L’évolution de la rhétorique raciale dans les campagnes présidentielles américaines a joué un rôle central dans la formation des stratégies électorales. La manière dont les présidents abordent les questions de la race et de l'ethnicité est un indicateur majeur de la dynamique politique et sociale du pays. L’analyse des campagnes de Lyndon Johnson en 1964 et de Richard Nixon en 1972 illustre comment la rhétorique raciale a été exploitée de manière différente selon les objectifs politiques, mais avec un objectif commun : mobiliser les électeurs blancs. Johnson, en cherchant à obtenir des avancées en matière de droits civiques, et Nixon, en exploitant les ressentiments raciaux pour séduire l’électorat blanc, ont tous deux orienté leur discours vers cette cible centrale.

En 1964, Johnson, tout en étant le champion des réformes des droits civiques, a dû convaincre une grande partie des électeurs blancs, notamment dans le Sud, où l’opposition à ces réformes était vive. Dans son discours, la question raciale était non seulement un enjeu national, mais aussi international, dans le contexte de la guerre froide. Johnson a cherché à démontrer que l’avancement des droits civiques contribuait à l'image des États-Unis sur la scène mondiale, tout en tentant de calmer les craintes des électeurs blancs qui percevaient ces réformes comme une menace. Il a ainsi introduit l’idée que les réformes raciales étaient non seulement une question de justice sociale, mais aussi une exigence géopolitique face à l’URSS.

Cependant, ce cadre de réformes n’a pas duré longtemps. Dans les années 1970, Nixon a exploité les tensions issues des réformes de Johnson pour se positionner en défenseur des valeurs traditionnelles des électeurs blancs. Nixon a su capter le mécontentement croissant de ces électeurs vis-à-vis de la lutte pour les droits civiques et a promu un discours axé sur la “loi et l’ordre”, une rhétorique qui répondait à la peur de l’urbanisation, de la montée du crime et des manifestations sociales. En rejetant l’image de défenseur des minorités de Johnson, Nixon a voulu incarner une alternative pour les électeurs blancs méfiants envers les réformes sociales.

L’utilisation de la notion d’“ethnicité” par Nixon en 1972 est un tournant décisif dans la manière dont la race est abordée dans le discours politique américain. Il fut le premier à parler de l’ethnicité de manière explicite, non seulement pour décrire les groupes raciaux, mais aussi pour diviser l’électorat en fonction de leur appartenance ethnique, tout en cherchant à déstabiliser les coalitions traditionnelles de partis. En appelant à une forme de nationalisme blanc, Nixon a exploité une nouvelle dimension de la politique raciale, en désignant des groupes comme des “intérêts spéciaux” incompatibles avec les attentes des “vrais” Américains, principalement blancs.

Si Johnson et Nixon avaient des approches différentes en matière de politique raciale, leurs stratégies ont posé les bases des campagnes présidentielles des décennies suivantes. Le modèle de Nixon, notamment, a été repris et amplifié par d’autres républicains, notamment lors des élections suivantes, où les questions raciales et ethniques ont continué de structurer le débat public. La manière dont ces présidents ont manipulé la rhétorique raciale pour renforcer leur pouvoir électoral montre l’importance de comprendre les dynamiques de l’identité nationale et des préoccupations raciales dans le contexte des élections.

L'analyse des campagnes de Johnson et Nixon montre également la complexité des relations entre la politique interne et les relations internationales. Loin d’être un phénomène purement national, la question de la race aux États-Unis était souvent liée à l’image du pays sur la scène mondiale. Ainsi, les réformes de Johnson en matière de droits civiques étaient, en partie, une réponse aux critiques internationales des États-Unis, particulièrement en période de guerre froide. L’alignement des politiques raciales avec les préoccupations géopolitiques a permis aux présidents de justifier des réformes domestiques sous l’angle de la compétitivité mondiale, mais cela a aussi introduit une dimension internationale dans les débats raciaux.

Avec le recul, il devient évident que la rhétorique raciale n’est pas simplement un outil de division, mais aussi un instrument de mobilisation politique. La manière dont les présidents ont abordé la question raciale au fil du temps reflète non seulement l’évolution des valeurs sociales et politiques américaines, mais aussi la manière dont les questions raciales ont façonné la structuration du paysage électoral. Si Nixon a amorcé une rupture avec le modèle de Johnson, il a aussi consolidé des bases pour une nouvelle ère de politique raciale, une époque où les discours sur la race sont devenus incontournables pour les stratégies électorales.

En fin de compte, comprendre comment les présidents utilisent la race dans leurs campagnes ne se limite pas à analyser les discours eux-mêmes, mais nécessite aussi d'examiner les transformations sociales et démographiques qui influencent ces stratégies. La façon dont la race et l'ethnicité sont abordées dans les élections américaines continue de jouer un rôle déterminant dans les orientations politiques, et il est essentiel d’observer comment ces dynamiques évoluent à mesure que de nouveaux enjeux émergent dans la société. La question n’est plus seulement de savoir comment la race est utilisée dans les campagnes, mais aussi comment cette utilisation affecte la compréhension de l’identité américaine à l’échelle nationale et internationale.

La stratégie de Nixon : Manipulation subtile et défense de la ségrégation sous le voile des droits égaux

Le discours que Richard Nixon prononça en 1972 concernant la déségrégation scolaire, en particulier par l'intermédiaire du transport scolaire (busing), est une illustration de l'habileté politique à manipuler les émotions et préjugés d'une population tout en dissimulant des intentions plus controversées. La rhétorique employée par Nixon lors de cette période visait à fédérer les familles blanches, en particulier celles des banlieues, contre la politique du busing, tout en cultivant une image de défenseur des droits égaux. Il s'agissait d'une stratégie où il parvenait à opposer, d'un côté, les valeurs américaines fondamentales de liberté et d'autodétermination, et de l'autre, les politiques qu'il considérait comme imposées par un gouvernement fédéral trop interventionniste.

Dans un message au Congrès du 17 mars 1972, Nixon, en collaboration avec son conseiller en communication William Safire, construisit un argumentaire en apparence innocent mais profondément stratégique. L'objectif principal était de redéfinir la ségrégation dans un cadre où les opposants au busing se positionneraient non pas comme des partisans d’une injustice raciale, mais comme des défenseurs de l'égalité des droits. L'argument selon lequel le busing était nuisible pour les communautés noires parce qu'il plaçait les Afro-Américains dans une position de dépendance vis-à-vis des Blancs, était astucieux. Nixon insinua que le busing imposait une situation où les enfants noirs seraient obligés de fréquenter des écoles où les Blancs étaient la majorité, avec la conséquence de maintenir les Afro-Américains dans un statut minoritaire permanent. À cet égard, il fit un raisonnement qui, tout en rejetant le busing, défendait indirectement la ségrégation en la présentant comme une solution plus appropriée pour garantir l'égalité raciale.

Dans ce contexte, l’Égal Educational Opportunities Act, que Nixon proposa dans son mémorandum, visait à repousser toute initiative de déségrégation par le biais du transport scolaire tout en apparaissant comme une mesure progressiste. Cette législation, bien qu’elle n'ait pas été adoptée immédiatement, offrait des garanties en faveur de l'égalité des chances pour les minorités, mais dans des termes qui semblaient plus inclusifs que les politiques de busing. L’idée était de ne pas se concentrer uniquement sur la question de la ségrégation raciale entre Noirs et Blancs, mais aussi d’inclure d’autres groupes minoritaires tels que les Mexicains-Américains, les Portoricains et les Indiens. Ce faisant, Nixon utilisait la diversité ethnique pour accuser indirectement les partisans du busing de négliger les autres groupes défavorisés, tout en construisant une image de lui-même comme un président soucieux de l’égalité de tous.

Cependant, au-delà de ces calculs politiques, Nixon entendait profondément modifier l’équilibre du pouvoir éducatif aux États-Unis. Il dénonçait l'intrusion du gouvernement fédéral dans les affaires locales et semblait privilégier une approche plus décentralisée, où la prise de décision en matière d’éducation restait entre les mains des communautés locales, plutôt que des juges ou des fonctionnaires à Washington. Cela faisait écho à une défense plus large de la souveraineté des États, où la centralisation du pouvoir était perçue comme une menace pour les valeurs américaines traditionnelles.

La question sous-jacente qui traversait ces discours était celle du contrôle. Nixon ne se contentait pas de rejeter le busing ; il critiquait également l’idée même d’une intervention fédérale dans des questions locales et, par extension, l’idée que l'État devait jouer un rôle central dans la gestion de la société. Dans un discours radiodiffusé d'octobre 1972, Nixon argumentait que l’éducation ne devait pas être un terrain d’expérimentation sociale dicté par le gouvernement fédéral, mais un domaine où les parents et les communautés locales avaient le droit de décider des orientations éducatives.

Les implications de ce discours étaient multiples et vont au-delà des simples politiques de ségrégation. Ce qu’il proposait, en substance, était une vision d’une Amérique où les valeurs de liberté individuelle, d’autonomie locale et de protection des "droits naturels" des citoyens passaient avant des réformes imposées par des autorités extérieures. Ce message résonnait particulièrement auprès des Blancs des banlieues, qui percevaient les politiques de busing comme une menace à leurs modes de vie et à l’intégrité de leurs communautés. Nixon faisait en sorte que ceux qui rejetaient le busing ne soient pas stigmatisés comme racistes, mais plutôt comme des défenseurs d’un système scolaire qui respectait les choix des parents et des communautés locales.

Ce débat sur le busing, bien qu’il ait été largement réduit après mars 1972, continua de ressurgir de manière sporadique au cours de la présidence de Nixon, à travers des rappels obliques de son opposition à cette politique. Par exemple, dans une conférence de presse d'octobre 1972, il qualifia le busing d'« ordres excessifs » ayant « provoqué des tensions raciales », répétant cette ligne lors de plusieurs autres discours. De même, dans un discours en avril 1972, Nixon affirma que le busing « créait de l'hostilité parmi des gens qui ne ressentaient pas cette animosité auparavant ». Ce genre de discours, qui minimisait les effets réels du busing tout en amplifiant ses conséquences négatives sur les relations interraciales, témoignait d'une stratégie visant à maintenir une base électorale fidèle parmi les électeurs blancs de la classe moyenne et de la classe ouvrière, tout en détournant l'attention des véritables défis du système éducatif américain.

La réflexion centrale qui émerge de ce discours est que la véritable question n’était pas la ségrégation raciale en soi, mais bien la manière dont les ressources et les opportunités éducatives étaient distribuées. Nixon, dans son discours, dirigea l’attention sur la qualité de l’éducation dans son ensemble, affirmant que les véritables problèmes de l’éducation américaine résidaient dans son déclin général, et non dans la politique du busing. Il proposa, au lieu de cela, une solution fondée sur des investissements dans la qualité de l’enseignement plutôt que dans des politiques de redistribution de l’éducation, telles que le busing, qu'il considérait comme un obstacle à la véritable amélioration du système.

Le discours de Nixon, à la fois astucieux et manipulateur, se construisit autour de la défense des « valeurs américaines » : la liberté individuelle, le respect des choix locaux et l’opposition à l’ingérence fédérale. Mais derrière cette façade, il se cachait une défense de la ségrégation déguisée, présentée comme une solution pragmatique pour maintenir l'ordre social, tout en attaquant les politiques jugées trop progressistes ou imposées par des élites de Washington. La rhétorique utilisée par Nixon montre comment la politique peut exploiter les peurs et les préjugés pour orienter les perceptions et façonner l’opinion publique.

Comment la rhétorique politique des présidents américains a façonné les identités raciales et l'opinion publique ?

La rhétorique utilisée par Richard Nixon et d'autres présidents républicains dans les années 1970 et 1980 a joué un rôle clé dans le façonnement des identités raciales et des perceptions sociales aux États-Unis. Nixon, en particulier, a défini une manière particulière de parler de l'égalité et de l'opportunité, tout en préservant un ordre racial hiérarchique. En utilisant des stratégies de discours, il a réussi à unir ses partisans contre des politiques comme l'aide sociale et la ségrégation, tout en laissant derrière lui une société plus divisée. Il a transformé des concepts d'égalité en outils pour créer un climat propice à la discrimination indirecte et aux réclamations raciales.

Au cœur de la rhétorique de Nixon, il y avait l'idée de l’égalité des chances pour tous, indépendamment de l’origine. Cependant, sous cette apparence égalitaire, il y avait une opposition sous-jacente aux politiques redistributives telles que l'action positive et les programmes de bien-être social. Nixon a habilement lié l’identité américaine à une vision opposée à ces politiques, créant un sentiment que celles-ci étaient non seulement inefficaces, mais fondamentalement incompatibles avec les principes américains. En effet, ses discours offraient une définition de l’identité américaine dans laquelle les programmes d’action positive et d'extension de l’État-providence étaient perçus comme des éléments étrangers, des menaces pour l'intégrité d'un pays supposément fondé sur des valeurs de mérite et d’opportunité égale.

Ce type de rhétorique a également implicite la notion que ceux qui soutenaient l’action positive et l'expansion de l'État-providence défendaient des valeurs « non américaines ». L’argument sous-jacent était que les Blancs, en particulier les Américains moyens, étaient désavantagés par ces politiques, conçues pour offrir des avantages aux Afro-Américains en raison des injustices passées. Cette opposition entre l'égalité des chances et les programmes de réparations historiques a non seulement radicalisé la perception des politiques sociales, mais a aussi contribué à maintenir un ordre racial où les Blancs se sentaient expropriés de leurs droits et opportunités.

Lors de sa réélection en 1984, Ronald Reagan a perpétué cette stratégie, bien qu’il ait parlé moins fréquemment de la race que Nixon. Cependant, Reagan a élargi l’utilisation des codes raciaux en les liant à des enjeux comme le chômage, le développement urbain et l’éthique du travail. Sa rhétorique a renforcé l’idée que l’Amérique était un pays de liberté individuelle et de responsabilité personnelle, où l’intervention de l’État pour soutenir les groupes marginalisés était perçue comme une forme d’inefficacité. Reagan a également su s’adresser à des groupes ethniques comme les Latinos et les Asiatiques, tout en maintenant un discours qui visait à rassurer les Blancs sur l’inclusivité du Parti républicain. La question qui se pose ici est celle de l’efficacité de cette stratégie à long terme. Alors que la diversité ethnique aux États-Unis croît, le lien entre la rhétorique politique et la manière dont ces groupes s’identifient dans le système racialisé de classification américaine reste une question ouverte.

George H. W. Bush, en revanche, a utilisé moins fréquemment des rhétoriques raciales explicites. Cependant, il a continué à s’appuyer sur des concepts raciaux codés, notamment en abordant des sujets comme l'aide sociale et en les reliant aux émeutes de Los Angeles de 1992. L’intérêt de la campagne de Bush réside dans le fait qu’elle montre comment la rhétorique raciale républicaine a évolué, tout en restant ancrée dans des structures qui se sont progressivement déconnectées des références explicites à la race. La manière dont il a utilisé les discours de criminalité et d'aide sociale illustre comment la race pouvait être impliquée dans les questions politiques sans être nécessairement mentionnée de manière directe.

Les élections de Reagan et de Bush marquent une transition importante dans la politique raciale américaine. Alors que Nixon avait initialement mis en place un discours opposé aux politiques de redistribution, Reagan a pris une approche plus radicale, en cherchant à réduire l'État-providence tout en poursuivant les mêmes objectifs de mobilisation des ressentiments raciaux. Les années 1980 ont ainsi vu une montée en puissance du néolibéralisme, soutenu par des arguments qui se présentaient comme une défense des valeurs américaines traditionnelles, mais qui avaient des répercussions raciales profondes.

Au-delà des simples discours, ces stratégies ont eu un impact durable sur la politique américaine. Elles ont introduit des distinctions subtiles entre les groupes ethniques, en modifiant la manière dont les identités raciales sont perçues et en renforçant la division entre les États-Unis "blancs" et les "minorités". La manière dont ces politiques et ces discours ont été utilisés par les présidents successifs révèle non seulement les stratégies de campagne, mais aussi la construction des identités raciales à travers des processus complexes d’inclusion et d’exclusion. Le rôle des politiciens républicains dans cette évolution souligne la continuité dans l’usage des codes raciaux pour répondre à des préoccupations économiques et sociales.

Il est crucial pour le lecteur de comprendre que la rhétorique raciale ne se limite pas simplement à des mentions explicites de la race, mais qu’elle se manifeste aussi dans des mécanismes plus subtils, codés. La manière dont les dirigeants américains ont mis en avant l’idée de l’égalité des chances, tout en l’utilisant comme un outil pour justifier des politiques conservatrices, illustre comment les discours peuvent masquer des inégalités profondes et créer des divisions durables au sein de la société. Cette évolution est également liée à la montée en puissance d’un néolibéralisme qui s’est appuyé sur des valeurs d’individualisme et de méritocratie pour exclure les redistributions nécessaires aux groupes défavorisés.

Comment la rhétorique politique a redéfini l'identité raciale en Amérique à travers les décennies

Au fil du temps, la manière dont les politiciens américains ont abordé les questions de race et de politique sociale a profondément évolué, mais il reste une constante : l’utilisation stratégique de la rhétorique raciale pour structurer l’identité américaine. Des figures comme Nixon, Reagan, Bush et Clinton ont utilisé des discours qui, tout en étant plus ou moins explicites, ont constamment remodelé les perceptions de la race, des minorités et du gouvernement. Cette transformation n’a pas seulement eu des conséquences sur la politique sociale, mais a également redéfini ce que signifie être "américain" dans le contexte de la diversité raciale.

David Roediger remarque que dans les premières décennies du XIXe siècle, l'idée de la "Blancheur" a été façonnée par la peur de la dépendance chez les immigrants européens. Pour apaiser cette anxiété, les Blancs ont créé une image de la population noire comme étant l’"autre" – incarnant un mode de vie pré-industriel, érotique, insouciant, que l'ouvrier blanc détestait tout en le désirant simultanément. C’est dans ce cadre idéologique que des figures comme Moynihan et plus tard Nixon ont décrit les familles noires et les récipiendaires d’aide sociale comme des symboles de décadence morale et d'inefficacité personnelle.

Ce discours s’est intensifié sous Reagan et Bush, qui ont repris ces éléments en les modernisant pour leurs propres campagnes. Si Reagan s’est ouvertement opposé à l’idée d’une cause historique des difficultés économiques des Afro-Américains, préférant y voir des défauts individuels et culturels (manque d’indépendance, absence de valeurs), Bush a, de son côté, affiné cette rhétorique en l’intégrant dans des termes plus universels, tout en conservant la même logique sous-jacente. En réduisant l'État-providence, ces présidents ont non seulement poursuivi des politiques économiques de droite, mais ont aussi utilisé des discours raciaux subtils pour maintenir une forme de cohésion sociale autour des valeurs américaines traditionnelles.

Reagan, par exemple, a formulé son message de manière à étendre son attrait au-delà de la simple communauté blanche en introduisant un discours qui englobait des groupes ethniques divers, tout en alimentant des anxiétés raciales liées aux questions de pauvreté et de dépendance à l'État. Cette tactique, tout en revendiquant l’égalité des chances et la responsabilité personnelle, a également alimenté une vision de l’Amérique comme étant divisée entre ceux qui adhéraient aux valeurs américaines et ceux qui ne les respectaient pas, souvent dépeints à travers un prisme racial. Même lorsque Bush, dans les années 1990, atténuait la visibilité de ces discours raciaux explicites, il continuait de s’appuyer sur les mêmes arguments, mais dans une version plus implicite, visant à rallier des électeurs de diverses origines ethniques, sans pour autant s’adresser directement aux communautés noires et latino-américaines.

Clinton, dans sa campagne de 1996, s'inscrivait dans une continuité de cette stratégie tout en adoptant un discours qui se voulait modéré. Il cherchait à se positionner comme un centriste, tout en prenant des positions conservatrices sur des questions telles que l'aide sociale, la lutte contre la criminalité et les politiques d’action positive. En évoquant l'idée de “One America”, il reprenait une rhétorique issue de la campagne de Nixon en 1972, en mettant l'accent sur une Amérique unifiée qui devait rejeter l'État-providence au profit d'un gouvernement plus petit et d'une indépendance individuelle accrue. Mais cette rhétorique, bien qu'inspirée de la droite, ne s’accompagnait pas d’une véritable remise en question des structures de pouvoir existantes.

La question qui se pose à ce stade est de savoir quel a été l'impact de ces stratégies sur le paysage politique américain. Clinton, tout en introduisant des éléments libéraux, a renforcé un discours centré sur l’autonomie personnelle et les valeurs traditionnelles, tout en maintenant une large distance avec les causes structurelles des inégalités raciales. Le "New Liberalism" qu’il a incarné a permis aux Démocrates de se rapprocher des préoccupations du centre, mais en même temps, il a évité les débats profonds sur les inégalités raciales structurelles.

En fin de compte, cette évolution du discours politique montre que la question raciale en Amérique est souvent abordée de manière indirecte, par des métaphores et des valeurs partagées, mais jamais véritablement résolue. L'idée d'une "Amérique unie", défendue par des présidents successifs, dissimule souvent les fractures raciales profondes qui existent toujours. Si cette rhétorique a permis de légitimer des politiques de droite, elle a également contribué à maintenir l’idée d’une identité américaine homogène, excluant les véritables problèmes raciaux et sociaux sous-jacents. Les politiques publiques qui en résultent, qu’elles soient libérales ou conservatrices, partagent une même vision de l'Amérique qui ne remet pas en cause les structures de pouvoir historiques et raciales.