certaines caractéristiques des animaux. Plusieurs mythes expliquent l'origine du soleil, qui est représenté comme une femme ayant autrefois vécu sur Terre, et de la lune, personnifiée en homme ; ainsi que l'origine des inondations et du feu. Il existe aussi des mythes concernant des héros culturels, des personnages mythiques attribués d'avoir introduit certaines coutumes ou avantages culturels, comme la découverte du feu, l'établissement des règles de mariage, l'initiation, etc. Les héros culturels dans les mythes des Australiens sont généralement dépeints comme mi-animaux, mi-humains. Ce n'est que dans les cas où les mythes sont liés à des rites religieux qu'ils deviennent une partie intégrante de la religion.

Comment l’image du Christ a-t-elle façonné la théologie et l’organisation chrétiennes ?

L’image de Jésus-Christ s’éloigne profondément des représentations messianiques et apocalyptiques antérieures, où le Messie était envisagé soit comme un souverain menaçant, un juge implacable, soit comme un agneau mystique et divin. Cette transformation entraîne une lutte idéologique intense, centrée sur l’origine même de Jésus. Le débat sur sa nature divine et humaine, sur le péché et la rédemption, structure la pensée chrétienne primitive. L’idée fondatrice du christianisme repose sur la notion que le sacrifice volontaire du Christ efface une fois pour toutes les péchés hérités d’Adam, rendant superflus tous les autres sacrifices traditionnels. La foi en Jésus et l’adhésion à son enseignement suffisent pour assurer le salut.

Le récit évangélique de la souffrance, de la mort et de la résurrection du Christ ne peut être considéré comme une chronique historique authentique. Plutôt que de refléter fidèlement des événements réels, il s’apparente à une mise en scène dramatique, comparable aux mystères antiques d’Égypte, de Grèce ou du culte d’Attis. Ces drames rituels représentaient la souffrance et la résurrection d’une divinité, et le texte évangélique peut être perçu comme un « livret » de ce rituel, adopté plus tard comme une vérité historique. Cette dimension rituelle souligne le caractère profondément symbolique des premiers récits chrétiens.

Dans les premiers siècles, le christianisme fut marqué par des luttes idéologiques acharnées, révélatrices des tensions entre différentes classes sociales et groupes nationaux. L’Église se constitue progressivement, mais les sources anciennes ne témoignent pas d’une organisation ecclésiale formelle. Les apôtres et prophètes apparaissent comme des prédicateurs itinérants, sans statut officiel, avant que n’émergent au début du IIe siècle des figures charismatiques dotées du « charisme » – une qualité spirituelle attribuée à l’Esprit Saint.

L’organisation hiérarchique se développe ensuite : diacres s’occupant des besoins quotidiens, évêques responsables des finances et des biens, puis prêtres, métropolites et enfin patriarches au IVe et Ve siècles. Les évêques, en contrôlant les ressources économiques, gagnent en influence et deviennent les gardiens de la doctrine et du culte, unifiant les communautés chrétiennes. Toutefois, cette centralisation s’accompagne de conflits internes majeurs, souvent liés à des disputes dogmatiques qui reflètent des intérêts sociaux et nationaux divergents.

Dès le Ier siècle, des tendances opposées se dessinent dans le christianisme. Les sectes telles que les Nicolaïtes sont mentionnées dans l’Apocalypse, mais leur nature reste obscure. Au IIe siècle, les controverses s’intensifient, avec l’émergence du gnosticisme, des marcionites et du montanisme. Le gnosticisme, fondé sur la « gnose » ou connaissance mystique, prétend atteindre la compréhension rationnelle du divin et de la réalité. Sa relation au christianisme est complexe : certains le considèrent comme une hérésie, d’autres comme une source même de la pensée chrétienne. Philo d’Alexandrie, souvent appelé le père du christianisme, était lui-même un gnostique.

Le gnosticisme oppose radicalement un esprit lumineux, bon et suprême, à une matière sombre et souffrante. Le monde matériel, imparfait et cruel, ne peut être l’œuvre du dieu parfait. Pour certains gnostiques, ce dieu inférieur et malveillant est assimilé au Yahweh de la Bible. Le salut ne vient pas d’un contact direct avec le dieu supérieur, inaccessible, mais par l’intermédiaire du Logos, une figure médiatrice incarnant la raison divine. Seuls les « pneumatiques », les élus spirituels, peuvent accéder à cette connaissance salvatrice.

La conception du Logos est intégrée dans la figure chrétienne du Christ Sauveur, unissant ainsi des éléments gnostiques et chrétiens. Ce mélange illustre la complexité des origines chrétiennes et la multiplicité des influences philosophiques et religieuses qui ont nourri sa théologie.

Il est crucial de comprendre que la formation du christianisme ne fut pas un processus linéaire ni homogène, mais un combat d’idées nourri par des contextes sociaux et politiques variés. La construction des dogmes, la formation de l’Église institutionnelle, ainsi que la définition du Christ lui-même, résultent d’une dynamique où s’entrelacent luttes de pouvoir, débats théologiques et synthèses culturelles. Le message chrétien se présente donc comme un produit à la fois religieux, politique et social, dont la richesse et la complexité méritent d’être appréhendées dans toute leur profondeur.