Le débat autour de la manipulation des idées, souvent qualifié de "cadre de pensée" ou "framing", est central dans la compréhension des dynamiques sociales et politiques modernes. Ce concept est particulièrement pertinent lorsqu’il s’agit de persuader les individus ou de modifier leurs comportements face à des enjeux complexes comme ceux liés au changement climatique ou à des crises économiques. George Lakoff, l'un des plus éminents théoriciens de ce concept, affirme que chaque fois que l'on s'engage dans un débat en adoptant le cadre de pensée de l'autre, on renforce inconsciemment ses idées et ses positions. Ce phénomène, parfois inconscient, peut être observé dans tous les domaines de la politique et de la communication. Si l’on dit par exemple « Ceux-ci ne sont pas des créateurs d’emplois », on se place implicitement dans le cadre de pensée des partisans de la notion de "création d'emplois", ce qui leur permet de renforcer leur point de vue auprès du public. Lakoff insiste sur le fait que la meilleure stratégie est d'éviter de mentionner le cadre adverse et de se concentrer exclusivement sur le sien.

Cette notion s’appuie sur un principe fondamental de la cognition humaine : notre cerveau ne fonctionne pas comme une simple boîte de réception d’informations factuelles. La façon dont nous percevons le monde et formulons nos opinions est en grande partie modelée par des métaphores et des cadres qui se forment au fil du temps, souvent renforcés par les médias. Chaque concept, chaque image, chaque métaphore, imprégnée dans notre esprit, finit par constituer un circuit neuronal. C’est ainsi que des systèmes de valeurs entiers, des idéologies et même des systèmes moraux sont physiquement inscrits dans notre cerveau. Cela explique pourquoi des informations qui ne correspondent pas à nos cadres préexistants sont facilement ignorées, sauf si elles suscitent une remise en question suffisante. Mais cette remise en question est loin d’être une habitude généralisée.

Ce phénomène ne s’arrête pas à la simple absorption des idées ; il façonne également notre capacité à comprendre le monde de manière rationnelle. Les idéaux traditionnels sur la raison, hérités de Descartes, sont aujourd’hui largement dépassés. La communication et la perception ne se limitent pas à une transmission d’informations objectives. Elles sont plutôt conditionnées par des structures mentales et des valeurs partagées qui modifient la manière dont nous recevons et traitons la réalité. Il en résulte que, bien plus que des faits bruts, ce sont les cadres de pensée qui gouvernent la manière dont nous interprétons et réagissons à ces faits.

Le philosophe français Bruno Latour, un autre penseur influent dans ce domaine, partage un point de vue similaire, notamment en ce qui concerne la communication scientifique. Pour Latour, les faits ne changent pas les mentalités, et ce ne sont pas eux qui résolvent les conflits. Au contraire, il faut réexaminer nos conceptions de la vérité et de la preuve. En matière de science, l'idée que l'on puisse offrir des « faits incontestables » est de plus en plus illusoire. Les données scientifiques, bien que massives et complexes, ne font pas l’objet d’une simple transmission de vérités. Elles nécessitent des années de discussion, d’évaluation et de réflexion avant de parvenir à des conclusions partagées. Latour souligne que le problème du changement climatique n’est pas l’absence de faits, mais le fait que ces données sont souvent noyées dans une confusion politique et sociale qui empêche une action concrète.

Le changement climatique, selon Latour, constitue un exemple frappant de la façon dont l’accumulation de faits scientifiques n’entraîne pas une transformation réelle des comportements. Les faits sont là, pourtant, l’action se fait attendre. L’obstacle n’est pas simplement un manque de compréhension ou de données, mais une résistance globale au changement. Ce blocage réside dans l’ampleur des transformations nécessaires, celles qui exigent une remise en question profonde de notre mode de vie à une échelle mondiale. Le fait de demander aux sept milliards de personnes de transformer radicalement leurs existences représente un défi de taille, d'autant plus que cette demande est souvent perçue comme une menace plutôt que comme une solution.

Il est essentiel de comprendre que cette résistance au changement ne résulte pas d’un manque d’information, mais d’une structure mentale profondément ancrée. Les cadres mentaux, conditionnés par la culture, la politique, et l’économie, rendent difficile l’acceptation de faits qui vont à l’encontre de ces structures. Ainsi, ce n’est pas une question de persuasion rationnelle, mais de redéfinir les conditions de la discussion publique, d’accepter que les faits sont rarement des instruments transparents et incontestables, mais qu’ils font partie d’un jeu de cadres concurrents.

Les questions d’environnement, par exemple, ne peuvent être réduites à des débats sur la vérité des faits scientifiques. Elles touchent à des valeurs et des préoccupations plus profondes : comment réconcilier des intérêts parfois contradictoires ? Comment intégrer dans le débat public des enjeux complexes qui dépassent les simples considérations factuelles ? Le changement que nous appelons de nos vœux exige une transformation radicale des structures mentales collectives, une redéfinition des priorités et des actions concrètes qui dépassent les simples données.

Pourquoi la quête de la vérité dans les débats environnementaux est-elle contre-productive ?

Les environnementalistes, souvent porteurs d’avertissements apocalyptiques, suscitent une prise de conscience de l'urgence climatique. Cependant, Bruno Latour met en garde contre l'effet paralysant de certains messages catastrophistes, souvent accompagnés de courbes exponentielles menaçant la planète, sur fond musical dramatique. Pour lui, une telle approche, bien qu'intentionnée, conduit à l'inaction. En effet, une information qui se veut uniquement alarmiste, sans offrir de solution claire, ne peut que créer un sentiment d’impuissance. Il souligne qu’il est vain de prêcher une fatalité qui anéantit tout espoir de changement. Ce type de message, bien que soutenu par des faits scientifiques, finit par figer l’opinion publique dans une inertie, car il supprime la volonté d’agir.

Latour va plus loin en critiquant la tendance à considérer des phénomènes comme inéluctables, une position incarnée par Al Gore dans son film "Une vérité qui dérange". Pour Latour, définir une situation comme étant inévitable équivaut à nier la politique, car la politique, selon lui, consiste précisément à interroger la possibilité de changer une situation, à proposer des alternatives. Ce genre de discours, qui s’appuie sur l’idée de l’irréversibilité des changements climatiques, incite à la résignation plutôt qu’à l’action. Un message qui prive les citoyens de leur capacité à imaginer une issue ne peut qu’aboutir à l’immobilisme.

Latour plaide donc pour un changement de perspective : au lieu de nourrir le public avec des discours fatalistes, il propose de concentrer les efforts sur ce qu’il appelle "les préoccupations", plutôt que sur les faits. Ce changement de paradigme s'accompagne d’une remise en question de la notion de vérité absolue dans le discours public. La vérité, en effet, n’a pas sa place dans une assemblée citoyenne où des valeurs divergentes s’expriment. L'idée même de vérité comme arbitre dans un débat public devient obsolète, car elle transforme les discussions en confrontations rigides, où chacun campe sur ses certitudes.

Il explique que, dans le domaine de l’environnement, comme pour de nombreux autres sujets d’actualité, la vérité n’est plus détenue par un expert ou un groupe de spécialistes. La situation devient complexe, les débats s’étendent sur des sujets techniques comme les énergies renouvelables ou la vaccination, et les experts eux-mêmes sont divisés. Par exemple, la question de l’implantation des éoliennes dans certaines régions engendre des opinions contradictoires, et la confrontation entre des experts du climat, de la législation et de l’économie crée une cacophonie difficile à démêler pour le public.

Aujourd'hui, les citoyens sont confrontés à un excès d'informations, souvent contradictoires, et à une multitude de points de vue qui les submergent. Chaque aspect de la vie quotidienne devient un terrain de débat. Acheter des cerises en hiver, par exemple, ou choisir de prendre l'avion au lieu du train, sont autant de gestes qui peuvent être analysés à travers le prisme du réchauffement climatique. Cette surabondance de controverses crée une forme de culpabilisation collective, où chaque individu semble responsable de l’état de la planète, indépendamment de ses actions individuelles.

Latour met également en lumière le fait qu'il existe désormais une multitude de discours publics sur des sujets autrefois consensuels. Des exemples comme la controverse sur les organismes génétiquement modifiés en France, qui déchire l’opinion publique, en témoignent. L’ère de la science désintéressée et des experts impartiaux semble révolue. À la place, des conflits idéologiques se développent autour de chaque question scientifique, et il devient difficile, voire impossible, de s’entendre sur un cadre commun.

Pourtant, Latour n’est pas pessimiste. Il voit dans ces disputes un levier pour créer un espace de réflexion sur l’avenir de notre monde. Abandonner l’idée d’une vérité absolue permettrait d’ouvrir un dialogue plus productif, où l’accent est mis sur la recherche de solutions communes. Plutôt que de chercher à imposer une vérité incontestable, il propose que les gens se rassemblent autour de leurs désaccords. Car dans ces désaccords réside la possibilité d’une transformation collective. La politique, selon lui, doit commencer par la reconnaissance des divergences, non par une volonté de conciliation rapide ou d’alignement forcé sur des faits soi-disant incontestables.

Dans cette optique, la question qui devrait dominer les débats environnementaux n’est pas celle de la vérité, mais celle de la manière dont nous pouvons organiser des discussions constructives sans nous perdre dans des oppositions stériles. À l’instar des discussions sur les changements climatiques ou la gestion des ressources naturelles, il est essentiel de repenser la manière dont nous engageons les citoyens. La question essentielle n'est pas "qui a raison ?" mais "comment pouvons-nous agir ensemble pour créer un avenir commun viable ?"

Latour ne croit pas que la politique classique, fondée sur des certitudes et des faits figés, soit capable de résoudre les enjeux contemporains. C’est dans l’acceptation de l’incertitude et de la pluralité des visions que se trouve peut-être la clé pour avancer collectivement. Les débats actuels, marqués par une polarisation extrême et une méfiance généralisée envers les institutions scientifiques, nécessitent une nouvelle manière de se concevoir et de se projeter dans le futur.

Il est désormais crucial de dépasser l’ancienne logique de confrontation factuelle et d’accepter que la diversité des perspectives sur des enjeux comme le climat, l’énergie ou la biodiversité soit non seulement inévitable mais bénéfique. Le véritable défi n’est pas de convaincre chaque individu de la vérité, mais de parvenir à une concertation productive entre des visions du monde opposées.

La manipulation numérique : un fléau à l’échelle mondiale

Le scandale de Cambridge Analytica n’est pas un cas isolé de pratiques commerciales corrompues, mais bien une manifestation d’un problème systémique, favorisé par les algorithmes des géants technologiques tels que Facebook, Google et d’autres, qui ont transformé la publicité et les fils d'actualités en véritables machines de modification du comportement. Cette forme de propagande à une échelle titanesque a pris des proportions inédites dans l’histoire humaine.

À partir du deuxième trimestre 2018, Facebook comptait 2,23 milliards d’utilisateurs actifs mensuels ; Twitter, 336 millions ; et Google, plus de 2 milliards de dispositifs actifs. Face à ces chiffres, il devient évident que des plateformes comme Facebook ont un impact direct sur la politique et la qualité du discours public. En effet, ce n’est pas un hasard si Facebook a été impliqué dans la manipulation de l’opinion publique lors de l’élection présidentielle de 2016 aux États-Unis et du référendum sur le Brexit. Jamais, dans l’histoire de l’humanité, n’avons-nous eu une capacité aussi grande à espionner, cibler et manipuler des centaines de millions de personnes, sans leur consentement, de manière invisible et à des fins que nous n’avions même pas imaginées.

Le penseur et auteur Jaron Lanier insiste sur le fait que cette machine de manipulation numérique doit être abolie. Selon lui, nous ne pourrons pas survivre en tant qu’espèce si nous ne parvenons pas à remédier à ce problème. Il soutient qu'une société ne peut pas fonctionner si, pour que deux personnes communiquent, cela nécessite une tierce personne prête à les manipuler pour des fins commerciales. Nous devons adopter un modèle économique différent, comme celui d’une bibliothèque publique ou un système de paiement par utilisateur similaire à celui de Netflix. Si l’accès à Internet et aux réseaux sociaux est « gratuit » parce que les publicitaires en assurent le financement, il en résulte inévitablement un modèle de surveillance et de manipulation. Ce système peut ensuite être exploité par n’importe quel acteur malveillant pour des fins de propagande numérique.

Le scandale de Cambridge Analytica a permis de dévoiler une forme de pathologie sociale bien plus subtile que la simple désinformation : il s’agit d’un processus systématique de division. Les stratégies utilisées par Cambridge Analytica, celles qui ont appuyé Trump et le Brexit, ainsi que l’ingérence russe, sont des exemples clairs de ce phénomène. Les algorithmes de Facebook et Google, par leurs actions souvent invisibles, participent également à cette division.

Le ciblage psychométrique est l'une des formes les plus insidieuses de propagande numérique. Masquée sous l'anonymat, cette opération secrète permet à des messages minutieusement calibrés de s’infiltrer dans la conscience collective, qu’il s’agisse de remettre en question le mariage homosexuel, de s’attaquer aux politiques migratoires ou d’exacerber les tendances jihadistes. Un étude menée par l’Université de Warwick a révélé une corrélation alarmante entre l’utilisation de Facebook et une recrudescence des attaques racistes en Allemagne, particulièrement dirigées contre les réfugiés. Là où l’utilisation de Facebook était plus élevée, les attaques contre les réfugiés augmentaient d'environ 50 %, indépendamment de la taille des villes ou de la richesse des communautés.

En outre, la plateforme Facebook a été largement critiquée pour son rôle dans la campagne de nettoyage ethnique menée par le gouvernement birman contre la minorité musulmane Rohingya. Des chercheurs ont démontré que, avant que les massacres n’éclatent, les discours haineux sur Facebook avaient augmenté de manière spectaculaire, exacerbant les tensions et incitant à la violence.

Ces phénomènes ne sont pas simplement des dérives isolées ; ils révèlent un problème de société plus vaste, où la confiance sociale est érodée par la manipulation numérique. L’Internet, dans ses premières promesses d’un espace démocratique vigoureux et d’un libre accès à l’information, n’a pas donné naissance à un bien commun, mais plutôt à un terreau fertile pour les fausses croyances, les théories du complot, la propagande et les débats superficiels. L’information se trouve maintenant polarisée et manipulée, non seulement par des acteurs malveillants, mais aussi par des entreprises qui, tout en prétendant servir l’intérêt public, profitent de la division et de l’indignation générée.

Les géants de l’information tels que Facebook, Google et Twitter ont une responsabilité morale considérable en tant que distributeurs mondiaux de nouvelles. Comme les médias traditionnels, ils doivent prendre des mesures pour séparer le vrai du faux, prévenir la propagation de la désinformation et empêcher que de fausses idéologies polarisantes ne se répandent sur leurs plateformes.

La question fondamentale qui se pose est donc celle de la liberté d’accès à l’information et des nouveaux modèles économiques qui pourraient permettre d’assurer une gestion saine de ces outils numériques, sans laisser place à la manipulation massive et invisible.

Pourquoi la justification personnelle est-elle si puissante et comment influence-t-elle nos décisions ?

La justification personnelle est un mécanisme fondamental de la psychologie humaine qui nous protège du malaise que crée la dissonance cognitive. La dissonance cognitive survient lorsque nos croyances et nos actions sont en conflit, et ce sentiment d'inconfort nous pousse à trouver des moyens de rationaliser nos décisions. Dans son ouvrage Mistakes Were Made, Tavris et Aronson expliquent comment ce processus se déploie à travers ce qu'ils appellent la pyramide du choix : "Deux jeunes hommes, identiques par leurs attitudes, leurs capacités et leur santé psychologique, se tiennent au sommet d'une pyramide." Ils sont amis et indécis sur un choix important — faut-il tricher à un examen, acheter cette voiture ou celle-là, accepter de l'argent d'une compagnie pharmaceutique pour leurs recherches ou non ? L'un prend une décision dans un sens, l'autre dans le sens opposé. Dès qu'ils prennent leur décision, ils commencent à chercher des preuves pour confirmer la sagesse de leurs choix respectifs. En justifiant leurs décisions, ils s'éloignent peu à peu l'un de l'autre, et à mesure que le temps passe, ils se retrouvent au bas de la pyramide, distants, voire se détestant. Ce phénomène décrit la plupart des décisions importantes liées à des choix moraux ou à des options de vie.

Une décision qui semblait au départ impulsive ou peu réfléchie se transforme au fil du temps en un chemin qu'il devient de plus en plus difficile de remettre en question. Plus on investit de temps, d'efforts, d'argent ou d’image publique dans une décision, plus il devient ardu de revenir sur ses pas et de dire : "En fait, à mi-chemin, j'aurais dû changer d'avis." Ce processus est connu sous le nom de justification de l’effort, un phénomène puissant qui montre pourquoi ceux qui ont investi dans un projet qui échoue continueront souvent à défendre leur erreur, plutôt que d’admettre qu’ils ont fait une mauvaise décision.

La dissonance cognitive — cet état où deux croyances contradictoires se heurtent — est aussi inconfortable que la faim ou la soif. L'esprit humain est naturellement motivé à réduire cette gêne, d'autant plus lorsqu'il s'agit d'un conflit entre la perception que l'on a de soi-même et des informations qui contredisent cette perception. La plupart des gens ont une image positive d'eux-mêmes : ils se considèrent plus intelligents, plus compétents, plus attirants que la moyenne. Mais les personnes ayant une haute estime de soi sont souvent les plus réticentes à accepter les preuves qu'elles ont fait une erreur, qu'elles ont agi de manière nuisible ou qu'elles maintiennent des croyances dépassées. C’est un phénomène que l’on retrouve dans les conflits de tous types : politiques, sociaux, professionnels.

Dans le domaine politique, par exemple, si un membre de votre camp commet une erreur, vous aurez tendance à minimiser l'incident, tandis que si un membre de l'autre camp commet la même erreur, vous l'accuserez vivement. Cela est illustré par l'exemple de Newt Gingrich qui critiquait Bill Clinton pour une liaison dans le bureau ovale, tout en entretenant lui-même une relation extraconjugale avec une de ses propres stagiaires. Ce mécanisme de justification montre à quel point la dissonance cognitive influence nos perceptions et nos actions, nous incitant à minimiser ou rationaliser les comportements répréhensibles chez nous-mêmes, tout en les amplifiant chez les autres.

Ce processus de justification est encore plus insidieux lorsqu’il s’agit de décisions professionnelles ou morales. Il est par exemple très difficile pour les médecins de reconnaître leurs erreurs, pour les procureurs de réexaminer des affaires et de libérer des innocents condamnés à tort. Ce phénomène s’explique par le fait que la justification de soi permet à une personne de se convaincre que ce qu’elle a fait était en fait la meilleure décision possible, minimisant ainsi l'impact de l’erreur ou du mauvais jugement. Au lieu de se dire "J’ai fait une erreur", on pense : "Il n’y avait rien d’autre à faire", ou "C’était la meilleure solution possible".

Ce processus de justification de soi est bien plus insidieux que le mensonge direct, car il repose sur une forme d’automédication psychologique : la personne ne ment pas consciemment, elle s’efforce simplement de préserver son image de soi en ajustant ses perceptions et ses croyances. Ainsi, la dissonance est particulièrement aiguë lorsque la critique touche une partie de l'identité personnelle ou professionnelle d'un individu. C’est la raison pour laquelle la critique doit être formulée avec précaution, car elle peut renforcer la résistance au changement, en alimentant la justification des actions prises.

Dans le cadre des conflits environnementaux, ce phénomène joue également un rôle crucial. Les gens qui se sont engagés dans des positions fermes sur des questions environnementales, qu'elles soient en faveur ou contre certaines politiques, auront tendance à justifier leurs choix par des raisons qui, au départ, peuvent sembler secondaires. Cela devient encore plus difficile lorsque ces positions sont partagées par un groupe plus large, où l’effet de groupe renforce la conviction d’être dans le juste, à l’image de certains mouvements sociaux ou politiques. La résistance au changement dans les habitudes de consommation, comme dans le cas du tabac ou des ceintures de sécurité, montre comment un simple changement de perception peut entraîner des changements de comportements massifs, mais seulement après avoir surmonté les barrières psychologiques et sociales.

Il est crucial de comprendre que la justification de soi et la dissonance cognitive ne sont pas simplement des phénomènes individuels mais qu'ils influencent également les dynamiques sociales et politiques à une échelle beaucoup plus large. Lorsqu'on tente de remettre en question des choix ancrés depuis longtemps, il ne suffit pas de donner des faits ou des preuves logiques. Il est nécessaire d'agir avec sensibilité et respect, en permettant à l’individu de réduire progressivement la dissonance plutôt qu’en l’affrontant frontalement.