L’exceptionnalisme américain, cette idée profondément enracinée dans le discours politique des États-Unis, a connu des interprétations variées, surtout au cours des dernières décennies. L’un des plus grands débats autour de ce concept a surgi au moment où des figures politiques de premier plan ont commencé à remettre en question la position des États-Unis sur la scène mondiale, notamment sous la présidence de Barack Obama.

Rudolph Giuliani, ancien maire de New York, a été l’un des premiers à exprimer en 2015 des doutes sur la fidélité de Barack Obama à cette notion de grandeur nationale. Pour Giuliani, Obama n’avait pas manifesté la même fierté ou la même conviction que ses prédécesseurs comme Harry Truman ou Bill Clinton, qui insistaient sur l'exceptionnalisme américain en termes de leadership moral et de puissance mondiale. En soulignant que l’Amérique, malgré ses défauts, reste le pays le plus exceptionnel du monde, Giuliani et d’autres figures républicaines dénonçaient ce qu’ils percevaient comme un affaiblissement de la position mondiale des États-Unis sous l'administration Obama.

Cet argument a trouvé un écho dans le livre de Dick Cheney, "Exceptional: Why the World Needs a Powerful America" (2015), où l’ancien vice-président soulignait le rôle primordial des États-Unis comme nation exceptionnelle. Selon Cheney, Obama s’était écarté de la tradition bipartisane de la présidence américaine, qui considérait les États-Unis comme un phare de la liberté et du leadership mondial. Pour Cheney et sa fille Liz, cette idée était au cœur de la grandeur américaine, et elle était désormais menacée. Un retour à cette idée de suprématie mondiale était, selon eux, essentiel pour restaurer la place des États-Unis dans le monde.

Ainsi, lorsque le Parti républicain a présenté sa plateforme officielle pour les élections de 2016, l'exceptionnalisme américain était placé au cœur de sa vision. Le texte commençait par une affirmation claire : "Nous croyons en l'exceptionnalisme américain." L’idée d’une Amérique unique et incomparable était renforcée par la nécessité de "reprendre notre position naturelle en tant que leader du monde libre". C’était une déclaration de force, destinée à souligner la vision d’un retour aux sources de l’Amérique, loin de ce qu’ils appelaient la période de régression sous Obama.

Pourtant, cette conception de l’exceptionnalisme a pris une tournure particulière lors de la campagne de Donald Trump. Le slogan de sa campagne "Make America Great Again" n'était pas seulement un appel à restaurer l'influence globale des États-Unis, mais une dénonciation de leur déclin apparent. Dans son livre "Crippled America: How to Make America Great Again", Trump parlait d’une Amérique "vulnerable", comparée à une "ville brillante sur une colline" que d'autres pays autrefois admiraient. Pour Trump, l'Amérique était désormais perçue comme une superpuissance déchue, à la fois militarily et économiquement.

Trump s’attaquait ainsi à l’idée que l’Amérique pouvait encore incarner la grandeur morale ou la force universelle. Il insistait sur le fait que l’Amérique avait cessé de "gagner", à la fois sur le plan militaire et économique. L’image qu’il projetait de l’Amérique n’était plus celle d’un modèle à suivre, mais d’un géant malade, que d’autres nations exploitaient à leur avantage. En cette période de crise, Trump proposait une révision radicale de la politique étrangère américaine, dénonçant les abus des grandes puissances comme la Chine et exigeant une America First, où l’intérêt national passerait avant toute autre considération.

Cette vision de l’Amérique a profondément marqué les élections de 2016. L’idée d'un "exceptionnalisme de l’exceptionnel moi" selon Trump ne se limitait pas à une déclaration d’une grandeur collective de la nation. C’était une perspective où l’Amérique était en crise, où chaque citoyen et chaque aspect de l’État devait être redéfini et restauré selon une logique de combat, d’indignation et de fierté retrouvée. En d'autres termes, l’exceptionnalisme américain n’était plus une question d’idéalisme collectif, mais un principe individuel, incarné par le "moi exceptionnel" du candidat Trump.

L’exceptionnalisme américain reste ainsi un sujet complexe et en constante évolution dans la politique contemporaine. Au-delà des discours et des campagnes, il est essentiel de comprendre que cette notion ne se résume pas simplement à une idée d’exception, mais à un appel à restaurer l’image de l’Amérique comme un modèle moral et politique, tout en prenant en compte la réalité d’un monde globalisé où l’hégémonie américaine est remise en question par de nouvelles puissances économiques et géopolitiques.

Comment l'exceptionnalisme américain a été redéfini sous Trump : Une vision divisée et un héritage contesté

Depuis l’ascension de Donald Trump à la présidence en 2016, l’exceptionnalisme américain a été un sujet de débats intenses, une idée qui a été manipulée et réinterprétée de manière radicale. Le concept même d’exceptionnalisme américain, qui prétend que les États-Unis possèdent des caractéristiques uniques qui les rendent supérieurs au reste du monde, a été au centre des stratégies politiques tant des démocrates que des républicains. Trump, à travers sa stratégie de l'“exceptionnalisme de l’ego” (exceptional me), a non seulement modifié la perception populaire de cette idée, mais a aussi reconfiguré la manière dont elle est comprise et articulée dans le discours politique américain.

Dès son arrivée au pouvoir, Trump a remplacé l’idée de "l’exceptionnalisme américain" par celle de "l’Amérique d'abord" ("America First"), transformant ainsi une vision ancienne de la grandeur américaine en une vision plus isolée et protectionniste. Cela a marqué un tournant historique, en particulier pour le Parti démocrate, qui s’est alors réuni pour réaffirmer et réinterpréter le concept d’exceptionnalisme à sa manière. Ce retournement a permis aux démocrates de se présenter comme les véritables défenseurs de l’idéal démocratique américain, opposés à une version de l’exceptionnalisme qui mettait l’accent sur la supériorité des États-Unis tout en négligeant les valeurs fondamentales de leur démocratie.

Depuis l’élection de Trump, de nombreux observateurs ont spéculé sur la disparition de cet exceptionnalisme américain, arguant que la présidence de Trump a signifié la fin de la position morale de l’Amérique dans le monde. Certains historiens ont même proclamé la mort de cet idéalisme. Cependant, il est essentiel de comprendre que, dans l’imaginaire collectif des Américains, l’exceptionnalisme ne dépend pas uniquement de faits vérifiables ou de politiques étrangères spécifiques, mais d’une croyance profondément ancrée. Peu importe qu’il soit vrai ou faux : ce qui compte, c’est que cette idée soit perçue comme une réalité vivante par une large majorité des citoyens.

Dans cette optique, l’exceptionnalisme américain a constamment évolué au fil des présidences. Depuis Harry Truman, chaque président a redéfini cette notion pour s’adapter aux circonstances politiques de son époque. Pourtant, ce redéfinition a pris une ampleur unique sous Trump, qui a habilement repris un concept vieux de plusieurs siècles pour en faire une arme politique dans son combat idéologique. Contrairement à d'autres présidents qui ont laissé l’exceptionnalisme dans ses grandes lignes, Trump a façonné sa propre version, fortement marquée par l'idée de la grandeur de l’Amérique, tout en excluant de manière délibérée l’aspect démocratique et inclusif traditionnellement associé à ce concept.

À l’opposé, Barack Obama a proposé une version différente de l’exceptionnalisme, centrée sur l’inclusivité et l’idée d’une Amérique multiculturelle, où la démocratie serait le pilier fondamental de la grandeur nationale. Obama, confronté à des attaques incessantes sur sa propre vision de l’Amérique, a vu dans ces défis une opportunité de redéfinir l’exceptionnalisme en tant qu’idéal inclusif. Lors de son second discours inaugural, Obama a affirmé que ce qui rendait les États-Unis exceptionnels, ce n’était pas la couleur de peau, la religion ou l’origine ethnique de ses citoyens, mais bien l’adhésion à une idée : l’égalité des droits et la quête du bonheur pour tous. Pour lui, l’exceptionnalisme américain reposait sur un idéal qui devait incarner l’égalité et l’inclusivité.

Cependant, cette vision d’un exceptionnalisme inclusif a été vue par une partie du Parti républicain comme une menace à leur vision d’une Amérique plus homogène, un pays dominé par des idéaux plus conservateurs et nationalistes. Trump n’a pas créé ce mouvement, mais il l’a parfaitement adopté, l’a dirigé et l’a transformé en un moteur politique puissant, opposant l’Amérique « véritable » à celle incarnée par Obama. Pour Trump, certains Américains étaient intrinsèquement plus dignes d’être au pouvoir, et cette hiérarchie sociale justifiait un éloignement des valeurs démocratiques traditionnelles.

L’idée de l’exceptionnalisme, sous la présidence de Trump, a ainsi été modifiée : elle n’a plus été associée à un modèle démocratique ouvert, mais à une conception où l’Amérique, sous sa forme la plus « pure », devait être supérieure au reste du monde. C’est cette vision de l’exceptionnalisme qu’il a poussée et qu’il a réussie à ancrer profondément dans l’esprit de ses partisans.

Au final, l’exceptionnalisme américain est loin d’être une notion morte. Ce qui a changé, c’est sa nature et la manière dont il est utilisé dans les débats politiques. Plutôt que d’être un concept unifié, il existe aujourd’hui deux visions concurrentes et profondément opposées qui marquent le clivage politique aux États-Unis. Ce fossé, au lieu de se combler, semble se creuser de plus en plus. Trump, en redéfinissant l’exceptionnalisme, a marqué un point de non-retour dans la compréhension et l’utilisation de cette idée, et il est probable que cette nouvelle division idéologique soit présente pendant de nombreuses années à venir.